Les veillées de Brezal |
Nous avons vu, au cours des siècles passés, que les châtelains de Brezal accueillaient volontiers de nombreux hôtes dans leur château. Et notamment à la fin du 18è siècle, avec les réunions qui réunissaient la fine fleur de la noblesse bretonne et qu'on a appelé les "veillées de Brezal".
Ces veillées furent l'occasion de créer des poèmes courtois qui ont été, au moins en partie, transmis jusqu'à nous et dont les auteurs sont le Docteur Savary, et les abbés de Boisbilly et de Pentrez (cf le chapitre "Les résidents au château à travers les siècles". Voici leurs oeuvres avec quelques commentaires explicatifs.
Le château de Brezal au temps des veillées et deux pages du manuscrit de l'abbé de Boisbilly.
Commençons par le docteur Savary car ses poésies sont les plus anciennes parmi celles qui nous sont parvenues. Jacques Savary, médecin à Brest, (voir ICI sa courte biographie) se fit estimer dans son art et dans les lettres, sans parler d'une foule d'autres qualités qui le rendirent l'un des hommes les plus aimables de son temps. Il fut tout à la fois médecin et poète du château de Brézal. Il écrivait à cet égard à l'abbé de Pentrez :
Ma médecine en ce château N'a rien que votre goût condamne Un quatrain pour toute tisanne Et pour apozême un rondeau. Il m'a fallu changer d'escrime ; De médecin, dans un moment, Me voilà, je ne sais comment, |
Devenu grand maître de rime. Sans doute dans votre moisson C'est mettre une faux étrangère ! Mais poussant le grand Appollon, De tout guérisseur le Platon, Des rimeurs fut aussi le père. |
Sans doute, pour qu'il puisse s'éclairer, la nuit, dans ce sombre château. Mais probablement aussi pour donner plus d'éclat à son remerciement en surprenant par cet objet les autres personnes de l'auguste assemblée. Du théatre ou de l'humour ? |
Quatrain d'un convalescent de Brézal à ce docteur en lui envoyant une bougie : Ma poitrine l'échappe belle, Vous avez su la soulager. Au Saint qui sauve du danger On doit au moins une chandelle. |
Réponse de Savary Le péril passé, maintes fois, Au pauvre saint on fait gambade ; Mais vous, mon aimable malade, Vous êtes un peu trop courtois. Pour vous tirer bientôt d'affaire, Je vous donnai quelques avis ; Un pareil service, entre amis, Ne méritait point de salaire ; Mais en donnant vous savez plaire, Et vos dons sont d'un moindre prix Que la manière de les faire. Je suis charmé, malgré vos frais, Qu'un ami tel que vous m'éclaire. Dieu ! qu'à mes malades jamais Il n'en coûte autre luminaire ! |
Ces poèmes apportent des précisions sur quelques repésentants de la noblesse d'alors et sur les hôtes de Brezal en particulier. Attention : toutes les poésies qui suivent n'ont pas été composées à l'occasion des veillées de Brezal.
Les vers de l'abbé de Pentrez étant des réponses à ceux de l'abbé de Boisbilly, je les ai insérés ici à endroit le plus propice. Ils apparaissent en couleur bleue pour une meilleure identification. On trouve tous ces poèmes dans un recueil manuscrit de 106 pages, conservé aux archives départementales, j'y ai rajouté de nombreux commentaires :
Recueil de vers, chansons et autres poësies de société composées par
Mr Provost de La Bouëxière et de Boisbilly et autres parents et amis de leur famille
1 - Le coq de Quimerc'h 2 - Vers pour Mme de Tinténiac 3 - Impromptu sur Mme de Kersulguen 4 - Portrait 5 - Enigme à Mlle Agathe de Trécesson 6 - Romance d'un jeune religieux - 1765 7 - Mots à remplir - 1769 8 - Lettre à M. le marquis de K/ouartz - 1772 9 - Enigme à Mlle Agathe de K/ampuil - 1773 |
10 - Loterie tirée au château de Brezal - 1773 11 - Origine de l'étang de Brezal - 1773 12 - Lettre des habitans de Brezal à Mme de Coatanscours - 1773 13 - Lettre à Mme la vicomtesse de Rays - 1774 14 - Mots à remplir - 1776 15 - Lettre de Jenny - 1776 16 - Le petit présent, épître à ma tante - 1776 17 - Impromptu - 1776 18 - Lettre à Mlle de Coataven - 1773 |
19 - A Quimper, le 12 juin 1774 20 - A Madame Pauline de Cornulier 21 - Chanson adressée à Mme de Girac - 1771 22 - Lettre de Laverdy au Duc d'Aiguillon - 1764 (ce pastiche mena l'abbé de Boisbilly à la prison de la Bastille) Cliquer sur le n° pour accéder directement au poème |
Ajout des poèmes n° 18 à 21 avec les explications, le 18/11/2018.
Le coq de Quimerc'h 1 | ||
Virgile, du pieux Enée Célébra les travaux divers ; Du beau perroquet de Nevers Gresset a dépeint la destinée. Je chante un coq, inspirez-moi, Vous dont la volière immortelle (A) Reçut sa lumière et sa loi ; Vous des fauvettes la plus belle (B) Si le coq vous plaît aujourd'hui, 2 Le pigeon va battre de l'aile, (C) Et devenir plus fier que lui. De ses titres dépositaire, Muse, vous savez que ce coq N'étoit point un coq ordinaire Tels qu'on en voit pendus au crocq D'un collège ou d'un séminaire. De l'Ecosse ou bien d'Albion Il se disoit originaire Et je crois qu'il avait raison. N'importe, il vivait plein d'honneur Et d'une façon très brillante, Dans un château, dont le seigneur Fit, à la bataille des Trente, Plus d'un prodige de valeur 3. Aussi de son très digne maître Etait-il digne serviteur ; Tous les jours il faisait paraître Des sentiments remplis d'ardeur. Que de fois, jaloux de sa gloire, |
A-t-on vu les coqs d'alentour S'assembler au son du tambour Pour lui disputer la victoire ! D'un pied ferme il les attendoit D'un oeil fixe il les regardoit ; D'un ergot il les tortilloit ... Mais son plaisir surtout était De décoller toutes les crêtes, Et puis mon grivois fut venu Les rapporter à ses poulettes, Dont il était fort bien reçu. Si l'on en croit certaines gazettes Qu'on peut consulter sur ce point Ce sont des affaires secrètes Ma muse n'en parlera point. Mais doit-on passer sous silence De mon héros le plus beau trait C'est que jamais personne en France Ne sut mieux l'heure qu'il était. Du temps qui s'éloigne sans cesse Sa voix marquoit le cours fatal. Il surpassait pour la justesse Le cadran du Palais-Royal. Mais les talens et le courage, Rien ne nous garde du trépas. Le jour même du mardi gras Qu'il paturoit sur le rivage, Par malheur le pied lui glissa, Un brochet vint et le croqua : D'un seul moment ce fut l'ouvrage. |
Les poules qui suivoient ses pas Font retentir le voisinage De leurs cris et de leurs hélas. " Il avait un si doux langage ! " Tant de vertus et tant d'appas ! ... " Ah ! ma soeur, vous ne parlez pas " De la beauté de son plumage. " O ciel ! à la fleur de son âge " Etre croqué par un brochet ! " Ma pauvre soeur, c'est grand dommage ! " Pour moi, j'en mourrai de regret." Ainsi les poules déplorèrent Le destin du coq, leurs amours, Et de concert toutes jurèrent De ne pas pondre de trois jours. Jupiter, touché de leurs larmes, Fit reparoître le défunt " Calmez, leur dit-il, vos alarmes, " Vous aurez trois coqs au lieu d'un." Ces mots finis, à tire d'aile Mon héros part, se niche aux cieux, Et c'est cette étoile nouvelle 4 Qui fait à tant de curieux Aujourd'hui tourner la cervelle. (A) Allusion à une société dont chaque personne avait pris un nom d'oiseau (B) Mme de Tinténiac (C) L'auteur M. de La Bouëxière, dit abbé de Boisbilly |
Vers du même 1 à Mme de Tinténiac en lui envoïant une hyacinthe élevée sur la cheminée ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Allez première fleur de mon petit jardin Allez porter mes voeux à l'aimable fauvette Vous lui direz : je vous souhaite Le bonheur le plus pur, le plus heureux destin Sur le plus doux accueil ma vanité se fonde Ce n'est pas que je viens de la part du pigeon 1 Mais je suis hyacinthe et je porte le nom De l'objet que la fauvette aime le plus au monde. | Vers à la même en lui envoyant une autre hyacinthe ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ D'une fleur qui vous plût je suis la soeur cadette Je naissois humblement dans le sein du repos L'exemple de ma soeur me rend vaine et coquette Heureuses sont les fleurs qui s'ouvrent à propos Jamais je n'eusse osé paroître Sous le règne de l'acquilon Mais le désir de vous connoître M'engage à braver la saison. De quelques soeurs encore je dois être suivie La main de qui je tiens mon être et mon bonheur Voudroit marquer par une fleur Tous les moments de votre vie. |
1 Le même que l'auteur du poème précédent et le pigeon, c'est toujours l'abbé de Boisbilly.
In-promptu, couplets à Mme et Mlle de Tinteniac, chantés au chateau de L... en leur annonçant que c'était sur le récit d'un fou échappé de sa loge que s'était répandu le faux bruit de la mort de Mme de Kersulguen, 1 qui n'avait pas même été malade. Sur l'air : enfant de quinze ans. | ||
Vous pouvez tous vous réjouir Je viens terminer vos alarmes Et ce n'est plus que de plaisir Que nous pouvons verser nos larmes La peste soit des romanciers Qui nous avaient tous effraïés Elle vit la maman Vivent vivent tous ses enfants Tout Quimper était en rumeur Les nobles, le peuple et l'église On s'abordait avec frayeur On se parlait avec surprise, Mais j'ai tout changé dans l'instant En disant à tous en passant Elle vit la maman Je vais l'apprendre à ses enfants. |
Oui sans doute il est bien flatteur Dans un accident domestique De voir ainsi notre malheur Faire calamité publique Car il est si doux d'être aimé Surtout quand on l'a mérité Or telle est la maman Et tels sont ses enfants; Je ne la connais point, hélas. Mais j'en juge par son ouvrage Ainsi de vous on jugera Sur cet aimable témoignage Et vous nous fournirez un jour Quelques témoins à votre tour Lorsque votre maman Verra ses petits enfants. |
Ici nous vous en chargeons tous Souvenez-vous en bien la belle Puisse Maman choisir pour vous Comme on avait choisi pour elle Et puissai-je être assez heureux Pour consacrer d'aussi beaux noeuds Et voir votre maman Caresser ses petits enfants A vous célébrer tous aussi Ma Muse aurait plaisir extrême Mais quand on chante nos amis N'est-ce pas nous chanter nous-mêmes Or tous les hôtes de céans Et le seigneur très nommément Chérissent la maman Et tous ses petits enfants. |
1 On doit être dans la famille Kersulguen de Pluguffan (château de La Boissière), la mère du marquis de Tinténiac était une Kersulguen.
Marc Antoine de KERSULGUEN, né le 6 janvier 1670, Le Faou, décédé le 8 mai 1738, Pluguffan (à 68 ans).Ces Kersulguen étaient une branche de la famille des Kersulguen de Pencran,
descendant de Herve de Kersulguen et de Marguerite de Kerliver.
Portrait tiré du plus joli des recueils
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Tout à la fois elle est belle et jolie Elle parle raison du ton de la folie Quand on soupire elle sourit L'amitié la précède et l'amour suit ses traces Sa figure est pleine d'esprit Et son esprit plein de grâce. | Vers sur les mêmes rimes à l'occasion de ce portrait qu'on lisait à Mme de La Laudelle pendant sa convalescence ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Et que m'importe à moi qu'on soit belle ou jolie A moi qui par raison ai fait une folie Je ne puis que gémir lorsque tout me sourit Et l'austère devoir qui partout suit mes traces A peine me permet les plaisirs de l'esprit Quand mon coeur attendri veille au chevet des grâces |
Par Monsieur L. D. B. B.
Enigme à Mlle Agathe de Trécesson 1
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Dans tous les lieux, à tous les âges Tous les mortels veulent me posséder Les jeunes et les vieux, les fous et les sages S'occupent tous à me chercher. Un enfant dans une poupée Dans un hochet, dans un bonbon Dans un joujou, dans un poupon Voit mon existence assurée. |
Dans l'hymen et dans les amours Lorsqu'on est sorti de l'enfance On croit avec plus d'apparence Devoir me trouver pour toujours. Dans les pompeux honneurs ou l'épaisse opulence D'autres vont me chercher, mais ils sont dans l'erreur Et je n'ai vraiment d'existence Que quand j'existe pour le coeur. | |
Agathe le sçait bien, digne de me connoître |
L. D. B. B. (Le Bonheur)
1 Agathe de Trécesson, voir les résidents au château de Brezal.
Romance d'un jeune religieux Sur l'air : Vous amants que j'intéresse ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ | ||
Vous dont la flamme immortelle Dans une ardeur mutuelle Chaque jour se renouvelle, Ecoutez un malheureux ! Auquel une loi cruelle Interdit les mêmes feux. Interdit les mêmes feux. J'ai choisi pour appanage La douleur et l'esclavage Quand sans en savoir l'usage J'immolai sur les autels Le plus beau partage Que le ciel fit aux mortels. Mon coeur par qui je m'exprime Mon coeur fut cette victime Et du feu qui vous anime Jamais il ne doit jouir Peut-être encore est-ce un crime Pour moi d'oser en gémir ? Pour moi d'oser en gémir ? Sous le poids de tant de peine Et d'une éternelle chaîne Contre la faiblesse humaine Est-ce assez de la raison ? Non ! Non ! |
Pardonnez si je murmure Cieux ! Contre une loi trop dure Mais des peines que j'endure Mon coeur veut se soulager. Les dieux ont fait la nature ! L'homme a-t-il pu la changer ? L'homme a-t-il pu la changer ? De tous les voeux de la terre Le voeux le plus téméraire Jamais a-t-il pu vous plaire ? L'avez-vous reçu grands Dieux Près de ma bergère Mon coeur eut fait deux heureux. O toi qu'en secret j'adore Toi qui pour toujours ignore Les feux dont mon coeur encore Brûle malgré lui pour toi, Puissent ces Dieux que j'implore Te rendre heureuse sans moi ! Te rendre heureuse sans moi ! Mais un serment de l'enfance Prononcé dans l'ignorance Peut-il m'être une défense De soupirer à ton nom ? Non ! Non ! Pardonnez si je mumure ... etc |
L. D. la Bouëxière
Mots à remplir
Muphti, tempête, trébuchet, etron, hymen, calcul, fleurs, états, mazulipathan, philosophe, bal, rosée.
Ces douze mots avaient été remplis pour un compliment pour chacune des personnes de la société de K....
Madame de L... avait été seule oubliée ; pour réparer cette omission, elle voulut que tous les mots fussent remplis une seconde fois pour elle seule dès le lendemain.
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Douze mots emploiés et pas un seul pour vous ? J'en conviens c'est un grand outrage, Et pour le réparer il faut qu'ils servent tous Belle flore à vous rendre hommage Commençons donc: " ... Un jour si je deviens muphti Je veux en votre honneur bâtir une mosquée Dans le temple nouveau par moi seul desservi Vous serez sans cesse honorée. Tous les sujets de l'empire Ottoman Viendront y déposer la fierté musulmane Et vous verrez jusqu'au sultan Vous préférant à Roxélane Mettre à vos pieds le superbe turban La divinité de mon temple Célèbre par ses seuls bienfaits Des grâces, des vertus sera toujours l'exemple Le temple de L... Sera le temple de la paix Contre la fureur des tempêtes On vous implorera ... ... le calme le plus doux Règne toujours dans les lieux où vous êtes Et les mortels s'adresseront à vous Dans les jours de malheurs, de trouble et d'orage Pour obtenir la paix dont votre âme est l'image. Avant de vous diviniser J'ai beaucoup réfléchi, car l'humaine nature N'est jamais bien parfaite et toute créature Sur plus d'un endroit doit pécher Et cependant la vertu la plus pure Seule a droit d'avoir des autels Et d'y voir à ses pieds s'abaisser les mortels Comment donc vous faire déesse ? La femme a défauts ... Et les dieux n'en ont point : Je conviendrai que sur ce point J'étais en très grande détresse. Après bien des réflexions (car j'en fait quelques fois), j'ai cherché vos faiblesses Vos vices, vos défauts, vos imperfections, J'en ai trouvé et de plusieurs espèces Avant de vous canoniser, Encore un coup il falloit les peser. En fait de poids, j'aime l'exactitude Et je la cherche : à cet effet, Pour peser vos défauts j'ai pris un trébuchet Ensuite avec très grande étude J'ai de tous vos défauts mis l'énorme paquet D'un des côtés de ma balance Il était d'un volume immense. Dans le second bassin j'ai placé des quintaux Des livres des onces et des gros. Ces poids étaient trop forts, un scrupule, une obole Etoient encore sur ma parole De beaucoup trop pesant, le moindre demi grain De vos défauts enlevoit le bassin. J'étois au bout de ma science Lorsque par hasard un crion Au beau milieu de ma balance S'avisa de venir déposer un etron Et cet etron en mignature Fit juste l'équilibre ... Il était la mesure, De tout ce que dans vous on trouve d'imparfait. N'avoir pas defauts est un très grand mérite Mais il ne suffit pas, il faut encore de plus Pour obtenir au ciel un gîte |
Ainsi que C*** avoir force vertus Mais ce n'est pas chose facile Que de compter ce que vous en avez Au petit moins je vous en connois mille Non comprises encore ce que vous en cachez Comment donc parvenir à liquider ce compte. Pour moi trop fort était tel examen. (On peut en convenir sans honte) Pour l'avoir bien exact j'en charge donc l'hymen. Ce Monsieur Dieu de l'hymenée N'a pas comme l'amour un bandeau sur les yeux Pas une faute n'est passée Et les moindres défauts il les découvre au mieux A vous examiner des pieds jusqu'à la tête L'hymen sans peine y consentit Et je serois tenté de vous croire parfaite Au résultat du calcul qu'il me fit. " J'ai remarqué, dit-il, plus de vertus dans flore " Que le plus beau printems ne voit naître de fleurs " Plus que la plus brillante aurore " Au jardin de K... ne répanderoit de pleurs " Plus que dans nos Etats la noblesse armorique, " Pour avoir le rappel des juges de la loi " Dans son transport patriotique, " N'a donné de mailles au Roi. " Plus enfin que la compagnie " Aujourd'hui si déchue, autrefois si fleurie " Des Indes jusqu'à Lorient " N'a porté de mouchoirs de mazulipathan ". Vous voilà donc dans ma mosquée Bien et duement canonisée. Et par qui ? Par chacun de nous Et qui plus est par votre époux J'en sçais plus d'un qui dans un cas semblable Rendroit témoignage moins doux Et ferait l'avocat du diable Posséder la sagesse et jouir du bonheur C'est tout l'art du philosophe, et la plus longue Seroit trop courte à plus d'un coeur. Pour atteindre ce but de la philosophie Votre époux quand il vous choisit En possédait la première partie Et la seconde il l'eût, dès qu'à vous il s'unit. Qui vous connoit voit qu'il nacquit Sous une étoile fortunée Il le sent mieux que nous et sçait qu'une journée Que dans le temps du Carnaval Une enfant de quinze ans du couvent échappée Resterait à danser au bal Vaut moins qu'une minute auprès de vous passée Mais quelque heureux que soit le sort de votre époux N'allez pas me croire jaloux D'une félicité digne d'être enviée Non... Je sçais me soumettre aux décrets du destin Une terre stérile, inculte, abandonnée Qui ne voit rien croître en son sein Doit voir sans murmurer sur le terrein voisin Tomber la fertile rosée Ainsi vous voyant tous les deux Comblés des dons et des bienfaits des dieux Je ne m'en plaindrai point : Je respecte le maître Qui dispose tout pour le mieux Je voudrais seulement en vous voyant heureux Comme vous méritez de l'être. |
Lettre à Monsieur le marquis de K/ouartz
Au Faou le lundi Saint 1772
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Attendant mon souper qui n'est pas encore cuit Et voyant m'arranger un assez mauvais lit Très mal à l'aise assis pour maintes meurtrissures Voisine du trop plein de l'humaine structure Après avoir pensé me disloquer le cou Je vous écris, Seigneur, d'un cabaret du Faou. J'ignore quel sera l'objet de mon épître Si jamais on l'imprime, elle sera sans titre mais quand pour muse on a mon coeur et l'amitié On doit être fécond comme votre moitié Tous ses charmants enfans ont l'air de leur mère Les miens à ce qu'on dit ressemblent à leur père Je le pense et mes vers sont à ce que je crois Faciles naturels et faibles comme moi. A ces titres pour eux ayez quelque indulgence Vous en avez pour moi et je compte d'avance Sur toutes vos bontés pour de petits bâtards Pour lesquels je réclame un asile à Kerouartz. Jusqu'ici la préface ... Enfin j'entre en matière Et pour l'ordre en trois tems divisant ma carrière Avec vous cher seigneur je prétend discourir Du passé, du présent et des jours à venir. Le tems passé n'est plus ... témoins quinze journées Qu'avec vous j'ai passé dans les champs Elizées Je ne flatte pas plus mes amis que les Grands Mais ces jours en honneur m'ont paru des moments. L'esprit et la raison, les grâces, l'innocence, Le ton de l'amitié, ses soins et son aisance L'estime réciproque et la sécurité Qu'a toujours la franchise avec la probité La volupté paisible ... aimable ... simple ... dure, Apanage des coeurs amis de la nature ; Les vertus qu'elle inspire et le suprême bien De rencontrer des coeurs à l'unisson du mien Chérissant comme moi ma fille mon amie Vous, vos enfans ... leur mère et la Géométrie Voilà ce que le ciel avoit sçu réunir Pour abréger des jours qu'il voulait embellir De ces moments si doux l'image est affaiblie Pour mon faible pinceau, mais il est dans la vie Des plaisirs qui devraient être les seuls vantés Qui sont souvent sentis et jamais exprimés Pardons. Je m'aperçoit que je tombe en morale Mon pégase eût toujours une marche inégale Il a souvent surtout besoin d'être excité Pour soutenir longtems l'amble de la gaîté, Mais je vais l'envoïer une heure à l'écurie Dissiper son penchant pour la mélancolie, La servante m'apporte une soupe à l'oignon, Une anguille en ragout et le quart d'un ray??? Tout cela jusqu'ici n'a pas mauvaise mine Aubergiste du Faou honneur à ta cuisine Du souper n'allez pas êttre scandalisé Car je suis voïageur et je n'ai pas dîné. J'ai chanté le passé mais ne soïons point dupes Du souper à présent il faut que je m'occupe Le repas quoique seul me paraîtra bien doux Habitans de K/rouartz puisque je pense à vous. J'ai mangé mais peu bu, le vin est détestable J'en buvais de meilleur quand pris de votre table J'admirais de Fanfan le solide appétit Poupon fait l'écureuil, Pouponne lui sourit Mezelle a l'air lutin pelotte une boulette Poupon tout étonné cherche qui la lui jette Il s'en prend à maman et Fanfan à la fois Mezelle au même instant en lance deux ou trois L'une s'échappe et vous, d'un ton d'aréopage Vous dites : "Qu'est-ce donc enfans que l'on ???" Maman rougit pour eux et d'un ton attendri |
Dit : "Ne les grondez pas, car c'est moi, mon ami". Vous paraissez le croire et vous laissez surprendre Et vous dites tout bas : "Cette mère est trop tendre". Mais vous songez avec un sentiment bien doux Que son coeur est du moins aussi tendre pour vous. J'aimais à voir chac'un être ce qu'il doit être C'est l'ordre de la nature : Ah ! Puissiez-vous renaître Doux momens dont mon coeur sçavait si bien jouir Pourquoi ne suis-je pas maître de l'avenir ? Par un heureux hymen ma belle et sage amie Au gré de mes désirs seroit bientôt unie Quel plaisir de signer l'acte de son bonheur ! De voir coeur payer comptant un autre coeur ! Je voudrais que l'époux avec des moeurs faciles Eut un esprit aimable et des vertus utiles Un coeur sensible et fait pour être pénêtré Du plaisir des plaisirs d'aimer et d'être aimé. Qu'il possédat surtout la candeur la droiture Le meilleur des presens que fasse la nature Nos deux époux iroient prendre sous vos berceaux Quelques leçons d'amour de vous et des oiseaux (a) Heureux de leur bonheur toujours sensible au vôtre Je les suivrais chez vous : quel sort seroit le notre ! (a) Allusion à une plaisanterie de société où M. et Mme de S... sont appelés oiseaux. En voïant sous nos yeux contens et réunis Des amours, des époux, des enfans, des amis PP J'aperçois que mes vers ne sont pas sans rature Et que je n'ai point écrit de ma belle écriture Déchiffre mon brouillon. Ma chandelle finit Et dans le cabaret tout le monde est au lit. Gardez-vous bien surtout de donner de copie De vers que l'amitié fit avec la folie On n'y voit comme en moi, que des traits de gaîté Epars sur un grand fond de sensibilité Mais le monde est méchant. J'en ai plus d'une preuve Et ne veux en faire une nouvelle épreuve. Bien des gens dont le coeur est dur ou mécontent Nous font un crime affreux du moindre centime Par pure charité ils voudraient m'interdire Et le plaisir d'aimer et le plaisir de rire, Malgré tous leurs propos je vous aime et je ris Et n'en compte pas moins aller en paradis. De ces vers cependant on peut donner lecture Aux deux plus beaux oiseaux qui soit dans la nature En toute vérité je les aime et je crois Qu'ils ont tous deux aussi quelque amitié pour moi Hortense peut les lire aimable et naturelle Plus on la voit et plus on se plaît avec elle Mais pour le grand public, seigneur, soyons discret. A propos j'oubliois de vous dire un secret Secret pour quinze jours, dont j'ai l'âme ravie Lisez bien que ceci n'est point plaisanterie : La vieille et grande tante au bon La Chalotais A donné Keranroux à notre ami Fruglais 2 Et signé vendredi l'acte de bienfaisance Que lui d??? son coeur et la reconnaissance La forme en peu de tems l'aurait fait publier Car il faudra partout le faire insinuer Je suis comblé ! Mon âme est toujours satisfaite En voïant qu'un bon coeur couronne une âme honnête Le mien n'est point à moi, il est à mes amis Entr'eux veuillez tous deux être à jamais compris Jusqu'à ce que la mort me couvre de son ombre Je ferai mon bonheur de vous voir dans leur ombre Et lorsque de mes jours s'éteindra la flambeau Quand le reposerai dans la nuit du tombeau De feux d'une amitié tendre, vive, fidèle Mes cendres couvriront toujours quelque étincelle Dans tous sentimens dont je suis pénétré L. D. B. B. Mon coeur a des garans de l'immortalité.
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1 François Jacques de Kerouartz, né le 21 avril 1734 à Guiclan, décédé le 5 août 1775 au Château de Kerouartz à Lannilis, à 41 ans, hérita du titre de marquis Kerouartz de son beau-père.
Marié le 30 juillet 1760 à Paris, avec Marie Jeanne Louise Charlotte Toussaint de Kerouartz, décédée le 26 juin 1775 à Morlaix (Parents : Sébastien Louis de Kerouartz, né en 1704, décédé le 20 décembre 1772, et Marie Jeanne Françoise Renée de Kergroades, née en 1708)
2 Château de Keranroux à Ploujean (Finistère) : La seigneurie de Keranroux, connue depuis 1301, a été cédée au 18e siècle par la famille du Parc à Madame de la Fruglaye, née Sophie de Caradeuc, fille de Louis-René de Caradeuc de la Chalotais, procureur général du Parlement de Bretagne.
L'ancien manoir fut alors remplacé, en 1773, par le château actuel, qui devint la résidence de la famille de la Fruglaye. L'édifice, de plan rectangulaire et d'ordonnance classique, occupait le centre d'un domaine composé d'un jardin entouré d'un parc.
L'ensemble a subi aux 19e et 20e siècles quelques modifications : toiture du château et sculpture de son fronton, reconstruction des communs, construction d'une chapelle destinée à remplacer l'ancienne chapelle ruinée, construction d'une petite maison de style Directoire dans le bas du parc, et d'une ferme modèle à l'autre extrémité du domaine. Ces ajouts, qui semblent importants, n'altèrent cependant pas la perception que l'on a du domaine.
Enigme à Melle Agathe de Kerampuil 1
Le 5 février 1773, jour de sa fête
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Uni simple et jamais emprunté Tel est le doux éclat que j'obtins en partage De la nature il est l'heureux ouvrage Mais il doit aussi sa beauté Aux soins d'un art ingénieux et sage Ainsi le plus beau diamant Ne tient pas de lui seul sa beauté toute entière De la nature est le fond du brillant Mais la coupe est du lapidaire Cet art pour moi n'a pas besoin D'emploïer le pénible soin D'une ingrate et longue culture Il lui suffit de se borner A connoître développer Et faire briller la nature. |
Dans mon sein sont gravés ses traits Mais d'un burin dont rien ne peut jamais Effacer l'empreinte immortelle Et je parois toujours plus belle Lorsque dans le fond de mon coeur Un émail transparent et qui n'est point trompeur En fait voir l'image fidèle Pour deviner mon nom faut-il un trait encore Lecteur ? Eh bien ma destinée Est d'être par un anneau d'or Heureusement et pour toujours fixée Il ne sçauroit être trop beau Le choix en sera fait par les mains les plus sages Mais quelque soit en lui le prix de cet anneau Il recevra de moi un mérite nouveau Qui doublera ses avantages. L. D. B. B. (Agathe arborisée) |
1 Agathe de Saisy de Kerampuil, voir les résidents au château de Brezal.
Loterie tirée au château de Brezal
Le 6 février 1773
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Liste des lots
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Liste des personnes qui ont pris des billets
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Détail des lots suivant l'ordre dans lequel ils sont sortis | Du 8 février 1773. Proverbe pour servir de réponse à la lotterie par M. l'abbé de Pentrez au nom de la société de Brezal. | |
N° 10 | Une mappemonde (à Monsieur le marquis de K/sauson) Sur cette carte il n'est pas un empire Ville, province, isle, fleuve, château Que vous ne connoissiez et vous pourriez nous dire Jusqu'au nom du moindre ruisseau Autrefois j'enviois la mémoire féconde Qui m'eut fait retenir ainsi la mappemonde Je ne désire plus ce talent sans égal Pardon... pour mon bonheur dans la matière ronde Ne me suffit-il pas de connaître Brezal. |
(c'est M. de K/sauson qui parle) Il est vrai de la mappemonde J'ai toujours fait beaucoup de cas Mais pourquoi quand j'y fais ma ronde Mes yeux n'y découvrent-ils pas Ce que vous nommez hypocrêne Abbé non moins charmant que zélé citoyen Pour y puiser si souvent et si bien Enseignez-moi de grâce oû gît cette fontaine. |
N° 12 | Un télescope (à M. de Kerampuil) Des objets les plus éloignés Cet instrument sçait rapprocher l'image Vos enfans de vous séparés Vous en feront bien souvent faire usage. Dirigez-la donc vers les lieux Où la tendresse la plus vive Vit pour vous dans leur coeur et se peint dans leurs yeux Est-il pour un papa si digne d'être heureux Une plus douce perspective. |
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N° 8 | Un microscope (à Mlle de Kerdanet) Le sort n'est point aveugle et le sort en est clair Puisqu'il vous fait tomber ce lot Pour découvrir en vous un seul défaut Un microscope est nécessaire. |
(c'est Mlle de K/danet qui parle) Poête ingénieux digne rival de Pope De vos vers charmants et divins Les traits si délicats et si fins Echappoient au meilleur microscope. |
N° 4 | Le vieux chêne de K/loaguen (à Mlle de Kersauson qui l'a dessiné d'après nature) Ce chêne doit sa première existence A vos ayeux qui l'ont planté Mais il vous doit encore plus de reconnaissance Dans les derniers momens de sa caducité Vous avez sçu à peine hors de l'enfance Lui donner l'immortalité. |
(c'est le vieux chêne qui parle) Aimable abbé qu'à vos talens Je dois et d'estime et de grâces Pour me soigner dans mes vieux ans Par vous le sort me donne des graces Qui se croit plus heureux que moi ne l'est pas tant Je connais son coeur bienfaisant Et ses dons je vous le jure Ne sont pas des dons en peinture. |
N° 7 | Un tableau des grâces (à Mlle de K/ninon) Un peintre avait dessiné les trois grâces Le tableau n'était pas fini Et pour se conformer à l'usage suivi Il ébauchoit l'amour voltigeant sur leurs traces Arrêtez donc ! Que faites-vous ? Lui dirent les trois soeurs, pour nous être agréable Laissez l'amour, peignez l'amitié parmi nous Nous la trouvons bien plus aimable. |
(c'est Mlle de K/ninon qui parle) Pour peindre l'amitié vous seul est l'appellé Les trois graces en ont fait choix Qui mieux que vous connoit et ses traits et ses loix Oui ! le portrait sera fidèle. |
N° 14 | Une houlette (à M. l'abbé de La Biochaye) Mon bon ami : ma muse vous répête En ce moment les voeux de bien des coeurs Si les troupeaux choisissoient leur pasteur Depuis long tems vous auriez la houlette. | |
N° 2 | La dévotion réconciliée avec l'esprit. Ouvrage de M. l'Evêque Dupuis (à Mme de Coatanscour) Certain prélat fit un jour un ouvrage Le titre était "Conciliation Entre l'Esprit et la Dévotion" Qu'il soupçonnait d'être en mauvais ménage. Il avait tort. Ce livre quoique bon Ici du moins ne sera point d'usage. Et si jamais en Bas-Léon Le bon prélat fait un voyage En visitant votre hermitage Et les beaux lieux que vous embellissez L'esprit et la vertu qui sont votre partage Lui prouveront bientôt qu'ils ne sont pas brouillés. L.D.B.B. |
(c'est Mme de Coatanscour qui parle) Vous vous trompez l'Esprit et la Dévotion Chez moi sont encore en litige Et c'est à votre occasion L'Esprit fait grand bruit et s'oblige A prouver qu'envers vous il fut plus libéral La vertu prétend que c'est elle Pour couper court à la querelle La raison sur son tribunal Ecoute, discutte, balance Et prononce en dernière instance Que de leurs dons en vous le partage est égal. |
N° 9 | Une estampe (à Mlle de Languen) J'ai cherché pendant quelques tems L'objet dont cette image étoit la ressemblance Mais en songeant à vous j'y reconnois Kerjean Car j'y vois sous des traits fidels et touchants L'amitié, la vertu et la reconnaisance. L.D.B.B. |
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N° 1 | Epitaphe de Jean-Jacques Rousseau trouvée à la porte de l'appartement de Mlle de K/sauson (à Mme la marquise de Kersauson) Jean Jacques en ces beaux lieux termina son destin Il mourut de dépit, de honte et de chagrin En y voyant que son Emyle Etait un ouvrage inutile. Jean-Jacques Rousseau est mort en 1778. Nous sommes en 1773 : quelle épithaphe s'agit-il ? |
(c'est Mme de K/sauson qui parle) Jean-Jacques est mort ! qu'aisément on oublie Ce Génévois et son génie Dès qu'on prononce votre nom Chez lui le bel esprit dégrade la raison L'une ne brille chez vous que pour embellir l'autre Du faux il fut souvent l'apôtre Vous l'êtes du vrai bon ton De la vertu de la religion qu'il soit de qui voudra l'oracle et le salon Vous serez s'il vous plaît le nôtre |
N° 15 | Deux branches de laurier (à M. le chevalier de K/ninon) Il est des lauriers pour tout âge Il en est pour tous les talens Bellone en prodigue au courage Minerve en prépare aux sçavans Du cabinet ou de la guerre Jeunes vous êtes bien en âge de choisir Et digne à coup sûr d'en cueillir Dans l'une et dans l'autre carrière. L.D.B.B. |
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N° 5 | Une hirondelle (à Mlle de Brezal) De tous les habitans de l'air, Le plus léger, le plus volâge, Peut-il être votre partage ? Oui ! car vous sçaurez le fixer Auprès de vous toujours fidèle Vous précédant d'un pas en tous lieux en tous tems En dépit du proverbe une seule hirondelle Alors fera bien le printems. L.D.B.B. |
(c'est Mlle de Brézal qui parle) Il m'est aisé de fixer l'hirondelle Une cage en fera les frais Mais dérober à Philomèle Ses doux accens, ses plus beaux traits Pour vous ce n'est qu'un jeu, pour moi c'est lettre close Je sens l'Epine et ne vois pas la Rose. |
N° 6 | Des ailes (à Mlle de K/ampuil) Malgré nos voeux d'une aile trop rapide, Le temps s'enfuit nous passons avec lui Agathe quoiqu'un peu timide Oseroit lui couper les ailes aujourd'hui. Papa vous le sçavez sa tendresse immortelle Voudrait prolonger pour toujours Ces momens si doux et si courts Que vous pouvez passer près d'elle Comme le tems comme l'amour Je veux qu'elle ait des ailes à son tour Dans votre solitaire asile Elle iroit alors chaque jour Y régaïer votre loisir utile Pour des momens..... le même sentiment Qui l'attire vers vous en ces lieux qui la rappelle Mais elle pourroit fréquemment Toujours tendue toujours fidèle Recevoir près de vous le doux épanchement De la tendresse paternelle O le délicieux moment Et pour vous et pour elle ! L.D.B.B. |
(c'est Mlle de K/ampuil qui parle) Vous l'avez dit je suis timide Je crois devoir l'être. Ai-je tort ? Voyant de Phaëton le vol sûr et apide Ne dois-je pas d'Icare appréhender le sort. |
N° 17 | Apologie du mauvais exemple (à M. l'abbé de Pentrez) J'avais presque fait le serment De ne plus toucher à ma lyre Mais hélas l'homme est inconstant Et puis comment se taire un seul moment ? Quand c'est Brézal qui nous inspire ? Comment moi, vous avez dit-on, Vous avez abjuré pour toujours Appollon, Plus d'une muse ici vous rappelle à son temple Malgré tous vos sermens, subissez cette loi Vous ferez beaucoup mieux que moi En suivant mon mauvais exemple. L.D.B.B. |
... remplacé par l'excuse légitime. (c'est M. l'abbé de Pentrez qui parle) Je l'ai juré de nouveau je le jure De fuir à jamais l'hélicon Dans le vrai. J'en rage au fond Car n'est-ce pas chose bien dure Pour qui se sent un coeur, de voir en ce sallon Toutes les graces du bel âge Tous les charmes qu'ont en partage L'esprit, le gout, la vertu, la raison Et de n'oser en vers leur rendre hommage Mais aussi qu'au même vallon Midas s'aille placer à côté d'Appollon C'est une extravagance extrême Gardons-nous d'ajouter à la liste des fous Charmant abbé, je tiens à mon système Il faut se taire ou chanter comme vous. |
N° 18 | Une statue de Minerve (à M. le chevalier de K/sauson) Sage Tonton, cette divinité Ne vous est du tout étrangère Qui vous connoit juge tout au contraire Que de tout tems vous l'avez consultée. Certain est-il que la déesse Inspire la valeur, anime les vertus Et que vous unissez ses plus chers attributs Fermeté, courage et sagesse. L.D.B.B. |
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N° 11 | L'hermine (à M. le chevalier de la Biochay) Oui votre lot plus qu'aucun autre Doit vous plaire, aimable Tonton, Simbole de l'honneur et de l'honneur breton L'hermine est bien aussi le vôtre ! |
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N° 3 | Le jeu du Pourquoi (à Mme de la Violaye, dont le nom fut donné hier pour le mot du pourquoi par tous les acteurs de ce jeu) Savez-vous aimable Emilie Un certain jeu qu'on nomme le Pourquoi S'il vous est inconnu, un instant je vous prie. Pour commencer comme un aréopage En cercle l'on s'assoit, puis chacun dit tout bas A son voisin le mot qui lui plaît davantage. Il faut bien retenir ce mot, on n'a pas A cela toujours grande peine Nous en avons d'hier preuve certaine. Quand les mots sont passés quelqu'un, ou vous ou moi, A chacun de tous ceux qui forment l'assemblée Fait une question commençant par Pourquoi Et la personne interrogée Doit répondre soudain, mais ce n'est pas le tout Il faut répondre juste et l'on n'est pas au bout Il faut savoir avec adresse Dans cette réponse impromptue Placer le mot qu'on a reçu. Mais l'y placer avec tant de finesse Que dans la foule confondu A l'interrogateur il demeure inconnû. Cela n'est pas toujours possible Nous en vîmes hier un exemple sensible. J'interrogeois. Je demande d'abord : Pourquoi la Czarine en Russie Avec tous ses sujets n'est pas d'accord. On répond : C'est qu'elle est moins douce qu'Emilie. Je demande : Pourquoi l'abbé |
Reste-t-il à Brézal passer une semaine Au lieu d'un jour qu'il avoit projeté , On me répond d'après la vérité : Le plaisir pour l'abbé est une forte chaîne Il reste parce qu'il se plaît Et qu'il mène en ces lieux une assez douce vie Et que son coeur dans le Facet Se prépare au plaisir d'y revoir Emilie Je demande Pourquoi jusqu'à samedi Son arrivée est-elle différée Car nous l'attendions aujourd'hui ? On répond que partout Emilie est aimée Par conséquent partout fêtée. J'interrogeais long-tems et chaque question D'une réponse était suivie. A chaque interrogation On répondoit par Emilie. Absente de ces lieux vous nous occupiez tous C'est à la vérité que je rends hommage Pour moi c'est un emploi bien doux Puissent ces vers vous être un gage Du plaisir que l'on trouve à s'occuper de vous. L.D.B.B. (c'est Mme de la Violaye qui parle) Je le trouve charmant votre jeu du Pourquoi. Je ne sçais qui voulut me l'appendre autrefois Mais je sçais qu'il ne me plut guerre Pourquoi ? La raison en est claire N'a pas qui veut l'heureux talent De plaire en instruisant. |
N° 16 | Les sous marqués. Fable et proverbe (à M. l'abbé de Boisbilly, auquel Mlles de K/sauson adressent un divertissement en pantomime sous le nom du curé de ...) | |
Une aimable société A Dom Jean soi-disant vicaire Un certain jour avoit prêté Une pièce d'or pur : il falloit satisfaire Sous certain tems. Dom Jean étoit flatté Flatté du prêt, flatté de la manière (et quel est le mortel qui ne l'eût pas été ?) De rembourser à terme et même avec usure Il est certain que le curé Avoit sincère volonté Car il faut éviter que le prêteur murmure Mais rarement prêteur est désintéressé ! Bien est-il vrai que ceux du bon curé Ne comptaient pas sur un profit centuple Mais pour leur pièce d'or ils voulaient un quadruple Le jour venu grand embarras Car hélas ! le pauvre vicaire Suivant son usage ordinaire N'avoit ni louis ni ducat Et comment se tirer d'affaire ? Il arrive dans le château Ses créancier d'un superbe salle Faisaient encore l'ornement le plus beau A peine entré sur la table il étale Un très gros sac. Les prêteurs enchantés Se regardaient disant : quelle richesse ! |
Mais, las ! Combien ils furent consternés Lorsque Dom Jean montant avec humblesse Le fond du sac à leurs yeux étonnés N'en fit sortir qu'un tas de sous marqués ! Tout à part soi, un chacun les regarde En se disant : beaucoup trop on hazarde En acceptant ceci pour un payement, C'est là du cuivre et non pas de l'argent. Quoi ! Cette pièce est à peine marquée Cette autre là n'est pas de bon aloi Et celle-ci ne vaut rien par ma foi C'est un jetton, c'est une pièce usée. Tous ces discours ne se tenaient que bas Et le payeur ne les entendait pas Car les prêteurs amis de l'indigence Avoient appris dès leur plus tendre enfance De leurs bons coeurs et de leurs bons parens Tous les égards qu'on doit aux pauvres gens Le bon curé pénêtra leur silence Et puis leur dit : Vous connoissez mes biens Ils sont chétifs, payez-vous sur ces rien J'aurai voulu faire un paiement superbe Mais on ne fait toujours ce que l'on veut A mon avis c'est le cas du proverbe Que d'un mauvais payeur on tire ce qu'on peut. |
Origine de l'étang de Brézal
Le 9 février 1773
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Ce poème se trouve dans un chapitre déjà publié sur ce site avec d'autres légendes se rapportant à l'étang de Brezal.
Lettre des habitans de Brezal à Mme de Coatanscours
Le 11 février 1773
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Ce jour, onzième fevrier, Devant moi soussignant notaire, Rapportant à l'extraordinaire, En l'absence de mon Barbier 1, Sont comparus, en leur personnes, Deux Agathes 2; une Pouponne Qu'assistait son aimable soeur 3; De Brezal, les dames et seigneur 4, Leur frère 5; l'aimable Emilie, 6 Et l'orateur de la patrie ; 7 Et sainte Kerdanet 8; enfin, Un chevalier, votre cousin, 9 [Le reste de la compagnie Nous ayant quitté ce matin.] Tous lesquels, sous leur signature, A moi, notaire rapporteur, Ont donné pouvoir et procure, De vous témoigner leur douleur De votre subite partance, Dont ils ont grande doléance Ainsi que moi, registrateur. Pour calmer notre inquiétude, Sur les tristes événements, Chutes, culbutes, accidents, Qui, dans une saison si rude, Sont plus fâcheux qu'en aucun temps, Et qui peuvent être fréquents, Dans le chemin, qui de céans |
Conduit à votre solitude. 10 Nous vous prions de nous mander, Aux fins de nous tranquilliser, Si la neige couvrant la terre, Et ne laissant pas distinguer, Le plat chemin d'avec l'ornière, Le Phaêton octogénaire 11 Ne vous aura pas fait verser ? Si par le froid et par la brise, Vous n'avez pas été surprise ? En pareil cas, un enrouement Est une chose assez commune, Et, pour vous le dire en passant, [Car nous tenons toujours rancune], Vous méritez tel accident, Pour nous quitter si brusquement, Malgré les justes remontrances, Les plaintes et les doléances De toute une société Qui vous respecte, qui vous aime, Et qui ressentait peine extrême De votre pertinacité. Notre espérance toute entière Portait sur un certain sapin, Qui, pour servir de barrière, Etait tombé dans le chemin : Nous nous flattions que, retenue Par un obstacle de ce poids, |
Vers nous vous seriez revenue ; Mais ceux qui vivent sous vos lois, Ont rendu vaine l'espérance Que nous avions de ce retour ; Ils trouvent longue votre absence, Ne fût-elle que d'un seul jour, Pour vous revoir rien ne leur coûte ; Et, bien à notre grand regret, Ils ont débarrassé la route. De cet officieux méfait, Vous n'avez pas un seul sujet Qui ne voulut être complice, Parce qu'aucun d'eux n'ignorait Que vous rendre un petit service, C'est prêter à gros intérêt. Après une haute lecture De l'acte, par moi rapporté, Mes commettants, avec bonté, Tous, et chacun m'ont assuré, Que j'avais rempli leur procure ; Et de plus ils ont décidé Que, suivant le style usité, J'en devais faire la clôture. Fait et passé dans un séjour Où des parents le vif amour, Et la tendresse sans égale, De la piété filiale, Reçoivent le tendre retour ; |
Où l'on est simple avec noblesse, Enjoué, libre avec sagesse, Et vertueux avec gaîté ; Où la plus sage charité Soulage en tous temps la détresse, Des peines de l'humanité ; Où tout plaît, où tout intéresse ... Mais ici, je suis arrêté, Et de pleinière autorité, On m'interdit mon ministère, Et cependant, en bon notaire, Je rapportais la vérité. Mais sous peine de nullité, Conformément à l'ordonnance, Je dois de tout le comité, Référer ici l'assistance. Le tout conclu dans la présence, De tous ceux nommés ci-dessus ; Savoir : la gaîté, les vertus, L'enjouement, et plus d'une grâce, L'amitié, l'esprit, le talent, Et paraphé du soussignant, Boisbilly, notaire au Parnasse. 12 Et cet acte notarié, Paraissant sujet à contrôle, A l'instant il y fut visé, Sans qu'il y coûtât une obole. |
1 "M. Barbier de Lescoët, de Lesneven", d'après Miorcec de Kerdanet. 2 Agathe de Kerampuil et Agathe de Trécesson 3 Pouponne : Mme de Montbourcher, fille Jean-Jacques Kersauson ; Sansonne : Mme de Tinténiac, sa soeur. 4 M. et Mme de Kersauzon, propriétaires de Brezal. 5 M. de Kerampuil, frère de la châtelaine de Brezal. 6 Emilie Jeanne de Berthou de la Violaye. |
7 Le chevalier de Kersauzon, qui a figuré avec avantage à plusieurs tenues des Etats. D'après Miorcec de Kerdanet. 8 Marguerite de Kersauson de Kerdanné. 9 Le chevalier de Kerninon ? 10 Le château de Kerjean est (était) situé effectivement dans un pays désert. 11 Le cocher de Mme de Coatanscour, âgé de plus de 80 ans. 12 Le notaire improvisé était bien entendu l'abbé de Boisbilly; |
Lettre à Mme la vicomtesse de Rays
Juin 1774
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Quatre mots aimables Thémire 1 Que je vous griffonne en courant Car je n'ai qu'un petit moment Si pourtant faut-il vous écrire Que je fus hier à Pluguffan, Je n'ai pas besoin de vous le dire Que c'étoit pour voir votre enfant. En arrivant dans le village J'instruisis au premier instant Et la nourrice et sa maman Sur le sujet de mon voyage ; J'en reçus un accueil charmant Et j'aperçus sur leur visage Un air satisfait et riant, Qui de la santé de l'enfant Fut à mes yeux l'heureux présage. Les deux hôtesses du hameau Dans un recoin de la chaumière Me découvrirent le berceau Plus propre et modeste que beau Où notre tendre Caroline Goûtait les douceurs du repos ; Ses petits yeux étoient tous clos Bouche rondelette et mignonne S'entrouvrait pour laisser passer Un souffle égal doux et léger Qui de sa gentille personne Annonçait le pleine santé, Et la nourrice et la matrone Avec un ton plein de gaité M'assurèrent que la pouponne Une heure avant avait têté ; Ensuite en langage celtique Tous les deux bien longuement M'expliquèrent que votre enfant Etait vraiment l'enfant unique ; |
Qu'elle n'avoit plus la colique Et qu'elle pleuroit rarement. Elles en dirent davantage Et toujours en s'extasiant Du succès de votre ménage, Et je compris distinctement Qu'elles trouvoient à votre enfant Au degré le plus éminent, Toutes les vertus de son âge. On me fit observer son front Son nez, sa bouche et son menton, Bref tous les traits de son visage Bien fait, bien gras, bien blanc, bien rond Bien digne d'être votre ouvrage ; Et dans son minois tout mignon Je trouvois toujours votre image. De cet éloge avec raison Votre nourrice satisfaite Répétait d'un ton bien content Que Caroline était parfaite Et que des pieds jusqu'à la tête C'était le portrait de Maman ; Et pour me prouver sur le champ Sa ressemblance toute entière Déjà l'une et l'autre fermière Se disent entre elles tout bas Que de ces membres délicats Il faut faire montre plénière Me faire voir les pieds, les bras, Et la poitrine et le derrière Et les genoux & coetera... Monsieur l'abbé ne pouvoit pas Juger si ces petits appâts Sont des votres portraits fidèles Car vous savez, Thémire, hélas ! Qu'il n'a jamais vu les modèles. |
Je défendis donc de troubler Le doux repos de Caroline Je vis sa personne enfantine Quelques tems encore sommeiller Et quittant enfin le village Où des dieux d'hymen et d'amour Repose le charmant ouvrage, Dans ma cellule de retour A Thérèze, je fis ma cour En lui racontant mon voyage. Le courrier n'était pas parti Et je pensai qu'à votre ami Ecrivant deux mots au plus vite Il liroit d'un oeil réjoui Comme père comme mari Tout le détail de ma visite. Thérèze approuva ma conduite Aussitôt dit, aussitôt fait ; Je prends la plume à la minute Et sans nul délai le projet, Sans sortir de mon cabinet, Sous ses yeux même s'exécute Ensuite de sa blanche main Et de sa plus belle écriture Elle apposa sa signature A l'épître qu'après demain Doit recevoir le plus aimable Le plus heureux des époux Puisse un jour votre inséparable Avoir même bonheur que vous. Offrez s'il vous plaît notre hommage A tous les hôtes du château Où nous comptions faire voyage, Mais ici le tems n'est pas beau ; Presque tous les jours un nuage S'élève sur notre horizon ; |
Hâtez par vos voeux la saison Où l'oiseau qu'on retient en cage, Sans redouter aucun orage, Pourra sortir de la maison ; Ce tems heureux d'un mariage Dont les soirs comme les matins N'offriront que des jours sereins Tels que ceux de votre ménage Thérèze pour bonne raison Défend à sa charmante amie De laisser prendre copie De la lettre de son tonton Il n'ose espérer que Thémire Qu'il connoit de très longue main Fort paresseuse pour écrire En ce moment veuille soudain Rompre le sévère silence Qu'elle observe depuis longtems ; Mais nous sommes bien bonnes gens Nous vous donnons pleine dispense De répondre aux vers négligés Qui par le désir de vous plaire A ma muse tendre et sincère Rapidement furent dictés ; Puisse Thémire épouse et mère Les recevoir avec bonté ; Mais il est pourtant stipulé Que pour payer cette dispense Qu'obtient votre timidité Et pour prix de notre indulgence Même en observant le silence Vous rendrez nos deux coeurs contents En nous donnant pleine assurance De répondre à nos sentimens. L. D. B. B. |
1 Pour situer la vicomtesse du Rays, Anne Josèphe de TINTENIAC :
Mots à remplir
Rose, Picpus, cheval, dragon, cheminée, cabane, bouton, écrevisse
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Sur une rose Nouvelle éclose Avec trop de plaisir j'avais fixé les yeux ; Hélas ! C'est un péché bien facile en ces lieux Et dont on est tenté pour toute la famille. Pour confesser ma pécatille Des moines de Picpus je choisis le plus vieux Les vieillards ont de l'indulgence Il m'ordonna pour toute pénitence De courir au sacré vallon Et d'y monter en diligence Le cheval de Bellérophon Et de chanter enfin dans ma rapide course La fleur qui de ma faute avait été la source J'obéis et je pars du pied de l'hélicon ; Je crus que grimpé sur Pégase Courant par monts par vaux et par la plaine J'accoucherais d'autant de vers |
Qu'on voit planer d'oiseaux dans le vuide des airs Je n'en tirai pas un de ma pauvre cervelle Mais mon coursier volant à tire d'aile Me jeta tout à coup près d'un jeune dragon 1 Dont l'air et l'allure et le ton Près de sa compagne nouvelle A tous les yeux annoncent le bonheur Dont il jouit et dont il est l'auteur Depuis son heureux hymenée Cet époux fortuné ajoute à l'agrément Du cercle peu nombreux mais du cercle charmant Qui de Brezal en ce moment Environne la cheminée On y trouve dans ce grand château Le bonheur et les moeurs des plus simples cabanes Et par un prodige nouveau Tous les coeurs y sont diaphanes Et gagnent tous de l'être. Un bien tendre bouton |
De quarante et un jours et premier rejetton 2 De la tige la plus aimable Croit à l'ombre de ces beaux lieux. Que son sort fera d'envieux ! Que son destin est désirable ! Pour l'élever divinement Voici le seul conseil que j'offre à sa maman Oui cette aimable et tendre mère Doit s'imposer pour loi première Et même pour unique loi De répéter sans cesse à cet enfant si chère : Jenny, pensez, parlez, agissez comme moi, A Sausonne en tous tems, le ciel fut propice Elle unit trop de vertus et d'attraits Pour que formant sa fille sur ses traits Elle fasse penser jamais A la fable de l'écrevisse. L. D. B. B. |
Lettre de Jenny
à Mme la comtesse de Tinténiac sur la première visite que le comte
de Tinténiac, accompagné de l'abbé de Boisbilly, lui fit à la nourrice 1
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Ah ! Maman 2 tirez-moi de mon incertitude Deux hommes sont venus troubler ma solitude Etois-je réveillée ou bien dans le sommeil ? Je les ai vu du moins en songe Et mon coeur qui battait à l'aspect de l'un d'eux En le voyant se sentoit trop heureux Pour qu'un plaisir si vif fut l'effet d'un mensonge Il me prévint d'un sourire gracieux Dans tous ses traits est peinte la jeunesse Dans son maintien, grâce, aisance, noblesse Et ses yeux ! Maman, et ses yeux ! Lorsqu'il me regardait se mêlaient de tendresse. Maman, je ne le connois pas Mais tenez, je l'avoue (on dit tout à sa mère) Si les enfants choisissaient leur papa Il serait sûrement mon père. Son compagnon tout habillé de noir Avec tant d'intérêt regardoit votre fille Que dans ses yeux aussi, je crus apercevoir Qu'il me disait : "Jenny, daignez me recevoir Comme un ami de la famille". Ainsi fut-il reçu, point de cris, point de pleurs, Je fus de politesse extrême, Mon nourricier se conduisit de même, A mes deux visiteurs il fit les grands honneurs Il essuya le banc, approcha l'escabelle Puis mes hôtes assis font une kyrielle De questions sur ma santé. Si les dents me poussoient ? Si j'avais la colique ? Si j'avais bien dormi ? Si j'avais bien têté ? Si l'on avait pour moi dans mon séjour rustique Les petits soins de propretés ? Soins nécessaires à mon âge ; Et sur ce, je vis le moment Ou de mon petit personnage Pour leur prouver combien on me tient proprement On allait à leurs yeux faire tout l'étalage. Je l'empêchai bien cependant En demandant à boire, et pendant que je tête Mes deux messieurs se mettent à causer ; Ah ! ma tendre maman, à ma petite tête Combien ils ont donné d'objets à méditer Ils parlaient de mon ignorance De l'instinct de mes premiers ans Et des attributs de l'enfance De sa faiblesse et de chaque nuance Qui doit marquer les développemens Et les progrès de mon intelligence De mes petits désirs de tous mes mouvemens De mes regards, de mes soucis naissants Et surtout de mon innoncence Puis à l'envie répétaient tant et plus ; Que sans cesse le ciel préside à sa conduite " Et que Dieu, le Dieu des vertus " Bénisse la pauvre petite Maman, ce n'est pas tout, ils parlaient des douleurs Que je dois éprouver au cours de ma vie (Ils faisaient disaient-ils de la philosophie) Puis en me regardant versaient presque des pleurs. Mais, moi, Maman j'ai grande envie De ne pas croire à ces malheurs Serait-il vrai qu'ayant la force pour partage Les hommes contre nous ont dicté mille loix ? Qu'ils se sont déclarés seuls rois Et de la femme et du ménage ? |
Que l'ignorance et l'esclavage Par un abus bien cruel de leurs droits Sont devenus notre apanage ? Je ne crois pas un mot, car enfin vous Maman, Je ne dis pas que vous soyez savante Mais vous savez bien des choses pourtant Tout l'utile d'abord puis les arts d'agrément, Dessin, musique, histoire et mon aimable tante De la même maîtresse en apprit tout autant ; Ce bon monsieur tout noir en convenait vraiment Il convenait encore, ma petite maman, Que les joujoux trésors du premier âge Environnaient votre berceau Vous eûtes tour à tour le hochet le plus beau Une grande poupée et son petit ménage Un bilboquet, une boëte à bonbons, Presque tous les jours une image ! Vous eûtes des pinceaux, des couleurs, des crayons Des instrumens, des livres, des poupons Un petit chien et des oiseaux en cage Voilà pour le plaisir... voici pour le bonheur Vous aviez une tendre une charmante soeur ! Et grande maman. Cette maman si sage ! Qui formait votre esprit, qui gardait votre coeur Pour vous en préparer le plus heureux usage. Perdant la liberté, versâtes-vous des pleurs ? Non en payant comptant le coeur que l'on vous donne La chaîne de l'hymen devient chaînes de fleurs Et l'amour la change en couronne ; Maman vous l'avez éprouvé Au moment où quittant votre nom de Sansonne Vous rendiez le serment qui vous était prêté. Aux autheurs de nos jours heure délicieuse ! Où papa par eux adopté Avec eux fut associé Au bonheur de vous rendre heureuse. ça Maman, contre un fait que vaut un argument Rien. Mais rien. On pouvait citer également A mes deux raisonneurs ma tante la Dragonne Dont ils faisaient l'éloge tant et tant Son bonheur a doublé c'est son seul changement Et dans les yeux du Dragon de Pouponne Ne lit-on pas à chaque instant Qu'il jura de l'aimer et que jamais personne Ne sera moins tenté de trahir son serment ? J'aurais voulu parler, mais ma chère Maman, Tous les sons expiraient sur ma bouche mignonne Hélas ! Chez un tendre enfant L'organe de la voix d'une faiblesse extrême, N'obéit pas encor à son entendement, Et je puis tout au plus en ce moment Bégayer "Maman, je vous aime". Mes deux hôtes entre convinrent cependant Qu'il est pour les mamans une volupté pure Et qui compense avec usure Les maux auxquels les condamne en naissant La loix de l'homme et celle de Nature. Ils disaient que déjà ce plaisir vertueux Remplit votre âme toute entière. Et qu'au moment auquel mes petits yeux S'entrouvirent à la lumière, La main bienfaisante des Dieux Versa dans le coeur de ma mère Ce consolateur précieux Plus fort que la douleur même la plus cruelle |
Le sentiment délicieux De la tendresse maternelle Ah ! Que mon sort doit faire de jaloux ! Qu'il me paroit digne d'envie ! Puisque des sentimens de Maman le plus doux Est celui qui fera le bonheur de ma vie. Je souris, concevant un espoir si flatteur On en cherchait la cause, on en trouvait une autre Elle n'était que dans mon coeur Et mon coeur l'adressait au votre. Sur ce, mes visteurs s'éloignèrent du lieu Que ma première enfance habite, En répétant "Que le bon Dieu Bénisse la petite". O Dieu puisse bientôt, Maman, se rétablir, Votre santé qui m'est si chère, Je me souviens toujours de ce tendre désir Que vous eûtes de me nourrir Ah ! Maman ! Vous vouliez être deux fois ma mère Les maux que malgré moi je vous faisais souffrir Nous privent toutes deux de ce double plaisir Mais ma douleur deviendra plus légère Et j'en perdrai presque le souvenir Si cet événement doit un peu concourir A me faire embrasser plutôt un petit frère J'entens ici les bonnes gens Se dire entre eux qu'il sera bientôt tems De réformer ma première toilette, De me donner de libres mouvemens La robe à manche ou bien la chemisette ; J'ignore leurs motifs mais je songe tout bas Que les miens près de vous vaudraient bien ceux des autres Car, Maman, je ne veux mes bras Que pour me jeter dans les votres Encore adieu. Venez vite me voir De votre éloignement je suis impatiente, Venez. Je tâcherai de vous bien recevoir Et de mes nourriciers vous serez très contente Ils vivent bien chrétiennement D'une manière édifiante Et me tiennent très proprement. Mais contemplant ma figure enfantine Ils se disputent très souvent. Les uns disent : "Jenny est le portrait vivant De son papa ou de sa grand maman". D'autres disent : "De vous, ou bien de ma tantine". D'autres trouvent en moi cet air timide et fin Moitié doux et moitié malin De votre charmante cousine. J'écoute tout en souriant, Et je conclus que votre fille Est et sera toujours, ma petite Maman, L'enfant de toute la famille. Puisent ces vers vous amuser, Maman, j'en serai toute fière (Non pas que sur l'auteur je veuille en imposer Ni donner qu'à penser qu'en ma faible lizière J'eusse pu les écrire ou bien les composer) Mais je tiens de mon secrétaire Qui n'est pas homme à me tromper, Maman, que pour les inspirer Il faut bien plus que pour les faire. L.D.B.B. |
Le petit présent - Epître à ma tante
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Mes nourriciers sommeillent tous Et je vous écris en cachette, Pour une affaire très secrète Que je ne veux dire qu'à vous. Mon secrétaire seul est dans la confidence, Je le connois sage et discret, Entre vous deux sur un secret On doit avoir pleine assurance. Le voici donc ce secret important Je veux faire à quelqu'un un beau Petit Présent Et déjà Tantine 1 je pense Que vous devinez bien à qui ?... C'est à Maman Mais je suis très embarrassée, Car, vous le avez, je n'ai rien, Rien du tout. Non pas même encore une poupée A mon âge a-t-on d'autre bien Que des besoins, des pleurs, de la faiblesse ? Qui pendant tous nos premiers ans Sollicitent de nos parents Les soins, la pitié, la tendresse Hélas ! Et sans ces soins vivrais-je un seul instant ? De cet état si dépendant Nature n'exempte personne ; Il est commun à moi... au fils de l'indigent... A l'héritier de la couronne. L'enfant qui doit un jour régner sur l'univers Pendant qu'il est aux mains de sa nourrice N'est-il pas son sujet ? Soumis à ses travers ? A ses erreurs ? A son caprice ? Ses langes, ses cordons ne sont-ils pas des fers ? Il a besoin de tous, à tous est inutile. Pour méditer matière bien fertile ! Ainsi le plus brillant berceau Fait déjà voir ce que nous sommes Et prouve autant que le tombeau L'égalité de tous les hommes. (Je pense quelquefois sur mon petit chevet) En méditant sur le motif secret Des misères de notre enfance Je croirai que la providence, (Autant qu'il est permis de sonder ses décrets) Voulut accoutumer les pères aux bienfaits Et les enfants à la reconnaissance. Ah ! Que me voilà bien loin de mon Petit présent. Tantine il faut s'en prendre à l'esprit de l'enfant Qui promène au même moment De Paris à Brézal, et de Brézal à Rome. On fait à sa poupée une grave leçon Et dans l'instant changeant de ton Sur le grand catéchisme on barbouille un bonbon. Mais revenons à mon Petit présent Qui me tient bien au coeur, je le voudrais charmant Il doit l'être, il est pour ma mère Ma tendre petite maman ! Ça Tantine, je veux fournir le diamant Et vous serez le lapidaire ; Car le présent se faisant en mon nom J'y dois au moins être pour la matière, Et je vous tiens quitte pour la façon. Ce n'est pas avec moi, Tantine, qu'il faut feindre Car c'est un grand péché de tromper les enfants Trêve de modestie. A mille autres talents Vous unissez ceux de plaire et peindre. Partez donc de Brezal avec Tonton Dragon 2 (Car dans tous les métiers il faut un compagnon). Dites que vous partez pour faire une retraite, Vous la ferez aussi et même bien parfaite. Vous apportez à Lanneuvret, Pinceaux, couleurs et chevalet Tonton si complaisant vous tiendra la palette En moins de ien vous faites mon portrait ; Maman le trouvera parfait Ne fut-il qu'à la silhouette. A ce beau petit jeu dans les premiers moments Vous pourrez bien mettre martel en tête A tous mes nourriciers. Ce sont de bonnes gens Mais vraiment des gens de village, Ils ne sauront que dire, que penser En voyant tout votre étalage. Aux sorciers par ici on croit dur comme fer ; Les simples ont ce faible : il n'est pas pis qu'un autre De grands esprits en ont qui leur font plus grand tort On croira que Tonton vient me jeter un sort Eh ! Plut au ciel pourvu qu'il fut semblable au votre Mais je compte sur le recteur Il sçaura bien prendre et donner le change Me peignant en amour du meilleur de son coeur Il croira, soutiendra qu'on a peint mon bon ange. Quand mon portrait sera fini Vous le ferez monter sur une tabatière Point belle, s'il vous plaît. Du simple, de l'uni, De l'écaille ou du bois, n'importe la matière, Point d'or surtout ; c'est bon pour grand-maman Qui d'un bijou riche et brillant |
Galantise (?) mon secrétaire ; Moi je ne puis donner qu'un tout Petit présent. Ah ! Quel plaisir si notre boëte Pouvait en un seul jour se peindre et se finir ! Pour bouquet à maman nous aurions pu l'offrir Car c'est je crois lundi sa fête. Je crois déjà la voir cette tendre maman ! D'un oeil plein d'intérêt, regardant, contemplant Ma petite physionomie Près d'elle mon papa fait de la symphonie 3 Et tout en la faisant lui voit l'oeil attendri ; " Ah ! Qu'est-ce donc ma bonne amie ? " As-tu quelques chagrins ? ... Chagrins ! non, mon ami " Puis-je en avoir et t'être unie ? " Je regardai notre Jenny " Viens donc la voir aussi, laisse là ta musique " . Papa laisse tomber l'archet On se regarde... on est muet... Mais que du coeur au coeur ce silence s'explique ! On m'examine à qui mieux mieux Et contemplant Jenny dans ses lizières Mes parens de vingt ans s'attendrissent tous deux Tout comme s'ils étaient grands pères Voyez pourtant l'effet de mon Petit présent ! Et ce n'est pas le seul, j'en prévois plus d'un autre : S'il existe quelque étranger chez ma bonne mère Ami de vos amis, digne d'être le vôtre (Tel par exemple que celui Que vous possédez aujourd'hui) Comme sans y penser maman tire sa boëte L'étranger l'aperçoit et dit d'un air honnête " Madame, permettez... peut-on voir le bijou ? " Maman le retirant, mais le rendant bien vite " Ah ! Monsieur, ce n'est qu'un joujou, " Je voudrais qu'à vos yeux il eut quelque mérite " Il en a beaucoup pour mon coeur " Il est l'ouvrage de ma soeur " Et c'est le portrait de ma fille. " Et pendant que monsieur observe en curieux, Maman vous le couve des yeux, Pour épier s'il me trouve gentille. L'étranger vraiment amateur Et qui plus est connaisseur Ami des arts, ami de la nature Dit en regardant la miniature : " Il faut éloge presque égal " Pour l'auteur de l'original " Et pour la main qui traça la peinture " C'est pure vérité, ce n'est point compliment, " J'ai moi-même autrefois cultivé ce talent " Et je l'aimais à la folie, " Mais depuis environ douze ans 4 " Tous les malheurs de la patrie " M'ont enlevé tous ces moments. " Les exils, les châteaux et les lettres sinistres " Que sur le cachet [du] feu Roi " A nos concitoyens, à mes parens à moi " Distribuaient les feus ministres... " Le sentiment cher et sacré " De la piété filiale " Dans mon coeur encore redoublé " Par la tendresse conjugale... " Les erreurs du gouvernement, " Et le procès de commissaires, " Les Etats et le Parlement, " La multitude des affaires, " Enfin tous les événemens " Auxquels les hôtes de céans " Prenaient une part si sincère " M'ont fait négliger les talens " Qui dans ma jeunesse première " J'en ai perdu, non le goût, mais l'usage " Et peut-être qu'en ce moment " A peine je sçaurais lever un païsage " De mon ancien apprentissage " Il me reste assez cependant, " Non pour apprécier peut-être habilement, " Mais pour admirer votre ouvrage. " Sans doute vous avez un porte feuille ici " Dans lequel tout est recueilli ? " Serait-ce être indiscret ? Mesdames, je me flatte " Que vous m'accorderez..." Ouf, la timide Agathe 5 Tremble déjà de peur dans son leste pourpoint Un rose plus marqué colore son visage. " Mais, dame, aussi c'est trop cousine, il ne faut pas " Montrer à ce monsieur tout notre barbouillage " Que la peste soit de Jenny " Et de monsieur son secrétaire " Ils avaient vraiment bien affaire " De me déconcerter ainsi". De cette petite colère L'étranger qui la voit sincère N'est ni surpris ni mécontents ; |
Il sçait qu'à côté du talent Marche toujours la modestie Qu'elle en est même l'ornement. Il insiste encore et supplie... Il faut bien céder, on se rend. Il parcourt successivement Les ouvrages de Tantine 6 Et de ma petite maman Et de la timide cousine. Vous recevez de l'amateur Des éloges sans fin, mais il n'est point flatteur Il ose y joindre une saine critique, Vous y donnez lieu rarement, Mais dans le cas tout franchement Sur vos fautes même il s'explique Et dès lors son éloge est plus intéressant ; De la peinture on passe à la musique. On parcourt tous les instruments, Ensuite on raisonne physique Dont on sçait bien les élémens, Un mouvement patriotique Conduit tout naturellement A faire un peu de politique Enfin le même goût pour les mêmes talens, Un penchant pour la bonhommie, L'identité des sentimens, Le même amour pour la Patrie, Je ne sçais quelle sympathie Qui prévient met à l'aise et lie Entre eux tous les honnêtes gens, Donnent de part et d'autre une libre assurance Sans s'en apercevoir on a fait connaissance Et c'est l'ouvrage d'un moment Mais bien l'ouvrage aussi de mon Petit présent. Tantine vous viendrez me peindre sûrement... Maintenant mon inquiétude Est de sçavoir omment vous me peindrez Dans quel costume et dans quelle attitude ? Tantine, vous déciderez. Mais en grâce je vous conjure Donnez beaucoup à la nature, Point de masque en divinité A quoi bon ces dieux de la fable J'aime mieux ma simplicité. Peinte en amour serais-je plus aimable ? Peignez-moi donc tout naturellement, Mais observez bien seulement De mettre assez de draperie Pour que le portrait soit décent Et rassurer ma modestie... Vous pourriez d'un coup de pinceau Peindre aussi mon vieux secrétaire (Non pas en grave commissaire Il ferait trop ombre au tableau) Mais bien s'enveloppant des langes de l'enfance Et s'inclinant vers mon berceau Pour amuser mon innocence Il est vieux, vieux, il a quarante ans plus que moi Cependant, Tantine, je crois, Et j'ai même pleine assurance, Que dans les jeux, vrais jeux d'enfance, Il n'entre point de complaisance, Il est tout naturellement. Et j'aperçois quand il m'amuse Que c'est pour son plaisir autant que pour le mien J'ai cependant voulu savoir pourquoi sa muse S'est fort attachée à moi ?... Sçavez-vous bien Comme il ma répondu ?... Qui m'aime, aime mon âge D'un tel motif j'eus lieu d'être étonnée. L'entente est au diseur. Peut-être a-t-il raison ? Mais de cette comparaison Je fus un peu scandalisée. Il l'aperçut et dans l'instant, Me répondant plus gravement, Il me dit d'un ton presque sage Qu'il se croyait bon homme, et que les bonnes gens Trouvent des charmes séduisans Dans la candeur du premier âge. D'après ce beau raisonnement Ne vous prendrait-il pas un peu pour un enfant ? J'en ai peur, ma belle Tantine. J'en crains tout autant pour maman Et pour la timide cousine... Car en voilà bien long sur mon Petit présent. A Dieu. De mon vieux secrétaire Je crains de fatiguer Non pas la tête mais la main. Nous n'avons pourtant pas épuisé la matière ; Quand on veut faire de l'esprit On est bientôt au bout de la carrière ; Quand c'est le coeur qui parle, on n'a jamais tout dit. Bonsoir, Tantine, il est minuit Le reste au prochain ordinaire. L.D.B.B. |
Impromptu
Adressé du Grand Chemin à Mlle De ... au château de ...
Il est relatif aux circonstances de la conversation du moment du départ
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Il est déjà six heures moins un quart A peine arriverois-je avant la nuit fermante Ma montre toujours en retard Quand d'une demeure charmante Il faut marquer l'instant de mon départ. Dès que je suis parti à la marche moins lente Le tems semble hâter son cours Et sa marche précipitée S'il avançait ainsi pour hâter mon retour Lui serait plus que pardonnée. Adieu. Je serai dès ce soir De tous vos sentimens l'interprète fidèle Près d'une soeur digne de vous avoir Et pour copie et pour modèle. |
Je vous griffonne au coin d'un champ, Le conducteur de votre mule Me paraît en avoir un grand étonnement Mais dut-il me trouver cent fois plus ridicule Avant que de finir je dois vous engager A présenter mon plus soumis hommage A ce cercle dont l'assemblage Vaut l'univers pour qui sçait le juger Trop au-dessus de mes louanges Par les talens, par l'esprit, par le coeur Elles ont comme votre soeur Et l'objet immortel de ma juste douleur Et les vertus et les charmes des anges. |
Lettre à Mlle de Coataven
(Jacquelot) Depuis Madame de Pradroi 1
Rennes le 23 décembre 1773
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Recevez aimable sorcière Aujourd'hui mon remerciement Il est en vérité sincère. Comment ! Sous un déguisement Fort bizarre et peu séduisant, Quoique jeune vive et légère Vous découvrez le sentiment Que la plus aimable bergère Fait naître au coeur de son amant ? Vous devinez que le galant Exprès a choisi pour vous plaire Le plus grotesque ajustement ! Par doublet charmante sorcière Recevez mon remerciement A combien de reconnaissance Ne vous dois-je pas en ce jour Vous avez entendu l'Amour Gémir dans ma longue romance Vous m'évitez un embarras Mais l'embarras le plus extrême Epris de vos tendres appas J'en raisonnais avec moi-même Je me disais : Comment hélas ! Oser lâcher un "je vous aime" ; Je le lâchais pourtant tout bas Mais tout haut je ne l'osais pas. Vous sentez ce qu'il en coûte Quand le coeur est gros d'un soupir Pour l'arrêter, le retenir Et pout l'étouffer sur la route ! Le lâcher c'est être indiscret Ce n'est qu'en tremblant qu'on respire Mais en le gardant tout à fait On souffre hélas mort et martire. Peut-être avez-vous éprouvé Parfois cette étrange torture Car le tableau de la nature N'est qu'un seul tableau répété. Fin de mon coeur sans nul mystère |
Par triplet aimable sorcière Recevez mon remerciement. Vous savez que dans toute affaire Faut pour premier preliminaire S'accorder sur les qualités Lorsque ces points sont contestés On se chicane, on incidente Et laissant le fait principal En pure perte on se tourmente. Nous avons évité ce mal Nous débutons avec simplesse En convenant tout bonnement Que je suis votre tendre amant Et vous ma charmante maîtresse Partons de là. Et maintenant Trouvez bon que je vous expose D'un singulier déguisement Quelle est la véritable cause Vous savez, ma tendre sorcière, Qu'avant de parvenir au but D'une raison pleine et entière Tout homme hélas doit un tribut Et qu'à la jeunesse première Il faut le payer au début. Je sçais que votre sage frère 2 A cette universelle loi Dans tous les tems sçut se soustraire L'exemple est rare, et sur ma foi, Il est le seul que je connaisse Depuis le berger jusqu'au roi Qui n'ait jamais eu de jeunesse Et pour ce, entre vous et moi Il me plaît assez pour ma nièce 3 Or donc vous sçavez qu'autrefois C'était si j'en ai souvenance Vers mil-sept-cent-soixante-et-trois Je faisais l'abbé d'importance J'étais comme un abbé de cour Toujours frisé à la moutonne |
Et dans tous les instants du jour Je souriais à ma personne Et je crois même aimable bonne Qu'alors je me faisais l'amour. Un jour dans votre voisinage Fier de mon petit étalage Et d'un parfait contentement Je vois arriver l'équipage Qui conduisait Papa-Maman Vos deux soeurs et monsieur Le Sage. Tout plein de mes légers appas J'aurais eu peine, peine extrême A croire qu'on ne m'aimât pas Autant que je m'aimais moi-même ; Papillonnant en prose, en vers, A tout j'avais l'air de prétendre Et je croiois comme Alexandre Devoir conquérir l'univers. Mon pauvre esprit était bien bête Ah ! Quelles furent mes douleurs Quand j'aperçus que de vos deux soeurs J'avais net manqué la conquête. Je les entendis en chute chute Rire de mon papillonnage Et sur le ton du persiflage Mettre mon mérite au rebut. Pour un rien en Basse-Bretagne Sur le champ j'aurais retourné Je me disais : "Quoi ! J'ai manqué Une conquête... de campagne ! Ah ! C'en est trop, quittons Piré", J'étais vif et dans le jeune âge On a pris son parti soudain J'allais à Quimper Corentin Cacher ma honte et mon outrage... Mais un silphe ou bien un lutin Habitant, dit-on, d'un feuillage Qui tout près de votre jardin En tout tems donne de l'ombrage |
Vint m'éveiller de grand matin. " Restez, dit-il, on part demain " J'ai vu préparer l'équipage " Apprenez pourtant en passant " Qu'au mérite d'un élégant " La raison ne rend point hommage " C'est moins que rien aux yeux du sage " Bon esprit, bon coeur et bon sens " Peuvent seuls avoir son suffrage " Corrigez-vous et dans dix ans " Vous pourrez plaire d'avantage." Tout est rangé, tout est écrit Dans le livre des destinées Car enfin qui le l'aurait dit Que juste au bout de dix années Un enfant qui n'existait pas Entre tems fut venu au monde Et qu'à huit ans ses premiers pas Seraient sur la machine ronde Dirigés par son cher tonton, Que du fin fond de L'Armorique J'irais conduire le poupon A ce collège de renom D'où votre frère en Rhétorique Vit la société jésuistique Sortir avec lui sans façon Que de retour de mon voyage J'irais dans votre voisinage Voir les dieux d'hymen et d'amour Faisant ensemble et tour à tour Le bonheur d'un nouveau ménage. Que époux vraiment heureux Bien contens de leur existence N'ayant à demander aux Dieux Qu'à prolonger la jouissance Des bienfaits qu'ils ont reçus d'eux Songeraient encore l'un et l'autre Qu'au sein de leur félicité Leur bonheur peut être augmenté |
Et par le mien et par le votre ; Qu'ils ne formeraient de désirs Que de voir leur aimable amie A leur ami toujours unie Heureux des mêmes plaisirs Qui font la douceur de leur vie, Que par un effet du hazard A visiter votre hermitage Ils auraient mis quelques retards Afin que ce petit voyage Me procurat l'occasion De voir mon aimable sorcière Et que sous l'habit et le ton D'un gentilhomme bas breton Je pusse l'aimer et lui plaire. Je le répète, le destin Est ici-bas notre plus grand maître J'ignore à Quimper Corentin Si vous êtes née ou à naître, Et du sort de la suprême loi Par un concours de circonstances Dont la plupart n'ont apparences De regarder ni vous ni moi Prépare notre connaissance. C'est l'effet de la providence Quand tout fut fait, prêt et combiné Pour vous aller faire visite Je me souviens qu'au tems passé Tout mon mérite brillanté Avait eu peu de réussite. Depuis dix ans, j'ai médité Et je crois m'être démontré Que l'on ne plaît pas par système, Il est bien plus de sureté A ne rien avoir d'emprunté Et n'être jamais que soi-même J'arrivai tel au Boisrouvray. Faut qu'ici je le confesse Je vous vis aimable traitresse |
Et dès l'instant je vous aimai Et me voilà martel en tête Revenant le soir à Piré L'esprit et le coeur tout occupés De faire... quoi votre conquête. J'avais retenu la leçon Du lutin de votre bocage Dix ans mûrissent la raison Et je conviendrai sans façon Que le tems m'a rendu très sage Mes cheveux sont devenus gris Pour les cacher j'ai pris perruque On ne les voit plus arrondis En boucles flotter sur ma nuque Mon tein n'a plus ce coloris Que je préférais à la rose Ah ! J'ai perdu bien autre chose Croyez-moi puisque je le dis. Ces avant-coureurs de la vieillesse Affligent, dit-on, bien des gens Et troublent les derniers moments De leur expirante jeunesse. Ils sont de moi bien différens A vos soeurs ma toute élégance Aurait infiniment déplu Et de là-même j'ai conclu Que le jour de ma décadence A vos yeux serait mes beaux jours Et que la saison des amours Dans mon hiver prendrait naissance, Je voulus, dans cette espérance, Bien assortir tous mes atours A ma vieille et triste existence. Je vous prend d'un gros Bas-Breton La forme et l'allure et le ton Et son habit couleur de vache Et tout ce que dit la chanson ; Admirez comme amour se cache ! Pour cette fois je réussis |
J'arrivai, je vis, je vainquis A peine ai-je aux pieds de vos charmes Déposé le plus tendre coeur Qu'à l'instant vous rendez les armes Et me promettez le bonheur. Voilà si j'ai bonne mémoire De nos faits passés et présens Pour mon coeur très intéressans L'exacte et très prolixe histoire. Parlons un peu de l'avenir Le sage toujours y médite Passé n'est plus présent nous quitte Faire un projet c'est en jouir. De la morale la plus sage En Sorbonne j'ai fait un cours Et là j'appris que les amours Pour finir doivent avoir toujours Un légitime mariage Faut donc pour l'hymen nous unir Et je crois malgré ma prêtrise Que c'est pour moi chose permise Si vous voulez y consentir. En brûlant des plus chastes flammes Ne pouvons nous pas en ce jour En amitié changer l'amour Et ne marier que nos âmes ? Je sens fort bien que ce marché A bien des gens pourrait déplaire A commencer par votre frère Qui quoique sage en vérité S'en tiendrait fort peu contenté Mais... Chut, ce n'est pas notre affaire. Quant à nous deux, il est certain Que je suis cadet, vous cadette Les esprits mangent peu de pain Et notre petit saint frusquin Pour leur suffire est fort honnête La chère sera bientôt prête, Lorsque nos âmes auront faim. |
Avant de conclure l'affaire Je dois vous parler franchement Et sans aucun déguisement De mon ton et de ma manière Car on n'en vit que plus heureux Lorsqu'avant de serrer les noeuds Noeuds éternels d'un mariage Les futurs concertent entre eux Des petits détails du ménage. Tous deux alors ils ont le tems De prendre l'avis des parens Et le garçon comme la fille Comme juste a tout le loisir De proposer, de convenir De ce qui peut faire plaisir A l'une et à l'autre famille. Et quand d'accord tout est conclus, Arrêté, signé, convenu Devant l'autel un monsieur Prêtre Vient leur ordonner de s'aimer Ils n'ont pas peine à le promettre Moins encore à l'exécuter. Voici donc ma tendre future Comme je me le suis prescrit De votre conjoint en esprit Quel sera le ton et l'allure. Par erreur la dame nature Alors que je fus fabriqué M'avait donné par aventure Un peu trop de gravité Et dans ma première jeunesse La nourrice que j'ai têtée M'accusait même de tristesse Et pour m'inspirer la gaîté Plus de cent fois la diablesse Très fort, mais très fort, m'a fouetté Les bonnes gens quoiqu'on en dise Donnent d'excellentes leçons Et pour traiter leurs nourrissons |
Faut les laisser faire à leur guise De ma nourrice les secrets Eurent un merveilleux succès Et quand ma petite personne Fut remise chez ma maman Je me souviens distinctement Que je faisais rire ma bonne Qui depuis dix huit ou vingt ans Montrait des gencives sans dents Nature parfois se repose Mais se réveille tôt après Et ne sçaurait souffrir jamais Une entière métamorphose Et quoique fréquemment fouetté De mon antique gravité Il me reste encore quelque chose Bien moins pourtant que de gaîté De cette double qualité Dès longtems j'ai fait le partage, Ma future, et me suis flatté Qu'à vos yeux il paraîtrait sage A chaque instant on est forcé De se répandre dans un monde Où l'erreur, la méchanceté Plus que jamais hélas abonde Pour ce monde est ma gravité. Même s'il était nécessaire J'y saurais prendre un air austère Approchant de la dignité. Mais quand au sein de ma famille Séjour de ma félicité Présente à mon oeil contenté Ma mère, mes soeurs et ma fille Mon coeur alors en liberté Etale toute sa gaîté. Je me permets quelques saillies D'un mauvais couplet de chanson Je fais rire la compagnie Et dès qu'il fait rire il est bon La nièce agace le tonton |
Ma perruque est de la partie Mes neveux en font un bâton Et leur enfance réjouie Met le plaisir dans la maison Où tout est gai comme pinçon Deux ou trois amis, une amie Nous viennent parfois sans façon Prendre un souper mauvais ou bon Sans craindre la mélancolie Ainsi notre philosophie Se réduit à cette leçon Qu'il faut bien en chaque saison D'une pénible et courte vie Pour assaisonner la raison Se permettre un grain de folie. Ma vieille maman à nos jeux Daigne toujours être présente Et voir sa famille contente C'est le comble de tous voeux Par sa vertu et par son âge Par sa tendresse et ses bienfaits Certaine de tous nos respects De notre amour de notre hommage Chaque jour elle nous engage A goûter toujours parmi nous De tous les bonheurs les plus doux Et la volupté du vrai sage. L'union est notre apanage Et c'est le plus riche de tous. Que ce bonheur soit incipide Pour tous les petits sémillans Dont l'esprit léger, le coeur vuide N'aime que les plaisirs bruyants Qu'un petit maître un agréable Nous juge, s'il veut, sérieux Je ne serai point envieux D'un sort qu'il prétend délectable. Entre ma mère et mes neveux Je n'en dirai pas moins à table Le coeur en paix, l'esprit joyeux |
" C'est chez soi qu'il faut être aimable " C'est chez soi qu'il faut être heureux." De mes plaisirs tendre future Je vous ai tracé le tableau Il est plus fidèle que beau Et pris dans la seule nature Mais songez bien que nos loisirs Ne sont pas tous pour les plaisirs Quel serait le poids de la vie Si la cruelle oisiveté De tous les bonheurs ennemie Voyait mon inutilité. A ses loix toujours asservie Tous les matins le cabinet De votre époux sera l'azile C'est là qu'on peut dans le secret Jouir du plaisir d'être utile. Comme nous aurons peu de bien Nous n'aurons pas beaucoup d'affaires Mais devons nous compter pour rien Nos soeurs, nos neveux et nos frères. Lorsque sous les drapeaux de Mars Ils iront tous trois à la guerre Courrir la gloire et les hazards Nous pourrons veiller sur leur terre Et hâter un peu le fermier Qui souvent ne se presse guère De venir remplir le rentier. Si le démon de la chicane Vient s'emparer de nos colons Nous deux les accommoderons (Pas s'il vous plaît à coup de canne Comme un marquis de mes cantons) Pour faire sentir à leurs âmes Tout le bonheur de vivre unis Vous cajolerez les maris Moi je confesserai les femmes. Nous éteindrons tous les procès Quel plaisir dans notre hermitage De dire à nos coeurs satisfaits |
Tous nos fermiers vivent en paix Et leur bonheur est notre ouvrage. Ainsi quelque jour fatigués Par l'âge ou les infirmités Suite de l'humaine misère Nous n'en serons pas moins joyeux Car on n'est jamais malheureux Quand on a quelque bien à faire. Je devrais avant de finir Le détail du futur ménage Soumettre à vos yeux l'assemblage De ce qu'il vous faudra souffrir. J'ai des défauts et le plus sage D'entre les mortels a les siens Nous avons tous chacun les notres Mais si vous pardonnez aux miens Je vous promets d'aimer les votres. Je comptais pour tous vos parens Vous mettre ici longue apostille Mais je n'en aurais pas le tems Tous mes respects à la famille Dites leur à tous simplement Que je les aime tendrement Dites surtout à mon beau-père Ainsi qu'à ma belle maman Que chez eux dès en arrivant Je veux arriver chez ma mère Vous ne doutez pas sûrement A quel point son fils la révère. A Dieu mon aimable moitié, Tous mes vers vous feront pitié Ma muse faible mais aisée Marchant d'un pas précipitée Réclame de votre bonté Pour ma lettre mal corrigée L'indulgence de l'amitié Vous la trouverez peu limée Mais c'est à Bonne que j'écris Et la rime est dans la pensée Quand on écrit pour ses amis. L.D.B.B. |
1 Voir plus bas, le lien de parenté entre l'abbé de Boisbilly et Mlle de Coataven
2 Bernardin de Jacquelot du Boisrouvray, le frère de Mlle de Coataven et époux de la nièce de l'abbé de Boisbilly.
3 Marguerite Jeanne Marie Thérèse Provost de la Bouexière de Boisbilly, la nièce de l'abbé.
Laurent François PROVOST de la BOUEXIERE de BOISBILLY & Marguerite Jacquette Perrine de BOUDIN DE LAUNAY |
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Jean-Jacques Archibald PROVOST de la BOUEXIERE DE BOISBILLY 1736-1786 Notre abbé |
Edouard Bernard Charles Daniel PROVOST de la BOUEXIERE de BOISBILLY | Jean-François de JACQUELOT du BOISROUVRAY 1706-1774 & Marie-Jeanne de FROGERAY |
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Marguerite Jeanne Marie Thérèse PROVOST de la BOUEXIÈRE de BOISBILLY | Bernardin de JACQUELOT du BOISROUVRAY 1744-1823 | Bonne Jeanne Charlotte de JACQUELOT du BOISROUVRAY 1758-1807 Mlle de Coataven &1780 Charles CADY de PRADOY |
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Bonne Jeanne Charlotte de JACQUELOT du BOISROUVRAY, née le 22/3/1758, Boisrouvray, Le Theil (35), décédée le 12/10/1807, Guérande (à 49 ans).
Mariée le 2/10/1780, Saint-Colomban, Quimperlé, avec Charles CADY de PRADOY, né le 18/12/1746, Guérande,
Conseiller-maître ordinaire à la Chambre des Comptes de Bretagne, Émigre à Londres avec Bernardin de Jacquelot du Boisrouvray.
Ce très long poème, est un peu énigmatique, pour un écclésiastique. Mais en y regardant de près, on remarque, par son vocabulaire la grande connivence et la complicité que son auteur avait, très certainement, avec la demoiselle. Leur lien de parenté expliquant sans doute cela, c'est la belle-soeur de sa nièce.
Le poème a le mérite de nous faire connaître quelques traits physiques l'abbé, dans sa jeunesse et dix ans plus tard. Il nous décrit aussi des aspects de son caractère, parfois grave, souvent gai et drôle, ainsi que des moments de vie familiale.
A Quimper le 12 juin 1774
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A pareil jour ma tendre soeur 1 Il vous plut de donner naissance A l'enfant qui de l'existence Fait aujourd'hui notre bonheur. A célébrer l'anniversaire De ce jour plus fortuné De tous les jours de ma carrière J'avais aujourd'hui destiné Mon après-midi toute entière Mais grâce à mon jeune confrère Tous mes projets sont renversés Il m'a décoché deux abbés Dont je ne me souciais guère Ils m'ont dérobé tout un jour Où dans mon réduit solitaire Je me proposais tour à tour De chanter la fille et la mère. Je n'ai qu'un moment pour le faire Ce moment me paraît bien court. Si tous les jours de notre vie Etaient marqués par le bonheur Je n'oserais faire ma soeur A chacun d'eux une folie Mais trop rarement ici bas L'avare main des destinées Sème quelques fleurs sous nos pas Pour qu'hélas nous ne puissions pas Marquer chacune des journées Où nous avons reçu des Dieux Les bienfaits les plus précieux Par des traits qui pourraient déplaire |
A la trop sévère raison Mais quand le coeur fait la leçon Triste raison il faut vous taire Elle s'est tu depuis huit jours Et pendant son heureux silence Je cours la ville et les faubourgs Et les marchands de connaissance Toutes mes courses sont en vain Enfin je m'adresse au cousin Débarquant de l'Ille de France Et lui demande avec instance Six à sept aunes de Pékin Il me donne pleine assurance De les avoir au douze juin Et grâce à sa diligence Vous les déballerez demain Aussitôt après ma partance Ordre à la fidèle Deschamp De faire venir sur le champ La plus habile couturière Qui de six aunes de matière Lèvera très adroitement Pour ma nièce De La Bouexière Un déshabillé noir et blanc Auquel il faudra cependant Une allonge sur le derrière Mais pour la laize du devant Il faut la laisser toute entière. L'aimable voisine Ferrière Possède un certain pet en l'air Qu'il faudra vous faire apporter |
La structure est singulière Le falbala n'est pas doublé. Par cette coupe difficile Une tailleuse très habile D'un coupon pas trop étriqué Fera tout un déshabillé Cette épargne d'une doublure D'un grand falbala voltigeant N'est pas seul et la garniture Peut en fournir également La faisant en gaze et ruban. Vous supplérez au bref aunage De mon Pékin trop raccourci Je ne sçaurais même peindre ici A quel degré je suis marri De n'en avoir pas davantage. Lorsque l'aspirant de l'hymen Le jour pompeux du guelladen Viendra pour recevoir et faire Un examen préliminaire Je veux que Monsieur le galant En vous tirant sa révérence Observe votre cher enfant Dans toute sa magnificence Et s'il se trouve assez heureux Pour vous plaire à l'une et à l'autre Il vous adressera des voeux Vous priant de former des noeuds Pour son bonheur et pour le votre. Si je n'écoutais que mon coeur J'aurais encor ma tendre soeur |
Cent mille choses à vous dire Mais je n'ai plus le temps d'écrire Vous devinerez aisément Tout ce que ma reconnoissance Pour la mère de votre enfant Vous doit au jour de sa naissance Ses traits, sa bonté, sa candeur A la tendresse fraternelle Rappelant quelqu'un dont le coeur Des milliers de coeurs fut le modèle... Embrassez-la bien tendrement Pour quelqu'un qui vous remercie Tendre soeur d'un si doux présent Qui fait le bonheur l'agrément Et le vrai charme de ma vie. Sur ce deballez de Penkin Vous ferez encor bien du train Ainsi qu'à notre jeune amie Mais son train ne me fait pas peur Et vous ma très aimable soeur Ne grondez pas je vous en prie Car je vous promets en honneur Que c'est ma dernière folie. J'ajouterais encore beaucoup A cette épître mal écrite ; Mais j'aime mieux prendre la fuite. Quand on a fait un mauvais coup Il faut décamper au plus vite. L.D.B.B. |
1 Thérèse, la soeur de l'abbé de Boisbilly, l'enfant en question était Marie Jeanne :
Laurent François PROVOST de la BOUEXIERE de BOISBILLY. Marié avec Marguerite Jacquette Perrine de BOUDIN DE LAUNAY, dontA Madame Pauline de Cornulier
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D'un ciel sans nuage La sérénité ; La félicité D'un coeur sans partage ; Du soucis du sage La douce gaîté ; Eclat de beauté Qui fait qu'on délire Sensibilité Qui fait qu'on soupire ; De l'esprit sans fard Des attraits sans art Coeur ou vertu pure Et tendre nature |
Confondant leurs droits Font chérir leurs lois. Sur lèvres de rose Mollement repose Simple vérité Doucement tenté Amour se propose D'y cueillir s'il ose Fleur de volupté Mais sagesse oppose A témérité Sa sévérité Mine douce et fine Offre cent appas |
Et fait que tout bas Charmante Pauline, 1 On en imagine. Cent qu'on ne voit pas Mais qu'amour devine ; Plein de tes attraits Ainsi de tes traits Il fait l'assemblage, Et seul avec moi Dans mon hermitage Trace ton image... Moins belle que toi ! L.D.B.B. |
Cette pièce est une plaisanterie de société. L'abbé de Boisbilly avoit écrit chaque vers sur une carte ; il jeta le jeu sur une table, défiant les personnes de la compagnie de l'arranger de manière à y trouver un sens, ce à quoi elles ne purent parvenir ; alors il les disposa dans cet ordre qui présente le portrait flatteur de la maîtresse de maison. |
1 Cette Pauline de Cornulier est Jeanne Pauline de Cornulier, voir plus bas.
Voir le poème suivant
Chanson adressée à Madame de Girac
au nom de Mlle Adélaïde, sa fille, mariée depuis peu à M. le Président Catuélan.
Elle était alors au couvent à Paris
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Maman, il faut que je vous gronde, J'ai pour cela mille raisons; Vous avez fait chez les Bretons La conquête de tout le monde, Et vous ne m'en avez dit rien ! Ah ! Maman cela n'est pas bien. Ne doit-on à qui vous aime Rendre compte de son bonheur ? Songez donc que mon jeune coeur Est un autre petit vous-même ; Maman, puisque vous l'avez fait, Vous savez bien comment il est. Je suis pour vous comme vous êtes Pour ce que vous aimez le plus ; Je crois briller de vos vertus, Je suis fier de vos conquêtes, Je suis riche de tous vos biens Et vos plaisirs sont les miens. Tendre Maman, la renommée N'est pas si discrète que vous ; Elle a publié parmi nous A quel point vous êtes fêtée, Au milieu du peuple breton Dont parle toujours mon tonton (a) Ces Bretons qu'il aime et qu'il vante Depuis longtemps sont malheureux, Vous êtes bien au milieu d'eux, Car vous êtes compatissante ; Et dans nos plus petits malheurs Nos soupirs attirent vos pleurs. |
Esprit, attraits, candeur de l'âme, En moins d'un mois vous ont acquis L'hommage de tous les maris, Et le coeur de toutes les femmes ; Ce triomphe, aux yeux de mon coeur, Fait bien votre éloge et le leur. Ah ! Maman que je suis contente Que l'on célèbre, en prose, en vers Vos yeux fermés, vos yeux ouverts (b) Qu'on les admire et qu'on les chante ; Quoiqu'on n'ait pourtant rien dit d'eux Que je ne sache encor bien mieux. Un matin à la dérobée J'entrai chez vous à petit bruit ; J'arrive au bord de votre lit ; Maman n'était pas éveillée, Et j'admirai dans ses yeux clos Toutes les grâces du repos. Maman, que vous êtes touchante ! La sérémité de vos traits Peignait le plaisir et la paix, Et vous paraissiez si contente Que je vis bien en cet instant, Que vous rêviez à votre enfant. Le cour palpitant de tendresse, Tout doucement je m'approchai, Et sur la paupière j'osai Vous imprimer une caresse ; Votre oeil fermé le recevait L'autre en s'ouvrant me le rendait. |
Il est donc même pour l'enfance Des moments qu'envieraient les Dieux ! Maman, je puisai dans vos yeux La volupté de l'innocence, Quand nos coeurs, pressant leurs soupirs, Palpitaient des mêmes plaisirs. Quand mon coeur s'observe et s'écoute, Il croit qu'on aime rien autant Dans l'univers, que la Maman ; Mais il me survient quelque doute, Tendre Maman quand je vous vois Entre ma grand maman et moi. Tantôt sur moi, tantôt sur elle, Vos yeux expriment tout à tour Et d'un enfant le vif amour, Et la tendresse maternelle, Sentiments où sont confondus Les plaisirs avec les vertus. Nos coeurs peuvent encore s'étendre Car alors ne l'oublions pas Mon petit frère et mon papa Maman, mon coeur sensible et tendre Ne s'épuise point à jouir, J'aime à aimer, c'est mon plaisir. Maman, il faut que je vous quitte Mon frère m'attend au parloir. Adieu ; daignez bien recevoir Des couplets dont le seul mérite Est de développer mon coeur Comme on éparpille une fleur. |
Envoy à Mme de Girac De votre chère AdélaïdeJ'emprunte la main et la voix ; Comme elle, soumis à vos loix Pouvois-je prendre un meilleur guide ? Vous plaire est mon suprême bien C'est mon bonheur comme le sien. N'exigez point de signature ; Qu'à ces traits mon coeur soit connu Il est l'ami de la vertu, Il est l'amant de la nature, Et par vous, il est balancé Entre l'amour et l'amitié. L.D.B.B.
M. de la Granville, commissaire de marine Est aussi vif, aussi touchant, Mais non pas plus intéressant Que cet amant de la nature Qui sent, ou je suis bien trompé, Ce qu'il a si bien exprimé. Le sentiment prend sur sa lyre Le ton naïf et séduisant ; Quand il peint ce coeur palpitant, On est bien tenté de lui dire : Où courrez-vous, Monsieur l'abbé Vous allez vous casser le nez. |
(a) M. de Girac, évêque de Rennes | (b) allusion à une plaisanterie de société et à des couplets qu'on avait chantés peu de jours auparavant |
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Le dernier poème du recueil de l'abbé de Boisbilly est un peu particulier et dépasse, comme nous allons le voir, le cadre de Brezal :
Contexte :
Le roi de France est alors Louis XV. Pour financer ses guerres, il veut lever de nouveaux impôts. Les Etats de Bretagne sont réunis à Nantes pour examiner l'exigence royale, en présence du Duc d'Aiguillon, représentant de la couronne et commandant en chef de la Province (portrait ci-contre). L'acte d'union de 1532 stipule, en effet, que, pour être effectifs, les impôts demandés par le roi doivent être acceptés par les Etats.
Cependant, déjà dans les années récentes, le gouvernement, par sa fiscalité abusive, vient de bafouer le traité franco-breton, mais pire encore il est revenu sur des engagements qu'il avait pris lui-même en contre-partie de "dons financiers" effectés par les Bretons. La coupe est pleine : les Etats refusent les nouveaux impôts. Le contrôleur général des finances de Louis XV, François de L'Averdy, écrit de Paris une lettre maladroite, qu'il fait lire en pleine assemblée des Etats, pour exhorter le duc d'Aiguillon à anéantir le refus breton.
L'abbé de Boisbilly, qui siège aux Etats en tant que député du chapitre de Quimper, traduit cette lettre en chanson qui excita le rire par tout le pays.
Conséquences :
Bien que de Boisbilly s'en défendit (pourtant ce poème porte bien la signature L.D.B.B. dans le présent recueil), cette chanson lui fut attribuée. Sans autre preuve, le ministre vexé le fit mettre à la Bastille. Il y passa six mois et fut exilé à Clermont, en Auvergne, jusqu'en 1769.
Lettre de M. de L'Averdy, contrôleur général des finances, à M. le Duc d'Aiguillon, commandant en Bretagne, et premier commissaire du Roi
aux états tenus à Nantes en 1764
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Les anciens oracles se rendaient toujours en vers, afin qu'on les retint avec plus de facilité, et par la même raison, on les mettait quelquefois en chant ; on a cru devoir les mêmes honneurs aux sacrées paroles de M. Averdy, en donnant une traduction en vers français de sa lettre du 5 décembre 1764 à M. le Duc d'Aiguillon, lue de sa part en pleins Etats par M. le Duc de Rohan, président de la noblesse, le dimanche 9 du même mois.
Les lois scrupuleuses de la traduction ont laissé peu d'essor à l'enthousiasme poétique, aussi on prie le lecteur d'excuser le poète en faveur du traducteur. Pour la commodité publique on a adapté cet hymne sur l'air noble et célèbre : "Accompagné de plusieurs autres".
Texte de la lettre de M. L'Averdy | Traduction en vers | ||
En vérité, Monsieur le Duc, la folie de vos Etats de Bretagne devient incurable. | En vérité, Monsieur le Duc, Vos Etats ont le mal caduc, Et leurs accès sont effroyables ; Sur mon honneur, ils sont si fous Qu'il nous faudra les loger tous, Sous peu de jours aux Incurables. | ||
Il ne reste plus d'autre parti à pendre que de faire régler au Conseil l'affaire des trois ordres 1 ; et après cette décision solemnelle, il n'y aura plus de remède. |
Je vais faire dans le conseil Avec le plus grand appareil Juger l'affaire des trois ordres Et puis, après ce règlement, Pas pour un diable, assurément, On ne pourra plus en démordre | ||
Demandez donc bien à l'ordre de la noblesse et à Monsieur de Kerguezec 2 en particulier, si leur intention est : | Votre Monsieur de Kerguezec, Qu'on donne pour un si grand Grec, Et tout l'ordre de la noblesse Pensent-ils nous faire la loi, Et que tous les sujets du Roi Payeront pour les tirer de presse ? | ||
Premièrement, que toutes impositions cessent en Bretagne ; et s'ils comptent que les autres sujets du Roi payeront pour les Bretons. | Je vous dirai, premièrement, Que les Bretons, certainement, Doivent être contribuables ; Et tous ceux qui refuseront, Aux yeux du Conseil, paroîtront Révoltés et déraisonnables. | ||
Secondement, veulent-ils forcer le gouvernement à remonter sur le ton de rigueur, et quitter le ton de douceur qu'il avait pris ? | Je vous dirai, secondement Qu'ils forcent le Gouvernement A prendre un ton des plus sévères ; A se monter à la rigueur, Et quitter le ton de douceur Qu'on avait pris dans leurs affaires. | ||
Lorsque la raison et l'honnêteté conduisent les hommes, l'autorité peut céder, parce qu'il n'y a point d'inconvénient ; | On voit souvent, sans nul danger, Le maître à ses sujets céder, Surtout dans le temps où nous sommes, Quand la raison, l'honneteté, Vis à vis de l'autorité, Conduisent les esprits des hommes, | ||
Mais lorsque la déraison et la révolte s'emparent des esprits, il ne reste d'autre parti à prendre que celui de la sévérité. Il y auroit du danger à en user autrement. Pense-t-on que le Roi laisse avilir à ce point son autorité ? | Mais aussi lorsque le Démon De révolte et de déraison S'emparera de la noblesse, Pense-t-on que Sa Majesté Laisse avilir l'autorité En reculant avec faiblesse. | ||
Troisièmement, compte-t-on par là hâter le retour des mandés 3 (du parlement) ? Si la conduite de la noblesse avait été telle qu'elle devait être, il y a longtemps, Monsieur le Duc, que le Roi aurait accordé cette grace à votre demande. | Je vous dirai, troisièmement Que les mandés du Parlement Sont quittes de reconnoisance Vers les Gentilshomme Bretons, Qui, se conduisant comme ils font, Ont retardé leur audience. |
Si l'Ordre s'était comporté Comme il devoit en vérité Et n'avait pas fait résistance Le retour de chaque mandé Dès longtemps était accordé, Monsieur le Duc, à votre instance. |
Mais je ne dois pas vous céler Ni vous laisser ignorer Que tous les jours le Roi s'irrite ; Et, hier, il disait, hautement, A quel point il est mécontent Des Etats et de leur conduite. |
Et, si avant huit jours, l'ordre de la noblesse n'a pas pris le parti convenable, le Roi est prêt à partir. | Pour les en faire revenir Et leur faire tout consentir Mettez donc toute votre peine ; Si vous ne pouvez réussir Je vois le Roi prêt à partir Monsieur le Duc, avant huitaine. | ||
On croira que ce que je vous mande est un conte ; je puis cependant vous assurer que c'est la pure vérité. | Ceci, de l'un à l'autre bout, Semble un conte à dormir debout, Mais cependant je vous assure Que les trois articles présents, Et le dernier très nommément Sont la vérité toute pure. | ||
Vous connoissez, Monsieur le Duc, l'attachement et tous les autres sentiments avec lesquels... etc... | Vous connaissez l'attachement Et tous les autres sentiments Avec lesquels j'ai l'honneur d'être Votre très humble serviteur De L'Averdy, le contrôleur. PS. Publiez s'il vous plaît ma lettre. | ||
A Versailles, le 5 décembre 1764. NB - Cette lettre n'était point une lettre de bureau comme celle du 4 décembre, qui disait presque les mêmes choses ; elle était écrite en entier par Monsieur De la Verdy de sa propre main et sur du papier ordinaire. | Fait en sortant de chez le Roi, Mercredi, cinq du présent mois De mil sept cent soixante quatre ; Et le tout écrit de ma main, Pour que vous soyez plus certain Que l'on ne peut rien en rabattre. | ||
Adresse NB. Le 17 décembre 1748, la république de Gênes admit au nombre de ses notables, M. Wignerot, duc d'Aiguillon : son nom fut inscrit au livre d'or et il n'omet jamais ce titre de noblesse dans ses éminentes qualités. | Puis sur le dos il est écrit Et contre-signé : Averdy Que l'on remette la présente A Wignerot, noble génois, Premier commissaire du Roi Aux Etats assemblés à Nantes. | ||
La lecture de cette lettre faite publiquement par Monsieur le Duc de Rohan, président de la noblesse, le 9 décembre, donna lieu au couplet ci-contre : | Réponse de M. le Duc d'Aiguillon à M. de L'Averdy : Vos ordres ont été suivis Et dès dimanche, avant midi, Rohan publia votre ouvrage ; A l'instant ils crièrent tous, Que tous les deux nous étions fous Mais que vous l'étiez davantage. | L.D.B.B. |
1765
Monsieur de Caradeuc 4, l'un des procureurs généraux du Parlement, quelque temps avant qu'il fut arrêté avec M. de la Chalotais, son père, était surveillé de fort près par des espions de police. Etant parti un jour, en habit de couleur pour aller à la campagne, il en revint le soir et apprit en arrivant que Mme de Caradeuc était sortie pour se promener sur la Mote, place plantée d'arbres située en face de son hôtel. Il en sortit pour la rejoindre sans avoir changé d'habit : il fut fort surpris de recevoir quelques jours après une lettre fort sèche de M. de St-Florentin, ministre, qui avoit la Bretagne dans son département, et qui lui faisait un reproche grave de cette négligence.
Cette lettre fut aussi mise en vers, sur le même air que celle de M. de L'Averdy, qui avait couru peu de temps auparavant, et ce couplet fut également attribué à M. l'abbé de Boisbilly :
Le Roi, Monsieur, est fort surpris
Que vous ayiez, en habit gris,
Fait deux ou trois tours sur la Mote ;
Il ordonne que dès ce soir,
Vous reprendrez votre habit noir ;
Ainsi Monsieur n'y faites faute !
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FIN
1 Les Etats de Bretagne comprennent des représentants des 3 classes qui composent alors l'ordre social : le clergé, la noblesse et le tiers-état. Pour lever de nouveaux impôts, il faut l'accord des trois ordres. Le Duc d'Aiguillon veut modifier la loi pour que l'accord de 2 ordres suffisent. En bafouant toujours le traité de 1532.
Rappel du rôle des Etats :
Les Etats se réunissent en session annuelle pour établir le budget de la Province. Ils délibèrent de toutes les questions de l'administration locale : ils décident des travaux de construction et d'entretien des routes, ponts, digues et installations portuaires, de l'acquisition et de l'aliénation des propriétés domaniales et de leur utilisation, des subventions aux organismes culturels, économiques et hospitaliers. Ils votent les recettes ordinaires et extraordinaires et peuvent émettre des emprunts publics. Leurs attributions fiscales sont importantes puisque le traité de 1532 interdit au roi de lever des impôts sans leur assentiment (alors qu'eux peuvent en lever sans l'assentiment du roi). Certaines décisions peuvent être prises à la majorité de deux ordres contre un, d'autres requièrent l'unanimité.
2 M. de Kerguezec était un modeste gentilhomme de l'évêché de Tréguier qui défendit le droit contre l'arbitraire, et reçut trop souvent, comme il le disait lui-même, l'hospitalité dans les châteaux forts de sa majesté. Aux Etats, il faisait partie, bien sûr, de l'ordre de la noblesse et finit par prendre de l'ascendant sur ses collègues. Par une étude approfondie de la constitution des Etats, il avait acquis des connnaissances qui lui assuraient un grande supériorité sur tous les membres de son ordre. En 1762, il fut même nommé président de la noblesse et mena de nombreuses négociations avec le Duc d'Aiguillon.
3 Les mandés du Parlement : Le Parlement de Bretagne, créé par Henri II en 1554, était une institution judiciaire souveraine, supérieure aux justices seigneuriales locales, fort nombreuses. Rien à voir avec ce que nous appelons aujourd'hui le parlement.
Dans l'affaire qui nous occupe ici, les Etats firent donc opposition au pouvoir royal et le Parlement leur donna entièrement raison en rendant, le 16 octobre 1764, un arrêt interdisant le nouvel impôt sous peine de concussion (perception illicite par un agent public de sommes qu'il sait ne pas être dues).
Le gouvernement aurait dû se rendre compte qu'il était allé trop loin. Au lieu de cela, il s'entêta et le Conseil du roi rendit un arrêt peu juridique qui cassait celui des magistrats rennais. Ceux-ci se mirent en grève.
Louis XV manda le parlement gréviste en entier à Versailles pour les réprimander et leur ordonner de reprendre leur service. Plus tard, le 22 mai 1765, le parlement décida d'une démission collective. L'acte de démission fut signé par 85 magistrats, 12 seulement refusèrent de s'y associer.
4 Monsieur de Caradeuc, cité ici, est le fils de Louis-René de Caradeuc de la Chalotais (portrait ci-contre) : Ce dernier était le procureur général du Parlement.
Suite à la grève des magistrats, le Duc d'Aiguillon décida de frapper fort pour amener à composition les magistrats démissionnaires. Il obtint du roi un ordre d'arrestation contre le procureur général, et contre son fils, également haut magistrat du Parquet de la Cour, et contre trois autres conseillers.
De son cachot, La Chalotais rédigea un mémoire réfutant les accusations dont il était l'objet, qu'il réussit, malgré une étroite surveillance, à faire passer dehors. Sa famille le fit imprimer et il reçut une large diffusion. L'opinion publique de tout le royaume prit fait et cause pour le magistrat breton.
Plus tard, le nouveau roi Louis XVI, se débarrassa du Duc d'Aiguillon. La Chalotais fut remis en liberté, l'ancien parlement rappelé, et le procureur général y repris sa place.
Cet épisode de notre histoire et le conflit entre le Parlement de Rennes et le pouvoir royal est connu comme L'affaire de Bretagne ou "L'affaire La Chalotais".
Alliances Caradeuc de la Chalotais, Kersauson de Brezal et Montbourcher
Louis-René CARADEUC de la CHALOTAIS 1701-1785 |
Guy Joseph Amador de MONTBOURCHER ca 1700-1761 x 1756 Jeanne Céleste de SAINT-GILLES +1791 |
Jean Jacques Claude de KERSAUSON 1714-1776 x 1746 Marie Renée de SAISY de KERAMPUIL 1715-1796 de Brezal |
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Jacques-Raoul CARADEUC de la CHALOTAIS, marquis de la Chalotais +1794 |
Rosalie de MONTBOURCHER 1760-1848 |
René François de MONTBOURCHER 1757-1835 |
Marie Josèphe Julienne de KERSAUSON 1753-1822 de Brezal |
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| | x2 1779 | | | | | x 1776 | | | ||||||
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Sophie Marie Raoulette Pauline CARADEUC 1783-1869 | René Marie de MONTBOURCHER 1778-1848 né à Brezal | ||||||||||
| | x 1805 | | | |||||||||
André J. Croguennec - Page créée le 12/4/2018, mise à jour le 20/11/2018. | |