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La vénerie de Brezal | |
En 1520, le château de Brezal n'était plus qu'un manoir, il appartenait à Guillaume de Brezal. Le jurisconsulte Eguiner Baron a vanté ses chiens de chasse, même en traitant du droit romain : Venaticos canes, dit-il, cujuscumque generis clarissimos vidimus in Baronia Leonensis Britanniae Armoricae, quum in amaenis aedibus viri genere, moribusque nobilis Gulielmi Brezalii ageremus, viri omnium quos novi in venatu felicissimi. Messire Guillaume, après avoir chassé la plus grande partie de sa vie, fit creuser un étang, puis bâtir un moulin, et puis après il trépassa, et coetera.
Quelles traces de cette vénerie peut-on trouver au cours des années ultérieures ?
1 - Dans les registres paroissiaux :
- En 1696, mariage : Le 6è jour de septembre 1696 ont canoniquement espousés René Le Roux, fils de Jean Le Roux et de Marie Baudic, et Louyse Robin, fille de Maurice Robin et Perrine Corbier, tous demeurant à la vénerie de Bresal en cette trefve.
- En 1696, Gerard Henry, de la vénerie de Brezal, parrain lors du baptême suivant :
24/10/1696 Ploudiry Lieu-dit : Salou Treuzec (Pays : Ploudiry) Le Moing Jeanne Enfant de Christien et de Gestein Marguerite
Parrain : Gerard Henry, Sieur de La Rousisiere, verrerie de Bresal (lire "vénerie", bien entendu). Marraine : Moing Jeanne (Le), Kerhuon.
- En 1697, François Clet Mahoudeau, de la vénerie de Brezal, parrain lors du baptême suivant :
29/03/1697 Ploudiry Lieu-dit : Lesleach (Pays : Ploudiry) Ropars Anne Enfant de Yvon et de Stum Françoise
Parrain : Mahoudeau François Clet, verrerie de Bresal. Marraine : Grosselin Anne.
- En 1724 : Jean Pichon et Marie Nicolas. Voici l'acte de baptême de leur fils : Ce jour 1er feuvrier 1724, Marie Nicolas, femme de Jean Pichon de la vénerie de Bresal, est accouchée heureusement d'un garçon et le même jour baptisé sur les fonds baptismaux de Pont-Christ Bresal en Ploudiry par le soubzsignant curé.
2 - Dans les archives de la famille de Brezal :
- Tous les chiens n'étaient pas gardés et nourris au château. Certaines bêtes étaient confiées aux fermiers ou métayers qui, en plus du prix qu'ils payaient à la St-Michel, avait pour contrainte de veiller sur un ou plusieurs chiens et de les nourrir. Les baux sont clairs là-dessus, par exemple à la métairie de Pont-Christ :
- par bail du 23 juin 1659, Jan et François Le Goff, père et fils, demeurants au bourg de Pont-Christ, s'engagent à payer 90 livres tournois et nourir un chien courant, et ... autres choses encore.
- l'entretien de ce chien courant sera reconduit pour les autres baux et les fermiers suivants
- en 1695, Joseph de Brezal a succédé à son père Guy, le bail précise le fermier pourra "nourir un chien courant ou payer 12 livres par an pour sa nourriture à l'obligation dudit seigneur"
- en 1714, lors du renouvellement bail, l'entretien du chien courant n'apparait plus : il est vrai qu'à cette époque le marquis de Brezal était plus fréquemment à Paris que dans son château. La chasse n'était sans doute plus son passe-temps préféré.
Y avait-il d'autres chiens chez d'autres paysans du domaine de Brezal ? C'est probable.
- En 1699, la marquise écrit de Paris à Corentin de Carné, alors régisseur du château de Brezal : "Je suis très piquée contre ce maro de Goulvin de m'avoir fait estriper le meilleur chien du monde. Je luy avais permis de le mener à la main pour s'exercer quelquefois mais non pas de luy avaler la botte sur un gros sanglier pour le faire tuer. C'est ce que je luy avait défendu positivement. Il n'a que de faire de me revenir. Je ne luy pardonnerai pas sûrement, car il a abusé de ma bonté trop souvent, et j'en ay toujours esté la duppe ce qui ne m'arrivera plus à coup sûr, vous pouvez l'en assurrer et qu'il fera fort bien de chercher partir ailleurs au plus vite."
- Le dernier marquis de Brezal, Joseph, décède le 25 novembre 1734. Les scellés sont apposés au château le 6 décembre 1734, un procès-verbal complémentaire est fait le 17 février de l'année suivante.
A propos des chiens, il nous apprend qu'il y avait encore "et depuis plusieurs années une meutte de chiens dans le cheny (lire chenil) du chasteau au bas de la cour d'icelluy, et desquels [était chargé] Jan Hergouarch, dit "La Brisée", l'un des domestiques en qualitté de picqueur dudit seigneur de Brezal depuis près de 50 ans, lequel Hergouarch nous auroit conduit audit cheny où il s'est trouvé le nombre de 14 chiens courans de différentes grandeurs et hauteurs et, de plus, 6 chiens couchants, faisant ensemble le nombre de 20 chiens".
L'inventaire après décès, fait plus tard, donne la valeur estimée de ces chiens :
- "Dans le cheny : 14 chiens courants, estimés un partant l'autre tant chiens que chiennes, 180 livres".
- "Dans le petit cheny : 4 chiens couchants estimés ensemble cent livres". <== Deux des chiens couchants seraient-ils partis en courant ?
Cela nous fait le chien courant à 13 livres environ, et le chien couchant à 25 livres.
A comparer par rapport au prix d'un bon cheval présent aussi dans l'inventaire : "Un grand cheval noir de carrosse âgé d'environ 9 ans, estimé 66 livres.
Quant aux chevaux, il inventorie :
- Dans l'écurie :
- Une jument sous poil noir âgée d'environ 14 ou 15 ans, estimée vingt-quatre livres
- Une pouliche aussy sous poil noir âgée d'environ deux ans, estimée vingt-cinq livres
- Un poulain d'un an sous même poil, estimé dix-huit livres
- Un vieux cheval gris borgne âgé d'environ 24 à 25 ans, estimé quinze livres
- Un grand cheval noir de carrosse âgé d'environ 9 ans, estimé soixante six livres
- Au moulin de Brezal et pour le service du moulin :
- Un vieux cheval sous poils roux, estimé avec son bât six livres
- Autre cheval sous poil noir hors d'âge, estimé trente livres
On peut conclure qu'il n'y a plus de chevaux pour les chasses à courre.
Cet inventaire après décès de Joseph de Brezal nous signale aussi "un corps (sic !) de chasse, une trompette et un vieux couteau de chasse, un habit de livrée gris doublé de jaune avec la veste aussi jaune". Ces articles se trouvent dans la salle des archives ! Abandonnés là, à cette époque ? Archivés ? Il s'agit, en tous cas, d'un équipement minimaliste.
Pourtant, l'inventaire des papiers, dans cette même salle des archives, rappelle le temps des chasses actives en exhumant "une transaction passée entre les seigneurs de Coatmeur, Tournemine, Coattelan, de Brezal & du Quinquis Du Parc du 3 septembre 1682 touchant la chasse qu'ils se permettoient de faire en terres les uns des autres ; avec deux consantements et pouvoirs donnés au seigneur de Brezal par le seigneur de Rohan de chasser dans ses bois et forêts des 3 septembre 1482 et 16 septembre 1583 ; les trois pièces estantes en vellin".
3 - Dans la littérature :
- En 1626, le comte de Souvigny, lieutenant général des armées du Roi, reçut "ordre du Roi d'aller en garnison en Bretagne à Guérande, au Croisic, à Blavet, Hennebont, Brest et Le Conquet". A Noël, il séjourne à Morlaix, puis ... "Passant près de Brézal, que nous avions exempté de logement en considération de la dame du lieu, qui étoit une belle jeune veuve de vingt-deux ans, honorée et estimée pour ses rares vertus, les soldats firent une bonne collation."
Lors de son séjour en Léon, le comte de Souvigny revint à Brezal : "Nous allions aussi quelquefois voir Mme de Brézal cet exemplaire des vertueuses veuves qui, en reconnoissance de l'amitié que son mari avoit pour elle, qui l'avoit délaissée en l'âge de vingt-deux ans avec un seul enfant, ne s'est jamais voulu remarier, n'ayant d'autre pensée que d'élever son fils selon sa qualité et le bien marier. La première chose qu'elle fit après le décès de son mari ce fut de vendre ses chevaux, donner les chiens, et, du fonds qui étoit destiné pour l'entretien de cet équipage, en fait subsister les plus pauvres de ses terres, spécialement les vieux hommes et les vieilles femmes décrépits, auxquels elle fit faire de petites loges où l'on mettoit les chiens." (Note personnelle : Il faut comprendre "à l'endroit où l'on mettait les chiens avant qu'ils ne soient vendus").
(Mémoires du comte de Souvigny, lieutenant général des armées du Roi, 3 vol., Paris, Librairie Renouard, [1613-1660] 1906-1908, tome I (1613-1638) p. 154-156)
La dame de Brezal était, bien évidemment, Marie du Coskaer, veuve de Vincent de Brezal. Ayant vendu les chevaux et les chiens, on peut penser qu'il y eut, en ce temps, une interruption des chasses à Brezal.
- Les veneurs et chasseurs des marquis de Brezal ne chassaient pas que les cerfs et les sangliers. Ils luttaient aussi contre les loups qui étaient très nombreux dans les paroisses proches du manoir à la fin du XVIIè siècle. Voir ici.
- En 1772, Jean-Jacques-Claude de Kersauzon et son épouse Marie-Renée de Saisy de Kerampuil offrirent au château de Brézal un divertissement fort apprécié, une chasse au cerf dans les bois des environs. "La haute position de rang et de fortune occupée par le marquis de Kersauson lui permettait de recevoir grandement. Des princes de sang daignèrent même le visiter. Il est entre autres fait mention d'un séjour que fit à Brezal le duc de Chartres, depuis tristement célèbre sous le nom de Philippe Egalité, et d'une chasse au cerf à laquelle assista le Prince". (Histoire généalogique de la maison de Kersauson, par J. de Kersauson). Philippe Egalité était un descendant direct de Louis XIII et le père du futur roi de France Louis-Philippe.
- Le 15 juin 1789, le marquis de Tinteniac, prévôt féodé de la foire de La Martyre, y fait dresser des tables dans un petit bois attenant au cimetière. Les meilleurs vins y coulent à flot : aussi par prudence les dames sont-elles exclues du buffet ! Le lendemain le seigneur et les invités font une chasse à courre et forcent un cerf rembuché dans les bois du Roual en Dirinon. Les trente chiens du marquis font merveille et c'est au soleil couchant, sur les bords de l'étang, que les piqueurs donnent enfin l'hallali. (La Martyre, quelques glanes, 1996 - Fons de Kort)
- "En 1792, Monsieur de Tinteniac émigra et Brezal est déclaré bien national, en octobre de cette année. Le Directoire de Lesneven fait procéder à l'inventaire du mobilier qui est mis sous séquestre. [Cet inventaire] signale également ... une meute de 24 chiens". (source site internet sur Plouneventer)
- La Révolution portera un coup dur à ces chasses et réjouissances.
... "Mais plus triste encore, dit M. Du Châtellier, sera l'aspect de cette autre maison veuve de ses maîtres, et qui brillait naguère de tout le luxe de ses hôtes. Plus de fanfares retentissantes et d'aboiements prolongés, aux jours d'une chasse où la noblesse des environs se donnait rendez-vous. Brezal, dont les Tinténiac et les Kersauson firent longtemps les honneurs, laisse vainement apercevoir de loin ses longues cheminées et ses combles élancés, la hache aura bientôt déparé cette belle demeure de sa riche ceinture de verdure, et déjà ses cours et ses avenues ne voient plus ces coursiers qui les parcouraient naguère avec tant de légèreté. ... (Histoire de la révolution dans les départements de l'ancienne Bretagne, de Armand René Du Châtellier).
- Mais les souvenirs perdurent et certains n'hésitent pas à faire revivre ces chasses antiques. Philippe Gourlaouen, le restaurateur du château de Brezal, s'était investi dans l'association des Échos de Keroual (trompes de chasse).
En 2008, le lundi 5 mai (source Ouest-France) : Les trompes de chasse résonnent à Brézal.
Le château de Brézal accueillait samedi le stage de l'association des trompes de Bretagne, qui rassemble sonneurs débutants et confirmés. Les stagiaires participant au stage de trompe de chasse (1) sont répartis en six groupes dans le grand parc du château de Brézal en Plounéventer. Le cadre est idéal pour ces musiciens qui perpétuent à leur manière les traditions de la vénerie. L'association des trompes de Bretagne, à l'initiative de la session, est d'ailleurs une habituée des lieux. Tout comme les Échos de Keroual (2), qui répètent ici chaque mardi soir.
Le Landernéen Jobic Le Grill est le président de cette association basée à Guilers. "Nous sommes là pour améliorer notre pratique, c'est très convivial, apprécie-t-il. Le stage rassemble sur une journée 44 participants venus de toute la Bretagne; des sonneurs débutants comme des confirmés".
Car on sonne la trompe comme on sonne la bombarde. Le tube mesure 4,50 m de long une fois déployé. "Il faut savoir gérer son souffle, détaille Jobic Le Grill. Trois choses sont importantes : le piqué, le tayaut et le vibrato".
(1) Le cor est quant à lui "surtout un instrument de fanfare". L'association de Bretagne, qui appartient à la Fédération internationale des trompes de France, organise un stage par an.
(2) Ce groupe de 16 sonneurs est bien connu dans la région. Il anime des messes de la Saint-Hubert, des cocktails de mariage, fêtes de la chasse, de la nature, concours hippique. En juillet, les Échos sonneront à l'occasion du 40è anniversaire du jumelage Landerneau-Hünfeld.
4 - Un piqueur bien connu :
Jean Argouarch, dit "La Brisée".
5 - Synthèse - Evolution de la vénerie de Brezal
- Depuis Guillaume en 1520 jusqu'à Vincent, décédé en 1625, elle est visiblement à son apogée.
- Marie du Coskaer, vend les chiens et les chevaux au décès de son mari : il n'y a plus de vénerie.
- Guy de Brezal, son fils, reconstitue la vénerie et place même des chiens chez les paysans.
- Joseph de Brezal, à partir de 1700 probablement, délaisse la chasse.
- Jean-Jacques-Claude de Kersauzon la remet en vigueur, si l'on en croit Du Châtellier et surtout la généalogie de Kersauzon et sa mention concernant la visite du duc de Chartres à Brezal.
- Le marquis de Tinténiac, lui, pratique la chasse à courre.
- Puis, c'est la révolution, il n'y a plus de vénerie.
Commentaire sur la statuette présente dans le parc de Brezal :
Elle représente un homme à cheval, armé d'un épieu, face au sanglier. On peut se servir de l'épieu à pied ou à cheval. Il n'est normalement pas utilisé pour chasser l'animal, mais uniquement pour tuer la bête (on dit la "servir" dans le vocabulaire de la chasse à courre) quand les chiens l'ont épuisée et menée à l'hallali. Cela semble bien être le cas ici. Le sanglier paraît soumis attendant le coup mortel.
Le "Livre de chasse", rédigé de 1387 à 1389, par Gaston Phébus, comte de Foix, décrit la manière de servir un sanglier au moyen de l'épieu et à cheval : ... s'il frappe de l'épieu, il doit frapper de haut en bas aussi fort qu'il pourra, en se levant sur ses étriers [...] Certains frappent le sanglier en tenant l'épieu sous la main ; d'autres le mettent sous l'aisselle comme s'ils voulaient jouter : ce sont deux mauvaises positions, car ils ne peuvent donner toute leur force. [...] il doit prendre garde de manquer son coup et tenir son épieu par le milieu, autant devant que derrière. Car s'il le tenait trop court par devant, quand il frapperait le sanglier, comme il a la tête longue, le museau le toucherait, l'épieu pénétrant toujours, et le sanglier serait trop près de lui et pourrait le blesser ou le tuer. Et quand le sanglier vient à lui, il ne doit pas tenir la hampe sous l'aisselle, pour mieux asseoir son coup et tourner sa main où il faudra ; mais dès qu'il aura frappé, il devra mettre la hampe sous l'aisselle et peser dessus".
Notre cavalier avait-il lu ce mode d'emploi ?
Bibliographie :
Lexique :
- Avaler la botte à son limier : la lui ôter. On avale la botte à un jeune chien pour exciter son ardeur en le faisant courir après les animaux ; le limier avale sa botte lorsque lui-même il la passe par-dessus son oreille et s'échappe.
- Brisée : branche cassée par le valet du limier pour localiser l'entrée du cerf (ou autre bête) dans une enceinte.
"La brisée du veneur : La veille d'un laisser-courre le piqueux part avec son chien limier faire le bois. C'est-à-dire que ce "vieux" chien spécialisé est capable de sentir les voies rentrantes fraîches dans les sous-bois des animaux de chasse et, pour indiquer les fruits de son expertise, il a la délicatesse de tirer sur le trait (la laisse) sans se récrier (évitant ainsi, s'il se mettait à crier sur la voie comme un jeune chien fou, de mettre sur pied les animaux et de les faire fuir) afin d'avertir son maître de céans. Ce dernier, après avoir examiné de près les vol-ce-l'est (les traces), les fumées (laissers des grands animaux) afin de juger de la qualité de la bête, casse une branchette (appelée la brisée) à l'endroit du délit afin de bien mettre en évidence le lieu d'attaque possible. Le lendemain matin il fait son rapport sur ces bases au Maître d'équipage qui décide alors s'il y a lieu ou non de porter les chiens de meute à cette brisée pour lancer la chasse"
- Débucher : sortir de la forêt.
- Piqueur : le maître des chiens.
- Rembucher : se situer dans une enceinte forestière.
- Servir : achever le cerf ou le sanglier aux abois.
- Veneur : chasseur à courre
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André J. Croguennec - Page créée le 05/03/2011, mise à jour le 13/4/2013 |
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