Pont-Christ dans la littérature

accueil
  1. L'hospitalité bretonne au XVIIIè siècle
  2. Louis Désiré Véron : "Les mémoires d'un bourgeois de Paris"
  3. Nos voyageurs du XIXè siècle
  4. Voyage au XXè siècle : par une américaine Marie Bennett Alsmeyer.
  5. Divers
    • Les légendes de l'étang de Brezal
    • Les korrigans et "ar ganerez-mor" sur la page consacrée aux fontaines.
    • Les poètes sur la page "les artistes que Pont-Christ a inspirés".
    • Les légendes collectées par Gab Milin et par Mikael Madeg.
  6. La vie de Saint Riok ou la légende de Dour Doun d'après Albert Le Grand,
    ... et la version de Yves Elleouet dans "Livre des rois de Bretagne".
  7. Article de Keranforest paru dans Le Télégramme.
  8. Les rimailleries de Robert Gourlaouen.
  9. Stances à Pont-Christ par Claire Martel
L'hospitalité bretonne - Esquisse de voyage

in Contes et nouvelles bretonnes - Rennes - Blin éditeur - 1836
source http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5471578w

Les Bretons

On reproche généralement à la Bretagne son défaut d'industrie, sa lenteur à adopter les inventions utiles aux arts et à l'agriculture, et son espèce d'opposition à tout ce qui est progrès et innovation, sous quelque forme que ces avantages se présentent. Ce pays a, en effet, plus peut-être qu'aucune autre province de France, conservé les vieux usages consacrés par le temps, l'habitude et souvent l'utilité. Le breton n'admet, qu'après examen et certitude de réussite, les mille inventions offertes et présentées à chaque instant à l'avidité et au désir sans cesse renaissant d'acquérir ; il n'accorde foi et confiance au progrès social ou industriel, que lorsqu'il a fait preuve d'utilité, et qu'il s'accorde avec son climat, ses moeurs, ses besoins. Faut-il l'en blâmer ? N'est-ce pas sagesse et habileté ? Et, loin de l'accabler d'un ignorant dédain, si facile à déverser légèrement et sans connaissance de cause, ne devrait-on pas rendre justice à la sage et prudente sagacité de ses habitans, auxquels une étude plus approfondie de leur existence ferait rendre justice ?

On reproche au paysan-breton sa froideur, sa taciturnité habituelles, qualités, ou, si l'on veut, défauts qui le rendent peu sociable, et en font un être à part. Il est sage et froid, il est vrai, mais le climat, qui influe toujours sûr les moeurs, le veut ainsi ; fidèle à son origine, enfant non dégénéré des guerriers du Nord, il a conservé ce sang-froid et cette mâle et judicieuse vaillance que leur attribuent les historiens ; la religion et la civilisation seules ont adouci l'âpreté de ces fiers caractères, et y ont laissé ce qu'il faut au courage de sang-froid et de magnanimité. Si la Bretagne n'a pas suivi constamment la même ligne que quelques autres pays, il faut l'attribuer à ses états successifs, aux luttes qu'elle a eu à soutenir, à ses guerres continuelles et toujours renaissantes, d'abord contre les Romains, puis les Normands et les Français ; luttes que la réunion à la couronne, par un double mariage, ne calma que d'une manière imparfaite ; que l'empiétement sur des droits indécis ou le mépris des privilèges firent souvent renaître, et que la centralisation, enfant avorté, d'une longue et sanglante révolution, a comprimées sans éteindre. Si elle est restée, ce semble, un peu en arrière, si elle a souvent dédaigné les progrès des arts et le luxe des jouissances de la vie, si, disons le mot, elle n'a accepté la civilisation que d'une manière restrictive et sans se soumettre à toutes ses conséquences, n'en, faut-il pas rendre justice à sa sagesse ? Le progrès n'a-t-il pas aussi ses abus, autant et souvent plus funestes que, ceux de l'ignorance ? Le luxe est-il un si grand bien, et n'engendre-t-il pas une foule de besoins toujours croissans et renaissans, que rien ne peut assouvir, et qui causent le malaise et l'irritation dans les sociétés ? Le breton a dédaigné de fausses jouissances ; il leur a préféré sa vie frugale et laborieuse, sa simplicité qui fait son bonheur ; il a conservé sa langue, qui est et sera longtemps un obstacle à toute innovation, son caractère fier et indépendant, gage de son origine et de sa nationalité. Pour les choses utiles et glorieuses, la Bretagne n'est point restée en arrière ; les guerriers nombreux qui l'illustrèrent en font foi, et la France a dû plus d'une fois sa défense et sa gloire aux héros qu'elle lui emprunta ; le vainqueur des Anglais et le premier grenadier de la république étaient bretons. Beaucoup d'entre eux cultivèrent les lettres et les sciences, et de nos jours encore, elle a à offrir plus d'un beau génie parmi ses enfans. Les arts y furent aussi cultivés avec succès, et traduisirent les croyances vivantes dans des coeurs ardens et religieux. L'architecture éleva des monumens grands et durables; elle produisit ces vastes et admirables basiliques, magnifique réalisation d'une pensée plus sublime encore. Ainsi surgirent ces églises merveilleuses d'ornemens et de style, qui parsèment les endroits les plus reculés de la Bretagne ; elle les surmonta de légers et gracieux clochers élancés dans les airs comme une flèche, ciselés et découpés à jour de larves de flammes, ce qui a fait donner à la pensée qui les créa le nom d'architecture flamboyante ; alors le Kersanton se contourna en ornemens de toutes sortes, s'allongea en colonnettes, s'effila en ogives ; il s'anima sous la figure des saints ou des démons ; le bois se découpa en poutres, en corniches, en boiseries légères et élégantes ; tout concourut à l'ornement des temples, à la gloire de Dieu.

Si le breton s'est illustré par la gloire des armes, s'il a cultivé avec succès les sciences, les lettres et les arts, il a autant que tout autre peuple les qualités essentielles et généreuses qui naissent du coeur, et font le bonheur des hommes entre eux. Il est bon, dévoué, fidèle et hospitalier. 1°. Son appui est sûr et constant ; 2°. Sa promesse inviolable, son serment sacré. Son aisance est le partage du pauvre; sa récolte, souvent courte et chétive, le blé que laisse à peine croître le sol rocailleux de ses montagnes, le fruit que laissent mûrir avec jalousie son pâle soleil et son ciel nébuleux, son âtre, sa table, son lit, il aime à les offrir à l'étranger. Celui qui, égaré dans sa route ou surpris par la nuit, vient demander gîte ou service à la chaumière qu'il rencontre, porte la joie dans la famille du paysan breton.

 

Le voyage d'Albert de Rizan

Je parcourais, il y a peu de mois, cette curieuse et intéressante contrée, comprise entre les premières montagnes au sud-est et la mer ; je me félicitais de plus en plus d'avoir entrepris une excursion qui offrait à mon esprit un vaste champ d'observations et d'études. A mesure que j'avançais, je sentais se détruire les impressions défavorables qui, quoique je n'eusse voulu les admettre qu'après examen, avaient cependant laissé quelques traces ; je n'ai point trouvé un sol fertile, de riches et abondantes moissons, une prospérité matérielle toujours croissante : une terre ingrate, un climat humide, un ciel gris et chargé de nuages, sont des obstacles naturels à tous ces avantages ; je n'ai point vu de villes splendides et somptueuses, où le faste des arts et du luxe étale ses richesses. Non, dans l'intérieur, on ne rencontre que des villes modestes ; la pierre est souvent rare ; il faut y suppléer par le bois, la brique ou la terre naturelle ; les villes situées sur la mer, celles qui ouvrent leurs ports aux vaisseaux de la Manche et de l'Océan, offrent seules cet air de prospérité et d'abondance, cette agitation habituelle, commune aux villes commerciales, auxquelles les relations, les affaires donnent un air de vie toujours étranger aux villes centrales. Mais j'ai trouvé un peuple bon et religieux, attaché à ses devoirs, fier de son pays, grand dans sa pauvreté, un peuple glorieux de ses vieux usages et chatouilleux sur ses droits ; enfin un peuple d'une physionomie saillante et prononcée, chose rare à trouver aujourd'hui, que le niveau a passé partout. Habitudes, costumes, jeux, fêtes, vie ordinaire même, tout est vieux et original chez le paysan breton. Qu'importe que ces usages diffèrent des usages des Normands ou des Gascons, par exemple, pourvu qu'il ait les qualités nécessaires à l'homme, au citoyen, au soldat ? Et pourquoi trouver ridicules des moeurs que le temps a consacrées ?

Nous venions de quitter le château de K***, manoir demi-féodal, à fossés pleins d'eau ou plutôt à étangs poissonneux, à tourelles élancées, à mâchicoulis et à meurtrières en miniature, où, malgré cet aspect prétendu sombre, nous avions reçu de la châtelaine le plus bienveillant et le plus gracieux accueil. Lâchant la bride à nos chevaux, et les laissant suivre la route à leur gré, nous regardions les campagnes, ces plaines arrosées par des ruisseaux, coupées de champs multipliés entourés d'arbres qui, vus en raccourci et à l'horison, semblent une forêt ; ces paysages riches de culture, d'arbres fruitiers, et ces landes couvertes de bruyères ou d'ajoncs sauvages, çà et là parsemés d'une verdure courte et grise, où les troupeaux viennent chercher une stérile pâture ; ces prairies coupées de ruisseaux coulant, avec un timide murmure, dans d'étroits canaux creusés par la main du cultivateur ; ces collines couronnées d'un bois de chênes ou d'un tumulus, plus souvent encore de ces pierres séculaires appelées dolmen, menhir, selon qu'elles servaient d'autels aux dieux ou de tombeaux aux hommes ; des maisons groupées autour d'un clocher, nous indiquaient un hameau, un village, où de tous côtés venaient aboutir des chemins ou des sentiers tracés à travers les champs.

Il se faisait tard ; la route que nous suivions était peu fréquentée ; ses sinuosités, sa trace, souvent indécise, indiquaient qu'elle ne conduisait pas à un endroit important. Depuis quelque temps nous côtoyions un courant bordé d'aulnes et de peupliers, à travers le feuillage desquels la fraîcheur des eaux et du soir venait ranimer nos chevaux fatigués.

- Il fera bientôt nuit, la lune est déjà levée, dis-je à mon compagnon ; il est temps que nous arrivions à quelque hameau ou à quelque demeure.

- Sans doute il serait temps. Avouez, Albert, que c'est un peu votre faute ; vous n'en finissez avec vos recherches, vos notes, vos dessins ; un arbre, un ruisseau, une pierre vous arrêtent. Il est bon d'être curieux, mais vous l'êtes au-delà de la permission ; il faudrait au moins savoir calculer son temps et y subordonner ses démarches ; j'ai beau vous hâter, vous ne m'écoutez pas ; au moment de partir, vous me quittez pour aller voir je ne sais quel objet et interroger je ne sais qui ; avec cette excessive curiosité, on n'avance à rien, et on est en arrière.

- Mon ami, ne me faites pas de reproches ; nous voyageons pour voir, pour connaître. Auriez-vous peur? Nous sommes dans un trop bon pays pour avoir quelque crainte.

- J'ai du moins celle de coucher à la belle étoile, cette nuit ; et quelque belle qu'elle s'annonce, quelque diaprée que semble devoir être la voûte des cieux, je préfère un lit quelconque et un toit protecteur à cette position romantique. Je suis peu romantique de mon naturel, et la nuit moins que jamais.

Il parlait encore, quand nous entendîmes un bruit cadencé parmi les feuilles qui jonchaient les rives du ruisseau, comme la démarche d'un homme chargé d'un fardeau.

- Voilà sans doute quelqu'un qui vient ; n'entendez-vous pas du bruit ?

- Oui, c'est un homme qui vient ; mais en serons-nous plus avancés, car il ne comprend probablement pas le français ?

- Espérons le contraire. Je le regarde comme envoyé vers nous pour nous indiquer la route et nous tirer d'embarras.

 

Le mendiant

En même temps nous vîmes au détour d'un fourré et s'avançant vers nous, un homme légèrement courbé sous le poids d'un sac chargé sur son dos, et qu'il retenait de sa main gauche appuyée sur sa poitrine ; à ses vêtemens, à son allure, nous reconnûmes que c'était un de ces mendians communs en Bretagne, où la charité n'est pas éteinte, et où l'on se souvient avec respect de ce démenti donné par le dieu-homme à une civilisation impuissamment philantropique : « Vous aurez toujours des pauvres parmi vous. »

Il releva la tête en nous voyant, puis s'inclina sans cesser sa marche. Il portait un large chapeau de feutre devenu grisâtre, dont les bords inégaux cachaient une partie, de son visage, et laissaient échapper de longs cheveux gris et plats en touffes inégales. Sa figure, où la pauvreté, la souffrance et l'âge avaient creusé plus d'une ride indiquait la résignation ; et en y regardant de plus près, on retrouvait une apparence de fierté dans ces traits grands et prononcés, dans le pli de ce sourcil, et surtout dans l'expression de ces lèvres légèrement entr'ouvertes, et auxquelles le sourire n'était point étranger ; fierté pleine d'abnégation, qui indique le mépris des jouissances qui ne sont elles-mêmes que besoins asservissans et tyrannique misère. Cette tête frappante se terminait par une barbe courte et blanche, qui se mêlait aux touffes de cheveux égarés sur les épaules et la poitrine du vieillard. Il portrait une tunique de toile grise à manches, trouée en plus d'un endroit, et serrée autour de ses hanches par une courroie à laquelle étaient suspendus quelques objets. Une corde à plusieurs noeuds pendait de son épaule droite sous son bras gauche, et soutenait une gourde grossièrement appropriée à son usage ; sa main gauche, croisée sur sa poitrine, était entourée par les liens d'une poche, rejetée derrière son dos et remplie d'objets qui la gonflaient inégalement. Ses jambes portaient une culotte de serge, usée et suppléée par des lanières en plusieurs endroits ; ses pieds étaient chaussés dans de larges et informes souliers, qui, au-dessus d'eux, laissaient voir une jambe amaigrie.

- Où sommes-nous, dis-je au mendiant ; quelle est la route que nous suivons ?

- Elle vous mènerait à Landivisiau, Messieurs, me répondit-il ; mais la nuit qui s'avance ne vous donnera pas le temps d'y arriver.

- Mais trouverons-nous dans ces environs un hameau, une ferme où nous puissions passer la nuit ? Indiquez-nous ce que vous connaissez.
Et en même temps je lui jetai une pièce de monnaie.

- Dieu vous guide, Messieurs charitables ; puis il s'inclina ; suivez, reprit-il, cette petite rivière, c'est le Landerneau ou l'Elorn ; elle vous conduira à un village qui n'est guère qu'à dix minutes du chemin : c'est Pont-Christ. Vous demanderez Héric ; sa maison est tout à l'entrée, de ce côté-ci, sur le bord de l'eau ; j'en viens. On y secourt le pauvre ; allez là, car on y accueille toujours l'étranger.

Et le mendiaut s'éloigna en nous indiquant le chemin de son chapeau et en nous bénissant.

- Il est heureux que nous l'ayons rencontré, me dit mon compagnou. Si tout s'arrange comme il le dit, il n'y aura que demi-mal.

En même temps, nous hâtâmes le pas de nos chevaux, et bientôt nous aperçûmes quelques maisons, dont nous étions séparés par le ruisseau. Ce groupe immobile, réfléchi par la teinte assombrie des eaux, semblait une flotille à l'ancre.

- Traversons, dis-je; ce village ne peut être que Pont-Christ ; cette première maison à droite doit être celle de Héric.

Et déjà nous avions franchi l'Elorn, peu rapide en cet endroit. Remontant le rivage, nous passâmes une haie vive qui entourait un de ces jardins de paysans, où la symétrie fait place à l'utilité. Le long de la haie était une allée de fruitiers ; au bout de l'allée, un enfant frais et beau, qui, assis sur le seuil de la porte, s'amusait avec quelque chose qu'il roulait à terre. Nous étions descendus de cheval ; mais au bruit de nos pas, l'enfant leva la tête, et une femme se présenta au-dessus.

 

L'accueil des voyageurs

- Est-ce ici la maison de Héric, demandai-je ?

- Oui, Monsieur, répondit la femme d'une voix douce. Que désirez-vous ?

- Nous cherchons une auberge, un gîte où passer la nuit. Veuillez nous indiquer ce que vous connaissez.

- Il n'y a point d'auberge dans notre village ; il y a bien un cabaret où l'on va boire en allant à la foire de Landivisiau ; mais vous y seriez mal. Restez avec nous, Messieurs, nous avons des lits ; nous pouvons vous recevoir. Héric va rentrer, il sera heureux de vous donner asile.

Et sans attendre notre réponse, elle nous fit signe d'entrer, et saisit les brides de nos chevaux qu'elle conduisit à l'autre extrémité de la maison.

 

La maison d'Heric et d'Yvonne

Encouragés par cet accueil, nous entrâmes dans la maison, faiblement éclairée au fond par le feu d'une vaste cheminée, à l'un des pans intérieurs de laquelle brûlait une chandelle de résine, que retenait un morceau de bois fendu, fiché dans la muraille ; lueur indécise, que des pétillemens répétés rendaient intermittente.

Notre accueillante hôtesse revint bientôt suivie de son enfant pendu à ses jupons.

- Reposez-vous près du feu, nous dit-elle, en approchant deux escabelles ; Héric ne peut tarder à revenir ; il est allé à La Roche conclure un marché.

Puis elle ouvrit une armoire située à l'angle gauche de l'âtre, et en tira une petite lampe qu'elle alluma. Nous pûmes alors distinguer la chambre où nous étions, et les objets qu'elle contenait. Devant nous était une vaste cheminée qui tenait les trois quarts du pan de la muraille, rappelant par sa dimension, sinon par ses ornemens, les cheminées gothiques des châteaux du moyen-âge. Un large manteau en cône, surbaissé sur deux pans de pierre, donnait passage à la fumée. Aux pans étaient suspendus des trépieds, des grils, des chapelets de mousserons enfilés, et au-dessus un jambon enfumé dont la couleur ne se détachait guère du fond de la muraille noircie. Au fond, au milieu, pendait une crémaillère édentée, soutenant un chaudron, au-dessus d'un feu formé de racines d'arbres et de mottes desséchées au soleil.

A droite, presque dans la cheminée, un vieillard était assoupi dans un grand fauteuil de chêne, grossièrement joint. Il était coiffé d'un vaste chapeau rabattu ; des cheveux blancs pendaient de chaque côté de son visage ; sa main droite était passée dans son large pourpoint d'étoffe velue, l'autre retombait sur le bras de son siège. Il portait une culotte large et courte, attachée sous le genou ; le reste de la jambe était garanti par des chausses en drap gris. De gros sabots complétaient ce simple costume. Ses pieds étaient posés sur la pierre du foyer. Un chat était couché entre son siège et ses jambes allongées. Notre arrivée ne le troubla pas ; il continua de sommeiller, offrant à nos regards un visage calme et des traits contractés par la vieillesse.

- C'est le père de Héric, nous dit sa bru. C'est le plus ancien du village ; il en a connu aucuns qui sont morts depuis bien longtemps.

Derrière le vieillard, un lit en forme d'armoire, formé de plusieurs matelas entassés et surmontés d'une couverture de laine verte, était entouré de tous côtés de pans de bois, travaillés et noircis par le temps et la fumée ; il eût été difficile d'y monter sans aide ; aussi, au pied, dans toute sa longueur, s'étendait un coffre, qui avait la triple utilité d'escabeau, de coffre et de siège. Il faut qu'un lit soit très élevé en Bretagne, et touche presque la voûte du plancher ; c'est un signe d'aisance et de richesse.

Près de l'escabeau dormait un enfant couché dans un berceau de chêne, élevé à peine de deux pieds. Ainsi, à côté l'un de l'autre, s'offraient les deux anneaux extrêmes de la chaîne de la vie.

Un autre lit, à peu près de même forme et d'égale hauteur, était à un autre angle de la chambre, près de la fenêtre, fermée alors par un auvent. Une longue table, arrêtée au sol, était au milieu de la chambre, et dans la même direction, était suspendue horizontalement au plancher une échelle soutenant plusieurs pains, quelques liasses d'oignons et autres objets nécessaires au ménage.

Héric rentre enfin. Dès qu'elle l'entendit, sa femme alla au-devant de lui sur le seuil.

- Ce sont des étrangers, lui dit-elle, qui ont été surpris par la nuit, et qui, à ma prière, ont bien voulu accepter un gîte dans notre maison.

- C'est bien fait, Yvonne, reprit Héric. Messieurs, soyez les bien venus, se tournant vers nous et se découvrant ; puis il nous tendit successivement la main. Vous allez à Landivisiau, sans doute ?

- Non, nous parcourons la Bretagne pour la connaître.

- Il passe si peu d'étrangers par ici, qu'il n'y a pas même d'auberge ; ce qui nous procure le plaisir d'en recevoir quelquefois ; mais c'est rare. On parle cependant de refaire la vieille route ; alors les communications seraient plus faciles, et les voyageurs plus nombreux.

Pendant que nous causions ainsi, le vieillard se réveilla. Nous lui adressâmes quelques mots, auxquels il répondit par un sourire.

- Il ne parle guère français, nous dit Héric.

En même temps Yvonne lui mit sur les genoux une écuelle pleine de soupe, qu'il se mit à manger avec appétit.

Depuis notre arrivée, cette femme laborieuse avait fait les apprêts du souper. Quand il fut prêt, elle étendit sur la table une nappe blanche, y posa cinq assiettes, autant de verres, un large pain rond, dont elle coupa les morceaux, et les posa sous la serviette de chaque couvert ; elle rangea des sièges autour, en mit deux garnis en paille.

- Va donc avertir Jeanne, dit-elle alors à son mari ; et celui-ci sortit en prenant un cruchon de terre.

Nous allons souper, si vous voulez bien, Messieurs, nous dit Yvonne ; vous devez avoir appétit.

- Ce sera avec plaisir, répondis-je, quoique nous ayons dîné copieusement à K**.

- Ah ! vous venez du château de K** ; j'y vais aussi quelquefois. Mme de K** est la providence du pays ; aussi est-elle chérie de tout le monde.

A ces mots, Héric rentra tenant son broc rempli ; il était suivi d'une jeune fille d'environ vingt-trois ans, qui nous salua d'un air gracieux. C'est ma soeur Jeanne, nous dit Yvonne.

Jeanne avait une de ces figures agréables qui plaisent à la première vue. De beaux cheveux châtains encadraient des traits bien prononcés ; ses yeux, sa bouche exprimaient la candeur et la bonté ; une taille élevée et bien prise la distinguait de la foule des paysannes ordinaires ; le son de sa voix était doux, et elle s'exprimait purement en français.

 

Le souper

Héric prit une broche aigüe, la ficha au plancher au-dessus de la table, et y suspendit la lampe dont, en allongeant la mèche, il augmenta l'éclat. Nous nous mimes à table pendant qu'Yvonne la couvrait de mets. C'était de la soupe au lard et aux choux, et ensuite des oeufs cuits au gras, un carreau de lard enseveli sous des choux en litière, du beurre excellent et des pommes de terre cuites sous la cendre. Je me trouvais à la droite d'Yvonne et à la gauche de Jeanne. Le repas fut gai et cordial ; et de son vieux fauteuil, le bon vieillard semblait, par son sourire, encourager notre appétit. La conversation de Héric était simple, mais sage et variée ; il avait une instruction pratique qui en faisait un homme de bon sens et un homme utile.

Quand nous eûmes soupé, vous êtes sans doute fatigués, nous dit Héric ? Si vous voulez prendre du repos ?

Nous nous levâmes. Il prit la lampe, et précédé de sa femme, il nous conduisit, par un petit escalier tournant, à l'étage au-dessus ; il ouvrit une porte, et nous introduisit dans une chambre à deux lits fort propre et fort bien tenue.

- Ces Messieurs, nous dit-il, ne seront peut-être pas si bien couchés qu'à l'ordinaire; mais nous offrons de bon coeur ce que nous avons.

Yvonne s'empressa de nous procurer tout ce dont nous pouvions avoir besoin ; et nous saluant, ils se retirèrent.

- Ma foi, mon cher, m'écriai-je, je ne donnerais pas pour beaucoup l'aventure qui nous arrive ; je m'estime heureux du retard qui nous a amenés ce soir chez ces braves gens.

- Il est certain que nous avons plus de bonheur que de prudence.

Nous nous couchâmes en nous félicitant de l'accueil que nous venions de recevoir.

Le lendemain, Héric vint nous demander à quelle heure nous voulions déjeuner ; puis il s'offrit à nous montrer le village. Nous le suivîmes; il nous fît voir un moulin à eau dont la situation sur l'Elorn était fort pittoresque. Partout nous recevions le salut des hommes qui allaient au travail, et des femmes assises à la porte de leurs maisons. Nous revînmes déjeuner, et nous prîmes congé de nos hôtes. Il est inutile de dire que nous ne pûmes rien leur faire accepter ; à peine pûmes-nous laisser à l'enfant un joujou improvisé, dans lequel nous glissâmes, à l'insu des parens, quelques pièces d'argent. Nous trouvâmes nos chevaux bien repus, sellés et bridés ; Jeanne me tendit l'étrier.

- Adieu, Messieurs, nous dit notre hôte ; bonne santé et heureux voyage ; si jamais vous repassez dans le pays, souvenez-vous d'Héric.

Nous saluâmes avec reconnaissance cette bonne famille, et reprîmes notre route en bénissant les habitans de Pont-Christ.

Ce récit, qui n'a d'autre intérêt que celui de la fidélité, est un hommage que je devais à la Bretagne ; heureux d'avoir consacré ces pages au pays auquel je suis fier d'appartenir.

A. DE RIZAN.

 

Nouveaux Mémoires d'un bourgeois de Paris

par Louis Désiré Véron.

 

Louis-Désiré Véron est un journaliste, homme politique et directeur d'opéra français, né à Paris le 5 avril 1798, mort à Paris le 27 septembre 1867.
Biographie :
Docteur en médecine en 1823, Louis Véron fit fortune en exploitant la pâte pectorale du pharmacien Regnauld, après la mort de celui-ci. Il se désintéressa alors de la médecine et commença une carrière de journaliste par des articles politiques dans La Quotidienne et en tenant la rubrique théâtrale dans Le Messager des Chambres.
En 1829, il fonde la Revue de Paris. Le 28 février 1831, il est nommé directeur de l'Opéra de Paris, y restant jusqu'au 1er septembre 1835. Il inaugure la situation de directeur-entrepreneur de l'Opéra, l'exploitant à son propre compte sous le contrôle du Gouvernement et avec l'aide de ce dernier. Il y réussit d'ailleurs très bien et est un des rares directeurs de l'institution à faire des bénéfices. Il devient aussi co-propriétaire et directeur du Contitutionnel en 1838. Il en devint le seul propriétaire en 1844 et n'hésita pas à payer 100.000 francs, somme énorme pour l'époque, pour y faire paraître en feuilleton Le Juif errant d'Eugène Sue. Sous sa direction, Le Constitutionnel soutint la politique de Thiers. Il sera élu député au Corps législatif en 1852 et 1857.

Oeuvres :
- Mémoires d'un bourgeois de Paris, 1853-1855, de Gonet, 6 volumes
- Quatre ans de règne. Où allons-nous ?, 1857
- Nouveaux Mémoires d'un bourgeois de Paris, Librairie internationale, 1866.

(source wikipedia)

 

Au sein de la Bretagne, de ces belles collines sur lesquelles les ajoncs étendent leurs fleurs jaunes comme un vaste drap d'or, dans ces contrées si riches de beaux souvenirs, de précieux monumens, qu'il semble qu'on ne doive s'y occuper que du passé, on s'occupe dans le présent d'élections comme partout ailleurs; ainsi, à Landernau (Finistère), le candidat de l'opposition pour lequel semblent se déclarer toutes les chances, a acheté le château de Brezal, où il se propose, dit-on, de réunir dans la saison des chasses, l'élite des arts et de la littérature, pour que Paris soit représenté à Landernau, comme Landernau sera représenté à Paris.

(Le Figaro du 20/10/1837)

En 1837, le Dr Louis Véron, bourgeois parisien, décide de se présenter aux élections pour la députation dans la circonscription de Brest "extra-muros", dans l'opposition contre le candidat ministériel M. de Las-Cases. On peut lire sa profession de foi, à l'intention des électeurs, dans l'Armoricain du 24/10/1837.
louis désiré véronIl écrit dans son ouvrage
Nouveaux Mémoires d'un bourgeois de Paris ces mots sur Brezal :

 

Peu de jours après mon arrivée à Brest, je me rendais acquéreur d'une vieille ruine, de l'ancien château des Tinténiac, qu'on appelait dans le pays Brézal.
Beaucoup d'acres de terre labourable attenaient au château, et cette propriété offrait des points de vue si pittoresques, si variés, si grandioses, que des peintres voyageurs ne traversaient guère ce coin de la Bretagne sans demander la permission de visiter Brézal, de s'y installer, pour en dessiner, pour en peindre les agrestes paysages.
On parlait aussi, dans Landerneau, du grand étang de Brézal, et cet étang motiva même une clause particulière, insérée dans mon contrat de vente. Le bruit était répandu dans les environs, que, lors des saturnales de 93, les Tinténiac, avant de partir pour l'émigration, avaient jeté, dans ce vaste étang, toute leur argenterie et tous leurs trésors. Il fut stipulé que, si un jour je faisais dessécher l'étang, et si j'y trouvais des richesses, je les partagerais par moitié avec mon vendeur.
Je n'ai rien fait dessécher, et je n'ai découvert, dans tout Brézal, aucun trésor.
Devenu ainsi propriétaire d'une terre de quelque importance, je pouvais dire à mes électeurs : "Je suis votre compatriote, je suis Breton, et je viendrai, un jour, me fixer dans le Finistère, près de vous. J'apprendrai, pour causer familièrement avec nos paysans, le bas-breton." Langue assez difficile, qui compte ses grammairiens et de nombreux dictionnaires.
Ces projets d'avenir, bien qu'un peu contraires à mes habitudes de bourgeois de Paris, étaient sincères. Je donnai, à tous les électeurs qui m'en exprimaient le désir, la permission de chasser la bécasse dans ma propriété de Brézal, et de venir prendre des saumons dans ma saumonerie.
J'affectai un traitement à un vétérinaire de Landerneau pour visiter et pour soigner mes étalons. Je fis même bâtir, à grands frais, dans Brézal, de vastes écuries pour l'élève des chevaux. Ce vétérinaire qui, lorsque j'étais parfaitement inconnu à Landerneau, déblatérait contre ma candidature, dans le cercle de cette petite ville, se convertit bientôt à un véritable enthousiasme pour le nouveau-venu, qui allait répandre le bien-être dans le pays, en faisant travailler les ouvriers des villages voisins, en donnant de la vie et de l'aisance à de tristes cantons bien pauvres et bien oubliés.
Cet ensemble de résolutions prises fit faire du chemin et donna du sérieux à ma candidature ; je reçus dans Landerneau et à Brest plusieurs invitations à dîner. M. Lacrosse, le député de Brest, vint même à cheval me faire visite à mon quartier général. J'avais gagné, en assez peu de jours, tant de terrain en Bretagne, que j'y étais connu, et que les amis les plus chauds de M. de Las-Cases commençaient à me redouter et s'agitaient déjà pour me contrecarrer et pour me combattre.
Un jeune ingénieur du département, qui m'accompagnait amicalement dans toutes mes excursions les plus lointaines, reçut même, du ministère des travaux publics, une sévère admonestation, lui enjoignant de s'éloigner davantage du candidat de l'opposition.
Mais, bien que le jour du scrutin je n'eusse pu recueillir que 65 voix, mon élection, dans un prochain avenir, paraissait assurée, et en voici la preuve : une nouvelle dissolution de la Chambre fut prononcée. Le jour même où le Moniteur annonçait cette dissolution, je reçus la visite empressée d'un électeur important, appartenant au commerce de Landerneau. "Monsieur Véron, me dit-il, M. de Las-Cases, effrayé des progrès de vos chances électorales, découragé, vient d'écrire à ses amis qui l'avaient porté aux dernières élections, qu'il ne se présenterait pas, et votre succès prochain est tellement assuré, que je viens vous offrir toutes les voix du commerce de Landerneau, qui, l'année dernière, avait voté contre vous."
Malheureusement, cet enivrant espoir de mon ambition politique surexcitée ne dura que quelque vingt-quatre heures. Le même électeur vint, peu de jours après, m'apprendre avec tristesse que les anciens amis de M. de Las-Cases avaient repris courage, sur une visite du sous-préfet de Brest et du préfet de Quimper. Ils comprirent que s'ils tournaient à l'opposition, ils allaient perdre toutes les faveurs dont M. de Las-Cases les comblait. Ils écrivirent à leur ancien député, récemment réélu, de revenir à eux. Celui-ci avait un peu négligé, après son succès du dernier scrutin, de répondre à des lettres d'affaires de plusieurs électeurs : "mais, tout est oublié, ajoutaient-ils, et notre dévouement ne reculera devant aucun effort, devant aucun sacrifice, pour vous donner une nouvelle et imposante majorité." Ils donnèrent, en effet, un suprême et vaillant appui à leur candidat de prédilection, et, à ce dernier scrutin, j'obtins même quelques voix de moins qu'au premier.
Mon rêve politique, mon importance de député de l'opposition s'évanouirent comme un songe. Je pris heureusement, sous le Président de la République et sous le second Empire, une glorieuse revanche de la Bretagne, dans le département de la Seine. Le 2 septembre 1852, j'obtins une éclatante victoire aux premières élections générales du second Empire. Je me présentais comme candidat du gouvernement dans l'arrondissement de Sceaux.

 

Itinéraire descriptif du département du Finistère

par Gilbert-Villeneuve, édité en 1828.

Chap. IV - Route de Morlaix à Landerneau
 

A Lambol, les habitants sont non seulement propres, mais ils sont mis avec une sorte de recherche. Ils sont vêtus en très bon drap noir ; ils portent toujours de beau linge blanc, et leur costume est absolument et identiquement le même que celui que l'on portait sous Louis XIV. Leurs maisons sont tenues avec propreté ; ils se servent de serviettes et de couverts d'argent ; presque tous savent lire et écrire, et parlent le français.

A trois lieues de là, les paysans de La Feuillée, dans la montagne, habitent de tristes huttes et sont à peine vêtus de mauvaise toile. Leur existence physique est presque un problème, tant leur terroir est pauvre et stérile ; ce n'est même qu'en se livrant au commerce des chiffons et du charbon qu'ils parviennent à pourvoir à leur triste subsistance.

On rencontre dans les environs des moulins à eau, quelques moulins à papier, dont le plus important se trouve au château de Brézal, près Landivisiau.

Brézal est une fort belle terre, avec de très beaux bois. Le manoir est vaste et fort ancien ; et, sans nous enquérir ici des personnages qui l'habitaient jadis, on doit savoir gré au propriétaire actuel d'avoir métamorphosé en une usine utile à tout le pays cet ancien séjour de la tyrannie féodale.

Landivisiau, fort joli bourg, se présente sous un aspect très agréable ; une rue bien percée et très bien pavée vous conduit à la place, sur laquelle deux objets attirent particulièrement l'attention du voyageur.

L'église ...
 

Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831

par J.F. Brousmiche
Ed. Morvran 1ère edition
 

A peu de distance de La Roche se voit le château de Brézal dont il n'existe plus que quelques restes formant aujourd'hui une simple maison bourgeoise. C'était la demeure des plus riches, des plus vieilles familles de Bretagne, celle des Tinténiac, dont l'illustration remonte haut dans les fastes de la province : un de ses membres combattit à la bataille des Trente. Brézal était construit dans une situation agreste, sauvage même. Ce château couronnait un monticule escarpé sous lequel coule l'Elorn, il était couvert de bois épais, mais la faux révolutionnaire a passé sur les bois et le château. Plusieurs acquéreurs successifs ont payé l'acquisition de Brézal avec le produit des bois abattus par eux. On y voit maintenant peu d'arbres forestiers, mais on a semé dans les taillis un grand nombre de sapins dont la noire verdure tranche avec le léger feuillage des coudriers, avec l'herbe fleurie des prairies situées sur les bords de la rivière, où deux papeteries sont établies non loin du château.

Sous le château près de l'étang et du moulin qui en sont des dépendances, au milieu de rochers, de landes, de taillis, on aperçoit la jolie chapelle de Pont-Christ, élevée dans 16è siècle, qui s'écroulera bientôt faute d'entretien. Il en sera ainsi d'une foule d'autres constructions dans le Finistère, les fabriques, spoliées de leurs revenus, n'ayant plus les ressources suffisantes pour faire face aux dépenses que nécessite la vétusté de nos monuments religieux échappés au marteau destructeur de nos modernes vandales. ...

 

Voyage dans le Finistère

par Jacques Cambry, Emile Souvestre
Edition de 1835
 

Le district de Lesneven ne possède aucune manufacture. Il existe une papeterie à Brézal, commune de Plounéventer ; mais, faute de chiffons, elle ne travaille plus (Note - Il y a trois ans que nous avons vu cette papeterie en pleine activité. On nous écrit de Lesneven que depuis elle a été transformée en minoterie.)

La papeterie est dans une voie de progrès satisfaisante, grâce aux efforts de MM. Andrieux, de Morlaix, qui ont introduit dans leur usine tous les perfectionnements modernes ; ils fabriquent à la mécanique. Si les produits qu'ils obtiennent sont inférieurs pour la beauté à ceux des Vosges et d'Angouléme, il faut surtout en chercher la cause dans l'infériorité de leurs matières premières qui sont généralement fort grossières. Les autres manufactures de papier de quelque importance sont celles de M. Le Hideux, près Pont-Christ, sur l'Élorne ; de Mad. Pinchaul, à Morlaix ; et de M. Ferrée, à Quimper.

Sur l'Élorn, du côté de Plounéventer, on trouve un moulin à papier ; c'est la seule manufacture du canton (Note - Cette papeterie, l'une des plus belles du département, est celle de M. Le Hideux).
 

La vallée de l'Elorn vue par Gustave Flaubert en 1847

Par les monts et par les grèves.

De la Forêt-Landerneau, château de la Joyeuse Garde, à Landivisiau en passant par La Roche.
 

... Brest, d'où le surlendemain nous partîmes, avec beaucoup de plaisir.

En s'écartant du littoral et en remontant vers la Manche (NB - leur destination est Roscoff), la contrée change d'aspect ; elle devient moins rude, moins celtique, les dolmens se font plus rares, la lande dimininue à mesure que les blés s'étendent, et peu à peu l'on entre ainsi dans ce fertile et plat pays de Léon, qui est, comme l'a si aimablement dit monsieur Pitre-Chevalier : "l'Attique de la Bretagne".

Landerneau est un pays où il y a une promenade d'ormeaux au bord de la rivière, et où nous vîmes courir dans les rues un chien effrayé, qui traînait à sa queue une casserole attachée.

Pour aller au château de la Joyeuse-Garde, il faut d'abord suivre la rive de l'Elorn, et ensuite marcher longtemps dans un bois, par un chemin creux où personne ne passe. Quelquefois le taillis s'éclaircit, alors à travers les branches la prairie paraît, ou bien la voile de quelque navire qui remonte la rivière. Notre guide était devant nous, loin, écarté. seuls ensemble, nous foulions ce bon sol des bois, où les bouquets violets des bruyères poussent dans le gazon tendre, parmi les feuilles tombées. On sentait les fraises, la framboise et la violette. Sur le tronc des arbres les longues fougères étendaient leurs palmes grêles. Il faisait lourd, la mousse était tiède. Caché sous la feuillée, le coucou poussait son cri prolongé ; dans les clairières, des moucherons bourdonnaient en tournoyant leurs ailes.

Tranquilles d'âme et balancés par la marche, épanchant à l'aise nos fantaisies causeuses, qui s'en allaient comme des fleuves par de larges embouchures, nous devisions des sons, des couleurs, nous parlions des maîtres, de leurs oeuvres, des joies de l'idée ; nous songions à des tournures de style, à des coins de tableau, à des airs de tête, à des façons de draperie ; nous nous redisions quelque grand vers énorme, beauté inconnue pour les autres qui nous délectait sans fin, et nous en répétions le rythme, nous en creusions les mots, le cadençant si fort qu'il en était chanté. Puis c'étaient les lointains paysages qui se déroulaient, quelque splendide figure qui venait, des saisissements d'amour pour un clair de lune d'Asie se mirant sur des coupoles, des attendrissements d'admiration à propos d'un nom sonore, ou la dégustation naïve de quelque phrase en relief, trouvée dans un vieux livre.

Et couchés dans la cour de Joyeuse-Garde, près le souterrain comblé, sous le plein cintre de son arcade unique que revêtissent les lierres, nous causions de Shakespeare, et nous nous demandions s'il y avait des habitants dans les étoiles.

Puis nous partîmes, n'ayant guères donné qu'un coup d'oeil à la demeure ruinée du bon Lancelot, celui qu'une fée enleva à sa mère et qu'elle nourrit au fond d'un lac, dans un marais de pierreries. Les nains enchanteurs ont disparu ; le pont-levis s'est envolé, et le lézard se traîne où se promenait la belle Geneviève, songeant à son amant parti en Trébizonde combattre les géants.

Nous revînmes dans la forêt par les mêmes sentiers. Les ombres s'allongeaient, les broussailles et les fleurs ne se distinguaient plus, et les montagnes basses d'en face grandissaient leurs sommets bleuâtres dans le ciel qui blanchissait. La rivière contenue jusqu'à une demi-lieue en deçà de la ville dans des rives factices, s'en va ensuite comme elle veut, déborde librement dans la prairie qu'ellle traverse ; sa longue courbure s'étalait au loin, et les flaques d'eau que colorait le soleil couchant avaient l'air de grands plats d'or oubliés sur l'herbe.

Jusqu'à la Roche-Morice, l'Elorn serpente à côté de la route qui contourne la base des collines rocheuses, dont les mamelons inégaux s'avancent dans la vallée. Nous la parcourions au petit trot, dans un cabriolet paisible qu'un enfant conduisait, assis sur le brancard. Son chapeau sans cordons s'envolait au vent, et dans les stations qu'il fallait faire pour descendre le ramasser, nous avions tout le loisir d'admirer le paysage.

Notes de Gustave Flaubert

La Roche-Maurice - nid d'aigle, demantelé, bâti en pierres plates superposées les unes sur les autres - au milieu des roches qui sortent de l'herbe verte - ce qu'on voit, partout quand on y est monté en haut, en se tournant du côté de Landerneau - d'en bas, lierres sur les ruines, la verdure qui s'y cramponne a des graduations de teintes, elle devient plus foncée à mesure qu'on monte, on la distingue par touffes vertes différentes - à travers une ouverture dont les bords sont engraissés de vert lourd, le ciel bleu - l'église clocher en réparation dont les pierres couvrent le sol tout à l'entour : espèce de cour plantée d'arbres rapprochés, de sorte que ça a l'air d'une église en ruine où l'on dit encore la messe.


Source Bibliothèque historique de la ville de Paris. Manuscrits de Gustave Flaubert. Carnets de voyages. Cahier n° 3 : suite des notes prises au cours d'une randonnée en Bretagne en 1847.

Voir le manuscrit sur Yroise - Bibliothèque numérique patrimoniale de Brest.

Le château de la Roche-Morice était un vrai château de Burgrave, un nid de vautour au sommet d'un mont. On y atteint par une pente presqu'à pic, le long de laquelle des blocs de maçonnerie éboulés servent de marches. Tout en haut, par un pan de mur fait de quartiers plats, posés l'un sur l'autre, et où tiennent encore de larges arcs de fenêtres, on voit toute la campagne : des bois, des champs, la rivière qui coule vers la mer, le ruban blanc de la route qui s'allonge, les montagnes dentelant leurs crêtes inégales, et la grande prairie qui les sépare en se répandant au milieu.

Un fragment d'escalier mène à une tour démantelée. Çà et là les pierres sortent d'entre les herbes, et la roche se montre entre les pierres. Il semble parfois qu'elle a d'elle-même des formes artificielles, et que la ruine au contraire plus elle s'éboule, revêt des apparences naturelles et rentre dans la nature.

D'en bas, sur un grand morceau de muraille, monte un lierre ; mince à sa racine, il va s'élargissant en pyramide inversée, et à mesure qu'il s'élève assombrit sa couleur verte, qui est claire à la base et noire au sommet. A travers une ouverture dont les bords se cachaient sous le feuillage, le bleu du ciel passait.

C'était dans ces parages que vivait le fameux dragon, tué jadis par le chevalier Derrien, qui s'en revenait de la Terre-Sainte avec son ami Neventer. Il se mit à l'attaquer dès qu'il eut, il est vrai, retiré de l'eau l'infortuné Elorn, qui après avoir livré successivement ses esclaves, ses vassaux, ses serviteurs (il ne lui restait plus que sa femme et son fils) venait de se jeter lui-même du haut de sa tour la tête en bas dans la rivière ; mais le monstre mortellement blessé, et lié par l'écharpe de son vainqueur, alla bientôt sur son ordre se noyer dans la mer à Poulbeunzual, ainsi que l'avait exécuté sur le commandement de St Pol le crocodile de l'île de Batz, lié par l'étole du saint breton, comme le fut plus tard la gargouille de Rouen par celle de St Romain.

Qu'ils étaient beaux vraiment ces vieux dragons horrifiques, endentés jusqu'au fond de la gueule, vomissant des flammes, couverts d'écailles, avec une queue de serpent, des ailes de chauve-souris, des griffes de lion, un corps de cheval, une tête de coq, et retirant au basilic ; et le chevalier aussi qui les combattait était un rude Sire ! Son cheval d'abord se cabrait et avait peur, sa lance se brisait en morceaux contre les écailles de la bête, et la fumée des naseaux l'aveuglait. Il mettait en fin pied à terre et, après tout un grand jour, l'atteignait au ventre d'un bon coup d'épée, laquelle restait enfoncée jusqu'à la garde. Un sang noir sortait à gros bouillons, puis le peuple reconduisait triomphalement le chevalier, qui devenait ensuite roi du pays, et épousait une belle dame.

Mais eux d'où venaient-ils ? Qui les a faits ? Etait-ce le confus souvenir des monstres d'avant le déluge ? Est-ce sur la carcasse des Ichtyosaures et des ptéropodes qu'ils furent rêvés jadis, et que l'épouvante des hommes a entendu dans les grands roseaux marcher le bruit de leurs pieds, et leur voix mugir quand le vent s'engouffrait dans les cavernes. Ne sommes-nous pas d'ailleurs dans le pays des chevaliers de la Table Ronde, dans la contrée des fées, dans la patrie de Merlin, au berceau mythologique des épopées disparues ? Sans doute qu'elles révélaient ces vieux mondes devenus fantastiques, qu'elles nous disaient quelque choses des villes englouties. Ys, Herbadilla, lieux splendides et féroces, pleins des amours des reines enchanteresses, et qu'ont doublement effacés à tout jamais la mer qui a passé dessus, avec la religion qui en a maudit la mémoire.

Il y aurait là beaucoup à dire : sur quoi en effet n'y a-t-il pas à dire ? Si ce n'est sur Landivisiau, toutefois, l'homme le plus prolixe étant forcé d'être concis quand la matière manque.

Je remarque que les bons pays sont généralement les plus laids : ils ressemblent aux femmes vertueuses : on les estime ; mais on passe outre pour en trouver d'autres. Voici, certes, le coin le plus fertile de la Bretagne : les paysans sont moins pauvres ; les champs mieux cultivés ; les colzas magnifiques ; les routes bien entretenues, et c'est ennuyeux à périr.


Entre la Roche et Landivisiau, Flaubert n'a même pas remarqué Pont-Christ.
Pourtant il n'a pas dû passer par St-Servais car la nouvelle route impériale directe de Landerneau à Landivisiau
et longeant l'Elorn venait d'être construite depuis 1843.

 


La vallée de l'Elorn vue par Max Radiguet en 1865

A travers la Bretagne.

Max Radiguet contemple le paysage depuis le donjon du château de La Roche : " Selon les fantaisies de la lumière, l'Elorn dont on commence à suivre le cours, depuis le charmant village de Pont-Christ assis à l'est, le pied dans l'eau, se montre d'abord semblable à ces rubans bleu pâle lamés d'argent qui transparaissent sous la coiffe des paysannes bretonnes. Promenant ses joyeux méandres à travers la vallée de Brézal, on la voit chatoyer au soleil, s'éteindre sous les reflets, s'enfoncer comme une couleuvre sous les ombrages, pour se montrer plus loin élargie en miroir ; traverser Landerneau qui dresse dans l'ouest ses clochers à jour, ..."
 

 

Six Years After D-Day: Cycling Through Europe

Par Marie Bennett Alsmeyer
http://books.google.fr/books?id=zk08P8kmaa4C&pg=PA94#v=onepage&q&f=false
 

In 1950, a young couple (both WWII veterans - a WAVE and an airman - and both with GI Bill journalism degrees) embarked upon a 1200-mile bicycle tour through the Loire Valley, Normandy and Brittany, crossing to Southampton and back through the Hook of Holland to Paris.

 

Near Landerneau, we picnicked on the craggy banks of an icy stream near the old "Pont-Christ" bridge. Towering above the church was the arch that we had seen from the road. Beautiful, vine-covered walls had large holes like empty eye sockets that once held stained glass windows. Weathered walls stood unroofed but upright, opening to the beautiful blue sky above. Some of the pillars had been reduced to meaningless grass-covered stumps. Beyond the broken stones stretched a small empty field covered with flowers. The edifice had once been quite large - far different from the small frame churches at home in Texas that tend to topple over during the slightest dust storm. Debris has long since been removed and now a mantle of earth and flowers covers the floor. Strange colorful birds flitted about the mossy rocks, making it one of the most inspirational settings we saw on our entire trip.

 

Près de Landerneau, nous avons picniqué sur les rives rocailleuses d'une rivière glaciale près du vieux pont de Pont-Christ. Dominant l'église, il y avait le clocher à arcades que nous avions vu depuis la route. De beaux murs couverts de plantes grimpantes avaient de grands trous comme des orbites occulaires vides qui autrefois contenaient des vitraux. Des murs abîmés par le temps s'élevaient sans toit mais toujours d'aplomb. Certains piliers étaient réduits à des tronçons de colonne vides de sens et couverts d'herbe. Au-delà des pierres cassées s'étendait un terrain vide couvert de fleurs. L'édifice avait autrefois été assez grand - très différent des églises aux petites charpentes que nous avons ici au Texas qui menacent de tomber à la plus légère tempête de sable. Des débris ont été enlevés depuis longtemps et maintenant un manteau de terre et de fleurs couvre le sol. Des oiseaux étrangement colorés allaient et venaient autour des pierres moussues, faisant de ce cadre celui qui fut la plus grande source d'inspiration que nous vîmes pendant tout notre voyage.

 En 1950, la baie du chevet de l'église possédait
encore une grande partie de son remplage.
Photo dans l'ouvrage mentionné ci-dessus.
On remarque qu'il ne reste plus qu'un meneau sur deux.

 

Légendes collectées par Gab Milin

Gabriel Milin, né le 3 septembre 1822 à Saint-Pol-de-Léon et mort le 27 décembre 1895 à l'île-de-Batz, est un écrivain de langue bretonne. Poète et philologue, il fut commis à la marine et maire de l'île de Batz.

Gab Milin, qui n'est pas aussi connu qu'il le mériterait, est un de nos meilleurs collecteurs de contes du 19è siècle. Il en a publié assez peu, il n'avait pas assez d'argent pour faire publier ses livres à compte d'auteur. La plupart d'entre eux sont restés longtemps sous la forme de manuscrits, difficiles à lire, si petite était son écriture compressée sur des vieilles feuilles arrachées à des registres de son bureau. Car il avait une petite charge de secrétaire à l'arsenal de Brest. C'est là qu'il rencontre des bretonnants de toutes régions auprès desquels il recueille des proverbes, des contes et des chants, s'accoutumant ainsi aux divers dialectes auxquels il reconnaissait une indéniable valeur. Il y rencontre aussi le colonel Amable-Emmanuel Troude, lexicographe de langue bretonne, avec qui il collabore.

Voici deux légendes en langue bretonne dont le titre évoque Brezal :

En fait, ces deux légendes n'ont de Brezal que le nom. Elles peuvent cependant traduire que la famille de Brezal, dont le dernier marquis porteur du nom est décédé en 1734, était restée très populaire dans ce coin du Léon.

 

Légendes collectées par Mikael Madeg

Voir dans "Légendes du pays de Landivisiau" éd. Keredol - 2009, les récits suivants : Markiz Bre Zal, Pount Krist, Bugale Kastell Bre Zal, Lenn Bre Zal.

Mikael Madeg écrit Bre Zal (et non Brezal) car il considère que ce nom peut être décomposé en "bre", la colline, et "sal", la grande salle d'apparat et de vie du château. Evidemment en langue bretonne, la juxtaposition des deux mots entraîne la mutation par adoucissement de "S" en "Z".

 

La vie de Saint Riok ou la légende de Dour Doun

LA VIE DE SAINT RIOK
Extrait des Vies des saints de la Bretagne Armorique
par Albert Le Grand (1636) - Vè édition de 1901 - Quimper


Anachorete et Confesseur, le 12 de Fevrier.

I - Les Généreux Chevaliers Neventerius & Derien, Seigneurs Bretons Insulaires, ayans fait le voyage de la terre Sainte, où ils avoient esté bien recueillis de Ste Heleine, mère du pieux Empereur Constantin le Grand, se mirent sur le retour, & ayans navigué dans la Mediterranée, entrèrent par le détroit de Gibraltar dans l'Océan, puis, rengeans la coste d'Espagne, vinrent prendre port à Vannes, d'où ils allèrent à pied à Nantes en pélerinage visiter les reliques de S. Pierre & des saints Martyrs Similian, Donatian & Rogatian ; car les Edits de l'Empereur Constantin avoient déja esté publiez, sous la faveur desquels, les Nantois avoient édifié une médiocre Eglise dans l'enclos de leur Ville, où on alloit en dévotion & pélerinage de tous les cantons de Bretagne. Arrivez à Nantes, ils feurent fort bien receus, tant du Lieutenant de l'Empereur, que de l'Evesque du lieu qui les oüit en Confession, leur administra les Sacremens & leur fournit des chevaux & convoy à eux & à leur train, pour les conduire en seureté à Brest, où leurs Navires les estoient allez attendre.

 

château de La Roche

Remarque : Cette vision du château correspond à son état probable vers la fin du XVè siècle et non pas à l'époque où vivait Elorn et son fils Riok. Mais c'est ainsi que l'a connu le recteur de Plouneventer en 1472, premier rapporteur de cette histoire (voir les commentaires plus bas).

II - Comme ils alloient par païs, passant le long de la riviere Dour-doun, entre Pont-Christ et le Chasteau de la Roche-Maurice, demie lieuë de la ville de Landerneau, ils apperceurent le Seigneur de ce Chasteau (qui s'appelloit Elorn) lequel, de ses créneaux & guerites de la muraille, se précipita dans la rivière qui lors couloit tout au pied de ladite place ; & délors cette rivière, perdant son ancien nom de Dour-doun, fut appelée Elorn, ce pauvre Seigneur luy ayant causé par son désespoir ce nom, comme jadis Icarus donna le sien à la Mer d'Icarie par sa presomption. Nos deux Chevaliers coururent à toute bride à travers la riviere & l'ayant pris, le tirèrent hors de l'eau, quelque peu blessé ; porté qu'il fut dans sa maison, Neventerius s'enquist de luy pourquoy il s'estoit ainsi jetté dans la rivière :
Messieurs (dit-il), il y a icy prés un épouventable Dragon qui dévore hommes & bêtes ; & dés que la faim le fait sortir de sa tanière, il fait un degast & dommage irréparable par ce païs, dévorant hommes & bêtes indifféremment ; pour à quoy obvier, le Roy Bristokus a fait un Edit, que, tous les Samedis, on jettât le sort, & celuy sur qui il tomberoit seroit obligé d'envoyer un homme pour estre devoré de cette cruelle bête, ou y aller luy-mesme. Or ce sort est si souvent tombé sur moy, que j'y ay envoyé tout mon monde, & ne m'est resté plus que ma femme que voicy, & ce petit enfant qu'elle tient entre ses bras, âgé seulement de deux ans, sur lequel le sort estant tombé, j'ayme mieux estre suffoqué des eaux que de le livrer à une mort si cruelle.

 

III - Les deux Chevaliers, l'ayant patiemment écouté, le consolèrent & luy dirent que s'il vouloit renoncer le Paganisme & embrasser la foy de Jesus-Christ ils le délivreroient de ce Dragon, veu que le même Jesus-Christ avoit promis à ceux qui croyoient en luy qu'en vertu de son S. Nom ils chasseroient & extermineroient les serpens ; puis, s'étendans sur les louanges de nôtre Religion, enfin conclurent que mesme le tres-Auguste & Victorieux Empereur Constantin, ayant reconnu la vanité de la fausse Religion des Payens & l'excellence de la Chrestienne, avoit renoncé à celle-là, pour embrasser celle-cy ; à l'exemple duquel, les Princes & grands Seigneurs de sa Cour se faisoit baptiser. Elorn ferma les aureilles à ces salutaires remonstrances & dit qu'il vouloit vivre & mourir en la Religion de ses ancestres ; mais que, s'ils le pouvoient délivrer de ce serpent, il leur donneroit une de ses terres & métairies à leur choix. Non, (répondit Derien), nous n'avons que faire de tes héritages, seulement promets nous de bastir en tes terres une Eglise à nostre Dieu, où les Chrestiens se puissent assembler pour faire leurs oraisons, &, par son ayde, nous exterminerons le Dragon & en délivrerons tes terres.

 

dragonIV- Elorn accepta l'offre, & promit de ce faire ; &, de plus, de permettre que son fils Riok, âgé seulement de deux ans, fust instruit en la Religion & Foy de Jesus-Christ & ceux de sa famille qui le voudroient. Incontinent, les deux Nobles Chevaliers se rendirent en la caverne du Dragon, auquel ils firent commandement, de la part de Jesus-Christ, de paroistre ; il sortit donc, & son sifflement épouvanta tous les assistants il estoit long de cinq toises, & gros par le corps comme un cheval, la teste faite comme un Coq, retirant fort au Basilicq, tout couvert de dures écailles, la gueule si grande que, d'un seul morceau, il avaloit une brebis, la veuë si pernicieuse, que, de son seul regard, il tuoit les hommes. A la veuë du Serpent, Derien mit pied à terre, mais son cheval s'effraya si fort, qu'il se prit à courir à toute bride à travers païs. Cependant, il avance vers le Dragon, &, ayant fait le signe de Croix, luy mit son escharpe au col, & le bailla à conduire à l'enfant Riok, lequel les mena jusques au Chasteau de son père, qui, voyant cette merveille, remercia les Chevaliers & les alla conduire à Brest, où ils emmenerent le Dragon, au grand étonnement du Roy Bristok. De Brest, ils allerent à Tolente (lors riche Ville), voir le Prince Jugonus, père de Jubault ou Jubaltus (que Conan Meriadec défit depuis), & de là s'allèrent embarquer au Havre Poullbeunzual, où leurs Navires estoient à l'ancre & où ils commanderent au Dragon de se précipiter dans la mer, ce qu'il fit ; & de là ce port fut nommé Poullbeuzaneval, c'est-à-dire, port où fut noyée la beste, que les Bretons appelent par contraction Poullbeunzval, en la Paroisse de Plouneour-Trez, Diocese de Leon.

 

dragonV - Elorn, nonobstant les remonstrances des deux Chevaliers, demeura toujours obstiné en son erreur & ne voulut quitter son idôlatrie ; mais sa femme se fit catéchiser elle & son fils, & puis receurent tous deux le S. Baptesme ; &, à leur exemple, la pluspart de leurs domestiques, avec lesquels elle vacquoit à prières & oraisons ; mais n'ayans point d'Eglise où faire exercice de leur Religion, Riok & sa mère suplièrent Elorn d'accomplir sa promesse & d'édifier une Eglise en un endroit de ses terres nommé Barget, en l'honneur de Dieu & des Biens-heureux Apostres S. Pierre & S. Paul, selon la promesse qu'il en avoit faite aux Chevaliers qui l'avoient délivré du danger du Dragon. Il se rendit, du commencement, difficile à leur octroïer ; enfin, il le leur accorda, à condition que ce fust non à Barget, mais en quelque détour et lieu écarté de ses terres, où on fit charroïer force materiaux ; on fit venir des ouvriers de toutes parts ; mais, quand on voulut commencer à bastir, tous les materiaux furent miraculeusement transportez à Barget ; ce qu'ayant esté rapporté à Elorn, il attribua ce miracle à la Magie (selon l'ordinaire des Idolatres), & se fascha tellement avec sa femme & son fils, qu'il les chassa de sa maison, avec défense de ne se trouver jamais en sa présence.

 

VI - Par ce moyen, l'Eglise (qui aujourd'huy est la Parrochiale de Plouneventer, une lieuë de la Ville de Landerneau) demeura imparfaite & ne fut achevée qu'au temps du Roy Hoël le Grand. La bonne Dame, se voyant irreconciliablement disgraciée de son mary, que le zèle de la fausse Religion avoit aveuglé, se retira avec son fils S. Riok, en un sien Manoir, nommé Ar-Forest, où, ayant fait bastir une Chapelle, elle passa le reste de ses jours, décéda fort pieusement & fut ensevelie par son fils S. Riok, lequel, se voyant libre de tous empeschemens, se résolut de se retirer en quelque lieu désert & éloigné de la fréquentation des hommes, pour vacquer plus librement aux affaires de son salut. Il estoit lors âgé de 15 à 16 ans ou environ ; &, ayant vendu tout ce dont il pouvoit disposer, en donna l'argent aux pauvres. Il choisit pour sa retraitte un rocher dans la Mer, à la coste de Cornoüaille, vers l'embouchure de la Baye ou Golfe de Brest, au rivage de la Paroisse de Kamelet, lieu entièrement désert & écarté, ceint de la mer de toutes parts, forts aux basses marées qu'on en peut sortir & venir en terre ferme.

 

VII - Il entra en cette affreuse solitude, environ l'an de salut 352, & y demeura 41 ans, tout le temps que Conan Meriadek conquist & subjugua les Armoriques jusques au règne du Roy Grallon, lequel donna le gouvernement du Comté de Léon à Fragan. Iceluy, estant venu résider en son Gouvernement, amena quant & soy son fils S. Guennolé, apprit de luy qu'il avoit quarante & un ans qu'il faisoit pénitence en ce lieu, se substantant d'herbes & petits poissons qu'il prenoit sur le sable au pied de son rocher, son origine & extraction, & toutes les autres particularitez de sa vie ; que quand il monta sur ce rocher, il estoit vestu d'une simple soûtane, laquelle estant usée par longueur de temps, Dieu luy couvrit le corps d'une certaine mousse roussastre, laquelle le garantissoit de l'injure du temps.

 

VIII - S. Guennolé, ayant oüy le recit de ces merveilles, fut tout étonné & en rendit grâce à Dieu ; voyant saint Riok viel & cassé d'austeritez & macérations, il le pria de venir avec luy en son Monastere de Land-Tevenec, à quoy il s'accorda. S. Guennolé l'ayant dépoüillé de cette mousse, luy donna l'habit de son Ordre ; & est chose bien remarquable, que sa peau fut trouvée aussi blanche & nette que si elle eust toüjours esté couverte de fin lin et de soye. Il vescut quelques années en ce Monastère, en opinion de grande Sainteté, y décéda enfin & fut ensevely par saint Guennolé & ses Religieux, & depuis sa mort, Dieu a fait tant de miracles à son Tombeau, que S. Budok, troisième Archevesque de Dol, Metropolitain de Bretagne Armorique, en ayant esté deuëment informé, le déclara Saint, environ l'an 633.

 

Commentaires

 

Nos grands historiens et érudits, Dom Alexis Lobineau et l'abbé François Duine, et après la lecture de leurs critiques, plus récemment, René Couffon, se sont penchés sur cette "Vie de saint Riok" (voir l'article de R. Couffon dans le BSAF de 1971).

La vie de saint Riok, racontée par Albert Le Grand, provient en fait d'un écrit antérieur composé par un de ses grands oncles Messire Yves Le Grand, recteur de Plouneventer en 1472. Cette histoire se divise en deux parties bien distinctes :
1° Pèlerinage de deux seigneurs bretons insulaires, Neventer et Derrien, en terre sainte et en divers lieux
2° Salut de saint Riok grâce à leur intervention providentielle.

René Couffon considère cette histoire comme "extravagante" et remplie d'anachronismes. Les voici en résumé :

 

Dates suggérées
par les faits énoncés
Faits
330Neventer et Derrien se rendent en Terre Sainte car ils ont appris que sainte Hélène, la mère de l'empereur Constantin, a découvert la vraie Croix du Christ et quelques clous. Ils "avoient été bien recueillis de sainte Hélène", ce qui situe l'action aux environs immédiats de 330. Sainte Hélène est décédée vers 330.
419A leur retour, ils passent par Nantes pour vénérer les reliques de saint Donatien et saint Rogatien. Yves Le Grand, qui a vécu dans cette ville en tant qu'aumonier du duc François II, cite l'église de Saint-Similien qui ne fut construite qu'en 419.
XIè ou XIIè siécleA La Roche, nos deux chevaliers aperçoivent le seigneur Elorn se jeter du haut de son château, "garni de créneaux et de guérites". Comme au XIè ou au XIIè siècle, mais pas à l'époque définie précédemment.
338Saint Riok devint ermite quand "il estoit âgé de 15 à 16 ans ... environ l'an 352". Il avait "deux ans" quand le dragon sévissait à La Roche, c'était donc en 338 environ.

 

Je conclurai ainsi (que les grands historiens et érudits me pardonnent !) : Y a-t-il autant d'incohérences que n'en a vu René Couffon ?

Cependant, l'extravagance la plus invraisemblable est l'existence de ce dragon préhistorique.

 

En tout cas, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, il y a des faits plus cohérents qu'ils n'en ont l'air. Ce Neventer est peut-être bien le créateur de la paroisse de Plouneventer. Saint Riok a bien existé, il y a quelques indications éparses dans la Vie de saint Guénolé, mais il aura eu, sans doute, une vie bien différente de celle qui est racontée ici.

Quoiqu'il en soit, cela reste une belle histoire, qui a inspiré Yves Elleouet, artiste et enfant du pays.

 

La version de Yves Elleouet dans "Livre des rois de Bretagne"
éd. Gallimard - 1974 - p. 48 à 51.

 

Jour de foire dans le pays d'Elorn ; le ciel est raboteux depuis la colline aux myrtilles jusqu'aux flancs de la rivière chanteuse. Les cloches sonnent, légères comme des visages au bout de cordes blanches où sèchent le linge de l'air. Là, meuglent les vaches aux cuisses porteuses de galettes ; de tranches de gâteau : bouse et paille de litière en brins, en fétus petits et recuits. Là, bêle le mouton gris comme la fumée des feux de fanes. Là et là, odeur fétide du porc : elle flotte au ras des murs, au ras du sol où frétillent les chiens tâchetés et raides : oeil rouge et groumant.

Fief d'Elorn, roi des sommeils difficiles : ses sourcils d'eau du moulin berçant les enfants en bonnet de crochet.

Le chevalier Neventer avance sur ses beaux pieds tranquilles. Il rencontre, vers le bourg, Troadic  surmontant une charrette mobile. Il demande s'il peut monter. Troadic stoppe la planche roulante. Monte le chevalier Neventer, avec sa barbe de réglisse et ses cheveux pleins de lentilles d'eau. Ses yeux brûlent et son regard au loin vole : ainsi l'oiseau appelé fou ; par-delà les villages et les fermes et au-dessus du bourg brumeux où bout la grande lessiveuse de tripes. Là où les porcs obscènes, saisis à l'entrejambe, couinent dans le vent et dans l'odeur du purin frais ; tandis que sur la place tourbillonnent les corneilles et que les morts se réjouissent en secret au plus profond de la tombe.

Troadic, Troadic Cam, "petit pied boiteux", c'est Georges Cocaign, c'est le personnage principal qui traîne sa savate tout au long des multiples histoires du livre. Ancien colonial de "retour des pays chauds", il y a peut-être perdu la raison ? Peut-être ne sait-il pas lui-même s'il est d'ici et d'aujourd'hui, ou "s'il est vieux comme le monde", s'il est la réincarnation d'un héros ancien ou simplement un homme doué d'imagination ? FERMER X

Cependant, avance le lourd véhicule ; semant les traces de ses roues cerclées. Or, l'aurige et le chevalier entendent un grand bruit qui fait son tonnerre dans la campagne.

Ils ouïssent un vacarme ; et voici qu'un dragon de bien cent mètres serpente à travers la campagne en crachant étincelles et fumées. Le sol tremble sur son passage (comme on dit) tandis qu'il longe la rivière aux belles rives et se dirige vers une grotte en hurlant.

Dans le même temps, le chevalier Neventer et son compagnon aperçoivent un homme assis sur un talus ; les vêtements en désordre, la barbe non faite, la peau tachée et comme envenimée de dartres. Il pousse dans l'air des lamentations et se balance sur ses hanches comme un qui a perdu l'esprit.

L'hiver s'est installé avec ses ciseaux dans les arbres bossus. Semblable à un troupeau de chèvres répandu jusqu'à l'horizon, avec ses cornes de sel et le tintement du froid. On peut entendre aboyer au fond de l'étendue... L'homme se balance sur ses hanches comme un qui a perdu l'esprit. Le chevalier Neventer s'est posé sur le sol. Il s'approche du fol et le touche au visage avec sa main nue :

" Qui es-tu, créature agitée et fuligineuse ?

- Je suis Elorn. Roi des poissons, roi de Dour Doun ; maître de ce bourg que tu aperçois et où fument les tripes aux carottes. Chez Salaün, les langues et les mains s'agitent ; car le Dragon vient encore d'enlever vingt brebis, deux vaches et trois verrats. "

Il se balance sur ses hanches comme un qui a perdu l'esprit. Sur son visage, les taches semblent s'allumer et s'éteindre. " Ne crains point ", dit le chevalier Neventer. Et de sa poche, il sort une étole soigneusement pliée et repliée. " Montons dans la charrette et dirigeons-nous vers l'antre de la Bête. "

La charrette suit le cours de la rivière. Bientôt, ils arrivent tous quatre (si l'on compte le cheval) devant la grotte hantée où crépite un feu.

" Nom dé Dié !, dit Troadic. Ça brûle comme l'enfer là-dedans, dit Troadic. C'est l'enfer ou quoi ? ", dit Troadic. Le cheval ne dit mot. Le roi Elorn passe la paume de sa main sur son visage. " Pour calmer mes démangeaisons ", qu'il dit. Le chevalier Neventer a déplié son étole : une splendide étole bleu et or qui pend maintenant de chaque côté de son cou. De chaque côté de son cou pend l'étole sacrée ainsi qu'une paire d'avirons : or et bleu, avec des franges rutilantes.

Dans la grotte, le Dragon, ayant bien dîné, s'est endormi. " Il n'y a même pas d'os à la traîne... tout a été brûlé... Le Dragon est un dragon propre !, pense Troadic. A moins qu'il n'avale tout... os et le reste... ! ", pense Troadic. Le Dragon siffle et tousse dans son sommeil. La vapeur s'échappe du tuyau de sa narine et tout à coup, son bel oeil couleur de pierre de lune s'entrouvre et les considère. Son bel oeil grand comme une roue.

Il pousse un sifflement modulé et avance sa tête curieuse à l'entrée de sa niche de rochers. Le chevalier Neventer ôte l'étole de son cou et la passe vivement au cou du Dragon. La Bête fabuleuse commence aussitôt à diminuer de volume. Son corps, lové dans les profondeurs, s'amenuise. La queue rejoint la tête qui rétrécit. Le Dragon n'est bientôt pas plus grand qu'une anguille, puis qu'une civelle. Le chevalier Neventer le saisit entre deux doigts et le glisse dans une boîte ronde où se trouvent déjà : un vieux cachou, un bout de ficelle, des brins de tabac, une médaille de N.D. de Rumengol.

Il dit, s'adressant à Elorn au visage devenu lisse et rose : " Je paye un coup chez Salaün ! Qui m'aime me suive ! "

- Moi, je te suis, dit Elorn, aux yeux gris. Qu'en pense le boîteux ? Qu'en pense le cheval mémorable ? "

Il dit, et tous quatre s'éloignent vers les hauteurs où règne le vent.

 

Yves Elleouet, de La Roche, et sa tante Mme Birac, restauratrice à Pont-Christ

Famille VOILLEQUINFamille ELLEOUET
Emile François VOILLEQUIN, né le 8/5/1861, Mandres-la-Côte (Haute-Marne).
Marié le 7/8/1898, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), avec Elise Augustine LAMBERT, née le 19/3/1876, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), dont
  • Marcelle Louise Zélie VOILLEQUIN, née le 31/8/1899, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), décédée le 14/3/1986, Brest (à 86 ans), couturière à domicile.
    Mariée le 27/10/1926, Sucy-en-Brie, avec Jean Laurent Corentin ELLEOUET, né le 1/11/1898, Brest, décédé le 29/3/1985, Landerneau (à 86 ans), comptable, dont
    • Yves ELLEOUET, né le 8/1/1932, Fontenay-sous-Bois, décédé le 27/4/1975, Saché, Indre-et-Loire (à 43 ans), peintre, poète, écrivain.
      Marié en décembre 1956, Paris, avec Aube BRETON, née le 20/12/1935, Paris, plasticienne.
  • Louis Jules VOILLEQUIN, né le 2/10/1900, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), décédé le 3/9/1975, Biesles (Haute-Marne) (à 74 ans).
  • Georges Emile VOILLEQUIN, né le 30/5/1902, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), décédé le 6/11/1999, Nogent (Haute-Marne) (à 97 ans).
  • Angèle VOILLEQUIN, née en 1904, Mandres-la-Côte (Haute-Marne).
  • Rose Claire VOILLEQUIN, née le 29/8/1906, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), décédée le 4/2/1995, Privas (Ardèche) à 88 ans, restauratrice.
    Mariée le 7/4/1931, Fontenay-sous-Bois avec Jean-Pierre BIRAC.
  Laurent Marie ELLEOUET, né le 27/11/1867, Pencran, décédé le 29/5/1917, Brest (à 49 ans), menuisier.
Marié le 7/6/1897, La Roche-Maurice, avec Marie Jeanne DANIEL, née le 21/5/1875, Douarnenez, décédée le 12/1/1965, Bourg, La Roche-Maurice (à 89 ans), dont
  • Jean Laurent Corentin ELLEOUET, né le 1/11/1898, Brest, décédé le 29/3/1985, Landerneau (à 86 ans), comptable.
    Marié le 27/10/1926, Sucy-en-Brie, avec Marcelle Louise Zélie VOILLEQUIN, née le 31/8/1899, Mandres-la-Côte (Haute-Marne), décédée le 14/3/1986, Brest (à 86 ans), couturière à domicile, dont
    • Yves ELLEOUET, né le 8/1/1932, Fontenay-sous-Bois, décédé le 27/4/1975, Saché (Indre-et-Loire) à 43 ans, peintre, poète, écrivain.
      Marié en décembre 1956, Paris, avec Aube BRETON, née le 20/12/1935, Paris, plasticienne.
  • Madeleine Marie Adélaïde ELLEOUET, née le 15/5/1900, Lambezellec, décédée le 7/2/1976, La Roche-Maurice (à 75 ans), Assistante sociale de l'armée.
mme birac

Le 6 mai 1970, Mme Birac, veuve de Jean Pierre Birac, née Voillequin Rose Claire, résidant avenue de la Marne à Asnières (Haut-de-Seine), fait une déclaration à la mairie de La Roche pour établir son restaurant "Auberge de l'Elorn" dans la maison qui est en contre-bas de la voie de chemin de fer à Pont-Christ. Elle agit en tant que locataire, elle achètera la maison en 1972.

En fait c'est un transfert du débit de boissons de 4è catégorie qui existait au bourg de La Roche sous le nom de "Café du Roc'h Morvan", dont la propriétaire, débitante, était Mme Le Bras-Elleouet, Joséphine, qui l'exploitait depuis le 23 juin 1923.

Mme Birac a quitté Pont-Christ en 1974, mais elle y est revenue pour assister au pardon de 1988. Le Télégramme du lendemain, 16/8/1988, publiait :
Première main chez Coco Chanel, Mme Birac a beaucoup "bourlingué" avant de s'installer en 1970 comme restauratrice à "L'Auberge de l'Elorn" au pied de la chapelle de Pont-Christ. "Quand je suis partie en 1974, l'idée de faire revivre le pardon de Notre-Dame-de-Bon-Secours avait fait son chemin. L'abbé Urien et moi-même avions déjà organisé des petites messes en plein air dans les ruines". Mme Birac a aujourd'hui 83 ans. Pour la première fois depuis son départ en retraite à Valence, elle est revenue hier à Pont-Christ. "Quand j'ai entendu le premier chant grégorien, je me suis mise à pleurer", confie-t-elle.

yves elleouet

Yves Elleouet, le neveu de Mme Birac donc, est un artiste reconnu : on trouve sur internet et sur les vieux journaux locaux de nombreux articles qui parlent de son oeuvre. Il épousa Aube Breton, la fille d'André Breton, l'écrivain surréaliste bien connu.

Né en région parisienne, Yves Elleouet est revenu assez souvent à La Roche (et sûrement à Pont-Christ, voir sa tante). Il a laissé un tableau intitulé La Roche-Maurice (1948).

Quant à son roman Livre des rois de Bretagne (1974), Charles Lyvolant, ancien recteur de La Roche, en fait le commentaire suivant dans son carnet de notes : " son livre fait de rêves, de phantasmes, de rappels d'histoire de la Bretagne et de situations contemporaines est assez décousu... mais les noms et des situations semblent des décalques d'habitants de La Roche mêlés à des récits très grivois, c'est le moins qu'on puisse dire, ce n'est pas honnête de sa part."

Pour ma part, j'ai commencé la lecture de ce livre avec un a priori très favorable : le style me faisait penser à Lautréamont, Les Chants de Maldoror, mais très vite on est tombé dans un méli-mélo de phrases, souvent incomplètes, dont le sens et la finalité m'ont échappé. Il n'y a que quelques belles pages dont l'histoire d'Elorn et du Dragon, voir un extrait plus haut.

On pourra lire dans un autre chapitre le début de son deuxième et dernier roman, Falc'hun.


 

Pont-Christ, vu par Keranforest.

pont-christ

 

KERANFOREST (pseudonyme de Lafforest Dominique de) : Né en 1939 à Carantec. Agrégé d'anglais, essayiste, poète, romancier. Devenu prêtre, animateur du "Tro-Breizh", il a été longtemps chroniqueur au Télégramme de Brest et a rédigé de nombreux articles sur les vieilles pierres, dont celui-ci sur Pont-Christ. Poète élégiaque (Prières par tous les temps, 1976 ; Les Mares de Septembre, 1998), il est aussi l'auteur de deux romans qui ont la Bretagne pour cadre : Comme s'arrête la pluie d'été : chronique familiale en Bretagne au XVIIIe siècle, Morlaix, Dossen, 1987, Grand Prix des Ecrivains Bretons ; Enfance en Bretagne, Bruxelles, La Longue Vue, 1999.

En 2011, il était recteur de deux paroisses vannetaises.

 

Il a publié dans Le Télégramme, entre 1969 et 1984, environ 800 articles sur les vieux édifices, et, bien souvent, ils ont poussé les habitants du village concerné à retrousser leurs manches pour restaurer un patrimoine bien souvent très dégradé.

"En l'an 1533 Guillaume de Brezal et Marguerite Le Senechal firent faire ceste chapelle en l'honneur de Dieu et Notre-Dame de Secours", dit la pierre enchâssée dans le chevet de la chapelle en ruine de Pont-Christ. Guillaume de Brezal et sa femme avaient pensé qu'elle serait bien à sa place, au bord de l'Elorn, dans une prairie qu'ils pouvaient voir des fenêtres de leur manoir perché au-dessus de l'étang, du moulin et du pigeonnier. Une gravure romantique donne une idée de la sérénité des lieux au siècle dernier ; ils n'avaient sans doute guère changé depuis la fondation de la chapelle.

Quand cette chapelle, trève de Ploudiry, est-elle tombée en ruine ? On a dû la reconstruire dans le courant du XVIIè siècle, en conservant les fenestrages et culs-de-lampe animés d'anges frisés ; le calvaire dans l'ancien cimetière montre des personnages aux traits finement ciselés dans le kersanton ; deux banderolles soutenues par des anges et scellées de l'écu du Châtel portent l'inscription : "Pour tous vos maux", "dans ce lieu vous aurez confort". Une statue du Crucifié, couronné et portant une ample robe galonnée, se voyait autrefois dans la chapelle.

Il est heureux que la commune de La Roche ait tenu à sauvegarder ce qui reste de cet ensemble ; de solides étais maintiennent debout les arcades, et chaque année les employés municipaux viennent enlever le lierre et faucher les orties dans le petit enclos. Les marronniers qui bordent la rivière ont atteint un volume qui masque la petite église ; il serait utile d'en remplacer quelques uns par des arbres plus jeunes qui laisseraient mieux voir la silhouette gracieuse de l'édifice.

Il est quelquefois préjudiciable à des monuments d'être officiellement protégés : il y a des chapelles emprisonnées dans une troupe de sombres conifères, comme Saint-Nicolas de Priziac, par exemple, d'autres pratiquement cachées et rendues froides et verdâtres à cause des arbres plantés trop près, ou trop serrés. Pour éclaircir ces placîtres devenus sinistres, il faut souvent engager des démarches qui traînent en longueur. On peut s'étonner qu'il faille solliciter tant d'accords pour abattre un cuprésus devenu gênant. Un système plus souple, des décisions plus rapides devraient permettre d'éviter bien des dégâts. Couper un arbre, relever un meneau, remettre des tuiles faîtières ou repeindre une porte, sont des travaux d'entretien qui devraient pouvoir se décider et s'effectuer sans attendre des mois et des années. Ajouter des instances régionales sans donner les moyens d'une régionalisation, c'est condamner des monuments en péril à mourir de langueur.

Keranforest, article paru dans le Télégramme, il y a quelques dizaines d'années.
 

Mon commentaire : Keranforest est perçu pour un dessinateur et un chroniqueur soucieux du détail architectural. Mais ici il a pris quelques libertés avec la réalité. On y voit un pont, une rivière, de grands arbres qui suggèrent les marronniers séculaires qui ont disparu aujourd'hui... mais où est le transept de notre église ? Malgré tout, il nous aura fait rêver par ce petit article et ce dessin.

Frise 1ère partie  Frise 2è partie

 

Les rimailleries de Robert Gourlaouen.

Voici deux poèmes, extraits de l'ouvrage intitulé "Rimailleries de Robert Gourlaouen". On le trouve sur internet dans la bibliothèque nommée "Levraoueg Niverel Breizhek hag Europeat" de l'Institut de Documentation Bretonne et Européenne (IDBE). Cet ouvrage n'est pas daté, mais un des poèmes porte, lui, la date de 1986. Ce qui nous permet d'affirmer qu'il s'agit bien de Robert Gourlaouen du château de Brezal.

Celui-ci participait régulièrement à la messe grégorienne qui avait lieu, le 15 août, chaque année, dans les ruines de l'église. En 1985, le journal local le cite en rapportant que, par la célébration, les pèlerins venaient de vivre "moment d'éternité" comme dirait Robert Gourlaouen, le châtelain de Brezal. C'est ce sentiment qu'il traduit dans le premier poème qui suit.

Un manoir
Les rochers noirs
Vont se tremper les pieds
Et j'avise
Une église
Aiguisant son clocher.
Et ma muse,
Qui s'amuse
Et se plait à chanter
Mon Elorn
Douce et morne,
Sa paix, et sa beauté.
PONT-CHRIST
La chapelle Notre-Dame du Bon-Secours
  ELORN
 
Magnificat ! L'instant est solemnel,
La gloire de DIEU, éclaire les visages,
Transfigurés, tournés vers l'autel.
Qu'il est discret, le divin message.
Adoration, béatitude, silence.
Sous la nef d'azur et de nuages,
Pure et sincère repentance.
Chants des oiseaux, joignez nos cantiques,
Que nos élans mystiques, font si légers,
Qu'ils montent, ils montent, liturgiques
Jusqu'à toi, mon sauveur.
Pont du CHRIST, Pont de BREZAL,
Petite église, tout près du ruisseau,
Dévote bâtisse, piquée de digitales
Fleurant la sauge, la menthe et le sureau,
Les arches brisées, laissent passer le soleil,
Qui saupoudre d'or, ses longs rayons de strass
Et dépose comme un baiser, sa couche de vermeil
Sur les colonnes courbattues, si pleines encore de grâces
Dans l'effort rompu de leur envolée vers le ciel,
Vers toi, MARIE, toi le bon secours, toi toutes les grâces.
Elle délasse
Ses eaux lasses
En un souple ruban
Qui câline
Et ravine
Le limon sur ses flancs.
Vase grise
Qui enlise
Mille objets rejetés
Par la ville
Et qui filent
Au gré des marées.
Mais ce mort,
Jeune encore,
Que fait-il là couché
Sur sa hanche
Comme une planche ?
Que c'est triste un noyé
Dans l'eau glauque
Pauvre loque
A la peau délavée.
Je suppose
Mille choses
Qui l'ont désespéré.
Des auberges,
Sur les berges,
Où l'on va festoyer
Et des merles
Noires perles,
Sifflent en liberté.
Des lumières
A travers
Chênes et peupliers
Elles caressent,
La paresse
Des algues désséchées
Des fougères,
Des bruyères,
Mêlent les verts aux violets,
Et des lierres,
Sur les pierres,
Les tiennent embrassées.
 
Stances à Pont-Christ par Claire Martel

Vers 1950 : le bourg de Pont-Christ à gauche, Gorrequer à droite, Le Frout au fond

 1 

A l'heure où le passé nous soumet à ses chaînes
Où seule la mémoire permet que l'on ne traîne
Après soi que de doux souvenirs enivrants
Des jours si merveilleux passés étant enfants
Dans Pont-Christ enfoui dans ses frondaisons blondes
Et ses hauts sapins verts et ses mousses profondes
Je ferme un peu les yeux et revois le passé
Surgir de tous les points, de ce qu'il a été
Dans ce lointain béni où tout était si tendre
Et si peuplé qu'il me paraît encore entendre
Les voix, les chères voix éteintes à jamais
Et dont le souvenir m'étreint le coeur, mais
Que nous n'entendrons plus jamais dans l'ombre dense
Des sentiers verts courant sous la forêt immense
Ceux qui dorment en paix, vêtus de marbre gris
De leur dernier sommeil sous les ifs rabougris.
Où sont donc les enfants, se lamentaient nos mères
Qui redoutaient les chutes et les nids de vipères
Et les rodeurs des bois et les taureaux des champs
Ne retrouvaient le calme que lorsque le couchant
Nous ramenait lassés vers la douce lumière
L'odeur de soupe aux choux dans la marmite en terre
Le far au sac, les pouloudics et le soufflé
Qui gonflait lentement dans le plat bleu fêlé
Tandis que sur le feu doraient les chanterelles.
Sous le couvert du bois pleuraient les tourterelles,
Dans l'air rosé du soir retentissait nos cris,
L'étang, si clair le jour, nous paraissait tout gris,
Miroir d'eau romantique peuplé de libellules
Qui rasaient l'eau dormante où se formaient des bulles.
 2 

Et cheveux dans le vent et badines aux mains
Nous dévalions la pente au passage des trains
Qui sifflaient dans le soir en longeant la vallée
Où les martin-pêcheurs chassant pour la nichée
D'un trait d'or et d'azur zébraient la berge en fleur
Du sinueux Elorn enfoui dans son odeur
De mousse et de lichen, de menthe et de jonquilles
Qu'un ruban aux cheveux cueillaient les jeunes filles
Quand le printemps venait et que les boutons d'or
Et les bouquets de lait fleurissaient sur ses bords.
Ensuite il nous fallait commencer la veillée
Devant le feu de bois où brûlait la ramée
Qui nous gelait le dos mais dorait nos genoux
Lacérés par les ronces, meurtris par les cailloux.
Et puis oncles à barbiches, tantes à jupes de moire
Nous racontaient de douces ou d'étranges histoires
Tantôt si gaies ou si lugubres tour-à-tour
Revenants, sortilèges ou tragiques amours.
On grillait des marrons, on croquait des pralines
Ou du far aux pruneaux qu'avait cuit Victorine.
Là il nous fut conté que pas loin de chez nous
Juste à l'orée du bois il s'en venait des loups
Au temps jadis, et qu'un ancêtre au chien fidèle
S'en allait affronter, animé par le zèle
De protéger les siens armé d'un lourd bâton
Qu'il était merveilleux d'éprouver le frisson
Qui nous faisait dresser les cheveux sur la tête
Quand nous croyions au loin entendre hurler la bête
Alors que nous étions dans l'abri bienveillant
Hors des peurs ancestrales du Garou malveillant
 3 

Gavés de berlingots, de noisettes et d'amandes
Dans les doux lits moelleux à odeur de lavande
Nous allions nous blottir, effrayés mais heureux
Rêvant de loups cruels mais ravis par les jeux
Que le satin doré avec sa joie profonde
Allait nous apporter. Pour commencer la ronde
Le fermier aux yeux clairs au rapport dès le jour
Racontait qu'un chevreuil avait fait tout le tour
De la haute futaie qui dominait la route
Ou qu'une compagnie de perdrix en déroute
Avait abandonné le long champ de blé noir.
Celui qui paraissait si rose dans le soir.
Il apportait le lait, il nous taillait des gaules
Pour voir un nid il nous montait sur ses épaules.
Ensuite nous allions vers la fontaine en fleur
Où la Vierge vêtue d'atouts de couleur
A la ceinture bleue dans sa niche de mousse
Nous souriait si gentiment dans l'ombre douce
Enfouie dans la fougère et les presles des bois
Où murmurait la source. Dans le lavoir étroit
Les petits gars armés de bâtons de cornouilles
Nous montraient comme l'on taquine les grenouilles
Les troupeaux y venaient s'abreuver, paresseux
Puis regagnaient la ferme par le noir chemin creux,
De leurs naseaux mouillés il retombait des perles.
Dans les taillis ombreux se disputaient les merles
Des petits lapins gris déboulaient des terriers
Les renards glapissaient au loin sous les halliers.
Quelquefois nous allions remontant vers la sente
Route verte emplie de fougères arborescentes.
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Où des complots puérils à l'ombre d'un sapin
Amenaient à nos lèvres un fou-rire sans fin.
Et les Pâques fleuries où quelques sous en poche
Pour le Pardon de Mars nous allions à La Roche
Ou que le tiède Avril ayant chassé l'hiver
Dans la chapelle enfouie d'Huon de Penanster
Sous les rhododendrons aux corolles violettes
Nous allions à la Messe quand tintait la clochette
Et si petit était le saint lieu qu'au Sanctus
Les oiseaux se mêlaient à nos Benedictus.
Et puis le lait de mai, oh ! coutume adorable
Qu'on buvait au jardin, frais tiré de l'étable.
Et les jours de Juillet, et les Dimanches d'Août
Où gaules à la main nous partions pour Le Frout.
Nos mères qui cueillaient des roses et des pivoines
Ou pour quelque bouquet d'hiver la folle-avoine.
Le long du chemin creux où grinçaient les charrois
Suivis par les troupeaux et les chiens aux abois
Nous allions quand venait le temps des confitures
Panier d'osier au bras nous barbouiller de mûres
Ou pour mettre en flacon un sirop d'autrefois
Récolter des myrtilles dans l'ombre des sous-bois.
Du résidu exquis on faisait des tartines
Là-haut quelque cousin tirait des bécassines.
Auguste  qui allait attacher ses chevaux
Qui renaclaient et qui soufflaient de leurs naseaux.
Et les breaks au repos dans la sombre remise
Le bleu, le rouge que tirait la jument grise
Quelquefois par beau temps la noire Victoria
Celle que l'on ornait de plus de falbalas
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Où nous n'avions pas droit sans créer un litige
Et que l'on n'attelait surtout " noblesse oblige "
Que lorsque nous venaient des visiteurs de choix
Ceux que nous, les enfants, fuyions au fond des bois
Jusqu'à l'abri touffu où le bandit Cartouche
Caché dans une grotte, insoumis et farouche
Guettait les diligences aux voyageurs pourvus.
Légende ou vérité, je ne l'ai jamais su.
A nous était Pont-Christ enfoui dans sa verdure
Le plus joli pays de toute la nature.
A nous étaient ses fleurs, à nous était son ciel
Les jours de douce pluie, son immense arc-en-ciel
Les fenêtres à meneaux, l'eau vive et les fougères
La clochette  au son clair tintant sous la gouttière
Pour nous rassembler tous quand sonnait l'Angelus
Et que nos grands-parents disaient leur Oremus.
Les murs couverts de roses, de prunes et de lierre
Les pelouses fleuries de tendres primevères
Et puis de boutons d'or quand venait le printemps
Et que nous nous saoûlions d'air pur et de beau temps.
Et ses hôtes accueillants et ses bols de crême
Ses pâtés de lapin, ses crêpes de Carême
Et la bouillie d'avoine cuite dans le chaudron
Au feu de bois en remuant un lourd bâton.
L'arbelaise dorée qu'on cuisait en cocotte
Avec le beurre salé qu'on apportait en motte.
La maison était blanche et raide l'escalier
Qui menait tout là-haut au charmant vieux grenier.
Agrémentant les murs du petit vestibule
De leur dernier sommeil dormaient des libellules
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Ainsi qu'un sanglier qu'une chasse d'antan
Avait frappé à mort sur le vieux Mont Saint Jean
Faon à l'air implorant et biche aux yeux d'agathe
Un renard piégé dont on garda la patte
Chevreuil aux reflets doux, et cerfs aux bois durs
Fusils aux râteliers, massacres sur les murs,
Odeur de feu de bois, pélerines aux patères
Dans ces pots vernissés des bouquets de bruyère
Monnaie du Pape tintant sur le vieux piano faux
Où je n'ai jamais vu que la valse de Faust.
Pour nous Pont-Christ était le Paradis Terrestre
Qu'il le reste pour ceux qui parcourant ses tertres
Retrouvent comme nous le même enchantement
Des jours si merveilleux passés étant enfants.
Ainsi étaient ces lieux au temps de ma jeunesse,
J'ai voulu les revoir avant que la vieillesse
Qui nous guette au tournant de si sombres hivers
Ne nous permette plus l'accès de Gorreker.
A toi, mon cher Henri, je dédie ce poème
Certes sans prétention, mais sincère à l'extrême.
Au prix de tant d'efforts tu as su conserver
Ce radieux Eden où nous pouvons aller
Retrouver nos quinze ans dans leur écrin de mousse
Tous nos rêves d'enfants quand la vie fut si douce
Nos pleurs d'adolescents pour des peines d'un jour
Ou nos rires éperdus éclatant tour-à-tour.
Promène-toi longtemps, longtemps sous ses ombrages
Profitant de l'immense horizon, des ramages
Des si nombreux oiseaux, de la douceur du ciel,
Du gibier dans tes bois, et de l'odeur de miel
Auguste. Il s'agit d'Auguste Cocaign, le cocher de la famille Le Bos, depuis 1911 au moins (cf recensements de Landerneau).

Auguste COCAIGN, né le 27 mai 1868, Landerneau, décédé le 2 janvier 1940, Rue de Plouedern, Landerneau (à 71 ans), garçon de pharmacie, cocher.
Marié le 25 juin 1906, Landerneau, avec Marie Anne LE GOFF, née le 27 avril 1875, Plouedern, décédée le 29 novembre 1916, Rue de la Fontaine-Blanche, Landerneau (à 41 ans), dont
  • Auguste Marie COCAIGN, né le 13 avril 1907, Rue Fontaine Blanche 41, Landerneau, décédé le 16 novembre 1935, Landerneau (à 28 ans).
  • Yves Marie COCAIGN, né le 14 janvier 1909, Rue Fontaine Blanche 25, Landerneau. X
La clochette au son clair : au bout de la façade nord près du pignon est, de la maison bourgeoise, il y avait une clochette qu'on faisait tinter en tirant sur une chaîne. Elle a dû disparaître quand Jacques Gad a créé l'extension en "T" que l'on voit aujourd'hui. X
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De tous ces sapins verts, de toutes ces bruyères
Du tapis printanier des tendres primevères
Des couverts où tu sais trouver des champignons
Et du chant du coucou dans les taillis profonds,
Des chasses aux perdeaux dans le bois de Septembre
Des battues au chevreuil dans le froid de Décembre
Ou bien pour un travail qu'on accomplit à deux
Suivant ton bon vieux Job dans les chemins boueux.
De tes petits-enfants courant dans la verdure
Tout comme nous jadis, rosis de confiture
Des badines aux mains, du foin dans les cheveux
De ce cadre enchanteur, épuisant tous les jeux.
Tu sauras, profitant de leur douce jeunesse
Pour ce joli Pont-Christ apprendre ta tendresse
Afin que tous les tiens vénèrent pour toujours
La beauté de ces lieux qui furent nos amours.

Mme Bauer, née Claire Martel (1899-1985), était veuve en premières noces d'Albert Tanguy, contrôleur des contributions directes et fils du docteur Albert Tanguy de Landerneau.

Claire et Henri Le Bos, dédicataire du poème, étaient cousins issus de germains ayant pour aïeul commun leur arrière-grand-père Louis Despinoy, industriel-brasseur à Landerneau. Claire passait fréquemment ses vacances à Pont-Christ chez ses cousins Le Bos et avait une affection toute particulière pour Henri, qui héritera plus tard du domaine de Gorrequer.

Claire Martel était une femme très joyeuse. Elle adorait Pont-Christ et cela se voit très bien dans ses "stances", qui sont magnifiques et rappelleront bien des souvenirs à plus d'un.

Merci Xavier.



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 André Croguennec - Page créée le 10/3/2014, mise à jour le 29/6/2020.

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