La fontaine de Brezal |
En partant du moulin de Brezal, quand on longe l'étang sur la gauche par le petit sentier forestier tout au bord de l'eau, on arrive inévitablement à cette cavité creusée dans la roche, placée en plein milieu du chemin (photo ci-contre).
Une jolie petite source ! Etait-ce là que venaient, et viennent peut-être toujours, s'abreuver les korrigans de Brezal ? Ces mêmes korrigans, qui ravissaient aux mères leur nouveau-né et le remplaçaient par l'un des leurs, pour qu'il soit bien nourri. Ces créatures, sans âge, qui selon la légende sont là depuis des temps immémoriaux, qui ont vu Brezal avant que les arbres n'y aient poussé : "J'ai vu le bois de Brezal, je l'ai vu en glands, je l'ai vu en gaules ; je l'ai vu servir de poutres au manoir de Brezal", nous confie l'un d'eux.
Finalement, les korrigans de Brezal et les "boudoudom" de Kerdonnars ce sont les mêmes.
Mais cette source n'est pas la fontaine dont je veux vous parler. La fontaine se trouve à 75 mètres environ plus loin.
Pour situer la fontaine, voir aussi la vue aérienne de Pont-Christ.
C'était une très belle fontaine, comme le montrent quelques photos et dessins que j'ai pu collecter, voir plus bas.
La première photo, ci-contre, est celle du photographe brestois Marcel Bories, qui l'a prise sur plaque de verre le 3 septembre 1933.
Voici la fontaine, avec ses cariatides magnifiquement sculptées, on est émerveillé de trouver ce chef-d'oeuvre en plein bois. Serait-ce une représentation des génies de la forêt ? Le corps de ces deux créatures, homme et femme, semble se terminer en queue de poisson, comme celle bien traditionnelle des sirènes. Est-ce une volonté réelle du sculpteur ? Ou une façon élégante d'alléger la sculpture en terminant ainsi les deux piliers soutenant la voûte ?
La fée Morgane, "Ar Ganerez-Mor"
Mais j'ai déniché le commentaire suivant, à propos de l'église de Pont-Christ et de l'étang de Brezal, dans un livre écrit outre-manche :
Should any devout traveller from Morlaix to Brest make a halt at Pont-Christ-sur-Elorn, between Landivisiau and Landerneau, he will find there one of the most beautiful little vignettes that can grace a sketch book. On entering the chapel, he may read that "quarante jours de Pardon à perpetuité" await all those who shall visit the chapel, "par devotion", on the 9th May, the anniversary of the dedication in 1581, the date moreover of the Indulgence. On the opposite side of the road will be found the Great Pond of Brezal, in the centre of which rose the island of "Ar-Ganerez-Mor", or the Songstress of the Sea, the Fairy Morgana.
in "Archaeologia Cambrensis - janvier 1858" De Cambrian Archaeological Association.
Traduction du texte anglais ci-dessus :
Tout voyageur dévot se déplaçant de Morlaix à Brest devrait faire une halte à Pont-Christ-sur-Elorn, entre Landivisiau et Landerneau, il trouvera là les plus belles illustrations qui embelliront son album d'esquisses.
En entrant dans la chapelle, il pourra lire que "quarante jours de pardon à perpétuité" attendent tous ceux qui visiteront la chapelle, par "dévotion", le 9 mai, anniversaire de sa consécration en 1581, date à partir de laquelle commencera l'Indulgence.
Sur le côté opposé de la route, il trouvera le Grand Etang de Brezal, au centre duquel s'élevait l'île de "Ar-Ganerez-Mor", ou la chanteuse de la mer, la Fée Morgane.
L'auteur tire cette information assez étonnante, concernant à la fois "Ar-Ganerez-Mor" à Brezal et une île présente autrefois dans l'étang, de la légende que j'ai insérée à la fin de cette page.
Tout ceci n'est que fiction, bien sûr. Mais l'existence d'une île était possible avant que les alluvions du ruisseau, qui alimente le plan d'eau, n'aient comblé la partie supérieure de celui-ci, justement au niveau de la fontaine. Cette île aurait conforté la légende. Celle-ci influença le commanditaire et le créateur de la fontaine. Ce qui n'est pas surprenant, car les fées, et Morgane en particulier, ont toujours été associées aux fontaines. Et dans ce cas, les génies sculptés sur les piliers de la fontaine représentent tout simplement la fée Morgane et son compagnon, qui pourrait être le roi Arthur, son demi-frère, ou Merlin, son maître de magie.
Le plus étonnant dans la légende, c'est le mélange des genres : la fée vivant sur une île, au milieu d'un lac en pleine campagne, est appelée la chanteuse de la mer. On voit bien la confusion entre Morgane, la fée, et Marie-Morgane, la sirène. Mais faut-il rechercher trop de logique dans les légendes et dans l'inspiration artistique des créateurs de la fontaine ? Je pense que non.
On remarque aussi que les cariatides semblent nées du même ciseau que celles de la chapelle du cimetière de Landivisiau.
"La chapelle Sainte Anne située dans l'enceinte du cimetière actuel était au moment de sa construction (entre 1610 et 1620), l'ossuaire et la chapelle reliquaire du cimetière de l'enclos paroissial qui entourait l'église de Landivisiau. Au début du XIXe siècle lorsque le cimetière devenu trop petit est déplacé à son emplacement actuel, la démolition est envisagée mais en 1858, la décision de déplacer la chapelle pierre par pierre au milieu du nouveau cimetière l'emporte. Quatre baies en plein cintre sont encadrées de six cariatides surmontant des gaines décorées représentant 3 hommes et 3 femmes, tous d'aspects différents. On y reconnaît notamment l'Ankou (la mort), une femme aux seins nus figurant probablement une sirène (la gaine en queue de poisson est en dessous d'une autre cariatide féminine, témoignant d'une inversion lors du remontage), une femme en costume d'époque avec collerette... " (voir le site "http://www.petit-patrimoine.com/fiche-petit-patrimoine.php?id_pp=29105_2")
On retrouve donc une sirène à Landivisiau, ce qui rajoute à la similitude. Un des hommes, particulièrement, est proche de celui de la fontaine avec sa posture aux bras croisés. Si c'est le même atelier qui a créé les deux édifices, la fontaine a pu donc être construite au début du 17è siècle, au temps de Vincent de Brezal ou de son fils Guy et de sa mère Marie du Coskaer.
Voir aussi l'ossuaire de La Martyre, qui montre une statuaire proche de la fontaine.
Yvonne JEAN-HAFFEN (Paris, 1895 - Dinan, 1993) a réalisé deux croquis de cette fontaine, entre 1960 et 1970. Inscription au dos : à Pont-Christ près Landerneau au bout de l'étang du moulin de Brezal.
L'artiste décrit ainsi son oeuvre : "Le monument comportait une fontaine d'ornement à deux cariatides figurant, selon la formule fréquente pendant la Renaissance, un homme et une femme, dont le corps semble issu de motifs décoratifs épousant la colonne. Malheureusement, le travail du temps conjugué à celui dû à des initiatives malheureuses, a obligé leur possesseur à mettre en lieu sûr des oeuvres d'art constituant une proie de plus en plus aisée." Le Chemin des Fontaines, Roger Le Deunff, Editions Danclau, 1996, p.32
Voici maintenant, plus bas, deux photos que j'avais prises en août 1976. Ces photos, faites dans la pénombre du sous-bois, sont complètement ratées. Mais elles ont le mérite de montrer que les cariatides étaient toujours en place à cette date.
Dans les années 1965-1970, il m'est arrivé plusieurs fois d'aller remplir quelques bouteilles à cette source : son eau était absolument délicieuse.
Voici l'état actuel de la fontaine (photo de A. Croguennec du 21/4/2012). Les cariatides ont disparues... C'est véritablement désolant !
Yvonne Jean-Haffen avait constaté leur disparition, comme l'indique le texte plus haut, elles ont été enlevées entre 1976 et 1982, voir plus bas.
Est-ce le propriétaire de la fontaine qui a retiré ces statues pour les mettre en sécurité comme l'indique le même texte ?
J'ai donc posé la question à son propriétaire en 2009, car lui disais-je "j'aimerais prendre de nouveau une photo de cette fontaine et de ses statuettes, car comme vous le constatez, mes photos de 1976 sont ratées".
Il me répondit : " Je n'ai jamais connu la fontaine telle que vous me la montrez sur la photo. Je connais, bien sûr, son emplacement, et je suppose qu'elle a été pillée, ou volée à des fins mercantiles comme beaucoup de nos monuments en Bretagne... Nous ne sommes propriétaires de Brezal que depuis 1982, ... "
Est-ce le précédent propriétaire qui aurait déplacé les statues ? J'en doute... Mais, c'eût été, bien sûr, son droit...
Quoiqu'il en soit, déplacement des cariatides par leur propriétaire ou pillage de patrimoine par des voleurs peu scrupuleux, le résultat est fort dommageable.
En effet, si l'on accepte ma déduction, à partir des traces littéraires que j'ai citées, que la fontaine a été construite là et ainsi en accord avec la légende de l'étang, elle ne peut conserver sa valeur entière et complète que sur place.
Autrement dit, comme la fleur de la légende (voir plus bas) qu'il était inutile de dérober car "sa vertu n'avait d'effet que dans l'île même", la fontaine déplacée aura perdu tous ses pouvoirs sacrés, et le profanateur "l'usage de ses sens".
En attendant de retrouver les cariatides quelque part, il ne nous reste donc plus qu'à regarder les quelques photos et dessins que nous possédons de celles-ci...
... je lance donc un appel désespéré à la communauté des internautes : quelqu'un aurait-il en sa possession une (ou plusieurs) belle photo de notre fontaine ou d'autres documents ? Ecrire à l'auteur : E-mail : croguennec.amt@orange.fr Merci d'avance.
Remarque : C'est probablement à la même époque, que la statue qui se trouvait près de la chapelle de Brezal, a aussi disparu. Elle représentait Sainte Anne enseignant à la Vierge.
Il existe une autre fontaine dans ce cadre enchanté. Elle se trouve de l'autre côté du vallon, un peu plus en amont du ruisseau qui alimente l'étang de Brezal, en contrebas de la ferme de Kertanguy.
En voici une photo toute récente. Plus simple et plus rustique, elle ne manque pourtant pas de charmes.
"La fontaine du 'Park a' Feunteun' c'était notre fontaine", écrit Arlette Cadalbert. "On y mettait la crème à refroidir avant de la baratter, j'ai entendu ma tante Herveline dire avoir trouvé un papier sur lequel était écrit : 'Cette crème délectable, la laisser là serait tenter le diable'. Je ne peux affirmer si c'était vrai car ma tante adorait rimailler".
"Nous avions une autre source dans le bois qu'on appelait 'Koalenn' (koad al lenn) à mi hauteur entre la ferme et le chemin au dessus de la prairie Gac. Cette source nous a longtemps servi, on allait avec des bouteilles, elle a été captée quand on a eu l'électricité en 1952".
Voici la légende de Morgane, Ar-Ganerez-Mor,
dans Histoire des rois et des ducs de Bretagne, Volume 1 Par Prudence Guillaume baron de Roujoux - 1839 :
Près de Landélorn (1) existait jadis un lac dont on n'apercevait les eaux que du sommet d'un rocher fort élevé ; mais ce roc avait une porte qui se trouvait ouverte à certain jour de l'année, sans que l'on sût comment cela se faisait. C'était, je crois, le 1er de mai. Toutes les personnes qui avaient la curiosité d'y passer, et assez de résolution pour pénétrer dans le couloir obscur qui se présentait, suivaient une galerie qui se terminait à une petite île placée au centre du lac. Là, les visiteurs étaient ravis à la vue d'un jardin délicieux, orné des fleurs et des fruits les plus rares ; lieu charmant, habité par une famille de fées que présidait une enchanteresse connue sous le nom de la chanteuse des mers (2). La beauté de ces fées n'était égalée que par leur douceur, leur politesse et l'affabilité qu'elles déployaient en faveur de ceux qui leur plaisaient. Elles cueillaient des fruits et des fleurs pour chacun de leurs hôtes, leur faisaient entendre la plus exquise musique, leur prédisaient les événemens de l'avenir, et les invitaient à rester près d'elles aussi longtemps qu'ils trouveraient ce séjour agréable. Mais l'île était sacrée, et aucun de ses produits ne devait être emporté au dehors.
Toute cette scène était invisible aux habitants des bords du lac ; on apercevait seulement au milieu une masse peu distincte. On observait qu'aucun oiseau ne volait au-dessus des eaux, et que, parfois, une douce mélodie était apportée par la brise agréable de la montagne opposée.
Dans une de ces visites annuelles, un sacrilége que les belles fées avaient comblé de bontés, s'empara, quand il voulut quitter le jardin, d'une fleur admirable, dont le parfum avait la propriété d'empêcher de vieillir. Il oubliait que cette vertu n'avait d'effet que dans l'île même, et ce larcin ne lui produisit aucun avantage ; car la fleur s'évanouit aussitôt qu'il eut touché la terre profane, et lui-même perdit l'usage de ses sens.
La chanteuse des mers et ses soeurs ne parurent faire aucune attention à l'injure qu'elles avaient reçue ; elles continuèrent à traiter leurs hôtes avec leur courtoisie accoutumée ; et, quand ils furent partis, la porte se referma comme à l'ordinaire. Elle ne se rouvrit pas l'année suivante. On apercevait toujours, au milieu du lac, une île brumeuse dont les oiseaux n'osaient approcher ; les vents apportaient encore des sons mélodieux, mais les fées ne se montrèrent plus à personne. Quelque temps après, un aventureux chevalier essaya de traverser le lac et d'arriver jusqu'à l'île. Une forme terrible s'éleva du sein des eaux, et lui commanda de se désister de son entreprise, s'il ne voulait causer la destruction de toute la contrée.
Depuis cette malheureuse tentative, des bois se sont élevés, les rochers ont changé de forme, le lac même a disparu, bien que les anciens du pays sachent encore le lieu où l'on pourrait le retrouver. La chanteuse des mers et ses soeurs sortent quelquefois de leur retraite délicieuse. On les entend, la nuit, sur les grèves, marier aux vents leurs doux concerts. Elles apparaissent surtout dans la tempête, afin de sauver du naufrage quelque mortel privilégié qu'elles conduisent encore dans leur île, où le retiennent à jamais des jouissances multipliées et une félicité sans bornes.
Notes de l'auteur de l'ouvrage : (1) Landerneau. (2) Ar-Ganerez-Mor ou Mor-Gane.
Cariatide et télamon à La Martyre
Pour apporter quelques compléments à l'iconographie sur le sujet, voici la statuaire présente sur le fronton de l'ossuaire de La Martyre. Elle représente Saint-Pol Aurélien maîtrisant le dragon, entouré de deux cariatides, femme et homme.
Remarque : Bien que l'emploi du mot "cariatide" soit admis pour les deux genres, on devrait le réserver pour les statues féminines et utiliser l'appelation de "télamon" pour les statues masculines.
Cette représentation se rapproche également de la fontaine de Brezal.
N'oublions pas que les seigneurs de Brezal étaient les prévôts de la foire de La Martyre, ce qui a pu favoriser une inspiration commune.
L'ossuaire date de 1619, donc de l'époque de la construction de la chapelle de Landivisiau, et renforce notre conviction que la fontaine a été construite aussi en ce début du XVIIè siècle.
Dans cette page, nous avons cité Landerneau, Landivisiau et La Martyre. Ces lieux sont très proches de notre fontaine, dans un rayon de 8 km ou moins.
Voir la carte.
"Les korrigans de Brezal" in Nos vieux manoirs à légendes de Louis Le Guennec.
Dans des temps très reculés, dit la légende, une châtelaine de Brézal eut l'imprudence d'abandonner ses deux petits enfants dans leur berceau pour aller voir le feu de la Saint-Jean à Pont-Christ. Ses servantes imitèrent son exemple, si bien que des korrigans, trouvant le manoir vide, emportèrent les deux bébés, en abandonnant à leur place deux affreux petits gnomes noirs et velus que la pauvre dame se résigna à élever, dans l'espoir que leurs parents en useraient de même à l'égard de ses enfants volés. Mais ces diablotins étaient de vrais fléaux. Ils épuisaient leur nourrice sans augmenter d'une once, braillaient à l'envi d'une voix assourdissante, griffaient et pinçaient quiconque s'approchait d'eux. Trois ans après, ils n'avaient nullement grandi, ni appris à dire mot. Navrée, Mme de Brézal s'en alla consulter un sorcier réputé de Saint-Derrien. Sur ses conseils, elle vida autant de coquilles d'oeufs qu'il y avait de domestiques dans la maison, les rangea en ordre devant le foyer, puis commanda à haute voix aux servantes d'y tremper la soupe pour chacun des moissonneurs. Alors elle fit en sorte de laisser la cuisine vide et, restant aux écoutes, entendit bientôt les petits korrigans se dire l'un à l'autre avec étonnement :
Une seconde version recueillie par M. Tranois (il y en a d'autres dans le Barzaz-Breiz et dans Emile Souvestre) prête à l'un d'eux le discours suivant : J'ai vu le bois de Brézal,Je l'ai vu en glands, je l'ai vu en gaules; Je l'ai vu servir de poutres au manoir de Brézal, Et cependant jamais je n'en ai vu autant ! La preuve se trouvant établie que les deux prétendus marmots n'étaient que deux vieux loustics de nains qui trouvaient plaisant de téter du bon lait de femme et de se faire pouponner, on se précipite sur eux, on les saisit, on leur administre une fessée épouvantable. A leurs hurlements, la famille tout entière des korrigans accourt. Deux d'entre eux portent les enfants de la dame de Brézal, frais et roses à souhait. Ils les déposent dans le berceau, enlèvent les deux victimes et s'éclipsent avec elles sans demander leur reste. Oncques ne les revit-on. | ||||
HISTOIRE DU CORNIKAN DE COATBREZAL. Les Cornicanets sont bien sales et bien laids, vous le savez, et leurs jeunes enfans ont la face noire et ridée comme des singes ; ce sont de vrais petits diables. Ne pouvant en avoir de moins hideux, ils ont imaginé de voler les plus jolis enfans de nos campagnes. Pour peu qu'une mère laisse seul, dans la maison, son enfant au berceau, ou qu'elle le dépose dans les champs, sans le couvrir d'un chapelet, - car un chapelet repousse toute espèce de diables, - cette race maudite des Cornicanets, toujours éveillée, toujours attentive, se trouve là, tout à point ; - et le malheureux enfant est enlevé ! - Ces deux petites filles, Jeffic et Tinaïc, ont dû vous causer bien des soins et des inquiétudes, ma bonne mère ? Celles-là, surtout, devaient attirer les regards des voleurs. - Nous les avons tous bien gardées, Monsieur, quoique les Cornicanets ne paraissent plus depuis longtemps ; mieux vaut toujours être sur ses gardes et ne pas faire comme cette mère dont je vous raconte l'histoire : Etant un jour allée à la rivière pour laver son linge, cette mère imprudente laissa tout seul chez elle un petit garçon bien vaillant et bien beau, ur pautr tre, un enfant parfait, dont un roi même aurait été orgueilleux : jugez si les Cornicanets devaient l'envier ! Pendant l'absence de la mère, une vieille Cornicanèze pénétra dans sa maison et substitua un monstre d'enfant à cette gentille petite créature. Fière de son trésor, elle s'enfuit vers les siens. La pauvre mère arrive et court au berceau : Dieu ! quel frisson elle éprouva à la vue d'une figure si étrange pour elle ! Ce n'était plus le petit Nanic, aux petites joues si lisses et si rosées, aux cheveux si doux et si blonds, à l'oeil bleu si tendre ! Une face sèche et ridée, d'un jaune sale comme un vieux parchemin gratté, des yeux de chouette, des cheveux crépus et aussi noirs que la suie de la cheminée, quelques brins de barbe bien longs, des dents et des ongles terribles, voilà ce qui restait en place du joli, du ravissant Nanic. La pauvre mère fondit en larmes : elle crut deviner la cause de ce changement. - J'étais trop orgueilleuse, s'écria-t-elle, de la gentillesse de mon fils ; à mes yeux il n'y avait rien de comparable dans le canton, et les autres mères restaient bien loin derrière moi. Je suis bien punie, le ciel a confondu mon orgueil ; mais je verserai des larmes, je prierai sur mes deux genoux, et le bon Dieu rendra mon fils à sa première forme. - Ensuite elle présenta son sein à cet être repoussant, dont ses regards se détournaient malgré elle. Il la pinça, il la mordit et poussa des hurlemens épouvantables. Tout le pays connut bientôt la fatale aventure ; les mères jalouses éclatèrent d'un rire moqueur : - Voilà donc ce bel enfant, se disaient-elles, qui devait faire honte à tous les nôtres : Dieu veuille nous préserver d'une semblable merveille ! - Un petit pourceau n'est pas si dégoûtant !... La malheureuse mère desséchait de douleur ; elle faisait des pèlerinages, des neuvaines, allait à Notre-Dame-de-Pitié, de Bon-Secours, à Saint-Anne-en-Auray, se vouait à tous les saints, à toutes les saintes, et cependant l'infortuné Nanic ne dépouillait pas son enveloppe hideuse. Que faire désormais ? Quelques pieuses amies lui conseillèrent de recourir au prêtre de la paroisse : - Si le diable a pris possession de votre enfant, il faudra bien le conjurer, soyez sûre, avant qu'il se détache de sa proie. - La pauvre mère de courir aussitôt à l'église, de se jeter aux pieds de son confesseur. On lui demande, elle raconte exactement ce qui s'est passé. Ce monstre-là n'est point votre fils, ma pauvre enfant, lui dit le bon curé : votre Nanic n'est point perdu, la divine providence le rendra aux embrassemens de sa mère. L'être hideux qui le remplace est le fils d'une vieille Cornicanèze ; il est vieux, bien plus vieux que votre grand-père même : il ne vous a pas encore parlé, parce qu'il en avait la défense ; il faut qu'il vous parle maintenant. Pour délier sa langue, voici ce que vous aurez à faire : à votre retour, cassez un oeuf, et disposez-en la coque comme pour y faire une bassinée de bouillie. La curiosité de votre prétendu fils sera vivement excitée, et certainement il vous demandera ce que vous prétendez faire. Afin de le surprendre encore davantage, répondez-lui que vous préparez uu repas pour dix-neuf marreurs (qui luttent à couper des mottes dans un champs). Alors, sur sa réponse qui vous étonnera, saisissez-le vigoureusement, sanglez-le de toutes vos forces à coups de fouets ; à ses cris, sa véritable mère arrivera ; mais n'écoulez point ses paroles, et ne cessez la correction, que lorsque votre Nanic sera remis entre vos mains. La jeune femme s'en revint prompte et joyeuse : elle exécute à la lettre les conseils qui doivent lui rendre son enfant. - Que faites-vous là, ma mère, lui demanda le petit monstre, qui pour la première fois se mit à parler ? - Je prépare de la bouillie pour dix-neuf marreurs. - Vraiment ! Pour un chat ou un moineau, passe ; mais pour dix-neuf marreurs ! Oh !.... Oh !.... Oh !.... J'ai vu bien des choses, ma mère, J'ai vu le bois de Brezal ; - Vous avez vu trop de choses, enfant-vieillard, mais vous allez me le payer cher ! - Elle le saisit, le fouette d'un bras robuste, friou, friou 1, de droite, de gauche, sans relâche, sans rémission, malgré ses cris, malgré ses pleurs, friou! friou !... - Les hurlemens du petit misérable retentissent au loin ; sa mère accourt. - Ne tuez pas mon fils, méchante femme ! Nous traitons le vôtre avec tant de douceur ! Il ne lui manque rien ; tout le monde chez nous le chérit. - Je ne vous demande pas tant de soins ; rendez-moi seulement mon fils, mon cher fils, mon pauvre Nanic. - Je ne puis vous le rendre ; c'est déjà le plus bel homme de chez nous ; c'est notre maître, c'est notre roi : laissez-le nous, il sera bien heureux. - Mon fils ! mon fils ! ou j'écrase le vôtre. - Arrêtez ! arrêtez ! je vais le prendre. - Hâtez-vous, car les coups ne cesseront pas avant que j'aie retrouvé mon fils. - Bientôt la Cornicanèze est de retour, et avec elle le joli, le riant Nanic, qui tend ses petites mains et se jette dans les bras de sa pauvre mère. Elle versa des larmes de joie ; elle le pressa longtemps sur son coeur ; se jeta sur les deux genoux en le serrant étroitement sur son sein ; et quand elle se releva, après une fervente action de grâces à la Mère-de-Bon-Secours, les hideuses créatures qui lui avaient causé tant de mal n'étaient plus là ! Celle histoire, me dit-on, était le complément de tous les récits sur les Cornicanets. Je remerciai bien toute la famille ; je serrai au départ la main du bonhomme Nan ; j'embrassai affectueusement Jeffic et Tinaïc, laissant pour souvenir une petite glace fermante à l'aînée, et un étui en paille de couleur à la plus jeune. - Une petite glace, un étui bariolé, c'est un trésor pour de pauvres enfans du village de Luzuën !
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BARZHAZ-BREIZ Th. Hersart de la Villemarqué 4è édition - 1846
AR BUGEL LAEC'HIET (Ies Kerne)
Mari goant a zo keuziet ; He Laoik ker e deuz kollet ; Gand ar Gorrigan ema eet. - Pa'z iz da vid dour d'ar stive Va Laoik leziz er c'havel ; Pa zeuiz d'ar ger a oa pell ; Al loen-man enn he lec'h laket, He vek ken du hag eunn tousek, A graf, a beg, heb ger e-bet ; Ha bron bepret 'ma kas kaouet, Hag enn he zeiz vloaz e ma eet C'hoaz ne ma ket c'hoaz dizonet. - Gwerc'hez Vari, war ho tron erc'h, Gand ho kredur tre ho tiou-vrec'h, E levenez 'm oc'h, me enn nec'h. Ho mabik sakr c'hui a virez, Me ma hini me a gollez. Truez ouz-in mamm a druez ! - Ma merc'h, ma mer'h, na nerc'het ket ; Ho Laoik ne 'd eo ket kollet, Ho Laoik ker a vo kavet. « Neb ra van virv e gloren vi Evid dek gonideg eunn ti, A lak ar c'horrig da bregi. « Pa'n deuz prezeget flemm-han, flemm ! Pa eo bet flemmet ken, a glemm ; Pa eo klevet, he lammer lemm. » - Petra rit-hu aze, va mamm ? Lavare ar c'horr gand estlamm, Petra rit-hu aze, va mamm ? - Petra rann ama va mab-mi ? Birvi a rann er blusken-vi, 'Vit ann dek gonidek va zi. - 'Vit dek, mamm ger, enn eur blusken ! Gweliz vi ken gwelet iar wenn, Gweliz mez ken gwelet gwezen. Gweliz mez ha gweliz gwial, Gweliz derven e koat Brezal, Biskoaz na weliz kemend all. - Re draou a welaz-te, va map ; Da flap ! da flip ! da flip ! da flap ! Da flip, potr koz ! ha ! me da grap ! - Sko ket gant-han, lez-han gan-i ; Na rann-me droug da da hini, 'Ma brenn er bro-ni gan-e-omp-ni. - Mari d'ar ger pa zistroez, He bugel kousket a welez Enn he gavel, ha sioul ez. Hag out-han ker kaer pa zelle Ha da voket d'ean pa ee, He zaoulagad a zigore. Enn he gavazez 'n em zave, He ziouvrec'hik d'ei astenne : - Gwall-bell onn bet kousket, mamm-me ! - |
André J. Croguennec - Page créée le 20/4/2013, mise à jour le 7/9/2013. | |