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Le pont de Pont-Christ

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 "Le vieux pont de Pont-Christ sur l'Elorn n'est pas un ouvrage important puisqu'il ne comporte que deux arches en plein cintre, de 4 m d'ouverture, séparées par une pile à becs circulaires. Construit au XVIIIè siècle ou au début du XIXè siècle 1, il a le mérite de s'intégrer parfaitement à son pittoresque environnement, que les ruines de la chapelle voisine teintent au crépuscule d'une touche de romantisme un peu fantomatique", ainsi le décrit Marcel Prade dans son livre "Les ponts monuments historiques".

Son type de construction est un pont en arc, le matériau de construction est de la pierre pour les arcs, la pile et les culées. Les dimensions du tablier sont les suivantes : longueur des travées 2 x 4,00 m et largeur de la poutre 3,28 m. Voir dessin ci-contre.

1 En fait, le pont dans son état actuel, présenté sur le plan et la photo de cette page, date de 1861. En effet, les travaux du chemin de fer de la ligne de Rennes-Brest, avec les charrois qu'ils ont induits, avaient tellement dégradé le pont qu'il fut nécessaire de le reconstruire. En ce qui concerne la description des ponts antérieurs, voir plus bas l'histoire du pont.

La pile centrale est protégée par un avant-bec et un arrière-bec circulaires, éperons destinés à améliorer l'écoulement de l'eau et à écarter les corps flottants susceptibles d'endommager la pile. Par rapport à la fausse voute, cette technique permettait une augmentation considérable de la portée tout en étant plus robuste. Mais son exécution était parfois périlleuse : les piles devaient être assez solides pour ne pas s'écarter et s'effondrer sous la poussée de l'arche. (source http://qrbrest.fr/fr/lieu/pont-christ-42).

Ce pont est classé "Monument Historique" depuis le 10/5/1925, comme constituant un des éléments essentiels d'un site protégé (cf Marcel Prade). Des travaux ont été menés en 1986, par la municipalité rochoise, pour la consolidation du pont dont une pile menaçait de s'effondrer (Le Télégramme du 12/8/90). Cet ouvrage est parfois qualifié de "pont gothique".

Le tablier en léger dos d'âne est doté de deux parapets maçonnés qui rétrécissent la voie de circulation au droit du franchissement du fleuve. Il donne le passage à un très ancien chemin qui, partant de Kerilien, en Plouneventer, traverse l'Elorn à Pont-Christ donc, remonte vivement sur le plateau pour atteindre La Martyre, continue vers Le Trehou, St-Eloi et, au-delà, vers Quimerc'h et l'embouchure de l'Aulne. Cette piste, qui a encore par endroits 12 m de largeur ne semble pas correspondre au réseau romain et pourrait dater de l'époque gauloise.

pont de Pont-Christ
(source Marcel Prade - Les ponts monuments historiques vue amont, ph. DDE)

Histoire du pont

L'histoire invraisemblable mais véritable du "pont du diable"

Sommaire

1 - Préambule
2 - Résumé           <== pour les lecteurs pressés
3 - Le pont au début du 19è siècle
4 - La dégradation de 1821
5 - Le pont après la réparation de 1822  <== pour les autres lecteurs
6 - La succession de malheurs à partir de 1831
7 - Le pont après la reconstruction
8 - Les événements de 1861
9 - Le pont après la dernière reconstruction
10 - La légende

1 - Préambule :


Ancien chasse-roues du pont de Pont-Christ, placé maintenant au moulin de Brezal, en bas de la terrasse, près de la route D712.

Mon histoire commence au 19è siècle, car je n'ai pas d'informations antérieures. Certains auteurs ont cité la construction du "pont neuf" de Pont-Christ en 1730, construction pour laquelle les Etats de Bretagne auraient accordé 10.000 livres.

Il s'agit, notamment, d'une brochure sur La Roche-Maurice qui dit : "Village de paysans "journaliers" et "occupés d'industrie" travaillant à façon le lin et le chanvre pour des "fabriquants" qui revendaient les toiles à des négociants, Pont Christ est pauvre. Est-ce pour cela que les états de Bretagne accordent 10.000 livres pour la construction du pont ? Des vérifications s'imposent, concernant ce document".

J'ai fait ces vérifications depuis très longtemps, voir le paragraphe qui suit. Le texte précédent ne s'applique pas au pont de Pont-Christ à La Roche mais à celui de Pont-Christ en Plounevez-Lochrist !

Après quelques recherches aux archives départementales d'Ille-et-Vilaine, je peux affirmer que ces informations proviennent des documents cotés C.4769 : ils ne concernent pas le pont de Pont-Christ Brezal, mais celui de Pont-Christ entre Plounévez-Lochrist et Plouescat. Voici un petit extrait des documents retrouvés :
"1732 - Pont-Christ, évêché de Léon - La somme de dix mil livres que les etats ont ordonnés pour la réfection du pont christ n'étant pas suffisante pour une pareille entreprise on suplie Monsieur Le maréchal D'Estrées d'ordonner que les paroisses voisines de ce pont fourniront les corvées pour ayder et accelerer cette partie d'ouvrage dont elles sont les premieres a retirer le proffit tant pour fournir des journaliers que des charois de pierre, gravois sable chaux, etc. Les paroisses sont d'un côté Plougoulm, Sibiril, Cleder et Plouescat, et de l'autre coté Plouneves, Trefflés, Goulven, Plouyder et Plouneour-treas".

De plus, on trouvera en ligne sur le site des ADIV et sous la même cote, le plan du pont projeté : C 4769 (3) Projet de construction du pont de Pont-Christ près de Plouescat, sur la route de Saint-Pol-de-Léon à Lesneven.
 

L'Elorn, à Pont-Christ, délimite les communes de La Roche-Maurice et de Plouneventer. Il a donc fallu rechercher les archives de ces deux communes. Par ailleurs, La Roche et Plouneventer dépendent respectivement de l'arrondissement de Brest et de celui de Morlaix, l'investigation s'est donc poursuivie dans les archives des sous-préfectures de Brest et de Morlaix, sans oublier celles de la préfecture de Quimper, car à cette époque rien ne se faisait par les conseils municipaux qui n'ait été avalisé par les administrations supérieures. Il ne fallait pas non plus oublier les archives des communes avoisinantes, dont les habitants utilisaient le pont, et auxquelles il fut demandé des contributions pécuniaires ou en nature (voir sources des informations en annexe).

2 - Résumé pour les lecteurs pressés :

3 - Le pont au début du 19è siècle :

A cette époque, le pont était constitué de 4 arches : une arche en pierre et 3 arches en bois, avec la répartition suivante : du côté de Pont-Christ, une première arche en bois, puis une arche en pierre au milieu de la rivière, une arche en bois et une troisième arche en bois du côté de Plouneventer. Il y avait donc plus d'arches qu'aujourd'hui, car leur élévation était moins importante : leur nombre essayait de compenser leur manque de hauteur lors des crues de l'Elorn, qu'on sait capricieuse, et également lors du grossissement du flux provenant du déversoir droit de l'étang et du canal de fuite du moulin de Brezal.

4 - La dégradation de 1821 :

5 - Le pont après la réparation de 1822 :

plan cadastral du pont de Pont-ChristVoici un plan du pont après la réparation précédente, il est extrait du plan cadastral du 01/11/1828, réalisé par Ponsard, géomètre (source cadastre de Plouneventer - ADQ 3 P 205/1). On constate, comme le confirment les archives relatives aux événements qui vont suivre, que

Les usagers du pont par localités sont les suivants :

6 - La succession de malheurs à partir de 1831 :

7 - Le pont après la reconstruction :

Le pont a donc été construit par le sieur Darras, sur des plans de l'ingénieur Frimot, mais qui n'ont pas été complètement respectés.

Il comporte deux arches de 5 m de portée, si les plans de Frimot ont été respectés sur ce point, car il indiquait "les 4 arches anciennes seront remplacées par deux de cinq mètres d'ouverture". La largeur utile du tablier est de 4 m.

8 - Les événements de 1861 :

L'année 1861 (ou peut-être la fin de l'année 1860) voit le début du chantier de construction du chemin de fer à Pont-Christ. En effet, dès le 28 juillet 1860, les études du chemin de fer de Rennes à Brest dans le Département du Finistère sont à peu près achevées. Les projets définitifs, sauf celui de Plouégat-Moysan, ont été approuvés ou sont soumis à l'approbation de l'Administration Supérieure.

Déjà, l'atelier de La Roche a été attribué au sieur Grand'homme par adjudication du 16 mars 1860. Les expropriations nécessaires dans la commune ont été notifiées dans un jugement rendu par le Tribunal civil de Brest, le 7 mars 1860.

L'ingénieur en Chef, N. Planchat, a pour objectif de réaliser l'ensemble des ateliers en deux ans, 1861 et 1862, sous réserve de trouver simultanément, pour l'ensemble des ateliers, les ouvriers nécessaires, surtout les maçons, les tailleurs de pierre risquent de manquer. Les ouvriers et les spécialistes seront nombreux. L'ingénieur en dénombrera plus de 6.000 sur les 82 km qui séparent l'entrée dans le Finistère de la gare de Brest, dont 900 hommes mobilisés pour le seul viaduc de Morlaix. Il comptera aussi 486 chevaux. La réalisation de ces gigantesques travaux de terrassement mettra en oeuvre les moyens les plus modernes pour l'époque : pelles, pioches, tombereaux tirés par des chevaux ou des boeufs !

Le conseil municipal de Plouneventer fera une réclamation au préfet contre les dégradations faites sur les chemins vicinaux de la commune par suite des charrois extraordinaires nécessités par la construction du chemin de fer. Et ceci, sur les six chemins vicinaux alternativement exploités par les charretiers du sieur Grandhomme, entrepreneur de l'atelier de La Roche-Maurice. Il émet donc le voeu qu'il plaise à M. le Préfet de faire apprécier par les agents de la vicinalité les chiffres des dommages causés et des travaux de réparation que la commune s'est trouvée dans la plus stricte nécessité de faire pendant l'hiver dernier pour ne pas intercepter les communications et d'en rendre responsable envers la commune qui de droit (conseil du 10/5/1961).

A Pont-Christ, ces travaux ne seront pas négligeables : il y a la tranchée du Frout à creuser et, à sa suite vers Brest, le long remblai à constituer. On vit donc un important apport de personnes et de matériel, dont les tombereaux pour travailler sur place ou pour y apporter les blocs de granite nécessaires à bâtir le pont du Frout (granit de Plouneour-Menez) et la maisonnette du passage à niveau 289 (kersanton).

Ce qui devait arriver, arriva ! Dès la mi-février 1861, les charrois divers occasionnés par la construction du chemin de fer, dans le cadre de l'atelier dirigé par l'entrepreneur Grand'homme, détériorent gravement le pont.

9 - Le pont après la dernière reconstruction :

Il a été bâti par l'entrepreneur Grand'homme. Ses caractéristiques sont celles indiquées sur le plan au début de cette page : 2 arches de 4,00 m et largeur utile du tablier 3,28 m. C'est ce pont que l'on qualifie de "gothique", qualificatif qui laissait présager une ancienneté plus lointaine.

 

Le 15 mars 1862, avant de reprendre la construction de la partie endommagée, l'agent-voyer d'arrondissement avait proposé de substituer aux deux arches une seule ouverture en arc de cercle : cette modification au projet primitif aurait entraîné une augmentation de l'épaisseur des culées, augmentation qui aurait pu être prise au dépend de l'ouverture pour n'avoir pas à reprendre derrière les culées, mais impliquait aussi un achat de matériaux neufs, moelons de choix pour la construction de la voûte. Il craignait que, malgré les enrochements qui devaient être exécutés en amont de la pile, la violence du courant, si grande en cet endroit de la rivière, ne produise dans un temps donné de nouveaux affaissements, car ces enrochements auraient d'un autre côté pour effet, en diminuant la section d'écoulement, d'accroître la vitesse du flux.

Visiblement cette proposition n'a pas été suivie d'effet.

 

En 1986 : des travaux ont été menés, par la municipalité rochoise, pour la consolidation du pont dont une pile menaçait de s'effondrer

Le pont et le moulin vers 1950 - source "Archives et patrimoines de Landerneau"
Le pont avec ses chasses-roues bien visibles.

10 - La légende :

Paul Sebillot  raconte une histoire de pont du diable qu'il attribue à Pont-Christ. En voici un résumé :

Paul Sébillot : 1843 - 1918, né à Matignon, Côtes d'Armor, le 6 février 1843, écrivain, peintre, ethnographe et traditionniste, ainsi que poète et auteur dramatique. Le livre duquel est extrait le paragraphe ci-après a pour titre Les travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays : les routes, les ponts, les chemins de fer, les digues, les canaux, l'hydraulique, les ports, les phares, les mines et les mineurs. Paul Sébillot (ed. J. Rothschild, 1894 - 623 pages) - page 150.
Quoique les événements que nous venons de raconter soient relativement récents, le livre a bien été écrit postérieurement à ceux-ci. Il n'est pas surprenant que ces épisodes, aussi gênants pour la vie locale et qui se sont éternisés sur près d'un demi-siècle si l'on prend en compte les 3 dégradations successives, aient créé la légende et soient parvenus à notre écrivain. X

diable"Avant de construire le pont du Pont-Christ, en Plounéventer, il avait fallu promettre au Diable de lui livrer le premier être qui y aurait passé. Le pont achevé, on n'y avait fait passer qu'un chat : ce qui avait tellement mystifié Satan, qu'il avait juré, sur le pont même, qu'il l'aurait détruit sans cesse, et que de plus, à ses côtés, il aurait formé deux trous, dont l'un aurait été pour les marquis et l'autre pour les papes. Il détruisait la nuit ce qui avait été édifié le jour ; enfin, de guerre lasse, il a donné la paix à la digue, qui remplace aujourd'hui le vieux pont".

Avant de rassembler la documentation ci-dessus sur le pont, je me disais : "C'est encore certainement une légende qu'on impute volontiers à beaucoup de ponts. Cela me rappelle l'attribution fantaisiste de la chanson 'La petite église' à beaucoup de villages situés près d'une rivière. Et, puis, ce conte 'diabolique' est d'autant plus étonnant qu'il concerne un pont dont le nom évoque le Christ, et non le Diable".

De plus, comme le pense Mikael Madeg (Légendes du pays de Landivisiau, Em. Keredol), je m'étais dit qu'il ne s'agissait pas du pont sur l'Elorn, mais du pont sur le ruisseau de Brezal, entre Plouneventer et Saint-Servais, puisque ce pont a été remplacé par une digue : celle qui retient actuellement l'étang de Brezal ?

 

Mais non, il s'agit bien du pont de Pont-Christ sur l'Elorn. Après avoir lu, ci-dessus, l'histoire de ce pont, histoire somme toute assez mouvementée en 40 ans, de 1822 à 1862, on n'est pas surpris d'apprendre que ces événements aient suscité la création d'une "légende" qui correspond exactement à ce qui s'est passé :

Le pont avait-il eu à souffrir des colères "diaboliques" avant le 19è siècle ? On note, en 1755, le baptême à Pont-Christ d'un "naigre" né à Pondichéry, il avait 7 ans. Il avait, sans doute, été amené au château de Brezal par Alexandre Marie Joseph Barbier de Lescoet, chevalier de l'ordre de Malte, et qui fut son parrain. Il lui donna le nom d'Alexandre Marie Jean NEPOMUSAINE. On sait que Saint Jean Népomucène est le protecteur des ponts. Coïncidence ? ... ou bien, était-ce une façon d'attirer les bonnes grâces du saint et sa protection sur le pont de Pont-Christ ?


Plus on lit, plus on fait des découvertes, voici la dernière faite le 6/1/2014 dans La vie des saints de la Bretagne-Armorique par Albert Le Grand - édition de 1837 avec des notes de M. Daniel-Louis MIORCEC de KERDANET, de Lesneven, avocat et docteur en droit.

On trouve dans le chapitre EGLISES ET CHAPELLES DE N.D. EN L'EVESCHE DE LEON le texte suivant, relatif à Plounevez-Lochrist, près de Plouescat :
"Dans la paroisse de Guicnevez... A l'une des extrémitez de ceste paroisse, est la chappelle de Nostre Dame du Pont-Christ (1), près du passage de mer qui est fort dangereux ; priez Dieu & sa bonne mère qu'il ne vous arrive ny peur, ny douleur (2); ...
(1) Dates et inscriptions répandues autour de cette chapelle : . . . K.
(2) Veut-on savoir pourquoi ce pont était si dangereux ? c'est qu'avant de le construire, il avait fallu promettre au diable de lui livrer le premier être qui y aurait passé. Le diable avait compté sur quelque bon chrétien ; mais, le pont fait, on n'y avait fait passer qu'un chat : ce qui avait tellement mystifié satan, qu'il avait juré, sur le pont même, qu'il aurait détruit sans cesse, et que, de plus, à ses côtés, il aurait formé deux gouffres, dont l'un aurait été pour les marquis et l'autre pour les pages (toul ar marquis, toul al laquez). Effectivement, depuis, le pont n'a jamais pu se conserver ; satan détruisait la nuit ce qu'on y avait édifié le jour ; il n'y laissait que des dangers ; mais enfin, de guerre lasse, il a donné la paix à la digue qui remplace aujourd'hui le vieux pont. K. "

 

Le texte de Miorcec de Kerdanet concerne le pont de Pont-Christ au Kernic, entre Plounevez-Lochrist et Plouescat. Comme il date de 1837, cela veut dire que Sébillot l'a copié, à quelques mots près, a changé son affectation pour l'attribuer à Pont-Christ Brezal en Plouneventer. Mais cela change-t-il quelque chose ? Sans doute, les avanies de notre pont étaient-elles parvenues jusqu'à lui et beaucoup devaient penser que ce pont méritait bien de se voir attribuer la légende.

Sources principales des informations

ADB = Archives Départementales du Finistère à Brest
ADQ = Archives Départementales du Finistère à Quimper
ADIV = Archives départementales d'Ille-et-Vilaine


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 A. Croguennec le 01/02/2012, màj le 6/1/2014

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