blason de Brezal

Construction du chemin de fer à Pont-Christ

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Sujets en lien avec ce chapitre:
- les trains
- le travail des cheminots
- le passage à niveau de Pont-Christ.
- les autres passages près de Pont-Christ.

A - Chronologie

1855  Il faut attendre 1855 pour que les modalités de réalisation du chemin de fer accédant en Bretagne soient enfin définies. Etapes
précédentes
1857Cette année-là le train arrive à Rennes. Cette ligne s'est construite par étapes : Paris-Chartres en 1849, Paris-Le Mans en 1854, prolongé jusqu'à Laval en 1855, puis Rennes en 1857.
1857Choix du tracé de Rennes à Brest.
En 1857, il était prévu que le tracé à partir de Rennes passe par Moncontour et Napoléonville (Pontivy). Les travaux étaient entamés, mais très vite stoppés par les villes du littoral. On modifie plusieurs fois les plans, et finalement : Saint Brieuc, Guingamp et Morlaix figurent sur le trajet Rennes-Brest.
1859Le tracé de la ligne sur la commune de La Roche est déjà bien élaboré.
Le 21/10/1859, l'ingénieur en chef Planchat liste les 7 passages (ponts et passages à niveau) projetés pour rétablir les communications, ainsi que les chemins latéraux à créer pour se raccorder à ces passages (1 à Pont-Christ et 6 à La Roche). En outre, il prévoit 13 ponceaux et aqueducs pour l'écoulement des eaux. Et, comme "l'Elorn est coupée plusieurs fois par le chemin de fer, pour éviter la construction de ponts, on a projeté, écrit-il, les rectifications nécessaires qui seront exécutées sur le territoire des communes de Bodilis, de Plouneventer et de St-Servais." (ADQ 5 S 29)




Phase
d'études
1859Enquête à La Roche.
Le 27 octobre, le préfet du Finistère demande au maire de La Roche, Yves Coloigner, de lancer une "Enquête administrative de commodo et incommodo au sujet du chemin de fer". Une douzaine de personnes viennent déposer leurs remarques et revendications (cf Prises en compte des revendications).
1860Achèvement des études.
Le 28/7/1860, "les études du chemin de fer dans le département du Finistère, sont à peu près achevées".
Dans son rapport, Planchat précise le tracé et résume quelques aspects : les courbes et déclivités, les ouvrages d'art exceptionnels, les tranchées et les remblais, les stations, le lancement prochain des enquêtes, l'acquisition des terrains, les dépenses et la durée d'exécution des travaux. En théorie, pris isolément, tous les grands ateliers pourraient être terminés en 2 ans, mais exécutés simultanément ils posent le problème de trouver suffisamment d'ouvriers, notamment des maçons et des tailleurs de pierres.
1860Début de l'atelier de La Roche par l'entrepreneur Grand'homme  , qui avait obtenu l'adjudication de cet atelier le 16/3/1860 (voir le tableau des ateliers plus bas). Ce tableau nous permet de dire que l'atelier de La Roche (10.253 m.) s'étendait de La Roche à Landivisiau. Même si l'on ne prévoit qu'une seule voie ferrée au départ, la plateforme est constituée pour accueillir deux voies à l'avenir. Et ceci pour tous les ateliers, bien sûr.
Devant la difficulté de réaliser les chantiers de déviation de l'Elorn en régie, une partie de ce travail finalement confié également au sieur Grand'homme. L'Elorn est déviée en 9 points entre Landivisiau et La Roche.
Pierre GRAND'HOMME. Marié le 2 juillet 1810, Sautty (Pas-de-Calais), avec Augustine TRUFFIER, dont
  • Charles François GRAND'HOMME, né le 27 septembre 1827, Rue St-Denis 20, Paris, décédé le 30 mars 1882, Argenton-sur-Creuse, Indre (à 54 ans), agent des Ponts-et-Chaussées en 1849, entrepreneur de travaux publics, chevalier de la Légion d'Honneur, maire d'Argenton de 1869 à 1880 et conseiller général du département de l'Indre.
    Marié le 15 février 1849, Argenton-sur-Creuse, Indre, avec Marie LAVERGNE, née le 15 décembre 1822, Argenton-sur-Creuse, Indre, décédée le 9 juillet 1892, Argenton-sur-Creuse, Indre (à 69 ans).

En 1861, au moment des travaux du chemin de fer, Charles Grand'homme est recensé à Landerneau, quai St-Thomas avec son épouse Marie Lavergne, et un autre entrepreneur, Raymond Marandon, qui est dit "pensionnaire". La mère de Marie Lavergne s'appelle Marandon.X
1861Fin octobre, le sieur Grand'homme commence la reconstruction du pont de Pont-Christ qui avait été détruit par ses charrois.
1862Le 30/6/1862, un schéma du profil en long montre l'avancement des travaux pour l'atelier de La Roche-Maurice (10.253 m.) : pour les sections Kerfaven et du Frout, la plateforme est terminée, quelques élargissements sont à faire à Pont-Christ.Création
de la
plateforme
1863Le 24/4/1863, les chemins latéraux sont terminés et prêts à être remis à la commune de La Roche.
1863Fin de l'atelier de La Roche.
Le 9/7/1863, un rapport de l'ingénieur en chef Planchat fait le point d'avancement sur l'ensemble des chantiers du Finistère :
Les derniers kilomètres de l'atelier de Pleyber-Christ et les 4 ateliers de St-Thegonnec, Landivisiau, La Roche-Maurice et Landerneau sont complètement règlés. Les ouvrages ordinaires et les 42 maisons de garde sont finis. Il restent à terminer les viaducs de Morlaix et de Kerhuon. "La compagnie des chemins de fer de l'Ouest exécute la pose de la voie et des stations entre Rennes et Guingamp, elle compte être en mesure d'ouvrir cette section le 1er octobre prochain".
1863Le prolongement jusqu'à Guingamp est terminé en 1863. La Compagnie de l'Ouest peut intervenir sur la section de Guingamp à Brest.






Pose des voies
1863Début de la pose de la première voie par la Compagnie de l'Ouest.
1865Achèvement de la pose de la première voie. Inauguration et circulation du premier train de Paris à Brest le 25 avril 1865.
1893En 1893, dix-sept sénateurs bretons, dont François-Louis Soubigou de Plouneventer, signent une lettre réclamant le passage à deux voies. L'approbation ministérielle ne viendra que le 3 juillet 1897.
1897Deuxième voie. Le chantier de préparation de la plateforme et de constitution du ballast avait été confié, comme pour la création de la ligne, à des entrepreneurs privés. Sur la distance de Rennes à Kerhuon (il existait déjà une double voie de Brest à Kerhuon), 6 lots avaient été définis. Le 6ème lot de Pleyber-Christ à Kerhuon était de la responsabilité de Auguste Magistry  , entrepreneur de Travaux Publics à Landerneau. Dès la fin décembre 1897, celui-ci avait ouvert une carrière près de La Roche-Plate : "à environ 2 km de la station de La Roche et à 600 mètres de la ligne. Cette carrière, qui sera exploitée à ciel ouvert, se compose de bancs de rochers de quartz d'une hauteur moyenne d'environ 6 mètres", écrit-il au maire de la commune.
François MAGISTRY, entrepreneur. Marié avec Marie DEMONTEAU, dont
  • Auguste MAGISTRY, né le 14 octobre 1864, Reterre, Villecherine (Creuse), décédé le 6 juin 1934, Paris (à 69 ans), ingénieur civil, entrepreneur T.P.
    Marié le 10 décembre 1893, Saint-Prest (Eure-et-Loir), avec Noëlie BURGUES, née vers 1874, dont
    • Marie-Madeleine Marcelle MAGISTRY, née le 21 décembre 1894, Chartres (Eure-et-Loir).
    • Charles "Roger" Raoul MAGISTRY, né le 2 octobre 1896, Saint-Prest (Eure-et-Loir).
    • Gérard MAGISTRY, né le 3 août 1903, Saint-Prest (Eure-et-Loir).

Auguste Magistry est recensé, en 1901, à Landerneau, Rue de la Fontaine Blanche, 36 ans, chef de ménage, entr. de Travaux Publics, avec sa femme et ses deux premiers enfants.X
1898Début de la pose de la deuxième voie par la Compagnie de l'Ouest.
1899Achèvement de la pose de la deuxième voie qui est opérationnelle le 01/07/1899. Modification des horaires des trains en conséquence.

B - Enregistrement des revendications

Enquête au sujet du chemin de fer, novembre 1859 (ADB 592 E DEPOT 37) - Revendications enregistrées par le maire de La Roche, Yves Coloigner du Quilloc.
  1. M. Huyot, frères, [de la minoterie de La Roche-Blanche], a fait les observations suivantes :
       Nous demandons qu'au piquet 448 il soit établi un aqueduc pour l'écoulement à la rivière des eaux qui viennent du village de K/feunteun après avoir arrosé des prairies, à moins qu'elles ne trouvent un écoulement dans une douve qui longerait le chemin de fer. dans ce dernier cas, elles ne pourraient être utilisées pour l'arrosement des terres comprises entre le chemin de fer et la rivière et donnerait lieu à une indemnité.
    Le passage à niveau projeté près le piquet 441 nous présente de grands inconvénients. D'abord il détruit la communication directe dont nous jouissons pour notre allée ; il augmente le chemin à parcourir pour le transport des engrais, des récoltes et des bestiaux pour se rendre aux paturages ; il prend une plus grande surface de terrain, à cause des chemins latéraux que l'on est obligé de ménager, de même que pour la maison du garde et son jardin. Il renferme le gardien et sa [fa]mille au milieu de notre propriété. Le chemin latéral avec une pente de 0 m 07 par mètre sera d'un parcours difficile surtout dans les tournants.
    Enfin les bestiaux, les voitures et les hommes n'auront pas la liberté de passer à toute heure. Toutes ces considérations réunies, nous engagent à solliciter avec instance un passage par dessus le chemin de fer dans notre allée. Nous sommes convaincus d'ailleurs qu'il coûterait moins cher que le passage à niveau projeté et, au besoin, nous nous engagerions à faire le remblai de la levée d'aval, car en amont il y aura très peu, à cause de la pente naturelle du terrain.
    Nous pensons que les rectifications projetées à l'Elorn, aux n° 113 et 115 du cadastre nécessiteront un mur de soutènement pour maintenir les terres contre les dégradations des grandes eaux de la rivière, surtout au n° 115 où il ne restera plus qu'une simple chaussée entre la rivière et le canal de dérivation du moulin. Nous osons nous flatter que l'administration prendra en sérieuse considération les justes observations que nous lui soumettons ; en le faisant elle diminuera les inconvénients du passage du chemin de fer par notre propriété.
       La Roche, le 31 8bre 1859 / signé au registre Huyot frères.
    Nous avons omis de parler de la fontaine qui se trouve peu éloignée du bâtiment qui existe dans la parcelle 147 du cadastre, parce qu'elle ne semble pas atteinte par le tracé du chemin de fer. S'il en était autrement, nous demanderions qu'elle soit amenée par un conduit hors du chemin de fer. Cette fontaine, par suite de l'enlèvement de celle qui existe dans les parcelles 141, 140, va se trouver la seule à 3 kilomètres de distance / signé au registre Huyot frères.
  2. Monsieur Le Roux Guillaume [de Brezal] a déposé ainsi :
       Je suis propriétaire de deux moulins au village de Frout-bras qui sont exploités par le même fermier. Je demande qu'on pratique une communication entre ces deux usines, ce qui est facile au moyen d'un viaduc qui serait placé entre les n° ou piquets 388 et 389. Je possède aussi au même village une ferme dont les édifices sont couverts de chaumes et qui se trouvent placés à moins de 20 mètres du tracé : le clos à paille et l'aire à battre devant être employés à faire le chemin de fer, mes édifices consacrés à loger des récoltes ne pourront plus être utilisés. Je demande à être indemnisé des frais de déplacement, comme aussi des toits en ardoises sur les locaux qui pourront être conservés.
       La Roche, le premier novembre 1859 / signé au registre Gme Le Roux.
  3. Monsieur De Lavillasse [du Pontois] a fait les observations suivantes :
       Les numéros du cadastre 17, 18 et 19 [au Clos-Neuf], mis au nom de Monsieur Thiberge Olivier m'appartiennent. Désirant faire du n° 20 une prairie, je voudrais avoir auprès du piquet 495 un petit aqueduc. Le chemin de fer en passant par le n° 66, me le prenant presque tout, je désire être indemnisé pour la partie qu'il reste sans me la prendre et qui ne sera alors d'aucune utilité. Je fais la même observation pour la partie basse du n° 282.
    Le 2 novembre 1859 / signé au registre Léon De Lavillasse
  4. Monsieur Goavec Michel de Baly-Cloître a dit :
       La parcelle n° 466 portée sur le plan parcellaire au nom de Gillart, à Landerneau, m'appartient. Les parcelles n° 461 et 462 portées sur le plan parcellaire au nom de Pouliquen Jean appartiennent à Mlle Gillart à Landerneau. Comme fermier et fondé de pouvoir de Mlle Gillart, signé : Goavec Michel.
  5. Monsieur Taconnet [du moulin de l'Elorn] a les observations suivantes :
       Nous demandons qu'il soit établi un canal de conduite des eaux d'une fontaine existant dans le bas de la parcelle n° 111 (22 du cadastre) fontaine qui sera recouverte par les remblais du chemin de fer et dont les eaux sont nécessaires aux habitants du moulin d'Elorn.
    Le n° 108 (176) porté au nom de monsieur Taconnet appartient à Monsieur De Lavillasse. Les n° 111, 108, 109, 110, 106, 105, 104, 103 et 102 portés au même nom appartiennent à Mme Vve Lucien Bazin. Les n° 77 et 78 doivent être portés au nom de MM. Taconnet, bazin et Cie / signé au registre : Taconnet Bazin etc
  6. Monsieur Le Hir Jean Marie a fait ces observations :
       Propriétaire d'un des villages du Frout, j'aurais désiré que le viaduc qui se trouve placé au n° 392 ou au piquet 392 pû être mis au n° ou piquet 390 ou entre les piquets 389 et 390, et je déclare que les parcelles n° 483, 482, 491 et 478 du plan cadastral portées en mon nom appartiennent à Monsieur Le Roux Guillaume.
       La Roche, le 3 novembre 1859 / signé : Jean Marie Le Hir.
  7. M. Huyot, frères, qui a fait les observations suivantes :
       Dans les observations que nous avons eu l'honneur de faire ci-dessus le Sieur Huyot Paul a oublié de nous dire qu'il était propriétaire des parcelles 123, 124, 278, 277 et 280 portées au nom de Mlle Creuzel et demande que les parties des parcelles 123 et 124 qui doivent rester entre le chemin de fer et l'autre chemin soient acquises par l'état, étant trop minimes pour être cultivées.
    Les Sieurs Huyot frères demandent qu'il leur soit réservé un chemin de piéton le long de la rivière pour l'exploitation de la portion de prairie des parcelles n° 148 et 149 qui restent entre le chemin de fer et la rivière. S'il y a possibilité d'établir un aqueduc sous le chemin de fer pour continuer d'arroser cette partie de prairie, ils le sollicitent.
    Ils font observer que le ponceau d'un mètre établi près le piquet 433 sera d'une ouverture trop petite dans les grandes pluies, surtout si les eaux qui s'écoulaient par sa prairie doivent se faire par l'aqueduc.
    Nous terminons nos observations, en renouvelant de nouveau avec la plus vive instance qu'il soit fait un passage par dessus le chemin de fer, dans notre allée, au lieu du passage à niveau qui sera presque impraticable avec quatre tournants et des pentes de 7 centimètres par mètre. Nous avons d'ailleurs la conviction qu'on n'aurait pas des pentes aussi fortes en faisant ce passage dans notre allée, et au moins il serait direct en supposant qu'on ait une pente aussi forte.
       La Roche, le 3 9bre 1859 / signé au registre Huyot frères.
  8. Monsieur Le Roux Guillaume a fait la remarque suivante :
       Je remarque que le plan du chemin de fer ne porte qu'un ponceau de 2 mètres sur la parcelle n° 528 du cadastre. Il serait indispensable d'en établir deux, l'un pour les eaux qui découlent du moulin supérieur et l'autre sur le canal qui sert à l'irrigation des prairies. Si ce ponceau n'était pas établi, mes prairies seraient complètement privées d'eau pour l'irrigation. Signé au registre : Gme Le Roux.
  9. Monsieur de Lavillasse, du Pontois, a fait les déclarations suivantes :
       Dans les observations que j'ai eu l'honneur de faire connaître, j'ai oublié de faire une demande à laquelle j'attache une grande importance pour faciliter les charrois fréquents que je suis obligé de faire sur la rive droite de la ligne : c'est de pouvoir obtenir un chemin sous la voie ferrée. De plus, je me crois en droit de demander une rétribution pour les fossés que je serai obligé de faire sur le bord du chemin rural et pour la gêne que va me faire le chemin de fer sur cette propriété que j'exploite moi-même. / signé : Léon de Lavillasse.
    P.S. Le ponceau que j'ai eu l'honneur de vous demander auprès du piquet 495 recevra en hiver une grande quantité d'eau de même que celui situé auprès du piquet 502 et que je n'en crois par l'ouverture qui est de 0 m 60 assez grande / signé au registre L. de Lavillasse
  10. Monsieur Le Recteur de La Roche, pour la fabrique, a exposé ce qui suit :
       Les parcelles 286 et 133 appartiennent à la fabrique de La Roche. Aussi elle a l'honneur de demander à la compagnie du chemin de fer qu'il lui soit fait un ponceau pour l'écoulement des eaux pluviales qui découlent de la montagne et dont elle se sert pour arroser sa prairie, n° 133 ci-dessus désignée.
    La fabrique de Pont-Christ a aussi, au bourg de Pont-Christ, trois maisons, savoir : celles qui portent les n° 141, 142 et 145 du plan cadastral : elles ne sont pas atteintes par la ligne, mais je crois qu'elles sont à moins de 20 mètres du tracé, et si cela était, la fabrique demanderait une indemnité pour cause de changement de toits.
       La Roche, le 7 novembre 1859 / signé au registre pour Le Trésorier, Elie Combot, Recteur de La Roche-Maurice.
  11. Monsieur Miossec Jean-Marie a fait l'observation suivante :
       Je suis fermier au village du Clos-Neuf et j'ai l'honneur de représenter à la compagnie du chemin de fer qu'il y a un cours d'eau près du pont dit Aballéa qui traverse les parcelles n° 86 et 85 pour aboutir au village même d'où on le dirige pour arroser 4 prairies. Cependant, sur le plan, je ne remarque point d'aqueduc pour la continuation de ce cours d'eau, aussi j'en demande un ou une indemnité pour la perte que j'éprouverais, comme fermier, si j'étais privé de cette eau.
       La Roche, le 8 novembre 1859 / signé au registre : Miossec Jean-Marie.
  12. Avant que de terminer, nous nous permettons de faire à l'administration du chemin de fer de Rennes à Brest les observations suivantes :
       D'abord nous demandons à l'administration, et nous la supplions même au besoin, de changer de place au passage à niveau projeté au piquet 472 et de le transmettre au piquet ou un peu avant le piquet 470 a, c'est-à-dire droit au pont de La Roche, parce que déjà le passage du pont de La Roche est assez dangereux et que le passage du chemin de fer au piquet 472 le rendrait impraticable, la nuit surtout, par les tours et détours qu'on serait obligé de faire pour y parvenir.
    Ensuite, nous sommes persuadé que les aqueducs projetés sur la ligne ne sont pas suffisants pour garantir la voie ferrée de toutes les inondations dont se couvre la partie basse de notre commune, lors des grands orages : Il est surtout indispensable d'établir un bon aqueduc à côté du piquet 470 a, ou du piquet 471 auquel on ferait parvenir l'eau par une douve qui contournerait la maison n° 27 du cadastre.
    En général, nous trouvons trop petits les aqueducs qui sont aux piquets 433, 456 et 477 (nous le pensons) sur le Trentel, surtout celui-ci. Si par notre faute il arrivait des accidents nous en serions très fâchés.
       La Roche, le 8 novembre 1859 / Le Maire, Y: Coloigner
N.B. Il est une chose dont Messieurs les Agents chargés de dresser le plan du chemin de fer de Rennes à Brest n'ont pas eu peut-être connaissance et qu'il serait cependant bon qu'ils sachent : C'est que le chemin dit Carront-an-dour prenant au bas-bourg pour aller au Clos-Neuf et contournant le village pour aboutir à la rivière d'Elorn, le long d'une allée, vis-à-vis de Pont-ar-bled, en Plouedern, est l'ancienne route de La Roche à cette dernière commune. Il devient donc nécessaire que le viaduc projeté pour arriver au Clos-Neuf ainsi que le chemin que la compagnie ouvrira pour y arriver de l'ancienne grande route n° 12 soient considérés comme devant servir à l'usage communal et non uniquement à l'usage de la ferme : car si ce chemin était chemin particulier destiné seulement à remplacer le chemin particulier que les propriétaires du moulin d'Elorn ont dans leur garenne, la commune de La Roche perdrait ses droits et dans le chemin ci-dessus dénommé Carront-an-dour et dans l'allée qui va du Clos-Neuf à la rivière, ce qu'il appartient à la commune de conserver, de crainte que la commune de Plouedern ne vienne forcer la main à La Roche pour l'aider à jeter un pont sur l'Elorn, à Pont-ar-bled où aboutit son chemin vicinal, afin d'avoir une communication plus directe avec notre bourg.
   La Roche, ce jour neuf novembre 1859. Le Maire, Y: Coloigner.

 

C - Indemnités et expropriations

1 - Indemnités et expropriations - montants (à complèter)

Chemin de fer - notifications des offres d'indemnités 17/1/1861 (ADB 592 E DEPOT 37)

Nous, Sous-Préfet de l'arrondissement de Brest, Chevalier de la Légion d'Honneur, ... faisons savoir aux propriétaires ou fermiers et autres intéressés désignés plus bas que nous leur offrons les sommes ci-après indiquées soit pour indemnité représentative de la valeur de leurs biens, soit à titre d'indemnité de résiliation de bail ou de privation de jouissance, et au surplus, à titre d'indemnités pour tous les sacrifices que leur impose l'expropriation prononcée par ledit jugement, les invitant à nous déclarer dans la quinzaine leur acceptation ou, s'ils n'acceptent pas les offres qui leur sont faites, à nous indiquer le montant de leurs prétentions, conformément aux prescriptions de l'article 24 de la loi sus-visée, savoir :

  1. au Sieur Le Hideux, Auguste Philibert, propriétaire à Brezal, en La Roche, la somme de cinq mille neuf cent quarante-deux francs trente-sept centimes.
  2. à la fabrique de Pont-Christ, propriétaire, la somme de trois mille deux cent quatre-vingt-trois francs onze centimes.
  3. aux Sieurs Pouliquen, Jean Marie (enfants), propriétaires, demeurant à La Roche, la somme de cinq cent cinquante-deux francs trente-sept centimes.
  4. au Sieur Abgrall, Jacques, propriétaire, à Roc'haouren en Lampaul, la somme de neuf mille neuf cent quatre-vingt-treize francs soixante-douze centimes.
  5. au Sieur Huyot, Paul Isidore, propriétaire, à Brezal en Plouneventer, la somme de huit mille onze francs soixante-quatre centimes.
  6. au Sieur Breis, Marie, propriétaire, à Dinault, commune de La Roche, la somme de deux mille neuf cent trente-quatre francs vingt-deux centimes.
  7. au Sieur Guilhem, propriétaire, à Brest, la somme de six cent trente francs soixante-dix-sept centimes.
  8. aux Demoiselles Creuzel, Elise et Rosalie, propriétaires, à Brest, la somme de trois mille six cent quatre-vingt-huit francs dix-sept centimes.
  9. au Sieur Elleouet, Jean François, propriétaire, à Brest, la somme de cinq cent cinq francs dix centimes.
  10. à la dame veuve Coulm, Joseph, propriétaire, à Traon La Roche, la somme de cent cinq francs soixante-deux centimes.
  11. au Sieur Le Goarant, propriétaire, à Landerneau, la somme de quatre cent trente-huit francs quatre-vingt-trois centimes.

Brest, le 17 janvier 1861. Le Sous-Préfet.


2 - Expropriations - biens (à complèter)
 
PropriétairesLieuBiens
Guillaume Le RouxFerme de Pont-Christ, acquise de Jacques Abgrall de Lampaulparc drapet A665, A666 ; goarem suilladec A669
Famille Goavec de Valy-Cloîtrear fouenn A466
Fabrique de La RocheAu Frout et à Pont-Christ11 parcelles de la fabrique de Pont-Christ
Jeanne Derrien, ve Daougabel, de LanderneauGorrequer3 terrains et une maison A691
Guillaume Le Roux de BrezalLe Frout12 parcelles et une maison et dépendances A488
Francois Coué, négociant de LanderneauFerme de Kerfaven12 parcelles dont foennec ar handi A520 A524 A525
.........

La voie ferrée dans le bourg de Pont-Christ et les maisons qui vont être supprimées.
 

La tranchée prévue au Frout (ADQ 5 S 38)

 

D - Organisation des travaux

Une fois la phase d'études terminée en 1860, il fallait se lancer dans de gros travaux. Ils étaient de deux types très différents :
1° la constitution de la plateforme où allaient reposer les voies ferrées, ainsi que les ouvrages d'art (ponts, aqueducs) indispensables à sa constitution. Sans oublier les éléments annexes : création des chemins latéraux devenus nécessaires du fait de la réduction des passages transversaux, et construction des stations, gares et maisons de garde.
2° la pose de la voie elle-même. Travail très technique et spécifique de la création du chemin de fer.

Les 10 ateliers en Finistère (source ADQ 5 S 37) sont :

La deuxième catégorie de travaux fut donc réservée aux spécialistes, en l'occurrence ici à la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest ; la première fut confié à des entrepreneurs privés.

La phase d'étude avait permis de découper le tracé de la voie dans le Finistère en 10 parties que l'on nomma "ateliers". Chaque atelier fut proposé à la candidature des entrepreneurs privés.

" Le principe des adjudications est simple. L'administration fixe un prix de référence global, calculé avec la connaissance qu'elle s'est donnée des caractéristiques et des difficultés du lot à travers des études exploratoires, complètées si nécessaire par des sondages. Un second montant, dit "à valoir", est simultanément budgété pour couvrir les aléas d'une opération qui va s'étendre sur deux ou trois ans et peut réserver des surprises. Date de dépôt des offres et prix du devis sont publiés par voie d'affiches. Les soumissionnaires se positionnent en proposant un rabais, voire une majoration, applicable sur le prix principal et l'à-valoir. Dans tous les cas, le moins-disant l'emporte.

" Sur les marchés du chemin de fer [par rapport aux chantiers routiers] les postulants sont trois fois moins nombreux. Et ceci s'explique. Pour les voies ferrées, le respect des pentes ou du rayon des courbes, la volumètrie imposante des terres à creuser et déplacer, la nécessité de traverser de part en part des zones de rochers que la route préfère contourner, sont des opérations plus difficiles que l'aménagement des routes impériales, l'élargissement des chemins vicinaux, ou la voierie urbaine. Il faut adapter ses méthodes et ses moyens. Tous ne peuvent ou ne savent pas le faire. Il faut apprendre et il faut oser.

" Ensuite, une fois la question de la caution règlée, il faut s'équiper en matériel, en outils, acquérir des wagons adaptés au chargement et au déchargement des déblais avec les chevaux nécessaires pour les tracter et les rails pour les faire rouler, des baraquements pour loger les hommes, des cantines avec des remises et celliers pour les nourrir, etc." (C. des Cognets)


Les ateliers - Etat dressé le 16/7/1861 (ADQ 5 S 38)
Etat des évaluations de dépenses, des crédits ouverts et des dépenses
faites dans le service de M. l'ingénieur en chef de la 2è section du chemin de fer de Rennes à Brest
Département du Finistère

TravauxAdjudicataires et/ou commentairesLongueurs
en mètres
EstimationsDépenses en
1860 et avant
en 1861Totales
Atelier de Plouégat-MoysanAdjugé le 23/11/1860 en faveur des Srs Prigent et Soubigou, moyennant un rabais de 19 % 4.468,56948.362,4866.383,8966.383,89
Atelier du PonthouAdjugé le 7/9/1860 en faveur du Sr Dar, moyennant un rabais de 8 % Cet atelier comprend le grand viaduc du Ponthou 5.460,641.604.603,64156,00387.562,17387.718,17
Atelier de PlouigneauAdjugé le 20/7/1860 en faveur du Sr Jégou et soumissionné après résiliation du Sr Jégou par les Srs Ponsard et Bournichon, moyennant le même rabais de 10 % Cet atelier comprend le viaduc de Trevidy 11.785,001.509.544,1954.132,65155.125,76209.248,41
Grand viaduc de Morlaix Adjugé le 25/1/1861 en faveur du Sr Perrichon au prix du détail estimatif 284,532.656.000,00130.307,31130.307,31
Station de Morlaix
& abords
Les voies d'accès de la gare de Morlaix ne sont pas encore définitivement approuvées. Le projet sera bientôt soumis à l'administration supérieure. 1.025,00970.000,00
Atelier de Pleyber-ChristAdjugé le 7/9/1860 en faveur des Srs Prigent, Soubigou et Queinnec, moyennant un rabais de 14 % Cet atelier comprend la station de Pleyber-Christ 9.881,00998.742,1080,00148.674,24148.754,24
Maisons de garde (17)Y compris barrières, pavages, puits & abords130.000,00
Atelier de St-ThegonnecAdjugé le 16/3/1860 en faveur des Srs Henry et Chanvelon, moyennant un rabais de 15 % Cet atelier comprend le viaduc de Penzé et la station de St-Thegonnec 6.863,001.582.112,75247.724,69409.806,52657.531,21
Atelier de LandivisiauAdjugé le 13/1/1860 en faveur du Sr Duchâteau, moyennant un rabais de 10 % Cet atelier comprend la station de Landivisiau 9.190,001.361.083,18379.277,26394.213,26773.490,52
Atelier de La Roche-MauriceAdjugé le 16/3/1860 en faveur du Sr Grand'homme, moyennant un rabais de 13 % 10.253,00851.649,96232.313,20293.703,73526.016,93
Atelier de LanderneauAdjugé le 23/11/1860 en faveur des Srs Prigent et Soubigou, moyennant un rabais de 18 % Cet atelier comprend la station de Landerneau et le viaduc de Beuzit 12.447,501.180.114,606.230,00182.590,35188.820,35
Atelier de KerhuonAdjugé le 23/11/1860 en faveur des Srs Escarraguel, Maublanc et Le Souple, moyennant un rabais de 7 %
Cet atelier comprend le grand viaduc de Kerhuon
4.392,171.974.436,874.690,00163.483,72168.173,72
Atelier de BrestL'atelier de Brest va être mis en adjudication jusqu'au point à partir duquel le tracé pourra être modifié par suite de la décision qui interviendra sur l'emplacement de la gare de Brest5.025,801.330.000,00
Maisons de garde (22)Y compris barrières, pavages, puits & abords170.000,00
Station de Plouigneau,
gare de Brest
Le montant de ce projet sera augmenté s'il est décidé que la gare ne doit pas pénétrer dans la 1ère zone des servitudes militaires 634,281.039.800,00
Frais fixes des ingénieurs chargés du personnel des conducteurs
et agents secondaires
370.000,0078.562,4936.350,18114.913,67
Appointements des agents temporaires 90.000,0012.261,3311.699,0023.960,33
Etudes définitives 140.000,00116.874,4813.438,95130.313,43
Indemnités de terrains 3.500.000,00570.423,691.441.188,892.011.672,58
Dépenses diverses et somme à valoir pour cas impévus 39.734,6212.634,2658.368,88
Totaux  81.700,4823.000.000,001.742.520,413.853.152,235.595.672,64

Dressé par l'ingénieur en chef, soussigné. Brest, 16 juillet 1861. hplanchat


= = = = = = Quelques avis d'adjudication dans L'Armoricain = = = = = =

 

E - Modes de travail

" Pour agir, il faut des hommes vigoureux et durs au travail, capables de manier pelles et pioches par tous les temps, de pousser de lourdes brouettes chargées de terre et de moellons sur tous les terrains. Des hommes qui sont en nombre dans les campagnes alentours, habitués à se casser le dos aux travaux de la terre, et qui ne demandent pas mieux que de s'employer pour faire vivre leurs familles. En leur affectant quelques puissants chevaux et de solides tombereaux, l'équipe est vite prête."

" Les ouvriers et les spécialistes sont nombreux. L'ingénieur des Ponts et Chaussées en dénombre plus de 6.000 sur les 82 km qui séparent l'entrée dans le Finistère de la gare de Brest, dont 900 hommes mobilisés pour le seul viaduc de Morlaix. On compte aussi 486 chevaux.

" Les spécialistes sont les tailleurs de pierre, les menuisiers, les charrons, les charretiers, les mineurs, tous ceux dont la performance individuelle est sur le chemin critique du projet, d'autant que, comparativement moins nombreux, leur répartition entre les chantiers doit être optimisée.

 Travaux de terrassement : creusement d'une tranchée. Ici, les brouettes sont tirées sur des plans inclinés pour évacuer les déblais.  Organisation du travail des terrassiers pour le creusement d'une tranchée (comme celle du Frout). On identifie bien ceux qui ont la charge de creuser le sol et ceux qui ont pour mission de remplir les chariots que d'autres iront déverser en un lieu précis, hors de l'ouvrage, pour constituer un remblai (celui de Pont-Christ ou de Kerfaven, par exemple).

C'est le petit nombre. Pour le reste, pour ces terrassiers qui constituent l'essentiel des effectifs, une part du risque est transférée sur les sous-traitants, ces entreprises de tâcherons qui sont le dernier maillon de la chaîne, écrasés par cet accordéon terrible que constituent les rabais en cascade. Main-d'oeuvre taillable et corvéable à merci, cette multitude s'échine six jours par semaine dans des horaires invraisemblables, quand ce n'est pas sept jours sur sept parce qu'il faut combler un retard ou éviter un report de budget. Le dos cassé par l'effort, les hommes sont sur le chantier de cinq heures du matin à sept heures du soir en été, et du point du jour à la nuit de début octobre à fin avril. Seuls les rapides casse-croûtes du petit matin et de l'après-midi, et l'heure ou l'heure et demie accordée pour le repas, rompent un peu ce rythme impossible. Les délais, les nécessités budgétaires, les contraintes techniques d'assainissement des tranchées ou de consolidation des maçonneries mettent tout le monde sous pression. Alors les préfets dérogent aux circulaires des 20 mars 1849 et 10 novembre 1851 qui interdisent le travail du dimanche et des jours fériés sur les chantiers dépendants du ministère des Travaux publics. Ceci est fait dans les Côtes-du-Nord, est fait dans le Finistère, est fait partout. Dans le Finistère, un arrêté préfectoral, daté du 23 mai 1862, "autorise les entrepreneurs de tous les ateliers du chemin de fer à travailler sur leurs chantiers les dimanches et jours fériés" entre Brest et Loc-Eguiner, cette fois-ci pour de simples raisons de délais et de disponibilités budgétaires (ADQ 5 S 37).

" Pour tous ces travaux, il y a peu de d'engins sophistiqués. La terre se creuse à la pioche ou à la pelle. Le rocher est attaqué à la pince ou, pour les plus durs, au burin aciéré avant de passer à la poudre. Le tout est transporté et redéposé plus ou moins loin pour bâtir des remblais qu'il faut ensuite étayer, damer, parer, engazonner. Tout doit être optimisé : pour trois hommes qui piochent, deux hommes qui chargent, de telle sorte que les rouleurs trouvent une brouette chargée au moment où ils reviennent avec celle, vide, qu'ils viennent de pousser à plusieurs dizaines de mètres de là. Les distances de transport, les temps d'exécution sont codifiés dans les cahiers des charges. Jusqu'à 70 ou 80 mètres de distance, c'est la brouette qui est imposée avec des relais tous les 20 ou 30 mètres suivant la déclivité, au-delà on utilise le tombereau, puis passé 400 ou 450 mètres c'est le wagon qui apparaît. Une brouette se charge en 72 secondes. Un rouleur qui a poussé ou tiré sa brouette, pleine ou vide, sur son cheminement de planches, parcourt 30 km en une journée de travail. La même distance que celle que parcourent les chevaux attelés aux tombereaux. Quel que soit le moyen de transport, les bras sont bien lourds en fin de journée, quand on a gagné 2 F ou 2,50 F pour toutes ces heures de peine. Mais personne n'hésite car sur les chantiers classiques il fallait se contenter de 1,10 F à 1,20 F, et dans le monde agricole de moins encore.

" Et les dangers sont grands. Les échafaudages faits de longs et minces fûts de pin assemblés de cordes étroitement serrées manquent d'assises. Les passerelles de transfert ignorent facilement les garde-fous. Le déplacement des wagons de charge se fait par gravité sur les voies de travail en espérant que le serre-frein restera vigilant, debout sur son levier d'arrêt d'urgence. Qui donnerait des instructions pour faire autrement ? L'étude des dispositifs de sécurité ne fait pas de longs paragraphes dans les manuels de formation des ingénieurs ! Considérés comme trop onéreux et ralentissant le travail, tout le monde préfère les ignorer et voir l'accident comme une fatalité quand il n'est pas qualifié d'erreur de la seule victime.

" Et il y a les explosifs. La dynamite n'existe pas encore. Il faudra attendre 1867 pour voir Alfred Nobel déposer son brevet. Ils sont peu stables. Maniés par des artificiers de fortune, ils explosent avec retard ou prématurément. Les fourneaux difficilement creusés avec des barres à mine maniées à plusieurs, mal orientés, trop faiblement parés, projettent facilement au loin leurs projectiles meurtriers. Il faut une journée à deux hommes pour creuser un trou de 2 m de profondeur et de 25 mm de diamètre dans le granit. Le manque d'expérience ne pardonne pas. Et il y a les tirs ! Un des procès-verbaux d'expertise faits pour la seule tranchée de St-Agathon (1) atteste la consommation de 20 tonnes de poudre, 60 km de mèche, 18.000 cartouches. Les morts sont nombreux (2).

Bien sûr, une cotisation de 2 % est imposée par l'Etat aux employeurs pour couvrir les suites d'accidents, dont la cause est bien souvent attribuée à l'interessé lui-même. Mais cette indemnité n'est déclenchée que pour les soutiens de famille, excluant les adolescents et les enfants qui travaillent pourtant durement malgré leur âge. ... Et de toute façon, quel drame quand le père ou le fils disparaît brutalement, ou revient au logis le corps définitivement brisé, devenant une lourde charge pour les autres. " (Charles des Cognets)


(1) Les Juloded de Plouneventer, Soubigou-Prigent-Queinnec, furent retenus pour un lot de 14.357 mètres sur les communes de St-Agathon et de Ploumagoar, depuis la rivière du Leff près de Châtelaudren jusqu'à celle du Trieux avant Guingamp.

(2) Sur la section de Pont-Christ, il y eut sans doute moins de consommation d'explosif, car on sait que pour éviter le creusement de tunnels ou la création de ponts, la solution fut de dévier le cours de l'Elorn, notamment dans les environs de Kerfaven.

Accident à Morlaix

Les travaux du grand viaduc de Morlaix, à peu près suspendus pendant la mauvaise saison, ont repris depuis plusieurs jours leur première activité. Les culées qui doivent recevoir les seconds cintres seront sous peu à la hauteur voulue, et on suppose que vers le mois d'octobre prochain ce monument gigantesque pourra être livré à la compagnie.

Malgré l'expérience approfondie et la constante surveillance des personnes chargées de diriger de semblables travaux, il arrive malheureusement trop souvent, qu'ils coûtent la vie à bien des pères de famille.

Mercredi dernier, au moment où on allait terminer la journée, la manivelle d'une des grues du pont de service s'est rompue sous le fardeau qu'elle soulevait et est venue frapper deux des ouvriers employés à la faire fonctionner ; un journalier, âgé de 27 ans, a été tué sur le coup ; un autre en a été quitte pour une blessure. Les deux bouts de la manivelle ont été trouvés dans des jardins éloignés d'environ 80 mètres du lieu de l'accident.

(L'Armoricain du 16/4/1863)

Accident à La Roche, le 5/7/1861

Le 5 juillet courant, vers une heure de l'après-midi, le nommé Le Bihan, Hervé, âgé de 14 ans, né et demeurant dans la commune de Plouvorn, canton de Landivisiau, a été tué par un éboulement de terre survenu sur les travaux du chemin de fer, dans la commune de La Roche.

Deux autres ouvriers ont été également blessés. Le nommé Balinier, Yves, âgé de 30 ans, né à Morlaix, a reçu une forte contusion à l'épaule droite, et le nommé Picard, Yves, âgé de 18 ans, a été légèrement blessé au pied droit.

(L'Armoricain du 9/7/1861)

Accident à Brest

Un ouvrier terrassier, nommé Vourch, Tanguy, âgé de 25 ans, né à Plouescat, marié et ayant un enfant, était occupé hier, vers 4 heures du soir, aux excavations pour la gare de Brest. Cet homme s'est tué en tombant d'une hauteur de 2,50 m sur une pointe de roc.

Ce malheureux portait des sabots ; en se retournant le pied lui a glissé et il a fait une chute sur les reins. On suppose qu'il s'est fracturé la colonne vertébrale ; la mort a été instantanée.

(L'Armoricain du 18/4/1863)

Quelques détails sur le travail de l'équipe de Sieur Grand'homme dans l'atelier de La Roche-Maurice

Ces informations sont extraites d'audiences de la justice de paix de Landivisiau lors de conflits intervenus entre les constructeurs de la voie et les riverains.

Une carrière au Quinquis en St-Derrien exploitée pour le chemin de fer :

L'affaire du 30/8/1860 oppose Charles Grand'homme à Jean Pierre Nicolas, tuteur des mineurs Caër, du Quinquis en St-Derrien. On y apprend qu'un terrain du Quinquis a été exploité par Grand'homme comme carrière pour le chemin de fer. La distance de celle-ci par rapport au chantier peut surprendre, mais il n'y a pas d'erreur, nous avons vérifié l'existence de la famille Nicolas-Caër en ce lieu.

On y apprend aussi que M. Achille Florêt, conducteur du chemin de fer à Brest, résidait pendant les travaux au moulin de Brezal.

Quelques aspects de la vie sur les chantiers :

Dans l'affaire de novembre 1860, le sieur Bourhis se plaint que les ouvriers de Grand'homme ont piétiné sa prairie au Canardic. On y apprend que :
- à cet endroit, un pont provisoire avait été construit sur l'Elorn : "ce pont parait avoir été démoli depuis peu par suite du détournement de la rivière à cet endroit,
   on y voit encore, dans la rivière, les montants qui le soutenaient" ,
- le chantier faisait aussi appel au forgeron du Canardic,
- pour nourrir les ouvriers, Grand'homme avait installé une cantine près du chantier de l'autre côté de la rivière, une cantinière en était chargée,
- le boucher de Landivisiau y livrait de la viande, d'autres y amenaient de la bière,
- les ouvriers étaient payés le dimanche, le paiement se faisait à la cantine,
- ce jour-là aussi des promeneurs venaient voir l'avancement des travaux.

F - Profil de la voie à Pont-Christ

Profil en long de la voie de Kerfaven à Pont-Christ avec les ouvrages transversaux

Profil en long de la voie de Pont-Christ jusqu'à La Roche-Blanche

 

G - Quelques ouvrages d'art

1 - Le pont de Kerfaven

 

2 - Le ponceau sur la rivière Saint-Jean au Frout

Ponceau sur la rivière St-Jean au Frout - côté amont. Cliché pris pendant le trail de l'Elorn.Côté aval - Photo Gisèle Lesquin

3 - Le pont du Frout au-dessus de la voie

 pierre du pont du Frout

Voici l'ancien pont du Frout au-dessus de la voie ferrée, tel qu'il a été construit en 1861 ou 1862. Comme je n'avais pas de photo, je l'ai reconstitué. Derrière le pont on aperçoit au loin les bois de Brezal (vrais ceux-là). Pour la courbure de la voûte du pont, j'ai utilisé une vidéo qu'Arsène Heliez a faite le jour de sa démolition, il ne restait plus en place que l'arcade et de plus recouverte par une bâche pour éviter les projections. Merci Arsène.

Le pont du Frout enjambe la tranchée où passe la voie ferrée, pour relier l'endroit où se trouvait la ferme du Frout Bihan, aujourd'hui disparue, à la ferme du Frout Bras. Le matériau utilisé est le granite de Plounéour-Ménez, d'une teinte gris bleuté. C'est vrai que ces ponts construits en granite avaient une élégance remarquable, avec une voûte très esthétique. La largueur entre les deux parapets était de 4 mètres.

L'électrification a entraîné la destruction d'un certain nombre de ponts sur la voie, trop surbaissés pour le passage des caténaires, nous privant ainsi, définitivement, de ce magnifique pont du Frout, remplacé par un ouvrage en béton, tout ce qu'il y a de plus carré, sans originalité.

Le vieux pont du Frout fut dynamité le 29 mars 1984. Certaines pierres ont été récupérées et ont servi à délimiter la route qui passe sur la digue de Brezal. Elles ont ainsi permis d'accroître la sécurité de la circulation automobile.

H - Déviations de l'Elorn

Le long de l'Elorn, aux environs de Kerfaven, un gros problème doit être surmonté. La voie doit passer entre le lit de la rivière et une colline de roche dure, un tunnel (ou des ponts ?) serait judicieux mais coûteux. On décide donc de dévier le lit de l'Elorn. La rivière, dont le cours est très sinueux, a été déviée sur neuf points différents. Nous avons réussi à localiser les 9, voir plus bas.

d7
d6
d5
d4
D3
D2
D1

La juxtaposition de la carte IGN actuelle avec les plans du cadastre napoléonien du début du 19è siècle nous permet de situer les endroits où la rivière a été déviée. Il s'agit des plans du nord des communes de Ploudiry et de Loc-Eguiner qui sont délimitées par l'Elorn.

Voici les points que nous avons localisés dans le secteur de Kerfaven et en amont. Certains sont confirmés (lettre majuscule) par des plans détaillés ou des textes retrouvés aux archives. On visualisera ces plans dans le chapitre consacré à l'Elorn.

A ceux-ci s'ajoutent deux autres autres, en aval de Pont-Christ, et donc en dehors du plan, au moulin à papier de Brezal et à la minoterie de La Roche Blanche .

  1. La première déviation a été faite tout près du Canardic, déduction faite de la comparaison de la carte et du plan et confirmée par les minutes de la justice de paix de Landivisiau (Bourhis contre Grand'homme).
  2. La deuxième est faite en aval du "moulin neuf", en aval du Canardic, mais sur la commune de Loc-Eguiner-Ploudiry, car situé sur la rive sud de l'Elorn. Ce point est bien reconnaissable sur les cartes, il s'agit de la courbe de l'Elorn à 200 mètres en aval du moulin (voir plan détaillé ICI). Il était tenu à l'époque par François et Denys Martin, père et fils. Après l'exécution de la déviation les meuniers se plaignent auprès de la préfecture des problèmes de fonctionnement du moulin à la suite de ce détournement de la rivière. On peut lire dans leur lettre du 22/3/1861 : "Pour les besoins de la ligne, il a été fait, à environ deux cents mètres en aval de notre usine, une dérivation de la rivière Elorn. Le lit de cette dérivation est plus élevé que le lit de l'ancienne rivère & il en résulte que les eaux sont refoulées sous les roues de nos moulins, au point de nous forcer à un chômage presque journalier. Pendant les mois d'hiver nous n'avons pas réclamé pensant qu'un pareil effet pouvait être occasionné par l'abondance des eaux. Aujourd'hui, nous sommes convaincus que par les plus petites eaux le même effet se reproduit et se reproduira".
    Les services des Ponts-et-Chaussées sauront leur expliquer avec un schéma et des commentaires très techniques que leur revendication n'est pas justifiée.
  3. Une autre est située en aval du moulin de Penguilly, et en amont de l'ancien pont de l'Ariagon, et donc avant la confluence de la rivière de Kerouallon qui descend de Loc-Eguiner (voir plan détaillé ICI).
  4. On trouve une autre déviation en aval de la rivière de Kerouallon.
  5. Le long de la future carrière de Kerfaven, on s'aperçoit, en regardant la carte IGN, que l'Elorn est très rectiligne à cet endroit. Cette rectitude inhabituelle est visiblemenent le signe d'un détournement de la rivière.
  6. Après la carrière et juste avant la ferme de Kerfaven, on a fait une autre déviation. Pas au niveau de la ferme, car à cet endroit le chemin passera sur des terrains des fermiers.
  7. Entre la route de Ploudiry et la rivière St-Jean. La consultation des plans du cadastre napoléonien de St-Servais et de La Roche (non insérés ici) montre une courbure de l'Elorn bien arrondie à cet endroit et sans rupture jusqu'au-delà de la St-Jean.
  8. Une autre est celle qui fut réalisée au moulin à papier de Brezal (voir plan détaillé ICI).
  9. La dernière est celle de la minoterie de La Roche-Blanche (cf revendication des frères Huyot, plus haut).

Rapport sur des dépenses d'épuisement lors des déviations de l'Elorn en 1860 (5 S 33)
Ponts-et-Chaussées - Chemin de fer de Rennes à Brest (2è section) - Rapport de l'ingénieur ordinaire Maréchal

Les déviations de la rivière d'Elorn exécutées dans le courant de 1860, ont donné lieu à des épuisements, qui, sur un bon nombre de points, ont été faits par l'entrepreneur bien que les travaux d'épuisements ne fassent pas partie de l'entreprise et soient réservés pour être opérés en régie. Aussi n'est-ce qu'à titre de tâcheron que l'entepreneur est intervenu. Nous avons eu recours à cet intermédiaire pour des motifs économiques que nous allons indiquer :

La façon tout à fait irrégulière, dont les eaux de filtration arrivaient en général dans les fouilles, qu'il fallait ouvrir pour préparer le nouveau lit de l'Elorn, ne permettait presque jamais de prévoir exactement le nombre d'hommes qui serait nécessaire chaque jour pour tenir les fouilles à sec. Il résultait de cette incertitude que l'atelier de régie était tantôt trop faible, tantôt trop fort. Il y avait dans l'un et l'autre cas des inconvénients soit au point de vue de la marche des travaux de l'entreprise, soit au pointde vue économique pour l'administration.

Il fallait, pour régulariser le travail d'épuisements, pouvoir ajouter des ouvriers ou en enlever suivant les besoins du moment. L'entrepreneur seul pouvait satisfaire à cette condition. Son chantier de terrassement pouvait lui fournir tous les hommes nécessaires, & occuper ceux qui étaient en trop aux épuisements, quand les filtrations diminuaient. Il était en position d'opérer le plus économiquement possible, et en ayant recours à lui l'administration ne pouvait qu'y gagner. Ce sont ces considérations qui nous ont déterminé à donner les épuisements à la tâche.

Nous connaissions exactement, avec les dépenses faites directement en régie, dès le début des travaux, les sommes qui avaient été employées en moyenne chaque jour et nous avons pu traiter en toute connaissance de cause. Les conditions extrêmement favorables dans lesquelles se trouve l'entrepreneur lui ont permis de faire un rabais notable sur les résultats que nous avions obtenus. Il est chargé de faire à raison de 10,50 fr par jour les épuisements qui revenaient en régie à 15,00 ou 18,00 fr.

Malgré le mode de procéder, qui fut ainsi adopté, la direction des travaux d'épuisement n'en est pas moins restée aux employés de l'adminstration qui déterminaient les instants pendant lesquels il y avait lieu d'épuiser et tenaient attachement de la durée des opérations.

La dépense occasionnée par ces travaux sont portées sur le mémoire ci-joint que nous proposons de soumettre à l'approbation de M. le Préfet.

Brest, le 18 janvier 1861. L'ingénieur ordinaire Marechal.
Vu et adopté : Brest, le 19 janvier 1861, l'ingénieur en chef H. Planchat.

 

I - Sources des informations

ADB = Archives Départementales du Finistère à Brest
ADQ = Archives Départementales du Finistère à Quimper


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 André J. Croguennec - Page créée le 11/2/2018, mise à jour le 4/4/2023.

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