Construction du chemin de fer à Pont-Christ |
1855 | Il faut attendre 1855 pour que les modalités de réalisation du chemin de fer accédant en Bretagne soient enfin définies. | Etapes précédentes |
1857 | Cette année-là le train arrive à Rennes. Cette ligne s'est construite par étapes : Paris-Chartres en 1849, Paris-Le Mans en 1854, prolongé jusqu'à Laval en 1855, puis Rennes en 1857. | |
1857 | Choix du tracé de Rennes à Brest. En 1857, il était prévu que le tracé à partir de Rennes passe par Moncontour et Napoléonville (Pontivy). Les travaux étaient entamés, mais très vite stoppés par les villes du littoral. On modifie plusieurs fois les plans, et finalement : Saint Brieuc, Guingamp et Morlaix figurent sur le trajet Rennes-Brest. | |
1859 | Le tracé de la ligne sur la commune de La Roche est déjà bien élaboré. Le 21/10/1859, l'ingénieur en chef Planchat liste les 7 passages (ponts et passages à niveau) projetés pour rétablir les communications, ainsi que les chemins latéraux à créer pour se raccorder à ces passages (1 à Pont-Christ et 6 à La Roche). En outre, il prévoit 13 ponceaux et aqueducs pour l'écoulement des eaux. Et, comme "l'Elorn est coupée plusieurs fois par le chemin de fer, pour éviter la construction de ponts, on a projeté, écrit-il, les rectifications nécessaires qui seront exécutées sur le territoire des communes de Bodilis, de Plouneventer et de St-Servais." (ADQ 5 S 29) | Phase d'études |
1859 | Enquête à La Roche. Le 27 octobre, le préfet du Finistère demande au maire de La Roche, Yves Coloigner, de lancer une "Enquête administrative de commodo et incommodo au sujet du chemin de fer". Une douzaine de personnes viennent déposer leurs remarques et revendications (cf Prises en compte des revendications). | |
1860 | Achèvement des études. Le 28/7/1860, "les études du chemin de fer dans le département du Finistère, sont à peu près achevées". Dans son rapport, Planchat précise le tracé et résume quelques aspects : les courbes et déclivités, les ouvrages d'art exceptionnels, les tranchées et les remblais, les stations, le lancement prochain des enquêtes, l'acquisition des terrains, les dépenses et la durée d'exécution des travaux. En théorie, pris isolément, tous les grands ateliers pourraient être terminés en 2 ans, mais exécutés simultanément ils posent le problème de trouver suffisamment d'ouvriers, notamment des maçons et des tailleurs de pierres. | |
1860 | Début de l'atelier de La Roche par l'entrepreneur Grand'homme , qui avait obtenu l'adjudication de cet atelier le 16/3/1860 (voir le tableau des ateliers plus bas). Ce tableau nous permet de dire que l'atelier de La Roche (10.253 m.) s'étendait de La Roche à Landivisiau. Même si l'on ne prévoit qu'une seule voie ferrée au départ, la plateforme est constituée pour accueillir deux voies à l'avenir. Et ceci pour tous les ateliers, bien sûr. Devant la difficulté de réaliser les chantiers de déviation de l'Elorn en régie, une partie de ce travail finalement confié également au sieur Grand'homme. L'Elorn est déviée en 9 points entre Landivisiau et La Roche. X Pierre GRAND'HOMME. Marié le 2 juillet 1810, Sautty (Pas-de-Calais), avec Augustine TRUFFIER, dont
En 1861, au moment des travaux du chemin de fer, Charles Grand'homme est recensé à Landerneau, quai St-Thomas avec son épouse Marie Lavergne, et un autre entrepreneur, Raymond Marandon, qui est dit "pensionnaire". La mère de Marie Lavergne s'appelle Marandon. | |
1861 | Fin octobre, le sieur Grand'homme commence la reconstruction du pont de Pont-Christ qui avait été détruit par ses charrois. | |
1862 | Le 30/6/1862, un schéma du profil en long montre l'avancement des travaux pour l'atelier de La Roche-Maurice (10.253 m.) : pour les sections Kerfaven et du Frout, la plateforme est terminée, quelques élargissements sont à faire à Pont-Christ. | Création de la plateforme |
1863 | Le 24/4/1863, les chemins latéraux sont terminés et prêts à être remis à la commune de La Roche. | |
1863 | Fin de l'atelier de La Roche. Le 9/7/1863, un rapport de l'ingénieur en chef Planchat fait le point d'avancement sur l'ensemble des chantiers du Finistère : Les derniers kilomètres de l'atelier de Pleyber-Christ et les 4 ateliers de St-Thegonnec, Landivisiau, La Roche-Maurice et Landerneau sont complètement règlés. Les ouvrages ordinaires et les 42 maisons de garde sont finis. Il restent à terminer les viaducs de Morlaix et de Kerhuon. "La compagnie des chemins de fer de l'Ouest exécute la pose de la voie et des stations entre Rennes et Guingamp, elle compte être en mesure d'ouvrir cette section le 1er octobre prochain". | |
1863 | Le prolongement jusqu'à Guingamp est terminé en 1863. La Compagnie de l'Ouest peut intervenir sur la section de Guingamp à Brest. | Pose des voies |
1863 | Début de la pose de la première voie par la Compagnie de l'Ouest. | |
1865 | Achèvement de la pose de la première voie. Inauguration et circulation du premier train de Paris à Brest le 25 avril 1865. | |
1893 | En 1893, dix-sept sénateurs bretons, dont François-Louis Soubigou de Plouneventer, signent une lettre réclamant le passage à deux voies. L'approbation ministérielle ne viendra que le 3 juillet 1897. | |
1897 | Deuxième voie. Le chantier de préparation de la plateforme et de constitution du ballast avait été confié, comme pour la création de la ligne, à des entrepreneurs privés. Sur la distance de Rennes à Kerhuon (il existait déjà une double voie de Brest à Kerhuon), 6 lots avaient été définis. Le 6ème lot de Pleyber-Christ à Kerhuon était de la responsabilité de Auguste Magistry , entrepreneur de Travaux Publics à Landerneau. Dès la fin décembre 1897, celui-ci avait ouvert une carrière près de La Roche-Plate : "à environ 2 km de la station de La Roche et à 600 mètres de la ligne. Cette carrière, qui sera exploitée à ciel ouvert, se compose de bancs de rochers de quartz d'une hauteur moyenne d'environ 6 mètres", écrit-il au maire de la commune.
XFrançois MAGISTRY, entrepreneur. Marié avec
Marie DEMONTEAU, dont
Auguste Magistry est recensé, en 1901, à Landerneau, Rue de la Fontaine Blanche, 36 ans, chef de ménage, entr. de Travaux Publics, avec sa femme et ses deux premiers enfants. X Lettre d'Auguste Magistry à Albert Le Roux de Brezal le 15 juillet 1899 (Fonds Huon de Penanster ADQ 269 J 3). A cette date la 2è voie venait d'être terminée, le crédit demandé par Magistry avait peut-être pour objet des constructions annexes et complémentaires. Quant à la banque en question, Albert Le Roux l'avait cédée à Messieurs Rolland et Cie le 14/7/1882, mais il pouvait, bien sûr, servir d'intermédiaire. | |
1898 | Début de la pose de la deuxième voie par la Compagnie de l'Ouest. | |
1899 | Achèvement de la pose de la deuxième voie qui est opérationnelle le 01/07/1899. Modification des horaires des trains en conséquence. |
Chemin de fer - notifications des offres d'indemnités 17/1/1861 (ADB 592 E DEPOT 37)
Nous, Sous-Préfet de l'arrondissement de Brest, Chevalier de la Légion d'Honneur, ... faisons savoir aux propriétaires ou fermiers et autres intéressés désignés plus bas que nous leur offrons les sommes ci-après indiquées soit pour indemnité représentative de la valeur de leurs biens, soit à titre d'indemnité de résiliation de bail ou de privation de jouissance, et au surplus, à titre d'indemnités pour tous les sacrifices que leur impose l'expropriation prononcée par ledit jugement, les invitant à nous déclarer dans la quinzaine leur acceptation ou, s'ils n'acceptent pas les offres qui leur sont faites, à nous indiquer le montant de leurs prétentions, conformément aux prescriptions de l'article 24 de la loi sus-visée, savoir :
Brest, le 17 janvier 1861. Le Sous-Préfet.
Propriétaires | Lieu | Biens |
Guillaume Le Roux | Ferme de Pont-Christ, acquise de Jacques Abgrall de Lampaul | parc drapet A665, A666 ; goarem suilladec A669 |
Famille Goavec de Valy-Cloître | ar fouenn A466 | |
Fabrique de La Roche | Au Frout et à Pont-Christ | 11 parcelles de la fabrique de Pont-Christ |
Jeanne Derrien, ve Daougabel, de Landerneau | Gorrequer | 3 terrains et une maison A691 |
Guillaume Le Roux de Brezal | Le Frout | 12 parcelles et une maison et dépendances A488 |
Francois Coué, négociant de Landerneau | Ferme de Kerfaven | 12 parcelles dont foennec ar handi A520 A524 A525 |
... | ... | ... |
La voie ferrée dans le bourg de Pont-Christ et les maisons qui vont être supprimées.
La tranchée prévue au Frout (ADQ 5 S 38)
Une fois la phase d'études terminée en 1860, il fallait se lancer dans de gros travaux. Ils étaient de deux types très différents :
1° la constitution de la plateforme où allaient reposer les voies ferrées, ainsi que les ouvrages d'art (ponts, aqueducs) indispensables à sa constitution. Sans oublier les éléments annexes : création des chemins latéraux devenus nécessaires du fait de la réduction des passages transversaux, et construction des stations, gares et maisons de garde.
2° la pose de la voie elle-même. Travail très technique et spécifique de la création du chemin de fer.
La deuxième catégorie de travaux fut donc réservée aux spécialistes, en l'occurrence ici à la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest ; la première fut confié à des entrepreneurs privés.
La phase d'étude avait permis de découper le tracé de la voie dans le Finistère en 10 parties que l'on nomma "ateliers". Chaque atelier fut proposé à la candidature des entrepreneurs privés.
" Le principe des adjudications est simple. L'administration fixe un prix de référence global, calculé avec la connaissance qu'elle s'est donnée des caractéristiques et des difficultés du lot à travers des études exploratoires, complètées si nécessaire par des sondages. Un second montant, dit "à valoir", est simultanément budgété pour couvrir les aléas d'une opération qui va s'étendre sur deux ou trois ans et peut réserver des surprises. Date de dépôt des offres et prix du devis sont publiés par voie d'affiches. Les soumissionnaires se positionnent en proposant un rabais, voire une majoration, applicable sur le prix principal et l'à-valoir. Dans tous les cas, le moins-disant l'emporte.
" Sur les marchés du chemin de fer [par rapport aux chantiers routiers] les postulants sont trois fois moins nombreux. Et ceci s'explique. Pour les voies ferrées, le respect des pentes ou du rayon des courbes, la volumètrie imposante des terres à creuser et déplacer, la nécessité de traverser de part en part des zones de rochers que la route préfère contourner, sont des opérations plus difficiles que l'aménagement des routes impériales, l'élargissement des chemins vicinaux, ou la voierie urbaine. Il faut adapter ses méthodes et ses moyens. Tous ne peuvent ou ne savent pas le faire. Il faut apprendre et il faut oser.
" Ensuite, une fois la question de la caution règlée, il faut s'équiper en matériel, en outils, acquérir des wagons adaptés au chargement et au déchargement des déblais avec les chevaux nécessaires pour les tracter et les rails pour les faire rouler, des baraquements pour loger les hommes, des cantines avec des remises et celliers pour les nourrir, etc." (C. des Cognets)
Les ateliers - Etat dressé le 16/7/1861 (ADQ 5 S 38)
Etat des évaluations de dépenses, des crédits ouverts et des dépenses
faites dans le service de M. l'ingénieur en chef de la 2è section du chemin de fer de Rennes à Brest
Département du Finistère
Travaux | Adjudicataires et/ou commentaires | Longueurs en mètres | Estimations | Dépenses en 1860 et avant | en 1861 | Totales |
Atelier de Plouégat-Moysan | Adjugé le 23/11/1860 en faveur des Srs Prigent et Soubigou, moyennant un rabais de 19 % | 4.468,56 | 948.362,48 | 66.383,89 | 66.383,89 | |
Atelier du Ponthou | Adjugé le 7/9/1860 en faveur du Sr Dar, moyennant un rabais de 8 % Cet atelier comprend le grand viaduc du Ponthou | 5.460,64 | 1.604.603,64 | 156,00 | 387.562,17 | 387.718,17 |
Atelier de Plouigneau | Adjugé le 20/7/1860 en faveur du Sr Jégou et soumissionné après résiliation du Sr Jégou par les Srs Ponsard et Bournichon, moyennant le même rabais de 10 % Cet atelier comprend le viaduc de Trevidy | 11.785,00 | 1.509.544,19 | 54.132,65 | 155.125,76 | 209.248,41 |
Grand viaduc de Morlaix | Adjugé le 25/1/1861 en faveur du Sr Perrichon au prix du détail estimatif | 284,53 | 2.656.000,00 | 130.307,31 | 130.307,31 | |
Station de Morlaix & abords | Les voies d'accès de la gare de Morlaix ne sont pas encore définitivement approuvées. Le projet sera bientôt soumis à l'administration supérieure. | 1.025,00 | 970.000,00 | |||
Atelier de Pleyber-Christ | Adjugé le 7/9/1860 en faveur des Srs Prigent, Soubigou et Queinnec, moyennant un rabais de 14 % Cet atelier comprend la station de Pleyber-Christ | 9.881,00 | 998.742,10 | 80,00 | 148.674,24 | 148.754,24 |
Maisons de garde (17) | Y compris barrières, pavages, puits & abords | 130.000,00 | ||||
Atelier de St-Thegonnec | Adjugé le 16/3/1860 en faveur des Srs Henry et Chanvelon, moyennant un rabais de 15 % Cet atelier comprend le viaduc de Penzé et la station de St-Thegonnec | 6.863,00 | 1.582.112,75 | 247.724,69 | 409.806,52 | 657.531,21 |
Atelier de Landivisiau | Adjugé le 13/1/1860 en faveur du Sr Duchâteau, moyennant un rabais de 10 % Cet atelier comprend la station de Landivisiau | 9.190,00 | 1.361.083,18 | 379.277,26 | 394.213,26 | 773.490,52 |
Atelier de La Roche-Maurice | Adjugé le 16/3/1860 en faveur du Sr Grand'homme, moyennant un rabais de 13 % | 10.253,00 | 851.649,96 | 232.313,20 | 293.703,73 | 526.016,93 |
Atelier de Landerneau | Adjugé le 23/11/1860 en faveur des Srs Prigent et Soubigou, moyennant un rabais de 18 % Cet atelier comprend la station de Landerneau et le viaduc de Beuzit | 12.447,50 | 1.180.114,60 | 6.230,00 | 182.590,35 | 188.820,35 |
Atelier de Kerhuon | Adjugé le 23/11/1860 en faveur des Srs Escarraguel, Maublanc et Le Souple, moyennant un rabais de 7 % Cet atelier comprend le grand viaduc de Kerhuon |
4.392,17 | 1.974.436,87 | 4.690,00 | 163.483,72 | 168.173,72 |
Atelier de Brest | L'atelier de Brest va être mis en adjudication jusqu'au point à partir duquel le tracé pourra être modifié par suite de la décision qui interviendra sur l'emplacement de la gare de Brest | 5.025,80 | 1.330.000,00 | |||
Maisons de garde (22) | Y compris barrières, pavages, puits & abords | 170.000,00 | ||||
Station de Plouigneau, gare de Brest | Le montant de ce projet sera augmenté s'il est décidé que la gare ne doit pas pénétrer dans la 1ère zone des servitudes militaires | 634,28 | 1.039.800,00 | |||
Frais fixes des ingénieurs chargés du personnel des conducteurs et agents secondaires | 370.000,00 | 78.562,49 | 36.350,18 | 114.913,67 | ||
Appointements des agents temporaires | 90.000,00 | 12.261,33 | 11.699,00 | 23.960,33 | ||
Etudes définitives | 140.000,00 | 116.874,48 | 13.438,95 | 130.313,43 | ||
Indemnités de terrains | 3.500.000,00 | 570.423,69 | 1.441.188,89 | 2.011.672,58 | ||
Dépenses diverses et somme à valoir pour cas impévus | 39.734,62 | 12.634,26 | 58.368,88 | |||
Totaux | 81.700,48 | 23.000.000,00 | 1.742.520,41 | 3.853.152,23 | 5.595.672,64 |
Dressé par l'ingénieur en chef, soussigné. Brest, 16 juillet 1861. hplanchat
= = = = = = Quelques avis d'adjudication dans L'Armoricain = = = = = =
" Pour agir, il faut des hommes vigoureux et durs au travail, capables de manier pelles et pioches par tous les temps, de pousser de lourdes brouettes chargées de terre et de moellons sur tous les terrains. Des hommes qui sont en nombre dans les campagnes alentours, habitués à se casser le dos aux travaux de la terre, et qui ne demandent pas mieux que de s'employer pour faire vivre leurs familles. En leur affectant quelques puissants chevaux et de solides tombereaux, l'équipe est vite prête."
" Les ouvriers et les spécialistes sont nombreux. L'ingénieur des Ponts et Chaussées en dénombre plus de 6.000 sur les 82 km qui séparent l'entrée dans le Finistère de la gare de Brest, dont 900 hommes mobilisés pour le seul viaduc de Morlaix. On compte aussi 486 chevaux.
" Les spécialistes sont les tailleurs de pierre, les menuisiers, les charrons, les charretiers, les mineurs, tous ceux dont la performance individuelle est sur le chemin critique du projet, d'autant que, comparativement moins nombreux, leur répartition entre les chantiers doit être optimisée.
C'est le petit nombre. Pour le reste, pour ces terrassiers qui constituent l'essentiel des effectifs, une part du risque est transférée sur les sous-traitants, ces entreprises de tâcherons qui sont le dernier maillon de la chaîne, écrasés par cet accordéon terrible que constituent les rabais en cascade. Main-d'oeuvre taillable et corvéable à merci, cette multitude s'échine six jours par semaine dans des horaires invraisemblables, quand ce n'est pas sept jours sur sept parce qu'il faut combler un retard ou éviter un report de budget. Le dos cassé par l'effort, les hommes sont sur le chantier de cinq heures du matin à sept heures du soir en été, et du point du jour à la nuit de début octobre à fin avril. Seuls les rapides casse-croûtes du petit matin et de l'après-midi, et l'heure ou l'heure et demie accordée pour le repas, rompent un peu ce rythme impossible. Les délais, les nécessités budgétaires, les contraintes techniques d'assainissement des tranchées ou de consolidation des maçonneries mettent tout le monde sous pression. Alors les préfets dérogent aux circulaires des 20 mars 1849 et 10 novembre 1851 qui interdisent le travail du dimanche et des jours fériés sur les chantiers dépendants du ministère des Travaux publics. Ceci est fait dans les Côtes-du-Nord, est fait dans le Finistère, est fait partout. Dans le Finistère, un arrêté préfectoral, daté du 23 mai 1862, "autorise les entrepreneurs de tous les ateliers du chemin de fer à travailler sur leurs chantiers les dimanches et jours fériés" entre Brest et Loc-Eguiner, cette fois-ci pour de simples raisons de délais et de disponibilités budgétaires (ADQ 5 S 37).
" Pour tous ces travaux, il y a peu de d'engins sophistiqués. La terre se creuse à la pioche ou à la pelle. Le rocher est attaqué à la pince ou, pour les plus durs, au burin aciéré avant de passer à la poudre. Le tout est transporté et redéposé plus ou moins loin pour bâtir des remblais qu'il faut ensuite étayer, damer, parer, engazonner. Tout doit être optimisé : pour trois hommes qui piochent, deux hommes qui chargent, de telle sorte que les rouleurs trouvent une brouette chargée au moment où ils reviennent avec celle, vide, qu'ils viennent de pousser à plusieurs dizaines de mètres de là. Les distances de transport, les temps d'exécution sont codifiés dans les cahiers des charges. Jusqu'à 70 ou 80 mètres de distance, c'est la brouette qui est imposée avec des relais tous les 20 ou 30 mètres suivant la déclivité, au-delà on utilise le tombereau, puis passé 400 ou 450 mètres c'est le wagon qui apparaît. Une brouette se charge en 72 secondes. Un rouleur qui a poussé ou tiré sa brouette, pleine ou vide, sur son cheminement de planches, parcourt 30 km en une journée de travail. La même distance que celle que parcourent les chevaux attelés aux tombereaux. Quel que soit le moyen de transport, les bras sont bien lourds en fin de journée, quand on a gagné 2 F ou 2,50 F pour toutes ces heures de peine. Mais personne n'hésite car sur les chantiers classiques il fallait se contenter de 1,10 F à 1,20 F, et dans le monde agricole de moins encore.
" Et les dangers sont grands. Les échafaudages faits de longs et minces fûts de pin assemblés de cordes étroitement serrées manquent d'assises. Les passerelles de transfert ignorent facilement les garde-fous. Le déplacement des wagons de charge se fait par gravité sur les voies de travail en espérant que le serre-frein restera vigilant, debout sur son levier d'arrêt d'urgence. Qui donnerait des instructions pour faire autrement ? L'étude des dispositifs de sécurité ne fait pas de longs paragraphes dans les manuels de formation des ingénieurs ! Considérés comme trop onéreux et ralentissant le travail, tout le monde préfère les ignorer et voir l'accident comme une fatalité quand il n'est pas qualifié d'erreur de la seule victime.
" Et il y a les explosifs. La dynamite n'existe pas encore. Il faudra attendre 1867 pour voir Alfred Nobel déposer son brevet. Ils sont peu stables. Maniés par des artificiers de fortune, ils explosent avec retard ou prématurément. Les fourneaux difficilement creusés avec des barres à mine maniées à plusieurs, mal orientés, trop faiblement parés, projettent facilement au loin leurs projectiles meurtriers. Il faut une journée à deux hommes pour creuser un trou de 2 m de profondeur et de 25 mm de diamètre dans le granit. Le manque d'expérience ne pardonne pas. Et il y a les tirs ! Un des procès-verbaux d'expertise faits pour la seule tranchée de St-Agathon (1) atteste la consommation de 20 tonnes de poudre, 60 km de mèche, 18.000 cartouches. Les morts sont nombreux (2).
Bien sûr, une cotisation de 2 % est imposée par l'Etat aux employeurs pour couvrir les suites d'accidents, dont la cause est bien souvent attribuée à l'interessé lui-même. Mais cette indemnité n'est déclenchée que pour les soutiens de famille, excluant les adolescents et les enfants qui travaillent pourtant durement malgré leur âge. ... Et de toute façon, quel drame quand le père ou le fils disparaît brutalement, ou revient au logis le corps définitivement brisé, devenant une lourde charge pour les autres. " (Charles des Cognets)
(1) Les Juloded de Plouneventer, Soubigou-Prigent-Queinnec, furent retenus pour un lot de 14.357 mètres sur les communes de St-Agathon et de Ploumagoar, depuis la rivière du Leff près de Châtelaudren jusqu'à celle du Trieux avant Guingamp.
(2) Sur la section de Pont-Christ, il y eut sans doute moins de consommation d'explosif, car on sait que pour éviter le creusement de tunnels ou la création de ponts, la solution fut de dévier le cours de l'Elorn, notamment dans les environs de Kerfaven.
Accident à Morlaix
Les travaux du grand viaduc de Morlaix, à peu près suspendus pendant la mauvaise saison, ont repris depuis plusieurs jours leur première activité. Les culées qui doivent recevoir les seconds cintres seront sous peu à la hauteur voulue, et on suppose que vers le mois d'octobre prochain ce monument gigantesque pourra être livré à la compagnie.
Malgré l'expérience approfondie et la constante surveillance des personnes chargées de diriger de semblables travaux, il arrive malheureusement trop souvent, qu'ils coûtent la vie à bien des pères de famille.
Mercredi dernier, au moment où on allait terminer la journée, la manivelle d'une des grues du pont de service s'est rompue sous le fardeau qu'elle soulevait et est venue frapper deux des ouvriers employés à la faire fonctionner ; un journalier, âgé de 27 ans, a été tué sur le coup ; un autre en a été quitte pour une blessure. Les deux bouts de la manivelle ont été trouvés dans des jardins éloignés d'environ 80 mètres du lieu de l'accident.
(L'Armoricain du 16/4/1863)
Accident à La Roche, le 5/7/1861
Le 5 juillet courant, vers une heure de l'après-midi, le nommé Le Bihan, Hervé, âgé de 14 ans, né et demeurant dans la commune de Plouvorn, canton de Landivisiau, a été tué par un éboulement de terre survenu sur les travaux du chemin de fer, dans la commune de La Roche.
Deux autres ouvriers ont été également blessés. Le nommé Balinier, Yves, âgé de 30 ans, né à Morlaix, a reçu une forte contusion à l'épaule droite, et le nommé Picard, Yves, âgé de 18 ans, a été légèrement blessé au pied droit.
(L'Armoricain du 9/7/1861)
Accident à Brest
Un ouvrier terrassier, nommé Vourch, Tanguy, âgé de 25 ans, né à Plouescat, marié et ayant un enfant, était occupé hier, vers 4 heures du soir, aux excavations pour la gare de Brest. Cet homme s'est tué en tombant d'une hauteur de 2,50 m sur une pointe de roc.
Ce malheureux portait des sabots ; en se retournant le pied lui a glissé et il a fait une chute sur les reins. On suppose qu'il s'est fracturé la colonne vertébrale ; la mort a été instantanée.
(L'Armoricain du 18/4/1863)
Quelques détails sur le travail de l'équipe de Sieur Grand'homme dans l'atelier de La Roche-Maurice
Ces informations sont extraites d'audiences de la justice de paix de Landivisiau lors de conflits intervenus entre les constructeurs de la voie et les riverains.
Une carrière au Quinquis en St-Derrien exploitée pour le chemin de fer :
L'affaire du 30/8/1860 oppose Charles Grand'homme à Jean Pierre Nicolas, tuteur des mineurs Caër, du Quinquis en St-Derrien. On y apprend qu'un terrain du Quinquis a été exploité par Grand'homme comme carrière pour le chemin de fer. La distance de celle-ci par rapport au chantier peut surprendre, mais il n'y a pas d'erreur, nous avons vérifié l'existence de la famille Nicolas-Caër en ce lieu.
On y apprend aussi que M. Achille Florêt, conducteur du chemin de fer à Brest, résidait pendant les travaux au moulin de Brezal.
Quelques aspects de la vie sur les chantiers :
Dans l'affaire de novembre 1860, le sieur Bourhis se plaint que les ouvriers de Grand'homme ont piétiné sa prairie au Canardic. On y apprend que :
- à cet endroit, un pont provisoire avait été construit sur l'Elorn : "ce pont parait avoir été démoli depuis peu par suite du détournement de la rivière à cet endroit,
on y voit encore, dans la rivière, les montants qui le soutenaient" ,
- le chantier faisait aussi appel au forgeron du Canardic,
- pour nourrir les ouvriers, Grand'homme avait installé une cantine près du chantier de l'autre côté de la rivière, une cantinière en était chargée,
- le boucher de Landivisiau y livrait de la viande, d'autres y amenaient de la bière,
- les ouvriers étaient payés le dimanche, le paiement se faisait à la cantine,
- ce jour-là aussi des promeneurs venaient voir l'avancement des travaux.
Profil en long de la voie de Kerfaven à Pont-Christ avec les ouvrages transversaux
Profil en long de la voie de Pont-Christ jusqu'à La Roche-Blanche
Ponceau sur la rivière St-Jean au Frout - côté amont. Cliché pris pendant le trail de l'Elorn. | Côté aval - Photo Gisèle Lesquin |
Voici l'ancien pont du Frout au-dessus de la voie ferrée, tel qu'il a été construit en 1861 ou 1862. Comme je n'avais pas de photo, je l'ai reconstitué. Derrière le pont on aperçoit au loin les bois de Brezal (vrais ceux-là). Pour la courbure de la voûte du pont, j'ai utilisé une vidéo qu'Arsène Heliez a faite le jour de sa démolition, il ne restait plus en place que l'arcade et de plus recouverte par une bâche pour éviter les projections. Merci Arsène.
Le pont du Frout enjambe la tranchée où passe la voie ferrée, pour relier l'endroit où se trouvait la ferme du Frout Bihan, aujourd'hui disparue, à la ferme du Frout Bras. Le matériau utilisé est le granite de Plounéour-Ménez, d'une teinte gris bleuté. C'est vrai que ces ponts construits en granite avaient une élégance remarquable, avec une voûte très esthétique. La largueur entre les deux parapets était de 4 mètres.
L'électrification a entraîné la destruction d'un certain nombre de ponts sur la voie, trop surbaissés pour le passage des caténaires, nous privant ainsi, définitivement, de ce magnifique pont du Frout, remplacé par un ouvrage en béton, tout ce qu'il y a de plus carré, sans originalité.
Le vieux pont du Frout fut dynamité le 29 mars 1984. Certaines pierres ont été récupérées et ont servi à délimiter la route qui passe sur la digue de Brezal. Elles ont ainsi permis d'accroître la sécurité de la circulation automobile.
Le long de l'Elorn, aux environs de Kerfaven, un gros problème doit être surmonté. La voie doit passer entre le lit de la rivière et une colline de roche dure, un tunnel (ou des ponts ?) serait judicieux mais coûteux. On décide donc de dévier le lit de l'Elorn. La rivière, dont le cours est très sinueux, a été déviée sur neuf points différents. Nous avons réussi à localiser les 9, voir plus bas.
La juxtaposition de la carte IGN actuelle avec les plans du cadastre napoléonien du début du 19è siècle nous permet de situer les endroits où la rivière a été déviée. Il s'agit des plans du nord des communes de Ploudiry et de Loc-Eguiner qui sont délimitées par l'Elorn.
Voici les points que nous avons localisés dans le secteur de Kerfaven et en amont. Certains sont confirmés (lettre majuscule) par des plans détaillés ou des textes retrouvés aux archives. On visualisera ces plans dans le chapitre consacré à l'Elorn.
A ceux-ci s'ajoutent deux autres autres, en aval de Pont-Christ, et donc en dehors du plan, au moulin à papier de Brezal et à la minoterie de La Roche Blanche .
Rapport sur des dépenses d'épuisement lors des déviations de l'Elorn en 1860 (5 S 33)
Ponts-et-Chaussées - Chemin de fer de Rennes à Brest (2è section) - Rapport de l'ingénieur ordinaire Maréchal
Les déviations de la rivière d'Elorn exécutées dans le courant de 1860, ont donné lieu à des épuisements, qui, sur un bon nombre de points, ont été faits par l'entrepreneur bien que les travaux d'épuisements ne fassent pas partie de l'entreprise et soient réservés pour être opérés en régie. Aussi n'est-ce qu'à titre de tâcheron que l'entepreneur est intervenu. Nous avons eu recours à cet intermédiaire pour des motifs économiques que nous allons indiquer :
La façon tout à fait irrégulière, dont les eaux de filtration arrivaient en général dans les fouilles, qu'il fallait ouvrir pour préparer le nouveau lit de l'Elorn, ne permettait presque jamais de prévoir exactement le nombre d'hommes qui serait nécessaire chaque jour pour tenir les fouilles à sec. Il résultait de cette incertitude que l'atelier de régie était tantôt trop faible, tantôt trop fort. Il y avait dans l'un et l'autre cas des inconvénients soit au point de vue de la marche des travaux de l'entreprise, soit au pointde vue économique pour l'administration.
Il fallait, pour régulariser le travail d'épuisements, pouvoir ajouter des ouvriers ou en enlever suivant les besoins du moment. L'entrepreneur seul pouvait satisfaire à cette condition. Son chantier de terrassement pouvait lui fournir tous les hommes nécessaires, & occuper ceux qui étaient en trop aux épuisements, quand les filtrations diminuaient. Il était en position d'opérer le plus économiquement possible, et en ayant recours à lui l'administration ne pouvait qu'y gagner. Ce sont ces considérations qui nous ont déterminé à donner les épuisements à la tâche.
Nous connaissions exactement, avec les dépenses faites directement en régie, dès le début des travaux, les sommes qui avaient été employées en moyenne chaque jour et nous avons pu traiter en toute connaissance de cause. Les conditions extrêmement favorables dans lesquelles se trouve l'entrepreneur lui ont permis de faire un rabais notable sur les résultats que nous avions obtenus. Il est chargé de faire à raison de 10,50 fr par jour les épuisements qui revenaient en régie à 15,00 ou 18,00 fr.
Malgré le mode de procéder, qui fut ainsi adopté, la direction des travaux d'épuisement n'en est pas moins restée aux employés de l'adminstration qui déterminaient les instants pendant lesquels il y avait lieu d'épuiser et tenaient attachement de la durée des opérations.
La dépense occasionnée par ces travaux sont portées sur le mémoire ci-joint que nous proposons de soumettre à l'approbation de M. le Préfet.
Brest, le 18 janvier 1861. L'ingénieur ordinaire Marechal.
Vu et adopté : Brest, le 19 janvier 1861, l'ingénieur en chef H. Planchat.
André J. Croguennec - Page créée le 11/2/2018, mise à jour le 7/8/2024. | |