Pont-Christ du Kernic |
Il ne faut pas confondre Pont-Christ Brezal et Pont-Christ du Kernic. Certains historiens l'ont fait quelquefois , aussi le plus sûr moyen d'attribuer les faits historiques, de manière exacte, à l'un et à l'autre est de les étudier précisément tous les deux. De plus, le deuxième, comme le premier d'ailleurs, est tout à fait charmant, une bonne raison de plus.
Pont-Christ du Kernic se trouve, sur la droite du plan qui suit, en partie sur la commune de Plouescat et en partie sur la commune de Plounevez-Lochrist. La limite entre les deux communes est la rivière Kerallé. C'est le pont sur celle-ci ainsi que la chapelle et le calvaire, ceux-ci sur Plounevez, qui ont donné le nom au site.
Anse du Kernic - Pont-Christ à droite de la carte, avec l'indication du calvaire.
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Baie de Goulven - carte de Cassini - les lieux à la fin du 18è siècle.
Cette 2è carte couvre une étendue plus importante que la 1ère, qui va seulement de Canfrout jusqu'à l'ouest du bourg de Plouescat.
Les photos montrent les lieux en octobre 2016.
Chapelle probablement de l'ordre du temple ou de l'hôpital, fondée par la famille de Carman peut-être au 12è siècle.
La chapelle, mentionnée dès 1387, où le pape Clément VII aurait accordé des indulgences pour sa restauration.
En 1614, Jan Bouricquen mentionne les armes des Kerman sur le pignon du clocher et dans la maîtresse-vitre, ainsi que les armes des Kérouzéré et des Le Blonsart.
Elle est à nouveau signalée en 1647 par le père Le Pennec, et portait les armes de François Le Bihan, seigneur de Kerellon et d'Isabelle de Canaber, mariés en 1657.
Canaber : "D'argent au greslier lié en sautoir de sable, accompagné de trois merlettes de même"
Le Bihan de Kerellon : "D'hermines à une quinte feuille de gueulles".
Le blason est aujourd'hui incrusté dans le mur
qui relie la chapelle à la maison à droite.
"La chaplle est restaurée en 1680 ; détruite par la mer en 1731 et reconstruite ; nouvelle démolition en 1793. Granite ; moellon." (source OPR).
La chapelle était à demi-ruinée en 1832, quand Mayer en fit un dessin que nous présentons dans les textes qui suivent. Cela est confirmé par le cadastre de 1837 : la chapelle est qualifiée de "masure", elle est coloriée en jaune, seul le pignon occidental, le mur méridional de la nef et une partie du bras sud du transept sont figurés en traits pleins.
Plus tard, en 1852, "il ne subsistait qu'une partie du mur sud de la nef, les autres pierres avaient été utilisées pour la construction d'une maison de religieuses, au bourg, et le portail occidental de la chapelle servait d'entrée à la cour du presbytère." (source OPR). D'autres pierres encore ont servi à la construction des bâtiments de fermes proches, notamment la pierre portant le nom de Dom Yves Cadour - dans le pignon sud de la grange appuyée sur le mur de l'ancienne chapelle - et celle portant la mention : "M. Yves Cadour P. 1695" - dans l'escalier extérieur de l'auberge de Kersabiec.
En 1985, la chapelle Notre-Dame de Pont-Christ était en ruine totale. Il ne restait plus que quelques pierres. C'est pour cette raison qu'elle n'apparaît pas sur la carte détaillée de l'IGN. Dans le mur, une niche, aménagée à l'emplacement d'une ancienne porte, abritait une Vierge à l'Enfant en plâtre.
Mais, plus récemment, M. Gabriel Ballu de Plouescat se mit à reconstruire la chapelle. L'a-t-il fait en respectant sa forme d'origine ? Visiblement non, si l'on regarde le plan du cadastre napoléonien plus bas. L'édifice que l'on voit ici sur la photo est donc différent de l'ancien bâtiment. Notons déjà que la porte qui était autrefois sur son pignon occidental se trouve aujourd'hui au nord-nord-est et comparons ces quelques photos avec le dessin de Mayer.
Sur l'arrière de la chapelle, un bloc de pierre porte une inscription... DOM. Y. CADOVR, P.
Autrefois il y avait d'autres inscriptions nous affirme Miorcec de Kerdanet, dans des notes qu'il a ajoutées à la Vie des Saints d'Albert Le Grand :
- sur l'autel : Jan Branellec. Chs. Poder fabriqve ;
- sur une petite porte au midi : Par Monsieur Cadouvr. 1605 ;
- sur une porte au couchant : Dom. Y. Cadovr P..
La chapelle de Pont-Christ, ajoute-il, qu'on assure avoir été jadis un prieuré, possédait 66 livres 10 sols de revenu. Elle était dédiée à "Nostre Dame du Pont-Christ, près du passage de mer qui était fort dangereux ; priez Dieu & sa bonne mère qu'il ne vous arrive ny peur, ny douleur", lit-on dans la vie des Saints.
"Veut-on savoir pourquoi ce pont était si dangereux ? C'est qu'avant de le construire, il avait fallu promettre au diable de lui livrer le premir être qui y aurait passé. Le diable avait compté sur quelque bon chrétien ; mais, le pont fait, on n'y avait fait passer qu'un chat : ce qui avait tellement mystifié Satan, qu'il avait juré, sur le pont même, qu'il aurait détruit sans cesse, et que, de plus, à ces côtés, il aurait formé deux gouffres, dont l'un aurait été pour les marquis et l'autre pour les pages (toul ar marquis, toul al laquez). Effectivement, depuis, le pont n'a jamais pu se conserver ; Satan détruisait la nuit ce qu'on y avait édifié le jour ; il n'y laissait que des dangers ; mais enfin, de guerre lasse, il a donné la paix à la digue qui remplace aujourd'hui le vieux pont" (note de Miorcec de Kerdanet).
Dessin de Mayer - La chapelle en ruines - 1832
En 1832, Auguste Étienne François Mayer, le célèbre artiste-peintre brestois (1805-1890), a réalisé un dessin de la chapelle en ruines.
Un siècle plus tard, Louis Le Guennec a inséré ce dessin dans son livre "Le Finistère monumental, tome II : Brest et sa région", avec le sous-titre : "Chapelle près Pont-Christ, dessin d'après Mayer, 1832". Il est fort probable qu'il s'agisse de l'ancienne chapelle de Brezal, disait-il.
En fait, il s'agit bien de celle de Pont-Christ en Plounevez-Lochrist. Voici pourquoi :
Nous avons vu, plus haut, que la porte d'entrée de la cour du presbytère de Plounevez provenait de la chapelle en ruine de Pont-Christ du Kernic.
Ici, sur la photo du presbytère et le zoom qui l'accompagne, on se rend compte que la forme de la porte d'entrée correspond tout à fait au dessin qu'avait fait Mayer en 1832.
De plus, l'autel est visiblement en pierre pour avoir résisté aux intempéries, alors que celui de la chapelle de Brezal, était en bois de châtaignier.
Une partie des pierres de la chapelle en ruine de Pont-Christ en Plounevez-Lochrist furent récupérées en 1860 à l'instigation du recteur de l'époque, Gabriel Rolland. Elles servirent à la construction d'un bâtiment pour loger les premières soeurs arrivées à Plounevez en 1857. Ce nouvel édifice fut plus tard appelé « le vieux couvent ». Le recteur profita de cette opération pour orner le jardin de son presbytère d'une porte construite avec les plus belles pierres récupérées sur les ruines de l'ancienne chapelle de Pont-Christ.
Autrefois, les reliques de la Vraie Croix étaient déposées à Lochrist-an-Izelvet, elles sont maintenant à l'église paroissiale de Plounevez. La chapelle de Pont-Christ accueillait, deux fois par an, ces reliques. C'est ce que nous affirme Anatole Le Braz dans La Légende de la Mort :
Là [à Lochrist], tenez-le pour certain, il y a des reliques, qui sont entre les plus belles du pays, et qui ont une efficacité toute spéciale. Deux fois par an on les porte (en procession). |
À Pont-Christ on les porte d'abord, dans la maison de Madame Marie. À la fête de mai, entendez-le bien, puis à la fête du Christ, on les sort. |
Quelques chapelains de Pont-Christ :
en 1607 | François Le Lann | Il était dit "gouverneur de la chapelle", voir le paragraphe sur le pont plus bas. Question : Qui était le "Monsieur Cadour" de 1605 ? Son prédécesseur ? |
vers 1670 | Guillaume Baugé | M. Bourde de la Rogerie a trouvé un document aux archives d'Indre et Loire B 34 Jon de la Bie de Rillé 1679-86, qu'il décrit ainsi : "Chapelain de Pont-Christ - 1679 : Procès entre Ives Le Cadour, titulaire de la chapelle de Pont-Christe en Bretagne et les héritiers de Guillaume Baugé, précédent chapelain au sujet de réparations à faire aux bâtiments dépendants de ladite chapelle." (source ADIV 5 J 89) |
av. 1679 - 1699 | Yves Cadour | Yves Cadour est décédé en 1699 alors qu'il était chapelain de la chapelle, cf son acte de sépulture : 27/05/1699 - Plounévez-Lochrist - CADOUR Yves Prêtre et gouverneur de pontchrist. Témoins : Edern François son beau-frère, Yves, François et Constance Cadour ses neveux et sa soeur. |
Le calvaire est placé à quelques mètres de l'angle de la maison à tourelle. Sur la première photo, on devrait pouvoir lire 1676, si le lichen en ce mois d'octobre 2016 n'avait pas recouvert la partie haute de l'édifice .
"Il comporte quatre degrés posés sur une corniche et supportant le fût à pans. Le croisillon à volutes, orné en son centre d'un écu portant, d'un côté, la date de 1676, soutient deux statues géminées : un apôtre au dos de la Vierge et saint Jacques au dos de Jean. La croix, de section ronde avec des écots, porte un crucifix et au dos une Vierge à l'Enfant. Bien qu'on distingue mal l'attribut qu'il porte, l'apôtre "inconnu" est probablement saint Pierre, fréquemment présent sur les calvaires finistériens. Saint Jacques est bien reconnaissable. Doté d'une chevelure luxuriante et d'une courte barbe, il est vêtu d'une robe ou long surcot et coiffé d'un chapeau aux bords relevés. Le livre est à sa main droite et un court bourdon à la main gauche. Alors qu'il est omniprésent dans les calvaires de Haute-Bretagne, sa présence est beaucoup plus rare dans le Finistère où il est souvent remplacé par des saints locaux".
C'est peut-être Isabelle de Canaber, dame douairière de Kerellon, qui a fait ériger le calvaire, car en 1676 François Le Bihan était déjà décédé depuis 14 ans.
Cette croix et socle, du XVIIè siècle, protègent la source qui ressurgit ici. L'ensemble est en granit et mesure 3 mètres de haut. Le soubassement est élevé, doté d'une large niche vide et de corniches. La croix est de section octogonale avec un crucifix.
L'auge où s'écoule l'eau a été recouverte d'une pierre plate par un proche résident de Pont-Christ. Sans doute, pour éviter qu'elle ne soit piétinée par les troupeaux.
On a vu, plus haut, que le passage de Plouescat à Plounevez-Lochrist était très dangereux et que l'on pouvait y risquer sa vie. D'où la présence de la chapelle pour appeler la protection de la vierge Marie. On comprend bien le danger qu'il y avait en regardant la carte de Cassini, plus haut : on voit bien qu'autrefois la mer pouvait pénétrer profondément à l'intérieur des terres dans l'estuaire de la rivière Kerallé. En tout cas, lors des grandes marées.
Le problème au 17è siècle et avant cette date :
Par un document de 1607, on apprend que le pont, placé entre Plounevez et Plouescat, était très fragilisé par le phénomène des marées. Et pourtant, son usage était très important car il est "sittué sur le grand chemin d'entre ceste ville de Lesneven et le bourg de Plouescat, menant au bourg de Roscoff, la ville de Saint-Paul, havre de Pempoul et Pouldu et autres lieux fort fréquentés". Il était donc de coutume de procéder tous les ans à une quête permettant l'entretien de ce pont.
Le 29/8/1607, François Le Lann, gouverneur de la chapelle de Pont-Christ, demande l'autorisation à la cour de Lesneven de procéder à la quête annuelle. L'autorisation lui est donnée le 27 septembre de "faire la queste acoustumée chacun an au mois de septembre aux paroissiens de Plounevez, Plouescat, Cleder, Sibiril, Plougoulm et autres paroisses de cest évesché de Leon pour estre employée a la réparation dudict pont" (ADQ 213 G 4).
Le projet de 1733 :
Vers les années 1730, il fut décidé d'y construire un nouveau pont. On voit d'après le plan ci-joint que le projet prévoyait un ouvrage plutôt grandiose. Il n'est pas étonnant que les états de Bretagne aient voulu accorder 10.000 livres pour sa construction. On trouve mention de ce point dans les archives départementales d'Ille-et-Vilaine à Rennes :
"1732 - Pont-Christ, évêché de Léon - La somme de 10.000 livres que les etats ont ordonné pour la réfection du pont christ n'étant pas suffisante pour une pareille entreprise on suplie Monsieur Le maréchal d'Estrées d'ordonner que les paroisses voisines de ce pont fourniront les corvées pour ayder et accelerer cette partie d'ouvrage dont elles sont les premieres a retirer le proffit tant pour fournir des journaliers que des charois de pierre, gravois, sable, chaux, etc. Les paroisses sont d'un côté Plougoulm, Sibiril, Cleder et Plouescat, et de l'autre coté Plouneves, Trefflés, Goulven, Plouyder et Plouneour-Treas" (ADIV C 4769).
Sur ce plan, on voit qu'à cette époque la mer arrivait au ras du calvaire de la chapelle. En 1828, Charles Testard (voir plus bas) gagnera des terres sur la mer grâce à sa digue, comme le constate le plan du cadastre napoléonien de 1837.
Le devis estimatif, établi par le sieur Serres, dont est extrait le plan du pont que l'on voit ici, se monta à 37.168 livres. Un coût nettement supérieur à la somme allouée par les Etats et la différence importante empêchait de procéder à une adjudication. Aussi, le 14 juin 1733, les Etats prièrent "le maréchal d'Estrées d'ordonner que les paroisses voisines de ce pont fourniroient des corvées pour aider et accélérer les ouvrages projetés par le motif que ces paroisses seroient les premières à retirer le bénéfice de la construction de ce pont et chaussée".
La situation en 1826 :
Le pont fut-il construit en 1733 ? Visiblement non si l'on en juge par ce qu'on voit sur la carte de Cassini plus haut et par la description qu'en donne le chevalier de Fréminville lors de son voyage en 1826.
"Le 15 avril 1826, par une belle matinée de printemps, je quittai le modeste village de Saint-Michel en Grève, ... Le 6 mai, je pris congé du digne recteur de Plouescat, ... je m'acheminai seul vers le Pont-Christ, dangereux passage sur un petit bras de mer qui s'enfonce dans les terres jusqu'au moulin du Rusquet et donne sur la baie du Kernic. On le traverse sur une levée de pierres et un pont de deux arches qui depuis longtemps ont été si bien bouleversées par la violence du courant des grandes marées, qu'on n'y peut passer qu'à pied et avec beaucoup de précaution (*). Un peu avant d'y arriver, on voit dans une lande, sur la droite, un dolmen dont la table supérieure a été renversée. A l'autre extrémité du passage sont les ruines d'une petite chapelle bâtie dans le seizième siècle. En la quittant, je suivis le chemin qui conduit à Lochrist et qui longe l'anse de Goulven, ...
(*) Depuis que ceci est écrit, cette mauvaise levée a été remplacée par une digue fort bien faite, entreprise par le sieur Testard, et sur laquelle on peut passer avec entière sécurité, même à cheval et en voiture."
La construction des digues :
Il semble que d'après la légende, qui traduit les difficultés rencontrées, et surtout d'après le paragraphe précédent, la construction d'une digue résolut tous les problèmes. Les digues ont été construites, en deux étapes, d'abord par Charles Testard en 1828, au niveau de Pont-Christ, et ensuite en 1849 par Camille Michel au Kernic. Les deux digues sont connues actuellement sous les noms de "digue de Pont-Christ" et "digue Michel". Leur objectif était d'exonder les terrains et permettre leur exploitation agricole. Elles permirent d'assécher 130 hectares dans les vallées des ruisseaux de Kérallé et de Pont Pouloudou.
Voir l'emplacement des digues sur la carte IGN plus haut. Pour des compléments sur les digues, y compris celle de Lannevez, et les travaux de Louis Rousseau, voir l'annexe.
Les lais de mer de moi connus sur la côte septentrionale du Finistère sont :
1° celui de Guissény, endigué, 200 hectares ;
2° celui de Kerlouan, non endigué, 36 hactares ;
3° celui de Plouneour-Trez, non endigué, 90 hectares ;
4° celui de Trefles, y compris la plaine sablonneuse au-dessus du niveau de la mer, 600 hectares en culture ;
5° le bassin du Kernic, 150 hectares (il y a environ 25 hectares endigués formant la partie supérieure de ce lais de mer endigué par M. Charles Testard) ;
6° le Palud Bras, en Cleder, non endigué, 60 hectares ;
7° le lais de mer de Roscoff, dont la partie supérieure a été endiguée par M. Prosper Dubois, j'en ignore la contenance.
IV - source http://fr.topic-topos.com/maison-deau-et-digue-plounevez-lochrist :
En 1849, Camille Michel, entrepreneur de travaux publics à Brest, obtient de l'Administration des domaines la concession d'un lais d'une cinquantaine d'hectares entre le Kernic et Pont-Christ, et en entreprend l'exondation pour sa mise en valeur agricole. Il construit une digue d'une longueur totale de 1 200 mètres, dont 700 sont maçonnés en pierre du pays. Le reste consiste en un talus de 6 mètres de large atteignant jusqu'à 4 mètres de haut. Un pont muni de vannes coupe la digue en son milieu.
A cet endroit, Ty-dour, la maison d'eau, a l'apparence d'une chapelle, avec son clocheton à lanternon où logeait une cloche, sa porte d'entrée ornée de motifs sculptés et sa fenêtre en ogive. Bâtie sur une arche de granit en plein cintre, elle enjambe le Rest à son embouchure. Cette habitation servait au chef de chantier pendant la construction de la digue et de deux corps de ferme. Les ouvriers y prenaient leurs repas et y remisaient leurs outils.
La digue Michel, une vieille dame qui protège le territoire
Publié le 07 août 2020 dans le Télégramme. Photo : Les employés de l’entreprise Marc et l’adjoint au maire, délégué au littoral, Roger Bossard.
En tant qu’historien local, il nous a fourni les éléments historiques sur la digue Michel. La digue Michel a été construite dans le but de protéger
les terres contre la marée. Des travaux y ont été effectués récemment. Retour sur son histoire.
Cette semaine, des travaux ont été effectués sur la digue Michel par l’entreprise Marc de Brest, qui est spécialisée dans les travaux maritimes. La digue s’enfonce dans la vase et de nombreux joints s’étaient ouverts. Suite à la tempête Ciara de février 2020 qui fit une brèche dans le cordon dunaire de Keremma, son état s’était dégradé sur une longueur de 50 m. À marée basse, une longrine, c’est-à-dire une semelle de ciment, a été mise en place pour maintenir en place le bas de l’édifice et les joints ont été refaits. Ces travaux ont un coût de 20 000 € et ils sont subventionnés à 50 % par l’État grâce à une enveloppe de la Dotation d’Équipement des Territoires Ruraux. L’historien local Roger Bossard, nous précise les différents travaux d’endiguement qui ont eu lieu à cet endroit.
Une digue comme voie de communication en 1844
En 1844, un certain Monsieur Le Goaster, négociant à Tréguier sollicita l’État, pour acquérir le Lais de mer de Pont Pouloudou. Son but était de compléter les endiguements de Louis Rousseau et de Paul Testard en construisant une digue qui servirait également de voie de communication mais ce projet n’avait pas convaincu l’ingénieur des Ponts et Chaussées de l’arrondissement.
Mettre en valeur les terres de Pont Pouloudou
En 1849, Camille Michel, négociant à Brest, fit l’acquisition de ce lais de mer de quelques dizaines d’hectares entre le Kernic et Pont-Christ avec le projet de mettre en valeur les terres de Pont Pouloudou en les protégeant par une digue. Les travaux de la digue Michel, d’une longueur de 1 300 mètres, s’achevèrent fin 1850 début 1851. Son projet s’est ensuite inscrit dans une problématique de protection de ces mêmes terres situées au Nord de la baie du Kernic.
Des renforcements en 1910
La digue Michel est aujourd’hui un élément essentiel de la protection du territoire et de la route départementale 10 qui est en contrebas face à la hausse du niveau des eaux marines.
Elle fit l’objet de travaux de renforcement en 1910 et aujourd’hui, devenue propriété de la commune de Plounévez-Lochrist, la digue Michel fait l’objet d’une surveillance constante et de travaux de consolidation réguliers.
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Le pont de Pont-Christ du Kernic aujourd'hui :
Si la digue a toujours besoin de surveillance et d'entretien, le pont lui devrait encore résister à bien des marées... Oui, mais il faut entretenir ses vannes pour empêcher l'eau salée de pénétrer dans la rivière Kérallé et détruire la végétation à ses abords.
Rappel du Télégramme (voir plus haut dans ce chapitre "La construction des digues") :
Autrefois, lors des marées à fort coefficient, la mer pouvait pénétrer profondément à l'intérieur des terres dans l'estuaire de la rivière Kérallé, qui se jette dans la baie du Kernic et délimite les communes de Plouescat et Plounévez-Lochrist. Les constructions de la digue de Pont-Christ en 1829, puis de la digue Michel en 1849 ont permis d'assécher 130 ha pour l'exploitation agricole dans les vallées du Kérallé et de Pont Pouloudou.
Un dysfonctionnement constaté
depuis février 2020
Sous le pont qui enjambe le Kérallé à Pont-Christ, le système de vannes à clapets qui empêche la mer d'entrer dans les terres a été refait à neuf il y a une trentaine d'années. Cependant, depuis février dernier, un dysfonctionnement a été constaté par Michel Guillou, responsable des services techniques de Plouescat, et par le locataire des prairies en bordure du Kérallé. Les vannes sont défectueuses, l'eau de mer envahit régulièrement les prairies et la végétation y meurt peu à peu.
Alertés, Eric Le Bour, maire de Plouescat, et Gildas Bernard, maire de Plounévez, ont, sans délai et à plusieurs reprises, prévenu le service en charge de l'entretien de l'ouvrage : l'Agence Technique Départementale, dont un représentant est venu sur place pour programmer l'intervention nécessaire.
« Le sel s'installe pour des années »
La crise sanitaire et tous ses contretemps sont passés par là. Actuellement, le problème demeure et il tourne à la catastrophe. « Le sel s'installe pour des années. Il y a dans ces prairies un biotope magnifique, des herbes, des orchidées, des saules, tout est en train de mourir », se lamente le locataire des prairies envahies. L'Agence Technique Départementale, à nouveau contactée par le maire de Plounévez lundi 27 juillet, promet une première phase de travaux en urgence et provisoire avant les grandes marées de la deuxième quinzaine d'août (source Le Télégramme du 29/7/2020).
Si tôt dit ... À marée descendante, mardi 4 août, Thierry Guéguen, responsable des services techniques départementaux, et son équipe ont réparé les vannes à marée à Pont-Christ. Le remplacement des poutres manquantes sur les clapets a été effectué. « L'installation de cet ouvrage date de 1984, a précisé Thierry Guéguen. Il est à revoir au niveau des cadres et des fixations métalliques des clapets. Un service d'ouvrage d'art se déplacera pour programmer sa réfection » (source Le Télégramme du 5/8/2020).
Plan du cadastre de Plounevez en 1837 : le pont de Pont-Christ, en haut à droite ; Pont-Christ, plus bas ; Kerelon, encore plus bas
Vue aérienne actuelle
Pour afficher les repères cliquez ICI. Pour les effacer, cliquez LA.
Section A3 | |||||
Propriétaire | N° de parcelle | Lieu | Parcelle | Nature | |
Daumon Pierre | 206 | 1650 | K/iun | Parc menez ? | T. Lab |
Testard Charles à Brest | 766 | 1651 | Pont-Christ | Pâture | |
Testard Charles à Brest | 766 | 1652 | Pont-Christ | Pâture | |
Testard Charles à Brest | 766 | 1653 | Pont-Christ | Pâture | |
Testard Charles à Brest | 766 | 1654 | Pont-Christ | Maison | |
Testard Charles à Brest | 766 | Pont-Christ | Sol d'idem & | Dép. | |
Testard Charles à Brest | 766 | 1655 | Pont-Christ | Parc an ty | T. Lab. |
De Trobriand Adolphe | 784 | 1656 | Le Venec | Mechou bihan | T. Lab. |
La parcelle n° 4, correspondant à à la chapelle, est qualifiée de masure |
Section B1 | |||||
Propriétaire | N° de parcelle | Lieu | Parcelle | Nature | |
Le Roux Jean | 705 | 1 | Pont-Christ | Liors an ilis | Pâture |
Le Roux Jean | 705 | 2 | Pont-Christ | Liors an ilis | Pâture |
Le Roux Jean | 705 | 3 | Pont-Christ | Jardin | Courtil |
Le Roux Jean | 705 | 4 | Pont-Christ | Masure | |
Le Roux Jean | 705 | 5 | Pont-Christ | Maison | |
Le Roux Jean | 705 | Pont-Christ | Sol d'idem & | Dép. | |
Le Roux Jean | 705 | 6 | Pont-Christ | Maison | |
Le Roux Jean | 705 | Pont-Christ | Sol d'idem | ||
Le Roux Jean | 705 | 7 | Pont-Christ | Liors Kolo | Courtil |
Le Roux Jean | 705 | 8 | Pont-Christ | Liors al leur | T. Lab. |
Le Roux Jean | 705 | 9 | Pont-Christ | Liors al leur | Pâture |
Marc Pierre à Lochrist | 481 | 10 | Pont-Christ | Boutaoua | T. Lab. |
NOTICE
Sur les cultures horticoles du Finistère, par M. V. Goulven-Denis, docteur-médecin,
membre correspondant de la Société Nantaise d'Horticulture, à Roscoff.
1855
La nouvelle route, n° 10, de Saint-Pol-de-Léon à Lesneven, traverse Plouescat. Après avoir parcouru deux kilomètres et demi environ, presqu'en ligne droite, dans l'ouest, elle fait un coude vers le sud, au bord d'un lais de mer, passe le nouveau Pont-Christ et laisse à droite l'anse du Kernic où deux fois par jour la mer vient montrer l'humeur qu'elle a. Quand rien ne la contrarie, elle s'y amuse à conter au rivage les nouvelles du large, butine en retour les bruits de la terre ou dorlotte les petits bateaux à la somnolence magnétique de ses chuchottements. Elle se plaît moins à venir aujourd'hui : on la gêne, sans pitié, dans l'épanouissement de ses flots, j'allais dire de ses feuilles ; les flots ne sont-ils pas les feuilles de la mer ? - A chaque pas elle rencontre une digue nouvelle que lui suscite l'industrie de l'homme.
Avant 1829, elle ne rencontrait que celle de Pont-Christ : tout ce qu'il y avait au monde de moins digue, formée par des quartiers de roche assez mal juxtaposés et par d'autres quartiers superposés plus mal encore n'en déplaise à celui qui les avait arrangés de la sorte. Aussi passait-elle, sans efforts, à travers et par-dessus et se déversait, à grand dommage, sur les champs et prairies de la campagne environnante.
En revenant de la foire ou du pardon, le paysan, imbécille d'eau-de-vie comme le chinois d'opium, ne calculait pas toujours aussi bien que la mer l'heure de la marée. La mer, elle, ne s'enivre pas, ne se laisse attarder par aucun intérêt : docile à la loi de son éternelle activité, elle arrivait toujours en son temps, montait, s'accumulait vague sur vague, couvrait de beaucoup le pont sans avoir l'air de le couvrir à peine, et attendait avec ses illusions d'optique si fatales et ses meilleurs airs de mansuétude implacable. Notre Bas-Breton, qui n'est pas moins entêté ivre qu'à jeun, se gardait bien de faire le grand tour pour quelques centimètres d'eau de plus sur ce pont invisible ; il s'obstinait à passer, au juger, et payait de la vie le péage.
Souvent, en ma jeunesse, j'ai passé moi-même et sans encombre, sur ce pont submergé, mais jamais sans éprouver quelques symptômes d'une vague terreur, et jamais sans envoyer à tous les diables l'égoïste auteur de cet ouvrage d'art - perfide, le diable. Il lui faisait honneur, ma foi ! car c'était un vrai pont de vie à trépas - et de trépas à lui. S'il lui valut quelques âmes, j'ai bonheur à dire qu'il lui valut aussi une belle et bonne mystification. Bien que vous soyez graves, chers lecteurs, et que ma légende n'ait pas un rapport très immédiat avec l'horticulture, octroyez-moi la permission de vous la raconter. Ce ne sera pas long.
La légende
Quand il n'y avait pas de Pont-Christ, c'était en la grève crevassée un long et large ruisseau assez difficile à passer, et de l'autre côté de la grève, dans la commune de Plounévez florissait en grand honneur de dévotion une chapelle dont on voit encore aujourd'hui les ruines et les autels de granit. Elle était dédiée à Notre-Dame du commencement de mai (Kalamaé), et desservie par un prêtre de Plouescat. Ce digne ecclésiastique s'y rendait chaque matin pour y dire la messe et subissait avec une patience d'ange tous les obstacles semés sur la route de son devoir. Un jour il rencontre, au bord du ruisseau, un personnage dont la physionomie avenante et la parole douceureuse semble compatir franchement à sa peine... Vilain chemin, M. le prêtre. - Beau chemin puisqu'il mène à Dieu ! - A cette réplique et à ce saint nom l'inconnu fait une grimace qui trahit suffisamment son incognito. Cependant, ajoute-t-il, si la route était moins crevées d'ornières, moins barrée de ruisseaux, vous arriveriez plus vite à la chapelle et plus de fidèles vous y suivraient. - C'est juste, et dans l'intérêt de mon prochain je désire ardemment de voir s'élever au plus tôt un pont sur cette espèce de marais infranchissable. - De tels sentiments sont trop louables pour qu'on ne leur vienne pas en aide ; je puis réaliser votre désir d'aujourd'hui à demain. - Je le crois, répondit le prêtre qui a déjà deviné la puissance et le nom de son interlocuteur, et que demandez-vous pour salaire ? - Oh, rien, je ne suis pas intéressé, moi, rien, presque rien : seulement pour demander quelque chose, hé bien, le premier être vivant qui passera sur le pont. - Soit ! - Soit donc ! - Le lendemain l'ecclésiastique se dirige, comme à l'ordinaire, vers la chapelle. Convaincu que le Diable s'est exécuté, il s'est mis en mesure de s'exécuter lui-même. Il apporte un être vivant et très impatient de prouver qu'il vit, un chat. Aussitôt lâché il enfile le pont et tombe ébouriffé aux griffes de Satan qui guettait, l'eau à la bouche, son être vivant - promis. Il dut s'en contenter - sans en être pour cela plus content : de rage il se précipita dans la mer, donna de la tête contre le fond, au risque de se faire grand mal, et y creusa un abîme insondable, béant encore aujourd'hui sous le pont actuel. - "Le Diable n'est pas fin, disent nos paysans ; sans cela nous ne pourrions pas durer avec lui." - Pour empêcher que ce pont construit par le Diable et inauguré par un chat ne retombât en puissance du Diable, une croix fut placée à ses deux extrémités, d'où lui est venu le nom de Pont-Christ.
Les digues et les cultures à Pont-Christ et au Kernic
En 1829, il fut détruit et remplacé - un peu plus bas - par un autre de 400 mètres de long que l'on doit à M. Testard. Ce pont a gagné à l'agriculture 30 hectares : ils produisent quelquefois de bon froment, toujours de l'orge excellent, d'énormes panais, des carottes estimées, toutes les plantes fourragères. - L'artichaut y a été essayé avec assez de succès, puis abandonné - à tort. - Presque tout le terrain clos par cette digue est dans la commune de Plounevez-Lochrist : le reste est dans celle de Plouescat qui n'a du pont que deux mètres à peine. Le cours d'eau sépare les deux communes.
En 1850, M. Michel, négociant à Brest entrepris de clore la partie du lais de mer appelé Pouloudou, située directement au-dessous du Pont-Christ, dans l'anse du Kernic, en Plounevez. Il fit sa digue de 1850 à 1851 : elle part vers l'ouest perpendiculairement à l'extrémité nord de la digue Testard et se courbe légèrement vers le sud à son tiers supérieur. Elle est longue de 1300 mètres et clot 48 hectares, sable-argile, qui furent de suite affermés à Pierre-Marie Floch avec une ferme modèle parfaitement appropriée à toutes les exigences d'une vaste exploitation. Ce fut pour ce brave paysan une courageuse initiative et une rude besogne l'asservissement de ce sol qui n'avait eu, jusqu'alors, d'autre maître que la mer et d'autres tenanciers que les poissons. Bientôt d'inerte qu'il était, ce sable devint terre vivante donnant vie en retour de celle qui lui avait été donnée.
La première année Floch eut 5 hectares de choux de Milan, il les vendit à la marine, à Brest. Malheureusement le transport fut onéreux, il aurait dû se faire par la mer, au Kernic. Il récolta aussi beaucoup de carottes rouges qui se vendirent sur les marchés de Brest, Morlaix, Saint-Pol-de-Léon, Plouescat. L'an dernier il fit un essai de choux fleurs ; il en obtint d'assez beaux. Les aulx y viennent très bien, mieux encore les petits pois jaunes et le petits pois verts. Les oignons n'y ont pas réussi ; ils réussiront plus tard, si l'on veut, quand la terre sera plus ameublie, mieux faite. La culture légumière, en général, y réussirait, j'en suis sûr, si elle était bien entendue et si l'on y appropriait convenablement le sol. Floch n'a guère, tous les ans, plus d'un demi hectare de pommes de terre et jusqu'ici cependant elles n'ont pas été malades. Il y a, cette année, dans son exploitation, un demi hectare sous choux Milan, un hectare et demi sous carottes rouges et sous carottes blanches, deux hectares sous panais, le reste sous céréales, prairies, fourrages.
L'anse de Goulven
La commune de Plounevez-Lochrist, que nous avons mentionnée déjà à plusieurs reprises et dans laquelle se trouve presque tout le terrain clos par M. Michel, est située à six kilomètres de Plouescat et a de superficie 4430 hectares et une population totale de 4146 âmes. On y compte deux ou trois familles de trafiqueurs légumiers, et quatorze à quinze autres - formant une bourgade - qui produisent des aulx, mais pas d'autres légumes.
Au-dessous de l'anse de Kernic, s'ouvre celle de Goulven. Son ouverture est au nord et a six kilomètres de large entre ses deux pointes, Pontusval [en Brignogan] et Saint-Eden [en Plouescat]. Elle est fermée par une chaîne de roches qui couvrent, presque toutes, à marée haute, ne laissant entre elles que des passes presque impossibles, même à des pratiques. Il y a cinq kilomètres du fond de l'anse à la ligne de basse mer, située d'un côté entre Beg ar Groas et Pontusval, et de l'autre vis-à-vis de Saint-Eden. La grève est plate et sillonnée dans le milieu de sa longueur par le chenal de Goulven dont les sables mouvants sont assez dangereux. La mer, en quittant sa ligne de station pour venir dans la baie, laisse à droite, derrière elle, la pointe de Pontusval, baigne celle de la Croix (Beg ar Groas) et celle du Menhir, contourne le banc de Péleuse, couvre le marais circulaire de Cam poullou ar Marec, effleure le village de Plouneour-Trez et vient mourir au-dessous du cimetière où reposent les morts de Goulven. - A gauche, elle double la pointe de Saint-Eden, détache quelques-uns de ses flots pour occuper l'anse du Kernic, pousse les autres en avant, longue cette langue de terre qui finit, au nord, Plounevez-Lochrist, passe devant la roche de Farine, le corps de garde de Treflez, jette, en passant, un regard de convoitise à l'enfoncement où se trouvent les ruines de la chapelle du vieux saint Veltroc, et jadis s'inclinant à gauche noyait la rivière de Goulven et se lançait à fond de train sur le lais de Treflez, haletante comme pour arriver au sommet du plateau où est juché le village.
En 1823, un homme vint, M. Rousseau, qui résolut de mettre un terme à ce vagabondage excessif de la mer. Il lui dit en paroles de granit : "Tu n'iras plus aussi loin !"
Anse de Goulven. Afficher / Effacer les repères.
Elle obéit ou fit semblant d'obéir. Un jour gonflée par les milliers de colères une à une amassées en son sein, elle se rue contre l'obstacle maudit élevé pour l'arrêter dans sa course depuis si longtemps accoutumée, le renverse, en éparpille les débris. M. Rousseau y perdit beaucoup d'argent, mais rien de cette patience, vertu divine qui console et soutient. Il ne se tint pas pour battu. La digue fut refaite, et solide cette fois, à défier les plus mauvais vouloirs des flots les plus sauvages de l'immense Océan. La mer la rencontre, chaque jour, une demi-heure après demi-marée : elle s'y heurte sans apparence de grande rancune et se replie sur elle-même en faisant entendre les sourds grondements d'un courroux qui s'appaise ; puis, assouplissant ses ondulations de guerre, elle se retourne à droite et va les mêler aux volutes cadencées qui s'enroulent et se déroulent sous le bourg de Goulven avec de calmes harmonies. - S'avoue-t-elle vaincue, n'aura-t-elle plus ces retours cruellement offensifs qui déconcertent toutes les prévisions, toutes les espérances. Souvent on l'entend jeter par-dessus la digue de lugubres, de sinistres prédictions. A qui sait la comprendre, elle dit : "Semez, je viendrai faire la moisson ; plantez, plantez vos arbres, je les faucherai comme herbes. Voyez cette grève de Goulven ; elle fut une heureuse et féconde vallée : qui sait aujourd'hui ? Creusez les bords de son chenal, jadis rivière fertilisante, vous y trouverez des arbres à la grosseur séculaire : ils sont couchés dans le sable comme dans la poussière du tombeau. Voyez ces roches anguleuses, déchiquetées qui barrent l'ouverture de l'anse. C'étaient, il y a des siècles, de vertes collines placées là comme pour me fermer à tout jamais la porte de la vallée. Elle ne s'ouvre aujourd'hui que pour moi.
Mais laissons la mer épancher ses menaces pourvu qu'elle ne les réalise qu'à la fin des siècles, et rentrons dans la question comme on disait au vieux temps du parlementarisme.
Les digues et les cultures à Lannevez et à Keremma
Ce fut donc en 1823 que M. Rousseau résolut de faire une digue pour relier les dunes de Treflez à la commune de Goulven. Il commença ses travaux dans la première de ces deux communes et dessécha d'abord un lac (Le Louch), situé au-dessus du lais de mer. La digue ne fut achevée qu'en 1825 et s'appela digue Rousseau ou Lannevez. Elle présente une ligne brisée et court du nord-est au sud-est sur une longueur de 500 mètres, et du sud au nord sur une longueur de 50. Sa hauteur, près du pont aqueduc, est de 6 mètres, sa base de 50. Inutile d'ajouter que le niveau du sommet de la digue restant le même d'un bout à l'autre, tandis que le niveau du terrain s'élève à mesure qu'on approche des extrémités, cette hauteur et cette base prennent graduellement des dimensions moindres. La largeur du sommet est constamment de 3 mètres.
Dans le principe, la digue courait d'un bout à l'autre en ligne droite, à partir des terres riveraines de la commune de Goulven jusqu'au rocher de même nom, et de là allait se rattacher aux dunes. La portion de digue qui part du rocher de Goulven et se termine à la pointe méridionale des dunes de Treflez a été construite à la suite d'un sinistre survenu le 14 février 1828 : une marée extraordinaire ayant eu lieu alors avant l'achèvement complet des ouvrages, ou du moins avant leur consistance suffisante ; cette nouvelle direction fut adoptée pour des raisons physiques qui ne sauraient trouver ici leur place. - Les terres closes par cette digue furent appelées Lannevez et Keremma - Lannevez, terre nouvelle ; Keremma, habitation ou terre d'Emma, prénom de Mme Rousseau. Dans l'origine, les deux terres contigües n'en faisaient qu'une et appartenaient au même propriétaire, M. Louis Rousseau. La partie désignée aujourd'hui sous le nom de Lannevez était un lais de mer, d'environ 150 hectares, formé de terre d'alluvion. - En 1826, prévoyant qu'il lui serait difficile, au moyen de ses ressources personnelles, de mener à bonne fin sa grande entreprise, M. Rousseau forma une Société en commandite qui devait durer dix ans et dont il demeura le gérant mais il n'apporta à la Société que les terrains baignés par la mer, auxquels il donna dès lors le nom de Lannevez, tandis que le nom de Keremma resta exclusivement affecté à la portion de terrain situé au-dessus du niveau des plus hautes marées. Elle fut toujours et reste encore la propriété exclusive de M. Rousseau. La vente de la terre de Lannevez, dont partie est en Goulven, partie en Treflez, fut faite, en 1836, à la diligence des liquidateurs (M. Rousseau compris) au profit de M. Télémaque Guilhem, de Brest, qui la revendit quelques mois après à MM. [Jules] Félix, de Cracquérault, de Ploeuc, Teurnier.
Les divers lots de Lannevez offrent, à peu près, les mêmes produits. Presque toutes les plantes potagères y réussissent. Il faut en excepter, jusqu'à présent, l'oignon, du moins cultivé sur une grande échelle.
Sous pommes de terre | 3 hectares. |
Sous carottes fourrage | 4 hectares. |
Sous carottes comestibles | 2 hectares. |
Sous fèves (comme fourrage) | 2 hectares. |
Sous betteraves | 4 hectares. |
Pour donner une idée de la distribution des cultures à Lannevez, voici comment est réparti le terrain de M. Félix, ancien officier de marine, aujourd'hui habile et courageux agronome. Sa propriété a cent hectares, environ, dont soixante en culture régulière. Le reste consiste en dunes, chemins, terrains non défrichés et cours d'eau. Les soixante hectares sont soumis à l'assolement quadriennal, la moitié en céréales, un quart en trèfle, fourrage, et le dernier quart sous légumes, racines fourragères, pommes de terre, carottes, huit hectares en prairies.
M. de Cracquérault est, je crois, celui qui produit le plus de légumes. Les propriétaires de Lannevez, sauf M. de Ploeuc, ont peu ou point de fermiers, mais les portions affermées le sont, en général, à un taux plus élevé que sur la terre de M. Rousseau. L'hectare s'y loue de 70 à 80 fr., à Keremma, 50. Il y a plusieurs fermes sur Lannevez, il n'y a que des fermiers sur Keremma. L'étendue de ces fermes en terre arable varie de deux à douze hectares. Une ferme de trois hectares serait d'environ 240 fr. sur Lannevez et de 150 fr. sur Keremma. La journée d'un ouvrier est de 75 à 80 centimes par jour, sans nourriture. Les domestiques à l'année et nourris se louent à raison de 90 à 100 fr. par an.
MM. Félix, de Cracquérault et Siliau, successeur de feu M. Teurnier, font valoir par eux-mêmes.
La terre qui porte aujourd'hui le nom de Keremma était jadis, en partie couverte par les eaux douces qui dévalaient de la vallée de Lochrist, et qui, retenues par une crête de terrain y formaient un lac d'environ cinquante hectares sur fond tourbeux. Le reste consistait en une plaine de sable volant d'environ trois cents hectares, où l'on ne découvrait aucune trace de végétation. Ce sable est composé de débris de coquillage, présentant, comme je l'ai dit ailleurs, un carbonate de chaux presque pur. C'est à lui que doit sa formation une grande étendue de dunes tant à Keremma qu'à Santec près de Saint-Pol-de-Léon, à Guissény et sur plusieurs autres points du littoral breton. Ces sables, en raison de leur grain lamelliforme et de leur légèreté sont facilement entraînés par les vents, de sorte que les plantes qu'on y sème et qui commencent à leurs tiges, sont déchaussées et leurs racines sont mises à nu. Dans d'autres cas le sable volant poussé par le vent heurte dans sa course la tige de la plante encore tendre, et la fait périr vite par la répétition des coups qu'il lui porte et le grand nombre de lésions qui en résultent. C'est néanmoins dans un pareil sol que le trèfle blanc (trifolium repens) s'est élevé à soixante centimètres en grande culture, que la carotte a atteint des proportions énormes, que la luzerne prospère au point que son défrichement complet y est sinon impossible, du moins difficile. - Le système d'aréniculture suivi à Keremma a fixé cette masse immense de sable provenant de coquillages presque microscopiques, que la mer pousse sur ses rives d'où il s'élève en tourbillons épais pour voler à tous les airs de vent. Cette plaine qui semblait condamnée à une éternelle stérilité présente aujourd'hui des cultures céréales et des pelouses verdoyantes où pâturent de nombreux troupeaux de bêtes à cornes.
Le grain le plus généralement cultivé sur les sables de Keremma est le seigle. Pour peu qu'on fasse charier par les eaux une légère couche de tourbe sur le sol, il produit de belles récoltes de froment. Le chou cavalier y vient à merveille ; il en est de même de la carotte et du turnep, de l'asperge et du scorsonère. La pomme de terre semble y être à coeur joie et comme dans son terrain natal, car elle y donne des récoltes remarquables par leur abondance et leur excellente qualité. Les limites que par discrétion je dois imposer à mon travail afin que chacun ait place en l'annuaire ne me permettent pas d'énumérer ici toutes les plantes de l'agriculture et de l'horticulture auxquelles ce sol calcaire est si favorable. Je me contenterai de faire observer que s'il en est qui n'y réussissent pas trop lorsque le sable est privé d'amendement, il n'en est pour ainsi dire pas, qui n'y prospèrent particulièrement par l'application de la tourbe et par l'introduction de l'eau de mer. Il est même vrai de dire qu'on y obtient de beau trèfle et de volumineux panais qu'en amendant avec le sel marin. - La terre de Keremma n'est pas régie en grande exploitation. La contrée environnante est généralement soumise au système de petite culture, et je pense que M. Rousseau n'a pas cru devoir lutter contre les moeurs agricoles du pays. Il loue sa terre à de petits fermiers qui se sont faits, à la longue, d'assez bonne méthodes de culture sans pour autant avoir adopté un assolement fixe.
Le sol, une fois mis en culture, ne s'y repose jamais et donne presque tous les ans deux récoltes différentes, soit que l'on cultive simultanément ou successivement. Les choux cavaliers sont plantés dans les seigles dès le mois de mars ; ils ne prennent un certain accroissement qu'après la moisson faite. Les carottes sont quelquefois ensemencées dans le grain ou dans le lin, tandis que les turneps et le trèfle incarnat sont semés seulement après l'enlèvement de la récolte céréale. - Les plantes fourragères qui prospèrent le mieux dans les sables de Keremma sont le trèfle rampant (trifolium repens), le lotier corniculé (lotus corniculatus), la lupuline (mediargo lupulina), la petite pimprenelle (poterium sanguisorba), la fétuque des brebis (festuca ovina). Ces plantes et quelques autres composent, en grande partie, le pâturage de la plaine qui n'est pas livrée à la culture céréale. Quant à la portion de cette propriété jadis couverte d'eau douce, elle est maintenant convertie en prairies assez médiocres et tardives, ce qui peut être attribué à la nature tourbeuse de leur fond. Quelques parties soumises à l'irrigation sont excellentes. Une grande portion de l'ancien lac (Louch) présente aujourd'hui un parc d'agrément où prospèrent à merveille presque toutes les essences forestières. Il s'y trouve aussi des clos cultivés en céréales et soumis à la règle générale de l'agriculture. Enfin cette terre, il y a peu d'années sol sans nom, sans but, sans vie, participe maintenant à tout le luxe, à toute la poésie de la nature et donne du travail et du pain à bon nombre de familles agricoles. - Elle n'a pas encore atteint, il s'en faut, tout le développement dont elle est susceptible dans ses aptitudes céréales et légumières, mais en la voyant on peut facilement se convaincre qu'elle ne tardera pas à l'atteindre.
André Croguennec - Page créée le 4/11/2016, mise à jour le 27/9/2020. | |