Au Vè siècle, après l'immigration venue d'outre-manche, l'organisation du pays breton se met en place, les paroisses se regroupent sous l'autorité d'un chef portant le titre de mac'htiern. Ces groupes appelés "pou" étant eux-même réunis pour former des "broioù". A la fin du siècle, des hordes germaniques encore sauvages, celles de Francs, déferlent sur les territoires gallo-romains. Mais à l'ouest, elles s'arrêtent à l'entrée de la péninsule armoricaine. Les pays de Rennes, Nantes et Vannes, passent des accords de "bon voisinage" avec Clovis (roi des Francs de 482 à 511), les autres l'ignorent superbement.
Cependant, les rapports avec nos voisins de l'est vont devenir pour le moins tumultueux, avec sans doute une accalmie sous le règne de Dagobert (roi des Francs de 629 à 639).
La situation changea considérablement avec la prise de pouvoir d'un certain Pépin, dit "Le Bref" (roi de751 à 768). L'ambitieux personnage rêvait en effet de soumettre à sa domination tous les peuples voisins. Il attaqua la Bretagne par le sud, mais devant une résistance farouche des troupes bretonnes, il se retira assez précipitamment. En 786, Charlemagne (roi de 768 à 814), fils de Pépin, expédia en Bretagne le sénéchal Audulf, à la tête de forces considérables. Les envahisseurs pillèrent et ravagèrent le pays, puis se retirèrent en emmenant des otages et en proclamant que les Bretons étaient définitivement soumis. Mais ceux-ci continuèrent de refuser de payer le tribut qui avait été instauré par Pépin. Le "Grand" Charlemagne lança d'autres expéditions, dont celle de 811 à laquelle il participait lui-même. Cependant, le succès de celles-ci se révéla nul et jusqu'à sa mort la Bretagne Armoricaine resta en dehors de l'Empire.
Le fils de Charlemagne, qui lui avait succédé sur le trône impérial, Louis Le Débonnaire ou Le Pieux, se jura de réussir là où son illustre père avait échoué.
Morvan Lez Breizh
Les rudes combats qu'il leur avait fallu soutenir pour défendre leur liberté avaient rendu évident aux yeux des Bretons que s'ils continuaient à combattre en ordre dispersé, ils succomberaient les uns après les autres. Ils décidèrent d'élire un chef commun, leur choix de porta sur le roi de Léon, Morvan, à qui l'histoire devait attribuer le surnom de Lez Breizh, "Hanche (c'est-à-dire soutien de la Bretagne).
Louis Le Débonnaire décide d'envoyer auprès de Morvan un représentant des Francs, afin de "l'avertir par cette démarche, sur le sort qui le menace". C'est l'abbé Witchaire, un "homme proble, habile et d'une sagesse éprouvée" qui sera chargé de négocier avec le roi des Bretons, d'exiger de lui notamment le paiement du "juste tribut".
Witchaire se rend dans sa résidence royale bretonne de Roc'h Morvan : "Un endroit qu'entoure d'un côté des forêts, de l'autre un fleuve tranquille, et que défendent des haies, des ravins et un vaste marais. Au milieu est une riche habitation. De toutes parts, les Bretons y accouraient en armes, et peut-être alors était-elle remplie de nombreux soldats. Morvan le préférait à tout autre, et y trouvait tout ce qui pouvait lui garantir un repos assuré". C'est ainsi qu'Ermold le Noir, le chroniqueur franc de l'époque décrit le château et son environnement.
Dans la grande salle de la demeure, les deux hommes se saluent, s'assoient et font éloigner tous ceux qui les entourent. Witchaire exige le tribut, seul moyen d'obtenir "la fidèle amitié du Franc et la protection de ses armes". Alors que Morvan hésite, son épouse "sort de la chambre nuptiale et vient solliciter les embrassements accoutumés de son époux". Elle souffle à son mari de demander à l'abbé d'attendre sa réponse jusqu'au lendemain matin. Après une nuit de mûre réflexion, Morvan déclare à l'envoyé du souverain franc : "Hâte-toi de reporter ces paroles à ton roi ; les champs que je cultive ne sont pas les siens, et je n'entends point recevoir ses lois. Qu'il gouverne les Francs ; Morvan commande à juste titre aux Bretons, et refuse tous cens et tout tribut."
La guerre est inévitable : l'armée franque se rassemble à Vannes et l'empereur commande lui-même ses troupes, auxquelles se sont joints des milliers de mercenaires. Une ultime tentative de conciliation, mais Morvan se montre aussi déterminé que précédemment.
Les combats sont déclenchés, chaque armée ayant sa technique propre. Les Francs dans un premier temps semblent l'emporter, pratiquant la technique de la terre brûlée. "Partout, ils recherchent les approvisionnements cachés... Hommes, boeufs, brebis, tout devient la proie malheureuse du vainqueur. Nul marais ne peut offrir un asile aux Bretons ; nulle forêt n'a de retraite assez sûre pour les sauver. ... Les églises sont respectées, mais tous les autres bâtiments sont livrés aux flammes dévorantes."
Face à l'offensive franque, la technique bretonne, du fait d'un nombre de soldats moins important, est celle de l'effacement, de l'évitement, du refus de tout combat frontal. Ce refus apparent du combat est en fait une technique éprouvée : celle de la guérilla. A mesure que les armées franques s'avancent dans les terres bretonnes, les soldats de Morvan les harcèlent, fondent avec rapidité et par surprise sur les éléments les plus faibles de l'armée. "Bientôt Morvan s'élance, prompt comme l'éclair, sur les ennemis qu'il rencontre, les attaque par derrière, et plonge son épée dans leurs larges poitrines ; il porte la fureur de ses armes tantôt sur un point, tantôt sur l'autre, et, fidèle à la manière de combattre de ses ancêtres, il fuit un instant pour revenir sur le champ". Nombre d'attaques se déroulent la nuit, où les Bretons sont d'autant plus efficients qu'ils sont vêtus de noir et teignent leurs boucliers ronds, au dire d'Ermold qui évoque "les noires armées".
Nous sommes en 818 et Morvan est tué par un Franc d'humble origine : "On présente sur le champ cette tête que le glaive vient de séparer du corps ; elle est souillée de sang et dans un horrible désordre. On appelle Witchaire. Il lave à l'instant même cette tête dans une onde pure, à l'aide d'un peigne en arrange la chevelure, reconnaît promptement la vérité du fait sur lequel on lui ordonne de se prononcer et s'écrie : 'Cette tête est celle de Morvan !' ".
La suite : Guyomarc'h Ier et Nevenoe
Ainsi périt Morvan et avec lui semblait s'évanouir le dernier espoir d'indépendance du peuple breton ; mais l'histoire continue.
Gwyomarc'h 1er, comte de Léon et roi des bretons, comme l'avait été Morvan, dont on le croit fils, essaya de réparer les désastres qu'avait amenés la perte du héros breton et de secouer le joug des Francs. Informés de ses desseins, ils fondirent inopinément sur ses états, afin de s'emparer d'un chef si audacieux (822). Guyomarc'h leur échappa par la fuite, mais il ne put épargner à ses vassaux les ravages d'un ennemi furieux. Bientôt il reprit l'offensive et remporta divers avantages sur les oppresseurs de sa nation. Louis le Débonnaire crut alors devoir se mêler une seconde fois à cette lutte, et, pour frapper un coup terrible, il s'avança dans le pays, accompagné de trois corps d'armée. A la vue d'un déploiement de forces si nombreuses, plusieurs des chefs écoutèrent les conseils de la prudence et ne laissèrent plus à Guyomarc'h d'autre partie que celui de la soumission.
Mandé avec les autres seigneurs de sa nation pour renouveler son allégeance devant les grands du royaume, à l'assemblée générale d'Aix-la-Chapelle, en 825, il y reçut un accueil distingué. Mais ces honneurs ne lui rendirent pas plus supportable la domination d'un prince étranger ; il reprit les armes et attaqua encore les Francs. Lambert, comte des Marches, s'étant mis à sa poursuite, le surprit dans un de ses châteaux et, persuadé qu'il n'y avait rien à obtenir d'une nature si indomptable, il le fit périr en 825. (source Biogaphie Bretonne)
Ce château serait le château de Brezal, d'après notre érudit Daniel Miorcec de Kerdannet.
Etymologie de Brezal (source site Internet de Plouneventer). Il y en a deux :
BREIZ, hauteur - AL, autre : "autre hauteur".
C'est l'étymologie donnée par Daniel Miorcec de Kerdannet dans son livre "Etymologie des noms bretons, gallois et celtiques". Le Roi Morvan habitait le château de La Roche et fît demeurer son fils sur une autre hauteur qui serait Brézal.
De Kerdannet avance une autre version.
Une ancienne chanson bretonne apprend qu'au 9ème siècle le Roi Morvan avait tenu un siège dans son château de La Roche contre un lieutenant de Louis Le Débonnaire qui s'était retranché derrière le château de Brézal, dans un lieu nommé "Camp Loïs". Un grand nombre de Bretons ayant déserté leur prince pour passer à l'ennemi, on donna au château le nom de "Breiz-all" Bretagne opposée. Après la mort du Roi Morvan, en 818, les Bretons élurent pour Roi Viomarc'h, prince de Léon, qui fit une guerre acharnée à la France, fut pris et massacré dans son château de Brézal, en 825. Fermer X
Vingt ans plus plus tard, le mac'htiernNominoé (ou Nevenoe en langue bretonne), à qui le monarque frank avait confié le gouvernement du pays, reprit en mains l'oeuvre d'affranchissement vainement tentée par Morvan et Guyomarc'h et la mena à bonne fin.
Tant que Louis le Débonnaire vécut, Nominoé lui garda la foi jurée et n'ambitionna d'autre titre que celui d'envoyé de l'empereur ; mais lorsqu'à la mort du vieux souverain, il vit ses fils s'entre-déchirer dans une lutte fratricide et saper par la base l'empire de Charlemagne, il jugea le moment venu pour proclamer l'indépendance de sa patrie.
Le vainqueur de Fontenoy, Charles le Chauve, à qui venait d'échoir en partage le royaume de France, s'apprêta, il est vrai, à tourner contre les Bretons ses armes victorieuses ; mais Nominoé, mis au courant de ses funestes dessins, ne lui laissa pas le temps de les mettre à exécution. Au lieu d'attendre tranquillement, l'arme au poing, l'agression de son puissant adversaire, il s'empressa de porter la guerre dans ses propres Etats. Une rencontre définitive eut lieu dans la plaine marécageuse de Ballon, entre l'Oust et la Vilaine, le 22 novembre 845, et la victoire remportée par les Bretons assura l'indépendance de leur pays pendant plus de six siècles.
Morvan et Nominoé devinrent, comme bien l'on pense, le sujet de nombreux chants populaires et patriotiques ; mais, pour le peuple breton qui a toujours plus admiré le courage qui succombe que l'habileté qui triomphe, le plus sympathique de ces deux héros de la défense nationale, c'est Morvan, à qui, dans son langage imagé et expressif, il a donné le glorieux surnom de Lez-Breiz, c'est-à-dire l'appui (littéralement la hanche) de la Bretagne.
Nomenoe, premier roi des Bretons
Oui, bien que nos historiens aient parfois qualifié Morvan de roi , comme on l'a vu plus haut la tradition bretonne ne lui a pas retenu ce titre. Dans la tradition populaire, c'est Nomenoe (ou Nevenoe) le premier roi des Bretons.
Morvan a été placé par nos historiens au nombre des rois bretons. On peut se faire une idée du caractère de ce grand guerrier et des moeurs de ce temps dans les vers d'Ermold Le Noir, poète contemporain qui a célébré les événements mémorables de la vie de Louis-le-Débonnaire. ... D'Argentré, organe des traditions, écrit que Morvan "était issu des comtes de Léon et de la race, comme on disait de Conan" (source Biographie Bretonne).
De La Villemarqué indique dans son Barzhaz Breizh : "Regnante domino imperatore Hludovic, anno XXII regni ejus, Morman Machtiern... Cartularium Redonense, ad ann, 800 ; Ap. de Courson. Cf. D. Morice, preuves, t. I, col. 263."
Hludovic, c'est Louis Le Débonnaire, la 22è année de son règne, c'est 836 !
Mac'htiern : anciennement aristocrate, chef de tribu, puis riche propriétaire ayant des fonctions judiciaires héréditaires chez les anciens Bretons jusqu'aux invasions normandes, cf C. Redon (Frañsez Favereau).
Penntiern est fort probablement le niveau supérieur, Tiern est le nom générique. Fermer X
Les poèmes épiques du Barzhaz Breizh
Marche de Lez Breizh :
Lez-Breiz :
Le poème épique de "Lez-Breiz" comporte 261 strophes de deux vers.
C'est donc un chant particulièrement long. Il est divisé en plusieurs chapitres :
Le départ : Encore jeune enfant, Lez-Breiz rencontre dans un bois un beau chevalier fièrement harnaché. Impressionné, il décide de le suivre et de quitter sa mère. Lire en breton...Lire en français...
Ar c'himiad
- I -
Pa oa paotr Lez-Breizh e ti e vamm
En devoe bet ur pebez estlamm (bis)
Ur marc'heg o tonet gant ar c'hoad
Hag eñ penn-da-benn harneset mat
Hag ar paotr Lez-Breizh 'dal m'e welas
Arvariñ oa Sant Mikel a reas
Ha war e zaoulin en em strinkas
Hag en em groazañ prim a reas
"Aotrou Sant Mikel, en an' Doue
Na it ket da ober droug din-me !
- An Aotrou Sant Mikel ned on ket
Nag un drougoberour kennebeut
Sant Mikel, avat, me n'emaon ket
Marc'heg urzhet ne lavaran ket
- Gwelet marc'heg biskoazh n'am eus graet
Na komzet anezho kennebeut
- Un den eveldon an hini eo
Gwelas-te unan o vont e-biou ?
- Leveret-hu din-me da gentañ
Petra zo, na petra rit gantañ ?
- Pezh am eus c'hoant a dizhan gantañ
Ur goaf a leverer anezhañ
- Gwell eo ganin, gwell eo va fenn-bazh
Na eer ket en e arbenn hep lazh
Na petra an diskell koueveur-mañ
A zouget-hu dioc'h ho prec'h amañ ?
- Ned eo ket, mab, un diskell koueveur
Ur tarzhian-gwenneg e c'halver
- Aotrou marc'heg, n'am goapeet ket
Meur a wenneg tarzhet 'm eus gwelet
Derc'hel e rafe unan em dorn
Kel ledan hemañ hag ur mein-forn
- Na peseurt dilhad a zo ganeoc'h
Ken pounner hag houarn, pounneroc'h
- Ul lereg houarnet eo ivez
D'am difenniñ deus taolioù kleze
- Ma ve 'n heized evel-se sternet
Diaesoc'h e vezent da dizhet
Hogen, aotrou, leveret din-me
Ha ganet emaoc'h bet evel-se ?"
Ar marc'heg kozh, evel m'e glevas
A-walc'h e galon c'hoarzhin a reas
"Piv an diaoul 'ta en deus ho sternet
Ma ned oc'h bet evel-se ganet ?
- An hini en deus gwir da ober
Hennezh en deus graet, ma mabig ker
- Ha piv 'neus bremañ gwir da ober ?
- Den nemet an aotrou kont Kemper
Lavar ivez an taol-mañ din-me :
Gwelas-te un den eveldon-me ?
- Un den eveldoc'h am eus gwelet
Ha dre-se tre, aotrou, emañ aet"
- II -
Hag ar paotr d'ar gêr en ur redek
Ha war varlenn e vamm, ha prezek :
"Ma mammig, ma mamm, na ouzoc'h ket ?
Biskoazh tra ker brav n'am boa gwelet
Biskoazh tra ker brav na welis
Hag am eus gwelet hiziv-an-deiz
Bravoc'h den hag an aotrou Mikel
A zo en hon iliz, an arc'hel !
- N'eus den, ma mab, bravoc'h koulskoude
Bravoc'h evit aelez hon Doue
- Salokras, ma mamm, gwelet a reer
Marc'heien, emint-i, o anver
Ha me a fell din monet ganto
Ha monet da varc'heg evelto"
An itron gaezh, evel pa glevas
Teir gwech d'an douar a fatigas
Ha paotr Lez-Breizh, hep sellet a-dreñv
E-barzh ar marchosi ez eas tre
Hag ur c'hozh inkane a gavas
Ha prim war he c'horre a bignas
Hag eñ kuit da heul ar marc'heg ken
Kuit, ha timat, hep kimiadañ den
Da heul ar marc'heg ken da Gemper
Ha kuitaat a eure ar maner Fermer X
Le départ
- I -
Quand l'enfant Lez-Breiz était chez sa mère,
Il eut un jour une grande suprise ; (bis)
Un chevalier s'avançait dans le bois
Et il était armé de toutes pièces
Et l'enfant Lez-Breiz, en le voyant,
Pensa que c'était saint Michel
Et il se jeta à deux genoux
Et il fit vite le signe de croix
"Seigneur saint Michel, au nom de Dieu
Ne me faites point de mal !
- Je ne suis pas plus le seigneur saint Michel
Que je ne suis un malfaiteur
Je ne suis pas saint Michel, non vraiment
Chevalier ordonné, je ne dis pas
- Je n'ai jamais vu de chevaliers,
Pas plus que je n'ai entendu parler d'eux
- Un chevalier, c'est quelqu'un comme moi
En as-tu vu passer un ?
- Répondez-moi d'abord vous-même
Qu'est-ce que ceci ? et qu'en faites vous ?
- J'en blesse tout ce que je veux ;
Cela s'appelle une lance.
- Mieux vaut,bien mieux vaut mon casse-tête
On ne l'affronte pas sans mourir
Et qu'est ce que ce plat de cuivre-ci
Que vous portez au bras ?
- Ce n'est pont un plat de cuivre, mon enfant
C'est un blanc-bouclier. [un écu]
- Seigneur chevalier, ne raillez pas
J'ai vu plus d'une fois des blancs monnoyés [écus monnaie]
J'en tiendrais un dans ma main
Tandis que celui-ci est large comme la pierre d'un four
- Mais quelle espèce d'habit portez-vous ?
C'est lourd comme du fer, plus lourd même.
- Aussi est-ce une cuirasse de fer
Pour me défendre contre les coups d'épée.
- Si les biches étaient ainsi harnachées
Il serait plus malaisé de les tuer
Mais, dites-moi, seigneur,
Etes-vous né comme cela ?"
Le vieux chevalier à ces mots,
Parti d'un grand éclat de rire
"Qui diable vous a habillé,
Si vous n'êtes pas né comme cela ?
- Celui qui en a le droit,
C'est celui-là, mon cher enfant.
- Mais alors qui en a le droit ?
- Personne que le seigneur Comte de Quimper
Maintenant, réponds-moi à ton tour :
As-tu vu passer un homme comme moi ?
- J'ai vu passer un homme comme vous,
Et c'est par ce chemin qu'il est allé, seigneur"
- II -
Et l'enfant de revenir en courant à la maison
De sauter sur les genoux de sa mère, et de babiller :
"Ma mère,ma petite mère, vous ne savez pas ?
Je n'avais rien vu d'aussi beau
Jamais je n'ai rien vu d'aussi beau
Que ce que j'ai vu aujourd'hui :
Un plus bel homme que le seigneur Michel
L'archange qui est dans notre église !
- Il n'y a pas d'homme plus beau pourtant,
Plus beau, mon fils, que les anges de notre Dieu.
- Sauf votre grâce, ma mère, on en voit
Ils s'appellent, disent-ils, chevaliers
Et moi, je veux aller avec eux
Et devenir chevalier comme eux"
La pauvre dame, à ces mots,
Tomba trois fois à terre sans connaissance.
Et l'enfant Lez-Breiz, sans détourner la tête
Entra dans l'écurie
Il y trouva une méchante haquenée,
Et il monta vite sur son dos
Et il partit, courant après le beau chevalier,
En toute hâte, sans dire adieu à personne
Courant après le beau chevalier vers Quimper,
Et il quitta le manoir. Fermer X
Le retour :
Dix plus tard, Lez-Breiz, devenu fameux guerrier, revient au manoir de sa mère qui est morte de chagrin. Le manoir est délabré. Il rencontre sa soeur qui ne le reconnaît pas et lui demande de s'identifier : "Morvan, fils de Konan, est mon nom, et Lez-Breiz, mon surnom, ma soeur". Lire en breton...Lire en français...
An distro
Marc'heg Lez-Breizh oa souezhet bras
Da vaner e vamm pa zistroas
Pa zistroas a-benn dek vloaz krenn
Ken vrudet e-touez ar varc'heien
Marc'heg Lez-Breizh a oe souezhet
E porzh ar maner pa oe digoue'et
O welout eno drein o kreskiñ
Hag al linad e toull dor an ti
Hag ar mogerioù hanter-gouezhet
Hag a iliav hanter goloet
An aotrou Lez-Breizh, o klask mont tre,
Ur c'hwragezig dall a zigore
"Leveret-hu din-me, va mamm-gozh,
Ha degemer a gavfen henoz ?
- Degemer a-walc'h c'hwi a gavo
Naren, aotrou, dimeus ar re vrav
Aet eo an tiegezh-mañ da goll
Abaoe 'mañ aet ar mab en e roll"
Ne oa ket he c'homz peurachuet
Ur plac'h yaouank a zo diskennet
Ha damsellet outañ a reas
Ha da ouelañ druz en em lakaas
"Plac'hig yaouank, din-me leveret
Petra c'hoarvez ganeoc'h pa ouelet ?
- Aotrou marc'heg, deoc'h a larin-me
Petra c'hoarv' ganin pa ouelan-me
Ur breur en oad ganeoc'h am eus bet
Dek vloaz zo da varc'heg emañ aet
Ha kel lies gwech marc'heg 'welan
Kel lies gwech, va aotrou, ouelan
Kel lies gwech, siwazh din, ouelan,
Gant koun eus ma breurig paour her gran !
- Va merc'hig koant din-me leveret
Na breur all, na mamm n'hoc'h eus-hu ket ?
- Breur all war an douar n'em eus ket
Er baradoz, ne lavaran ket
Ha ma mamm baour ivez ivez ez aet di
Nemet on gant magerez en ti
Mont a reas kuit gant ar c'hlac'har
Pa eas va breur da varc'heg, m'her goar
He gwele c'hoazh en tu all d'an nor
Hag e korn an oaled he c'hador
Ha ganin-me he c'hroaz benniget
Frealz am c'halon baour war ar bed"
An aotrou Lez-Breizh a hirvoude
Ken a lavaras ar plac'h goude :
"Ho mamm ivez hoc'h eus kollet
O selaou ac'hanon pa ouelet ?
- Ya ! va mamm ivez am eus kollet
Ha me ma-eeun am eus hi lazhet
- An' Doue ! aotrou, ma'c'h eus her graet
Piv oc'h, ha penaos oc'h anvet ?
- Morvan, ap-Konan, eo va anv
Ha Lez-Breizh, va c'hoar, va lesanv"
Ken souezhet a oe ar plac'hig
Ken na fiche na lavare grik
Ken souezhet a oe ar plac'hig
Ken a vennas ganti mervel mik
Ken e zivrec'h d'he goug a daolas
Hag e veg d'he begig a lakaas
Hag e vriata hi a reas
Hag en he daeloù hi e veuzas
"Doue en devoa da bellaet
Ha Doue en deus da dostaet !
Ra vezo, ma breur, meulet Doue
Truez en deus bet ac'hanon-me" Fermer X
Le retour
Le chevalier Lez-Breizh fut bien surpris
Quand il revient au manoir de sa mère
Quand il revint au bout de dix ans révolus
déjà fameux entre les guerriers
Le chevalier Lez-Breizh fut surpris
En entrant dans la cour du manoir
En y voyant pousser les ronces et l'ortie,
Au seuil de sa maison,
Et les murs à demi ruinés
Et à demi couverts de lierre.
Le seigneur Lez-Breizh, voulant entrer,
Une pauvre vieille femme aveugle lui ouvrit.
"Dites-moi, ma grand-mère,
Peut-on me donner l'hospitalité pour la nuit ?
- On vous donnera assez volontiers l'hospitalité,
Mais elle ne sera pas, seigneur, très brillante
Cette maison est allée à sa perte
Depuis que l'enfant l'a quittée pour faire à sa tête"
Elle avait à peine fini de parler,
Qu'une jeune demoiselle descendit.
Et elle le regarda en dessous,
Et se mit à pleurer.
"Dites-moi, jeune fille,
Qu'avez-vous à pleurer ?
- Seigneur chevalier, je vous dirai bien volontiers
Ce qui me fait pleurer :
J'avais un frère de votre âge,
Voilà dix ans qu'il est parti pour sa vie de chevalier
Et aussi souvent que je vois un chevalier
Aussi souvent je pleure, seigneur.
Ausi souvent, malheureuse que je suis !
Je pleure en pensant à mon pauvre petit frère !
- Belle enfant, dites-moi, n'avez-vous pas d'autre frère ?
N'avez-vous point de mère ?
- D'autre frère ! je n'en ai point sur la terre ;
Dans le ciel, je ne dis pas ;
Et ma pauvre mère, elle aussi y est montée ;
Plus personne que moi et ma nourrice dans la maison
Elle s'en alla de chagrin, quand mon frère
Partit pour devenir chevalier, je le sais.
Voilà encore son lit de l'autre côté de la porte
Et son fauteuil près du foyer
Et j'ai sur moi sa croix bénite
Consolation de mon pauvre coeur en ce monde."
Le seigneur Lez-Breizh poussa un gémissement,
Tellement que la jeune fille lui dit :
"Votre mère l'auriez-vous aussi perdue,
Que vous pleurez en m'écoutant ?
- Oui ! j'ai aussi perdu ma mère
Et c'est moi-même qui l'ai tuée !
- Au nom du ciel, seigneur, si vous avez fait cela
Qui êtes-vous ? Comment vous nommez-vous ?
- Morvan, fils de Konan, est mon nom
Et Lez-Breizh, mon surnom, ma soeur. "
La jeune fille fut si interdite,
Qu'elle resta sans mouvement et sans voix
La jeune fille fut si interdite,
Qu'elle crut qu'elle allait mourir.
Tant qu'à la fin, il lui ses deux bras autour du cou
Et approcha sa bouche de sa petite bouche
Et elle le serra dans ses bras,
Et elle l'arrosa de ses larmes :
"Dieu t'avait éloigné,
Et Dieu t'a ramené !
Dieu soit béni, mon frère,
Il a eu pitié de moi"Fermer X
Le chevalier du Roi : Le chevalier Lorgnez, est mandaté par le roi frank pour tuer le Breton. Il vient accompagné de ses guerriers : ils sont dix, et dix et puis dix encore ! Lez-Breiz est seul avec son écuyer. Seul ? Non, Sainte Anne, la mère des Bretons, est avec eux. Lorgnez est tué par Lez-Breiz, ainsi que 13 autres soldats. L'écuyer en tue autant, les autres ont pris la fuite. Lire en breton...Lire en français...
Entre Lorgnez et le chevalier Lez-Breizh
A été convenu un combat en règle.
Que Dieu donne la victoire au Breton
Et de bonnes nouvelles à ceux qui sont au pays !
Le seigneur Lez-Breiz disait
A son jeune écuyer un jour :
"Eveille-toi, mon écuyer, et lève-toi de là
Va me fourbir mon épée
Mon casque, ma lance et mon bouclier
Que je les rougisse dans le sang des Franks.
Avec l'aide de Dieu et de mes deux bras
Je les ferai sauter encore aujourd'hui !
- Mon bon seigneur, dites-moi :
N'irai-je pas au combat à votre suite ?
- Que dirait ta pauvre mère,
Si tu ne revenais pas à la maison ?
Si ton sang venait à couler sur la terre
Qui mettrait un terme à sa douleur ?
- Au nom de Dieu ! seigneur, si vous m'aimez
Vous me laisserez aller au combat
Je n'ai pas peur des Franks
Mon coeur est dur, tranchant mon acier
Qu'on y trouve à redire ou non
Où vous irez, j'irai moi-même
Où vous irez, j'irai moi-même
Où vous combattrez, je combattrai."
- II -
Lez-Breizh allait au combat
Avec son jeune page seulement
Passant près de l'église de Sainte Anne
D'Armor, il y entra
"O Sainte Anne, dame bénie,
Je viens bien jeune vous rendre visite
Je n'avais pas vingt ans encore,
Et j'avais été à vingt combats
Nous les avons tous gagnés
Par votre assistance, ô dame bénie !
Si je reviens encore au pays
Mère Sainte Anne, je vous ferai un présent
Je vous donnerai un cordon de cire
Qui fera trois fois le tour de vos murs
Et de votre église, de votre cimetière
Et de votre terre, quand je serai de retour
Et une bannière en velours et satin blanc
Avec un support d'ivoire poli
Je vous donnerai, en outre, sept cloches d'argent
Qui chanteront gaiement, nuit et jour, sur votre tête
J'irai trois fois, à genoux,
Puiser de l'eau pour votre bénitier.
- Va au combat, va, chevalier Lez-Breizh,
J'y vais avec toi."
- III -
"Entendez-vous ? Voilà Lez-Breizh qui arrive
Il est suivi sans doute d'une armée bardée de fer !
Tiens ! il monte un petit âne blanc
Dont la bride est un licou de chanvre
Il a pour toute suite un petit écuyer
Mais, de lui, on dit que c'est un homme terrible"
Le jeune écuyer voyant les Franks
Se serra plus près de son maître
"Voyez-vous ! C'est Lorgnez qui vient !
Une troupe de chevaliers devant lui
Une troupe de chevaliers derrière lui
Ils dont dix, et dix autres, et puis dix encore !
Les voilà qui arrivent au bois de châtaigniers :
Nous aurons, pauvre maître, du mal à nous défendre
- Tu iras voir combien ils sont
Quand ils auront goûté à mon acier
Frappe ton épée, écuyer, contre la mienne
Et marchons contre eux"
- IV -
"Hé ! bonjour à toi, chevalier Lez-Breizh
- Hé ! bonjour à toi, chevalier Lorgnez
- Est-ce que tu es venu seul au combat ?
- Je ne suis pas venu tout seul
Au combat je ne viens pas seul
Sainte Anne est avec moi
- Moi, je viens de la part du Roi
Pour t'ôter la vie
- Retourne sur tes pas ! Va dire à ton roi
Que je me moque de lui comme de toi
Que je me moque de lui comme de toi
Comme de ton épée, comme des tiens.
Retourne à Paris, au milieu des femmes
Y porter des habits dorés
Autrement je rendrai ton sang aussi froid
Que le fer ou la pierre
- Chevalier Lez-Breizh, dites-moi,
En quel bois avez-vous été mis au jour ?
Le dernier valet de ma suite
Vous enlèverait le casque de la tête"
A ces mots, Lez-Breizh,
Tira sa grande épée
"Si tu n'a pas connu le père
Je te ferai connaître le fils !"
- V -
Le vieil ermite du bois, debout au seuil de sa cabane
Parlait doucement à l'écuyer de Lez-Breizh
"Vous courez bien vite à travers bois !
Votre armure est souillée de fange et de sang.
Venez, mon enfant, dans mon ermitage
Venez vous reposer et vous laver
- Ce n'est pas le moment de se reposer et de se laver
Mais, certes, de trouver une fontaine
Trouver de l'eau ici pour mon jeune maître
Tombé au combat, épuisé de fatigue
Treize soldats tués sous lui
Le chevalier Lorgnez tué le premier !
Et moi j'en ai abattu autant
Les autres ont pris la fuite."
- VI -
Il n'eût pas été Breton dans son coeur
Celui qui n'aurait pas ri de bon coeur
En voyant l'herbe verte
Rougie du sang des Franks maudits
Le seigneur Lez-Breizh, assis,
Se reposant, les regardait
Il n'eût pas été chrétien dans son coeur
Celui qui n'eût pas pleuré à Sainte-Anne
En voyant l'église mouillée des larmes
Qui tombaient des yeux de Lez-Breiz
De Lez-Breizh pleurant, à genoux,
Remerciant la vraie patronne de la Bretagne
"Grâces vous soient rendues, ô mère sainte Anne !
C'est vous qui avez remporté cette victoire !"
- VII -
En bon souvenir de ce combat
Ce chant a été composé
Qu'il soit chanté par les gens de Bretagne
En l'honneur du bon seigneur Lez-Breizh !
Qu'il soit longtemps chanté au loin à la ronde
Pour réjouir tous ceux du pays !" Fermer X
Le More du Roi : Chevauchant son beau cheval noir, Lez-Breiz affronte le "More" en combat chevaleresque devant les nobles franks et le roi, assis sur son trône. Leurs armes jetaient des étincelles... et, puis le Breton enfonçe son épée dans le coeur du géant... en retirant son épée, il lui coupe la tête et l'attache au pommeau de sa selle. Lire en breton...Lire en français...
Le Roi : Ce jour-là, Lez-Breiz marche à la rencontre du roi lui-même, qui est accompagné de 5.000 hommes à cheval. La lutte est décrite sous forme d'allégorie : le combat du cheval blanc de mer contre le serpent monstrueux et ses petits... la lutte est inégale. "Qu'il y ait des Franks par milliers, je ne fuis pas devant la mort ! " Il n'avait pas fini de parler qu'il était déjà loin, bien loin de sa demeure.
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Ar Roue
An aotrou Lez-Breizh, un deiz a oe
A yae en arbenn d'ar roue
En arbenn d'ar roue d'an emgann
Pemp mil marc'heg mat a-du gantañ
Hag endra ma oa o kimiadañ
Tan an taran, tan ar foeltrusañ !
Hag e floc'h klouar 'dal m'arvestas
Prederiañ en droug a reas :
"En an' Doue ! mestr, chomet er gêr
Ur gwall zevezh hiziv a gejer !
- Chom er gêr, va floc'h, ne c'hallan ket
Pa'm eus lâret mont, renkan monet !
Ha monet a rin tra vo buhez
Buhez enaouet e-barzh am c'hreiz
Ken a zalc'hin kalon roue 'n argoad
Etre an douar ha sol va zroad"
C'hoar Lez-Breizh, kerkent ha m'her gwelas
Gant kabestr marc'h he breur a sailhas :
"Va breur, va breur ker, ma em c'haret
Dan emgann hiziv na eot ket
Nemet d'ar marv na afac'h se !
Ha petra vo a'nomp goude-se ?
Morvarc'h gwenn war an aod a welan
Un naer vras divent en-dro dezhañ
En-dro d'e zivsker dreñv daou skoulm gwall
Ha en-dro d'e voueloù tri skoulm all
Daou en-dro d'e zivsker ha d'e c'houg
Hed e vrusk 'n em stlej, hen gor, hen moug
Ken a sav war e dried ar marc'h kaezh
Hag a-dreuz penn, e tant chig ar gouez
Hi a vadailh, a dreflemm ruz gwad
Ha dibunañ 'ra o c'hwibanat
Ken a glev he naered, hag e lamm
Te'h kuit, dispar, unik ! tec'h dinamm !
"Bez a C'hallaoued pezh a garo !
Me na derc'han ket raok ar marv !"
Ne oa ket peurlavaret e c'her
Ha pa oa pellik, pell eus ar gêr
L'ermite : Lez-Breiz erre dans le bois de Brekilien et vient demander le secours d'un ermite. Celui-ci aperçoit devant sa porte un spectre tenant sa tête dans ses deux mains, les yeux pleins de sang et de feu. "Le seigneur Dieu a permis aux Franks de me décapiter pour un temps, et maintenant il vous permet de replacer ma tête". Par la vertu de l'eau bénite le fantôme redevient un homme. Au bout de sept ans de pénitence, Sainte Anne lui accorde le repos éternel. Enfin, son écuyer retrouve la tombe de Morvan dans le bois : "Si j'ai tué son meurtrier, je n'en ai pas moins perdu mon cher seigneur ! C'est Lez-Breiz qui dort en ce lieu ; tant que durera la Bretagne, il sera renommé ; il va s'éveiller tout à l'heure en criant, et va donner la chasse aux Franks ! "
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Nevenoe poursuivit l'oeuvre de délivrance de sa patrie ; il feignit de soumettre à la domination étrangère, et cette tactique lui réussit pour arrêter un ennemi dix fois supérieur en nombre. Quand vint le moment d'agir, Nevenoe jeta le masque ; il chassa les Franks au-delà des rivières de l'Oust et de la Vilaine, et recula jusqu'au Poitou les frontières de la Bretagne. Quant au tribut que les Bretons payaient aux Franks : il les en délivre, voilà le fait réel... Le poème, lui, est très imagé.
Un vieil homme se lamente sur la mort de son fils, tué par l'intendant des Franks alors qu'il venait porter le tribut des Bretons ; comme il manquait trois livres dans un des sacs, le Frank lui avait tranché la tête pour faire le poids.
Le vieil homme descend de ses monts d'Arrée et va trouver le roi Nominoé, qui promet de le venger
Le roi amasse des pierres dans trois sacs et va se présenter à Rennes, avec ce qu'il annonce être le tribut. L'intendant pèse les sacs ; au troisième, comme le poids n'y est pas, il essaie d'ouvrir le sac. Nominoé dégaine son épée comme pour trancher les liens, mais c'est la tête de l'intendant qu'il tranche.
L'herbe d'or est fauchée, Il a bruiné tout à coup.
- Bataille !
Il a bruiné tout à coup.
Il bruine, disait le grand chef de famille
Du sommet des monts d'Arez
- Bataille !
Du sommet des monts d'Arez
Il bruine depuis trois semaines, de plus en plus,
De plus en plus, du côté du pays des Franks
Si bien que je ne puis en aucune façon
Voir mon fils revenir vers moi
"Bon marchand, qui court le pays,
Sais-tu des nouvelles de mon fils Karo ?
- Peut-être, vieux père d'Arez,
Mais comment est-il, et que fait-il ?
- C'est un homme de bon sens et de coeur
C'est lui qui est allé conduire les chariots à Rennes
Conduire à Rennes les chariots traînés
par des chevaux attelés trois par trois,
Lesquels portent sans fraude le tribut
de la Bretagne, divisé entre eux
- Si c'est votre fils le porteur du tribut,
C'est vain que vous l'attendrez :
Quand on est allé peser l'argent,
Il manquait trois livres sur cent
Et l'intendant a dit :
"Ta tête, vassal, fera le poids"
Et, tirant son épée,
Il a coupé la tête de votre fils.
Puis il l'a prise par les cheveux,
Et il l'a jetée dans la balance"
Le vieux chef de famille, à ces mots,
Pensa s'évanouir
Sur le rocher il tomba rudement
En cachant son visage avec ses cheveux blancs
Et, la tête dans la main, il s'écria en gémissant :
"Karo, mon fils, mon pauvre cher fils !"
- II -
Le grand chef de famille chemine,
Suivi de sa parenté
Le grand chef de famille approche,
Il approche de la maison forte de Noménoé
"Dites-moi, chef des portiers,
Le maître est-il à la maison ?
- Qu'il y soit ou qu'il n'y soit pas,
Que dieu le garde en bonne santé !"
Comme il disait ces mots,
Le seigneur rentra au logis
Revenant de la chasse, précédé par
Ses grands chiens folâtres
Il tenait son arc à la main,
Et portait un sanglier sur l'épaule
Et le sang frais, tout vivant, coulait
Sur sa main blanche, de la gueule de l'animal
"Bonjour ! bonjour à vous, honnêtes montagnards
A vous d'abord, grand chef de famille
Qu'y a-t-il de nouveau ?
Que voulez-vous de moi ?
- Nous venons vous demander s'il y a une justice,
S'il est un Dieu au ciel, et un chef en Bretagne.
- Il est un Dieu au ciel, je le crois,
Et un chef en Bretagne, si je le puis.
- Celui qui veut, celui-là peut ;
Celui qui peut, chasse le Frank
Chasse le Frank, défend son pays,
Et le venge et le vengera !
Il vengera vivants et morts
Et moi, et Karo, mon enfant,
Mon pauvre fils Karo décapité
Par le Frank excommunié
Décapité dans sa fleur, et sa tête, blonde comme du mil
A été jetée dans la balance pour faire le poids !"
Et le vieillard de pleurer, et se faisant
Ses larmes coulaient le long de sa barbe grise
Et elles brillaient comme la rosée sur un lys
Sur un lys, au lever du soleil
Quand le seigneur vit cela,
Il fit un serment terrible et sanglant :
"Je jure par la tête de ce sanglier,
Et par la flèche qui l'a percée
Avant que je lave le sang de ma main droite
J'aurai lavé la plaie du pays !"
- III -
Noménoé a fait ce qu'aucun
chef au monde ne fit jamais :
Il est allé au bord de la mer avec des sacs
Pour y ramasser des caillox,
Des cailloux à offrir en tribut
à l'intendant du roi chauve
Noménoé a fait ce qu'aucun
chef au monde ne fit jamais :
Il a ferré d'argent poli son cheval,
Et il l'a ferré à rebours
Noménoé a fait ce qu'aucun
chef au monde ne fera jamais :
Il est allé payer le tribut
En personne, tout prince qu'il est.
"Ouvrez à deux battants les portes de Rennes
Que je fasse mon entrée dans la ville
C'est Noménoé qui est ici
Avec des chariots pleins d'argent.
- Descendez, seigneur ; entrez au château
Et laissez vos chariots dans la remise.
Laissez votre cheval blanc entre les mains des écuyer
Et venez souper là-haut.
Venez souper, et tout d'abord, laver
Voilà que l'on corne l'eau, entendez-vous ?
- Je me laverai dans un moment, seigneur,
Quand le tribut sera pesé."
Le premier sac que l'on porta
Il était bien ficelé
Le premier sac qu'on apporta,
On y trouva le poids
Le second sac qu'on apporta,
On y trouva aussi le poids
Le troisième sac que l'on pesa : "Hola !
Hola ! hola ! le poids n'y est pas !"
Lorsque l'intendant vit cela,
Il étendit la main sur le sac
Il saisit vivement les liens
S'efforçant de les dénouer
"Attends, attends,seigneur intendant,
Je vais les couper avec mon épée !"
A peine il achevait ces mots
Que son épée sortait du fourreau
Qu'elle frappait au ras des épaules
La tête du frank courbé en deux
Et qu'elle coupait chair et nerfs
Et une chaîne de la balance en plus
La tête tomba dans le bassin
Et le poids y fut bien ainsi
Mais voilà la ville en rumeur :
"Arrête l'assassin ! arrête l'assassin !
Il fuit, il fuit ! aportez des torches !
Courons vite après lui !
- Apportez des torches, vous ferez bien
La nuit est noire et le chemin glacé
Mais je crains fort que vous n'usiez vos chaussures
A me poursuivre ainsi
Vos chaussures de cuir bleu doré,
Quant à vos balances, vous ne les userez plus
Vous n'userez plus vos balances d'or
En pesant les pierres des Bretons !" Fermer X
Musiques :
Lez-Breizh
Le tribut de Noménoé
Le poème d'Ermold Le Noir - Chant troisième (traduit du latin)
Ermold le Noir (en latin Ermoldus Nigellus), né vers 790, mort après 838, est un ecclésiastique de l'époque carolingienne, clerc de la maison de Pépin Ier d'Aquitaine, surtout connu comme auteur d'un poème, en latin, en l'honneur de Louis le Pieux, une des sources de l'histoire de cet empereur. C'est également une source incomparable pour la connaissance de l'épopée de Morvan Lez-Breizh.
"Kroaz Du", banniel Breizh : Morvan et les Bretons avec l'antique drapeau national à la "Croix Noire"
Les Bretons vus par les Francs<< Les titres en vert n'existent pas dans le document original.
1
Aidée de la protection du Tout-Puissant, la gloire des armes de César a allait toujours croissant ; toutes les nations jouissaient des douceurs d'une paix garantie par la foi, et les soins du grand Louis portaient la renommée des Francs au-delà des mers, et l'élevait jusqu'aux cieux. Cependant César, fidèle aux anciennes coutumes, ordonne aux principaux gouverneurs des frontières de ses Etats et à l'élite des ducs de se réunir autour de lui. 1 Tous empressés d'obéir, accourent au plaid indiqué, et font entendre des discours convenables à leur haute dignité.
Parmi eux se distingue le noble Lambert 2 issu de la race des Francs. Poussé par son zèle, il arrive en toute hâte de la province qu'il commande. C'est à lui qu'est confiée la garde de ces frontières qu'autrefois une nation ennemie, fendant la mer sur de frêles esquifs, envahit par ruse. Ce peuple, venu des extrémités de l'univers, étaient les Brittons, que nous nommons Bretons en langue franque. Manquant de terres, battu par les vents et la tempête, il usurpe des champs, mais offre d'acquitter des tributs au Gaulois, maître de cette contrée à l'époque où parut cette horde vomie par les flots ennemis. Les Bretons avaient reçu l'huile sainte du baptême ; c'en fut assez pour qu'on leur permît de s'étendre dans le pays, et de cultiver paisiblement les terres où ils s'étaient établis. Mais à peine ont-ils obtenu de jouir des douceurs du repos qu'ils allument d'horribles guerres, se disposent à remplir les campagnes de nouveaux soldats, présentent à leurs hôtes la lance meurtrière pour tout tribut, leur offrent le combat pour tout gage de reconnaissance, et les payent de leur bonté par une insultante hauteur.
Le Franc renversait alors de ses armes triomphantes des royaumes dont la soumission lui paraissaient entraîner une lutte plus pénible : aussi la conquête de cette contrée fut-elle ajournée pendant un si grand nombre d'annés que les Bretons, se multipliant chaque jour davantage, couvrirent bientôt tout le pays : aussi, encore enflés de trop d'orgueil, ils ne se contentèrent plus du sol où ils étaient venus mendier un asile, et portèrent la dévastation jusque sur les Etats des Francs. Malheureuse et aveugle nation ! parce qu'elle est faite de misérables combats, elle se flatte de vaincre le franc impétueux !
a L'empereur Louis Le Pieux. 1 En 818. 2 Comte de Nantes.
2
César cependant, attentif à imiter les exemples de ses aïeux, interroge Lambert, l'invite à lui faire sur tout un exact rapport :
"Quel culte cette nation rend-elle au Seigneur ? Quelle foi professe-t-elle ? De quels honneurs jouissent parmi elle les églises du vrai Dieu ? Quelles passions animent ce peuple ? Aime-t-il la justice et la paix ? Respecte-t-il la royauté ? Mérite-t-il notre bonté ? Nos frontières n'ont-elles surtout aucune insulte à redouter de sa part ? Illustre Franc, dit Louis, je t'en conjure, satisfait complètement à toutes ces questions."
Lambert s'incline, embrasse les genoux de l'empereur, et répond en ces termes que lui dicte son coeur fidèle :
"Cette nation trompeuse et superbe s'est montrée jusqu'ici rebelle et sans bonté. Dans sa perfidie, le Breton ne conserve du chrétien que le nom ; les oeuvres, le culte, la foi, il n'en est point chez lui ; les orphelins, les veuves, les églises n'ont rien à attendre de sa charité. Chez ce peuple, le frère et la soeur vivent dans une infâme union ; le frère enlève la femme de son frère ; tous s'abandonnent à l'inceste, et nul ne recule devant aucun crime. Ils habitent les bois, n'ont d'autres retraites que les cavernes, et mettent leur bonheur à vivre de rapine comme les bêtes féroces. La justice n'est parmi eux d'aucun culte, et ils ont repoussé loin d'eux toute idée de juste et d'injuste. Murman est leur roi, si cependant ont peut appeler roi celui dont la volonté ne réside en rien. Souvent ils ont osé se montrer jusqu'à nos frontières, mais ils n'ont jamais regagné les leurs sans être punis de cette témérité." Ainsi parle Lambert.
Le pacifique et pieux César, si célèbre par tous les genres de mérite, lui répond :
"Le récit dont tu me viens, Lambert, de frapper nos oreilles nous est bien pénible à entendre, et nous paraît au dessus de toute croyance. Quoi ! une nation errante jouit des terres de notre Empire sans acquitter aucun tribut, et pousse l'orgueil jusqu'à fatiguer nos peuples par d'injustes guerres ! A moins que la mer qui apporta ces hommes ne leur offre un refuge, c'est par les armes qu'il faut châtier leur crime ; l'honneur et la justice le commandent. Mais avant tout qu'un envoyé se rende en notre nom auprès de leur roi, et lui porte nos propres paroles. Ce roi a reçu les saintes eaux du baptême, et c'est assez pour que nous croyions devoir l'avertir, par cette démarche, du sort qui le menace."
L'empereur des Francs réclame le tribut aux Bretons
3
L'empereur appelle Witchaire, homme probe, habile et d'une sagesse éprouvée, que le hasard avait amené à l'assemblée.
Cours, Witchaire, dit Louis, porte au tyran de ce peuple nos ordres souverains ; répète-les-lui dans les termes où nous allons te les dire et confier ; dis-lui bien que l'effet suivra de près la menace. Lui et les siens cultivent dans notre Empire de vastes terres où la mer les a jetés comme de misérables exilés condamnés à une vie errante. Cependant il nous refuse un juste tribut, veut en venir à des combats, insulte les Francs, et porte contre eux ses armes. Depuis que, par la bonté de Dieu et sur la demande de toute une nation, nous sommes monté sur le trône de notre père et avons ceint la couronne impériale, nous avons supporté la conduite de ce roi, attendant toujours qu'il se montra fidèle, et vînt lui-même solliciter nos lois. Mais depuis trop longtemps déjà cet esprit perfide balance à remplir son devoir, et, pour comble de tort, le voilà que prend les armes, et nous suscite des guerres criminelles. Il est temps, il est plus que temps que ce malheureux cesse d'abuser et les siens et lui-même ; qu'il se hâte de venir humblement demander la paix aux Francs. S'il s'y refuse, vole, et reviens nous faire un rapport fidèle et détaillé." Ainsi parle le pieux César.
Witchaire s'élance sur son cheval, et court exécuter les ordres si sages de son maître. Ni ce roi des Bretons, ni le lieu où il a fixé sa demeure ne lui sont inconnus ; près de ses frontières même Witchaire possédait une abbaye et des richesses vraiment royales qu'il tenait de la munificence de l'empereur. Non loin est un endroit qu'entourent d'un coté des forêts, de l'autre un fleuve tranquille, et que défendent des haies, des ravins et un vaste marais ; au milieu est une vaste habitation. De toutes parts les Bretons y accouraient en armes, et peut-être alors était-elle remplie de nombreux soldats. Ce lieu, Murman le préférait à tout autre, et y trouvait tout ce qui pouvait lui garantir un repose assuré. Secondé par la fortune, l'agile Witchaire y arrive précipitamment, et demande à être admis à parler au roi.
X
Est locus hinc silvis, hinc flumine cinctus amoeno,
Sepibus, et sulcis, atque palude situs.
Intus opima domus, hinc inde recurserat armis,
Forte repletus erat milite seu vario.
Haec loca praecipue semper Murmanus amabat,
Illi certa quies, et locus aptus erat.
Murman n'a pas plutôt appris qu'un envoyé du puissant Louis se présente, que son audace l'abandonne. Cependant il veut connaître la cause d'un événement si extraordinaire. Tous ses traits feignent l'espérance ; il dissimule sa terreur, affecte la joie, commande à ceux qui l'accompagnent de se montrer gais, et ordonne enfin d'introduire Witchaire.
"Salut, Murman, dit celui-ci ; je t'apporte aussi le salut du pieux et pacifique, mais vaillant César."
Murman l'accueille bien, l'embrasse comme le veut l'usage, et lui répond sur le même ton : "Salut aussi à toi Witchaire ; puisse, je le désire, le pacifique Auguste jouir constamment de la santé et de la vie, et gouverner son Empire pendant de longues années !"
Tous deux s'asseient, et font éloigner tous ceux qui les entourent. Alors commence entre eux un important entretien que chacun soutient de son côté. Witchaire prend la parole le premier pour développer l'objet de sa mission, et Murman l'écoute ; mais la sincérité ne dirige ni son oreille ni son coeur.
4
"L'empereur Louis, dit Witchaire, que l'univers proclame la gloire des Francs, l'honneur du nom chrétien, sans égal dans l'amour de la paix et la foi à sa à sa parole, sans rival non plus dans la guerre, le premier des princes par sa science et sa piété, m'envoie vers toi, Murman. Toi et les tiens vous cultivez dans son Empire de vastes terres où la mer vous a jetés comme de misérables exilés condamnés à une vie errante. Cependant tu lui refuses un juste tribut ; tu veux en venir à des combats ; tu insultes les Francs, et prépares tes armes contre eux. Il est temps, plus que temps, infortuné, que tu cesses d'abuser toi et les tiens ; hâte-toi donc de venir demander la paix. Je t'ai répété les propres paroles de César ; j'en ajouterai quelques-unes, Murman, mais qui viennent de moi seul, et qui me sont dictées par mon attachement pour toi. Si tu exécutes sans tarder, et sans que rien ne t'y contraigne, les ordres de mon prince, comme lui-même t'y invite dans sa bonté, si tu désirers conserver avec les Francs une paix éternelle, comme le réclament et le commandent même ton propre intérêt et celui des tiens, pars à l'heure même, cours recevoir les lois du pieux monarque, et acquitte envers lui des tributs que tu dois à lui seul, et sur lesquels tu n'as aucun droit. Songe, je t'en conjure, à ta patrie, à tout ton peuple, songe à tes enfans et à ta femme qui partage ton lit ; pense surtout que ta nation et toi vous avez tort d'adorer de vaines idoles, de violer les saints commandemens, et de suivre les voies du démon. Peut-être le pieux roi te renverra dans tes champs, qui alors seront bien ta propriété ; peut-être même te comblera-t-il de dons plus considérables encore. J'admets que tu fusses plus puissant que tu ne l'es, que ton Empire s'étendit sur de vastes terres, que tu eusses des soldats plus nombreux et une armée mieux équipée ; je veux même que toutes les nations et tous les peuples accourussent à ton secours, comme autrefois le firent pour Turnus les rutules, l'agile Camille, les cohortes de l'antique Italie, et tous les Latins, qui cependant ne purent vaincre Enée ; je veux que tu eusses pour toi le Pyrrhus de l'Odyssée, ou le redoutable Achille, ou Pompée à la tête de l'armée avec laquelle il combattit son beau-père ; il ne te serait cependant point permis de faire la guerre aux Francs qui t'ont reçu dans leurs champs, et t'y souffrent par bonté. Quiconque, au reste, a commencé une fois à s'attaquer à eux, malheur à lui et à toute sa race ! Le Franc n'a point son égal en courage ; c'est son amour pour le Seigneur qui le fait vaincre, c'est sa foi qui lui asure le triomphe ; il aime la paix, et ne prend les armes que malgré lui ; mais une fois qu'il les a prises, nul n'est capable de tenir devant lui. Quiconque, au contraire, recherche la fidèle amitié du Franc et la protection de ses armes, vit heureux dans le repos et la joie. Courage donc ! plus d'inutiles délais ; ne souffre pas que des conseils ennemis t'abusent, et te précipitent dans mille malheurs divers."
Murman attentif tenait son front et ses yeux fixés vers la terre qu'il frappait de son pied. Déjà Witchaire, par son discours adroit et des menaces insinuées avec art, avait commencé à fléchir le Breton qui hésitait encore dans ses projets.
La réponse du Breton
5
Tout à coup la femme perfide et au coeur empoisonné de Murman sort de la chambre nuptiale, et vient d'un air superbe solliciter les embrassemens accoutumés de son époux ; la première elle lui baise le genou, la barbe et le cou, et presse de ses lèvres sa figure et ses mains. Elle va, vient, tourne autour de lui, lui prodigue en femme habile les plus irritantes caresses, et s'efforce avec une adresse insidieuse de lui rendre mille tendres petits soins. L'infortuné la reçoit enfin sur son sein, la serre dans ses bras, cède à ses désirs et s'abandonne à ses douces caresses. La perfide alors se penche à son oreille, lui parle bas long-temps, et parvient bientôt à porter le trouble dans les sens et l'esprit de son époux. Ainsi, lorsqu'au milieu des forêts et dans la saison des frimas, une troupe de bergers s'empresse de livrer aux flammes le bois que la hâche a coupé, l'un apporte en toute hâte les morceaux les plus propres à prendre feu ; l'autre jette de la paille au milieu du combustible le plus sec ; un troisème anime le foyer de son souffle : bientôt le bêcher pétille, s'allume, et élève ses flammes jusqu'aux astres. Les membres glacés du berger se réchauffent ; mais tout à coup le tonnerre gronde ; la grêle, la pluie, la neige tombent avec fracas, et toute la forêt retentit des éclats de la foudre : le feu succombe à regret sous des torrens d'eau, et le bûcher ne donne plus, au lieu de chaleur, qu'une épaisse fumée. De même cette femme qui porte le malheur avec elle étouffe dans le coeur de son époux l'effet des paroles du sage Witchaire.
Jetant alors sur cet envoyé des yeux pleins d'une méprisante colère, et le regardant avec hauteur, elle adresse à Murman cette perfide question :
"Roi et honneur de la puissante nation des Bretons, toi dont le bras a élevé jusqu'aux cieux le nom de tes ancêtres, de quel lien vient un tel hôte ? comment est-il parvenu jusque dans ton château ? Apporte-t-il des paroles de paix ou de guerre ?"
Murman, lui souriant, répons en termes ambigue :
"Ce député m'est envoyé par les Francs ; qu'il apporte ou la paix ou la guerre, c'est l'affaire des hommes ; quant à vous, femme, ne songez qu'à vous acquitter comme vous le devez des soins qui appartiennent à votre sexe".
Witchaire n'a pas plutôt entendu cet entretien qu'il prend à son tour la parole :
"Murman, dit-il, donne-moi donc enfin la réponse que tu souhaites que je reporte à mon roi ; il est plus que temps que j'aille lui rendre compte de l'exécution de ses ordres.
- Souffre, répond Murman dont le coeur roulait mille tristes et inquiétantes pensées, souffre que je prenne le temps de la nuit pour me consulter avec moi-même."
6
Etendus sur la terre, les laboureurs avaient goûté les douceurs du sommeil ; déjà les chevaux du Soleil ramenaient l'Aurore au sommet de la voûte azurée. L'abbé Witchaire court, dès la pointe du jour, se présenter à la porte de Murman, et demande sa réponse. Me malheureux paraît ; il est enseveli dans le vin et le sommeil, ses yeux peuvent à peine s'ouvrir ; ses lèvres, embarrassées par l'ivresse, ne s'écartent que difficilement pour laisser échapper ces mots entrecoupés par les fumées de son estomac, et dont il n'aura jamais dans la suite à se féliciter :
"Hâte-toi de reporter ces paroles à ton roi : les champs que je cultive ne sont pas les siens, et je n'entends point recevoir ses lois. Qu'il gouverne les Francs ; Murman commande à juste titre aux Bretons, et refuse tout cens et tout tribut. Que les Francs osent déclarer la guerre, et sur-le-champ moi aussi je pousserai le cri du combat, et leur montrerai que mon bras n'est pas encore si faible.
- Nos ancêtres, réplique Witchaire, ont toujours dit, la renommée le publie, et j'en acquiers aujourd'hui la certitude, que l'esprit de ta nation se laisse entraîner à des mouvemens inconstans, et que son coeur embrasse sans cesse les partis les plus opposés. Il a suffi d'une femme pour tourner l'esprit d'un homme comme une cire molle, et pour renverser par de vains propos les conseils de la prudence. Le roi Salomon nous dit dans ses préceptes de sagesse que lit fréquemment et que révère l'Eglise : Retirez le bois du feu, et le feu cesse sur-le-champ ; de même rejetez les sots discours, et toute les querelles s'évanouissent. Mais puisque tu refuses de te rendre à mes conseils, je ne suis plus pour toi qu'un prophète de malheur, et je vais t'annoncer de dures vérités. Aussitôt que la france apprendra ta criminelle réponse, elle frémira d'une juste colère, et se précipitera sur tes Etats ; des milliers de soldats t'accableront de leurs armes ; les javelots des Francs te couvriront de blessures ; des hordes pressées de combattans rempliront tes champs, et emmèneront toi et ton peuple prisonniers dans les contrées qu'elles habitent ; tu mourras misérable, tu resteras étendu sur terre humide, et le vainqueur triomphant se parera de tes armes. Ne t'abuse pas ; ni tes bois, ni le sol incertain de tes marais, ni cette demeure que défendent des forêts et des remparts, ne te sauveront".
Murman, le coeur plein de rage, se lève furieux du trône des Bretons, et lui répond avec hauteur :
"Contre les traits dont tu me menaces, il me reste des milliers de chars, et à leur tête je m'élancerai, bouillant de fureur, au devant de vos coups. Vos boucliers sont blancs ; mais je pourrai leur en opposer encore beaucoup que recouvre une sombre couleur ; la guerre ne m'inspire aucune crainte."
Ainsi se parlent les deux guerriers, et tous deux cependant sont animés de sentimens divers.
La marche de l'empereur vers le pays breton
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Witchaire part chargé de cette réponse, et court reporter au pieux monarque les coupables discours de Murman. Aussitôt César parcourt les états des Francs et ordonne de tenir partout les armes prêtes. Sur le bord de la mer, à l'endroit où le fleuve de la Loire y décharge ses eaux avec violence et s'étend au loin sur la plaine liquide, est une ville que les anciens Gaulois ont apppelée Vannes. Le poisson y abonde et le sol est pour elle une source de richesses. Le cruel Breton l'attaque souvent dans ses courses, et y porte, suivant son usage, tous les fléaux de la guerre. César enjoint aux Francs et à toutes les nations soumises à son Empire de se réunir dans cette cité pour une assemblée générale, et lui-même s'y rend de son côté.
Bientôt y accourent les peuples connus de tout temps sous le nom antique de Francs : familiarisés avec la guerre, ils ont leurs armes prêtes, et les portent avec eux. Des milliers de Suèves à la blonde chevelure, rassemblés par leurs centeniers, viennent d'au-delà du Rhin ; on y voit les phalanges saxonnes : elles ont de larges carquois, et avec elles marchent les troupes de la Thuringe. La Bourgogne envoie aussi une jeunesse diversement armée, qui se mêle aux guerriers des Francs, et en augmente ainsi le nombre. Mais redire les peuples et les immenses nations de l'Europe qui se pressent en ce lieu, est une tâche que j'abandonne ; les nombrer serait impossible.
Cependant César traverse paisiblement ses propres Etats 1. Bientôt ce grand monarque arrive au murs de Paris ; déjà, dans sa marche triomphante, saint martyr Denis, il a revu ton monastère où l'attendait les dons que tu as préparés pour lui, puissant abbé Hilduin ; Germain, ce prince a ensuite visité ton temple et celui du Martyr Etienne ; le tien aussi, Geneviève, l'a reçu dans son enceinte. Le pieux empereur traverse ensuite les campagnes d'Orléans, et arrive au château de Vitry. C'est là, Matfried 1, que tu as disposé pour ton maître de superbes appartemens, et que tu lui offres des présens magnifiques et dignes de lui plaire.
1 Il partait d'Aix-la-Chapelle 1 Comte d'Angers
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Mais bientôt, quittant ce lieu, il gagne la cité d'Orléans, et va solliciter pour ses armes les grâces et le secours de la divine croix. Alors, saint évêque Jona 1, tu accours au devant de lui, jaloux de lui rendre les hommages dus à son rang. Déjà, monastère d'Aignan, il revoit tes murs, mais ne s'y arrête que pour demander quelques provisions ; et toi, Durand 2 tu viens et tu t'empresses de mettre aux pieds de César tout ce que tu tiens de sa munificence.
Louis marche ensuite vers Tours, et veut visiter les temples de l'illustre Martin et du pieux martyr Maurice. Allons, ne perds pas un moment, savant Friedgies 3, le temps presse : heureux abbé, tu vas jouir de l'arrivée de César ; offre-lui de riches présens. Déjà le puissant Martin supplie instamment le Seigneur d'accorder à ce monarque un voyage heureux. Le glorieux empereur parvient bientôt à la cité d'Angers, et va, saint Albin, honorer tes précieuses reliques. Là, Hélisachar, son servireur chéri, se présente à sa rencontre le coeur plein de joie, et se montre soigneux d'ajouter par ses dons aux immenses richesses de son maître. César se rend ensuite dans la ville de Nantes, visite tous les temples, et dans tous offre à Dieu ses humbles prières. Là, Lambert, tu revois enfin ce roi après lequel tu soupirais de tous les voeux de ton coeur ; tu le combles de présens magnifiques ; tu sollicites l'honneur de marcher contre les odieux Bretons, et tu pries César de daigner reposer sur le secours de ton bras.
Ma muse ne saurait redire les noms de la foule des autres comtes et grands du royaume dont ni le nombre ni les richesses ne pourraient se compter. L'illustre empereur arrive enfin à Vannes. Aussitôt, fidèle à l'usage de ses aïeux, il dispose tout pour marcher aux combats, et assigne à chacun de ses ducs la place qu'il doit occuper.
1 Evêque d'Orléans 2 Abbé du monastère de Saint-Aignan d'Orléans 3 Abbé de Saint-Martin de Tours
L'empereur essaie d'éviter la guerre... mais en vain
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Cependant Murman, le superbe roi des Bretons, travaillait sans relâche à joindre, pour soutenir la guerre, la force des armes et les ressources de la ruse. César, poussé de nouveau par cette religieuse bonté qui lui est ordinaire, charge un envoyé d'aller en toute hâte remettre encore sous les yeux des Bretons les maux qui les menacent.
"Cours, dit-il, demande à ce malheureux quelle rage insensée le dévore ? que fait-il ? pourquoi nous contraint-il à le combattre ? ne se souvient-il plus de la foi qu'il a jurée, de la main qu'il a si souvent donnée aux Francs, et des devoirs de sujet qu'il a remplis envers Charles ? dans quel abîme court-il se précipiter ? L'insensé ! pourquoi veut-il donc être traître à lui-même, à ses enfants et à ses compagnons d'exil, surtout quand une même foi nous unit à son peuple ? si Dieu nous seconde, l'infortuné périra, et, ô douleur ! il périra sans être revenu à la foi. Telle sera sa fin s'il persiste dans sa révolte. Que ce malheureux fasse ce que nos ordres lui ont prescrit, et se hâte de recevoir nos lois ; qu'il s'unisse aux adorateurs du Christ par les liens de la paix et de la foi, et abandonne pour l'amour du Seigneur les armes du démon. S'il s'y refuse, nous lui déclarerons, quoique bien à regret sans doute, une guerre sans relâche, et qu'il n'aura que trop de raison de craindre".
L'envoyé court, comme il en a l'ordre, porter à Murman les augustes paroles du roi, et mêle la prière aux reproches. Mais l'infortuné, justement dévoué à un cruel malheur, ne sait point garder sa foi, et repousse les pieux commandements de César. Affermi dans ses funestes idées par les sollicitations de son orgueilleuse femme, il ne répond qu'en termes durs, et montre un coeur embrasé de haine. La guerre est ce qu'il désire ; il y appelle tous les Bretons, dispose des embuscades, et prépare de perfides ruses.
A peine cependant César a-t-il entendu la réponse de l'orgueilleux Breton qu'il ordonne de la publier parmi les Francs. Aussitôt leurs cohortes s'enflamment d'un noble courroux ; déjà tout est prêt pour le combat ; le camp se lève, et le clairon frappe l'air de ses terribles sons.
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Cependant le pieux empereur place sur tous les points de fortes gardes avancées, et leur donne ses ordres que dicte son amour pour le Seigneur :
"Soldats, veillez au salut des églises ; gardez-vous de porter la main sur les murs sacrés, et que, par respect pour Dieu, la paix soit conservée à ses saints temples".
Déjà les champs retentissent du bruit des clairons ; toute la forêt s'en émeut, et la creuse trompette pousse ses gémissements à travers les campagnes. De toutes parts on se met en marche : les bois offrent à ces peuples divers mille routes écartées, et la terre se couvre de guerriers Francs. Partout ils recherchent les approvisionnemens cachés dans les bois et les marais, ou que l'adresse et la charrue ont confiés à la terre. Hommes, boeufs, brebis tout devient la proie malheureuse du vainqueur. Nul marais ne peut offrir un asile aux Bretons ; nulle forêt n'a de retraite assez sûre pour les sauver. De toutes parts le Franc se gorge d'un riche butin. Comme César l'a recommandé, les églises sont respectées, mais tous les autres bâtimens sont livrés aux flammes dévorantes.
Orgueilleux Breton, tu n'oses te présenter devant les Francs en rase campagne, et tu fuis le combat. A peine quelques-uns des tiens se laissent-ils apercevoir de loin, et enfoncés au milieu des buissons et des épais taillis qui couvrent les rochers ; à peine font-ils entendre le cri de guerre. Comme on voit tomber la feuille du chêne à la première gelée, les pluies d'automne, ou même la rosée dans les jours de la brûlante canicule, de même les infortunés Bretons remplissaient de leurs cadavres massacrés les bois, asile des bêtes féroces, ou les vastes prairies des marais ; ils n'opposaient qu'une vaine résistance dans les défilés les plus étroits, et, défendus même par les murailles de leurs maisons, ils ne livraient aucun combat. Déjà, Murman, le vainqueur parcourt dans tous les sens les côtes sablonneuses de tes Etats ; déjà même s'ouvrent devant lui et tes bois inaccessibles et ton orgueilleux palais.
Le Breton encourage ses troupes
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Cependant, au fond de vallées qu'ombragent des taillis touffus, ce fier Breton excite ses coursiers, prend ses armes accoutumées, exhorte les siens d'un air de triomphe, gourmande long-temps leur lenteur, et fait entendre ces paroles échappées de son coeur superbe :
"Vous, ma femme, mes enfants et mes serviteurs, restez sans crainte dans vos demeures ombragées par les bois. Quant à moi, suivi d'un petit nombre de guerriers, je vais me rendre aux lieux où je pourrai plus sûrement passer la revue de mes bataillons, et bientôt, je l'espère, mon agile coursier me ramenera couvert de trophées et chargé de dépouilles sous mon toit domestique."
A ces mots, il équipe son coursier, revêt son armure, ordonne à ses fidèles compagnons de prendre les leurs, et charge ses deux mains de javelots. Il s'élance légèrement sur son coursier, et lui presse les flancs de l'éperon acéré ; mais en même temps il retient les rênes, et le fougueux animal s'agite et piaffe sous son maître. Au moment de franchir les portes, il commande d'apporter, suivant l'usage, d'immenses coupes remplies de vin, en prend une, et l'avale d'un trait. Alors, plein d'une confiante gaîté, il sollicite, selon la coutume, et au milieu de tous ses serviteurs qui l'entourent, les embrassements de sa femme et de ses enfans, et leur rend de longues caresses. Brandissant ensuite avec violence les javelots dont ses mains sont armées, il s'écrie :
"Femme de Murman, retiens ce que je vais te dire : tu vois, ma bien-aimée, ces traits que tient dans ses mains ton époux animé par la joie, et déjà monté sur son coursier. Si mes pressentimens ne me trompent point, tu les reverras aujourd'hui même à mon retour teints du sang des Francs. Je le jure, objet de ma tendresse, le bras de Murman ne lancera aucun javelot qui ne porte un coup. Adieu, épouse chérie, adieu, porte-toi bien."
Il dit, et s'enfonce à toute bride dans les forêts exposées à tous les feux du soleil. L'insensé, c'est toi, Louis, qu'il va chercher pour son malheur ! Il anime d'un choeur ferme les siens à courir aux armes, et tous, enflammés par le démon de la guerre, se précipitent à l'envi sur ses pas.
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"Vous le voyez, jeunes Bretons, s'écrie-t-il, l'armée des Francs dévaste les campagnes, enlève et traîne après elle, hommes et troupeaux. O amour de la justice ! ô renommée de nos ancêtres autrefois si glorieuse ! hélas ! vous rougissez que votre souvenir soit sans effet ! Vous en êtes témoins, les infortunés citoyens courent mendier un asile aux forêts, et n'osent se présenter en armes et en rase campagne contre l'ennemi. Non, il n'y a plus à compter sur la fidélité. Où sont maintenant ces bras dont on me promettait le secours pour une année entière ? Personne n'a le courage d'affronter les Francs : partout ils sont les maîtres ; partout ils pillent et emportent triomphans les richesses que les Bretons ont ammassées à force de temps et de travail. Que la fortune ne permet-elle que je me trouve en face de leur roi ! peut-être pourrais-je lancer ce trait contre lui ; peut-être, au lieu de tribut, lui ferais-je don de ce fer : certes, du moins, oubliant tout danger, je me précipiterais en armes sur lui, et je m'estimerais heureux de me dévouer moi-même à la mort pour la gloire de mon pays et le salut du monde".
Un de ceux qui s'étaient associés à la fortune de ses armes lui répondit ces paroles qui n'étaient que trop vraies, mais ne pouvaient lui plaire :
"O roi ! ils sont vains les discours que laisse tomber un coeur triste ; il y a maintenant plus de choses à taire qu'à publier. Tu le vois, des milliers de Francs occupent la plaine ; ils sont innombrables ceux qui remplissent nos forêts et nos bois escarpés. Quant à leur puissant monarque, entouré d'une foule de soldats de diverses nations, il suit les routes frayées, et traverse paisiblement les campagnes. Hélas ! cette race n'a que trop étendu ses conquêtes jusques aux quatre coins de l'univers, et tout être humain est soumis à son empire. Murman, si tu m'en crois, contente-toi de poursuivre ceux des Francs que tu verras marcher isolés ; t'attaquer à leur roi ne serait pas sûr".
Murman secoue long-temps la tête, et s'écrie enfin :
"Tout ce que tu me dis est vrai sans doute, mais n'a rien qui puisse me plaire."
Le dernier combat du Breton
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Les larmes alors inondent ses joues, le chagrin oppresse son âme, et son esprit troublé se précipite dans mille projets opposés. Bientôt il s'élance, prompt comme l'éclair, sur les ennemis qu'il rencontre, les attaque par derrière, et plonge son épée dans leurs larges poitrines ; il porte la fureur de ses armes tantôt sur un point, tantôt sur l'autre, et, fidèle à la manière de combattre de ses ancêtres, il fuit un instant pour revenir sur-le-champ. Déjà Murman, dans sa fureur, fait tomber sous ses coups la tourbe des gardeurs de pourceaux et des malheureux bergers qui suivent l'armée, et jonche la terre de leurs cadavres : telle une ourse dévorante à qui ses petits nouveau-nés viennent d'être enlevés, court en hurlant de rage à travers les champs et les forêts.
Dans ces lieux était un certain Coslus. Une famille de Francs lui a donné naissance, mais sa race n'a rien de noble ; ce n'est qu'un Franc de la classe ordinaire, et jusqu'alors la renommée n'a rien publiée de lui ; mais de ce moment la vigueur de son bras lui crée un nom célèbre. Murman, au milieu du carnage, l'aperçoit de loin ; plein de confiance dans la vitesse de son coursier, il fond tout bouillant de colère sur cet ennemi. Le Franc qui ne compte pas moins sur la bonté de ses armes accourt à sa rencontre. La fureur les anime l'un l'autre. Murman insulte de loin son adversaire par ces dures paroles :
"Franc, c'est toi qui le premier vas jouir de mes dons ; ils t'appartiennent à juste titre, et te sont réservés depuis long-temps ; mais, en les recevant, souviens-toi que c'est de ma main qu'ils te viennent."
Il dit, brandit long-temps sa javeline armée d'un fer aigu, et la lance avec force. L'adroit Coslus se couvre de son bouclier, et repousse loin de lui le trait meurtier. Supérieur par la force de ses armes et par son courage, le Franc répond alors avec le ton du triomphe aux menaces de son ennemi :
"Orgueilleux Breton, je n'ai point refusé les présens que me destinait ta main ; c'est à toi maintenant de recevoir ceux qu'un Franc va t'offrir."
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A ces mots, il presse son coursier de ses talons armés de fer, et fond avec impétuosité sur Murman. Ce n'est plus le moment de combattre avec de misérables javelots ; la lance du Franc s'enfonce dans les larges tempes du Breton. Une armure de fer couvrait sa tête et toutes les parties de son corps ; mais le Franc adroit lui porte un coup assuré. Murman que la lance a percé tombe sur la terre, et l'infortuné fait gémir bien à regret le sol sous le poids de son corps. Coslus alors s'élance de dessus son cousier, tire son glaive, et coupe la tête du vaincu. Le Breton pousse un profond soupir, et la vie fuit pour jamais loin de lui ; mais avant qu'elle l'eût complètement abandonné, un des compagnons de Murman frappe Coslus d'un coup mortel. Imprudent Coslus, ainsi tu péris, hélas ! au milieu de ta victoire ! Enflammé par son amour pour son maître, le serviteur de Coslus plonge son glaive dans le flanc de ce cruel ennemi, et celui-ci, quoique mourant, fait à son adversaire une blessure aussi fatale, et tous deux tombent sous le fer l'un de l'autre : ainsi dans le même champ où ces quatre guerriers avaient combattu avec un superbe courage, un sort pareil réunit et le vainqueur et le vaincu.
Cependant la renommée, fendant l'air de son vol léger, répand peu à peu dans tout le camp des Francs et fait passer de bouche en bouche la nouvelle que le cruel et orgueilleux Murman a succombé sous sa destinée ; le bruit court que déjà sa tête est apportée dans le camp. Empressées de la contempler, les cohortes de Francs se précipitent en foule de toutes parts, et poussent des cris de joie. On leur présente sur-le-champ cette tête que le glaive vient de séparer du corps ; elle est souillée de sang et dans un horrible désordre. On appelle Witchaire ; on veut qu'il paraisse sur-le-champ ; on le presse de décider si la nouvelle qui se publie est fausse ou véritable. Il lave à l'instant même cette tête dans une onde pure, à l'aide d'un peigne en arrange la chevelure, reconnaît promptement la vérité du fait sur lequel on lui ordonne de prononcer, et s'écrie :
"Cette tête est celle de Murman, croyez-m'en tous ; ces traits me sont trop bien connus pour que je n'en aie pas conservé le souvenir".
Epilogue
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Cependant le religieux César commande, dans sa bonté, de confier à la terre selon l'usage, le cadavre du vaincu, et les restes des Francs sont aussi déposés dans le tombeau avec toutes les cérémonies de la religion et les chants sacrés que l'Eglise a prescrits.
D'un autre côté, la renommée parcourt les forêts de Bretons, y répand la terreur, et crie d'une voix tonnante :
"Une mort cruelle vous enlève votre roi. Hélas ! malheureux citoyens, courez, hâtez-vous d'aller implorer les ordres de César, et tâchez que du moins la vie vous soit accordée. Notre Murman est tombé sous la lance d'un Franc, et a porté la peine de son aveugle confiance dans les conseils de sa femme."
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Les Bretons sont alors contraints de venir solliciter eux-mêmes le joug du roi Franc, et avec eux comparaissent les fils de Murman et toute sa race. Le triomphant Louis reçoit sur-le-champ les sermens des Bretons, leur dicte ses lois, leur accorde sa foi et leur rend ainsi la paix et le repos.
Ce prince victorieux rend ensuite au Seigneur de profondes actions de grâces, réunit à sa couronne un royaume depuis tant d'années perdu pour l'empire, ne laisse dans le pays qu'un petit nombre des siens, et, avec le secours de la bonté divine, reprend plein de joie, le chemin de ses puissans Etats.
1263 - Accord par lequel Nuz, fils de Sen, s'engage à garder, au nom de Hervé IV de Léon, le château de Coetmeur en Landivisiau : il y est stipulé que le vicomte ne pourra pas poursuivre Nuz pour certains objets qui se trouvaient "in Rupe-morvan" lors de la mort de son père, Hervé de Léon, vers 1241, et qui avaient alors disparu.
Original détruit faisant partie des titres de Blain (latin) ; copié par H. Morice au XVIIIe siècle et publié dans le volume 1 des "Preuves", col 989.
1280 (mars) - Adjudication de biens à Guillaume de Léon, fils puîné de Hervé de Léon : il y est question de "Rocha Morvani".
Titre (latin) des archives de Monsieur de Janzé. Publié par J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélémy, 1879, tome 6, P. 200.
1363 (31 août) - Testament de Hervé VIII de Léon: il fonde une chapellenie dans la chapelle dédiée à saint Yves près du château ("apud Rocham morvam").
Original (latin): titre de Blain, conservé à la B.M. de Nantes, fonds Bizeul, B. 1702. Copié par H. Morice au XVIIIe siècle et publié dans le volume 1 des "Preuves", col. 1561-1564.
Voir Les sources documentaires de l'histoire du Château de La Roche-Maurice Etude préliminaire par Patrick KERNEVEZ Août 1994
Morvan est regardé comme le fondateur du château de La Roche-Maurice, près de Landerneau. Ce château portait encore le nom de la Roche-Morvan au XIIIè siècle. (Exemple : Preuves de l'Histoire de Bretagne, t. Ier, col. 989 ).
La poésie lui avait donné un autre nom qui dépeint sa situation sur un rocher abrupte et élevé, en l'appelant Roc'h-an-Tron ou la Roche-aux-Aigles (source Biographie Bretonne).
I. Plus généralement, les historiens se sont accordés pour dire que le château de La Roche-Maurice fut la résidence de Morvan Lez-Breizh, notamment D.L. Miorcec de Kerdanet en 1823 et le Chevalier de Fréminville, dans ses Antiquités de Bretagne en 1832.
II. Plus tard, Charles de Keranflec'h dans Mélanges d'histoire et d'archéologie bretonnes (1858) conteste l'analyse de Kerdanet .
Dans la description faite par Ermold Le Noir, "il est impossible de d'y reconnaître la Roche-Maurice ou la Roche-Morvan. La constitution géologique du terrain sur lequel est assis ce château ne permet pas, en effet, d'admettre qu'il ait jamais pu être entouré par un repli de l'Elorn ni défendu par aucun marais. On est donc obligé de renoncer à y placer l'entrevue de Morvan et de Witchaire, qui au reste a fort bien pu se passer partout ailleurs dans le pays des Bretons". Référence à la description d'Ermold Le Noir, plus haut : "Un endroit qu'entourent d'un côté des forêts, de l'autre un fleuve tranquille, et que défendent des haies, des ravins et un vaste marais".
D'après Charles de Keranflec'h dans Mélanges d'histoire et d'archéologie bretonnes (1858) :
" M. de Kerdanet n'a pas hésité à admettre que c'est en ce lieu [La Roche-Maurice] que se passa en 814 la fameuse scène entre le moine Frank Witchaire et le comte de Léon Morvan Ier, roi suprême des Bretons. Il fonde son assertion sur le passage tant de fois cité du poème d'Ermold-le-Noir, dans lequel est racontée l'expédition que Louis-le-Débonnaire fit en Bretagne pour réduire nos ancêtres, qui avaient poussé le cri de liberté et secoué le joug que Charlemagne leur avait imposé. Il y est dit que le moine envoyé par l'empereur pour amener le prince breton à payer le tribut accoutumé le trouva dans une forteresse décrite en ces termes : « Est locus hinc sylvis, hinc flumine cinctus amaeno, Sepibus et sulcis atque palude situs. Intus opima domus, hinc inde recurserat amnis, Forte repletus erat milite seu vario. Haec loca praecipue semper Murmanus amabat ; Illi certa quies, et locus aptus erat ». [Note : Je donne ce texte d'après M. A. de Courson, HISTOIRE DES PEUPLES BRETONS].
Il est un lieu fortifié par des haies (sepibus), des fossés (sulcis) et un marécage qu'entourent d'un côté une forêt, de l'autre un beau fleuve. A l'intérieur s'élève une riche habitation que le fleuve, revenant sur lui-même, enveloppe dans son repli ; elle était remplie de soldats de toutes armes. Morvan avait une prédilection particulière pour ce lieu, où il trouvait une demeure commode et un asile assuré.
Cette description convient admirablement à nombre de forteresses en terre dont on voit les restes en différentes parties du territoire occupé par les Bretons dès les premières années du IXème siècle ; je citerai particulièrement celles de Castennec et de Castel-Finans dans le Morbihan, mentionnées l'une et l'autre par Cayot-Délandre (articles Bieuzy et saint Aignan) ; mais il est impossible d'y reconnaître la Roche-Maurice ou la Roche Morvan. La constitution géologique du terrain sur lequel est assis ce château ne permet pas, en effet, d'admettre qu'il ait jamais pu être entouré par un repli de l'Elorn ni défendu par aucun marais. On est donc obligé de renoncer à y placer l'entrevue de Morvan et de Wilchaire, qui au reste a fort bien pu avoir lieu partout ailleurs dans le pays des Bretons".
Tout ce que l'on peut légitimement induire de la synonymie des noms de la Roche-Maurice et de la Roche-Morvan, c'est qu'il est dû à ses commencements sinon à Morvan Ier, du moins à Morvan II, comte de Léon, qui vivait en 1070, et dont les descendants mâles le possédèrent jusqu'à Hervé VIIIè du nom, vicomte de Léon, qui mourut sans postérité en 1363. (C.K. = Charles de Keranflec'h).
Mon commentaire :
Bien malin qui pourrait affirmer qu'il n'y avait pas de marais au pied du château de La Roche-Maurice en 818. Je pense, au contraire, qu'à cette rude époque, le châtelain de La Roche ne pouvait, pour sa protection et celle de ses sujets, que tirer partie de la confluence de l'Elorn et du Morbic. Et pour faire monter le niveau des eaux, pourquoi n'aurait-il pas construit un barrage bas, un peu en aval de ce confluent. Barrage qui pouvait peut-être déjà exister, peu ou prou, de façon naturelle. La montée du niveau des eaux aurait permis un encerclement partiel du château et rendu automatiquement le bas de la vallée du Morbic quelque peu marécageuse.
Mon hypothèse est-elle farfelue ? Non, je ne le crois pas. D'ailleurs, Arthur de la Borderie utilise aussi le même style d'hypothèse dans le cadre de son argumentation pour la localisation de la résidence de Morvan en Morbihan (voir plus bas).
En outre, à La Roche-Maurice, le lieu que je situe s'appelle aujourd'hui Stangolc'h. Sur le cadastre napoléonien de 1811, il est nommé Stang a loch (voir parcelles 18 et 19). Nous n'insisterons pas sur le qualificatif du STANG (golc'h, loch ou loc'h), qui ne semble pas important pour la démonstration, ni sur les problèmes d'orthographe du fonctionnaire qui a rédigé l'inventaire des parcelles.
Le mot STANK identifie un ETANG et même un BARRAGE. Notons aussi que les parcelles un peu plus en amont de Stangolc'h (21 et 22) sont appelées "Ar yeun" = "Le marais". C.Q.F.D.
III.
Plus récemment, Vincent Audren de Kerdrel, en 1881, dans le Bulletin Archéologique de l'Association Bretonne et Arthur Le Moyne de La Borderie dans son Histoire de Bretagne en 1898, examinent un autre lieu pour y situer la résidence de Morvan Lez-Breizh et la localisent sur la colline de Minez Morvan dans la contrée de Le Faouët-Langonnet. Le village de Minez-Morvan existe bien sur le cadastre ancien de 1838. Cette zone a d'ailleurs adopté de nos jours l'appellation touristique de Pays du Roi Morvan.
Le deuxième historien réfute, d'abord, la synonymie entre "Roc'h Morvan" et "La Roche-Maurice". Il a raison du point de vue linguistique, cependant le roc a d'abord été appelé Roc'h Morvan (cf "in Rupe-Morvan", "Rocha Morvani", "apud Rocham Morvam"). Voir la suite de son analyse sous couvert du livre vert . D'après cette version, Morvan serait resté, dans son domaine, attendre les armées franques. Etonnant, non !
Mon commentaire : Lez-Breizh n'aurait-il pas, plutôt, quitté son "Roc'h Morvan" pour aller au devant de l'empereur et l'affronter au bord de l'Ellé ? Le "Minez Morvan" n'aurait été que son camp de base lors du conflit et cela est suffisant pour que Morvan y ait laissé son nom.
Ce qu'en dit Arthur Le Moyne de La Borderie : Histoire de Bretagne, tome 2 - 1898
On a voulu placer la demeure de Morvan "au château de la Roche-Maurice sous prétexte que les Bretons l'appellent aujourd'hui la Roche-Morvan ; 1 mais la synonymie de Maurice et de Morvan n'existait nullement au IXè siècle : ce dernier nom est rendu en latin par Mormanus, Murmanus, jamais par Mauritius. 2 D'ailleurs le site de la Roche-Maurice ne convient nullement à la description de la demeure de Morvan" dans le texte d'Ermold Le Noir. "Il est un lieu, dit Ermold, bordé d'un côté par des forêts, de l'autre par un fleuve agréable, un lieu défendu par des retranchements, des fossés, des marécages, souvent rempli de guerriers de toute sorte. Au dedans de cette enceinte s'élève une belle demeure enveloppée par les replis du fleuve. C'était là la résidence préférée de Morvan, il pouvait dans cette forte position se repose en toute sécurité".
Il est certain que la rencontre entre Morvan et les Franks, qui se produisit dans le voisinage de la demeure du roi breton 3, eut lieu non sur l'Elorn mais sur l'Ellé (2), si bien qu'après cette rencontre, après la mort de Morvan, Louis Le Débonnaire avait son camp sur la rive gauche de ce dernier cours d'eau, dans la forêt de Priziac, qui occupait le territoire de la paroisse actuelle ainsi nommée (3). C'est donc de ce côté qu'il faut chercher le résidence du roi breton.
(2) La Chronique de Landevenec, aujourd'hui perdue, mais qui a été vue par Le Baud, en témoigne formellement : "Et dit la Chronique de l'abbaye de Landevenec que l'an 5è de l'empereur Loys, il ficha ses tentes en la province de la moindre Bretagne, sur le fleuve Ellé en la forest de Brisiac (Prisiac) : auquel lieu Morvannus luy alla au devant avec sa puissance, espérant faire bataille avec luy". (Le Baud, Histoire de Bretagne p. 95.
(3) C'est là, "super fluvium Eligium (l'Ellé), juxta sylvam quae dicitur Brisiaci", qu'il donna après sa victoire le diplôme relatif à la discipline des moines bretons ; voir Cartulaire de Landévenec édition A. de la Borderie, p. 76 ; D. Morice, Preuves I, 228 ; et notre tome Ier, p. 508 note 1.
Mes commentaires :
1 C'est vrai que cette synonymie n'existait pas au IXè siècle. Aujourd'hui encore on se pose la question : Pourquoi "Morvan" est-il devenu "Maurice" ? Car on l'a vu au 13è et 14è siècle ce lieu s'appelait "La Roche-Morvan" (cf "in Rupe-Morvan", "Rocha Morvani", "apud Rocha Morvam") avant d'être nommé "La Roche-Maurice", toponyme qui n'existait pas effectivement du temps de Morvan Lez-Breizh. 2 Notre célèbre historien veut démontrer que le lieu de Minez-Morvan en Morbihan correspond à la description, notamment mettant en évidence la configuration des cours d'eau. Difficile pour une description si sommaire. 3 La rencontre se serait produite "dans le voisinage de la demeure du roi breton". Hypothèse de sa part ? Car notre historien écrit aussi que Morvan alla à la rencontre de Louis Le Pieux. En effet, je n'ose imaginer que Morvan sachant qu'il allait être attaqué par les armées franques soit resté attendre leur venue dans son château. D'ailleurs dans le texte d'Ermold bien des phrases laissent deviner une guerre sur un grand territoire, et non limité à la proximité de la résidence de Morvan. Lez-Breizh aurait quitté son "Roc'h Morvan" pour affronter l'empereur au bord de l'Ellé et le "Minez Morvan" n'aurait été que son camp de base lors du conflit ? Cela est suffisant pour que Morvan y ait laissé son nom.
IV. Les dernières recherches historiques et archéologiques sur le château, depuis 2001, ont permis de remonter jusqu'à une période située entre 978 et 1027. A cette époque, un dénommé Morvan, vicomte de Cornouaille, dit aussi du Faou, y érigea un château auquel il donna son nom. Il voulait protéger son domaine des attaques possibles des comtes et vicomtes de Léon.
Mon commentaire : Morvan Lez-Breizh, dont Arthur Le Moyne de la Borderie dit que son origine est probablement cornouaillaise, ne serait-il pas l'ancêtre de ce vicomte Morvan ? ... et donc un précédent possesseur du Roc'h-Morvan.
Malgré toutes ces hésitations, il me plaît à penser que Morvan Lez-Breizh fut résident du château de La Roche-Maurice.
Mais il avait plusieurs résidences a dit le poète Ermold Le Noir.
Annexe
Kenta difennourien Breiz Vihan
Kenta Breizad a rankas stourm ouz ar franked eo Gwerog, roue Bro Werog ; etre ar bloaz 577 hag ar bloaz 594 e rankas brezelekaat, koulz lavaret bep bloaz, evit miret outo da lakat o zreid war douar Breiz.
Judikael, roue an Domnone, a stourmas outo kement all ; er bloaz 636, e teuas a-benn d'en em glevet gant Dagobert hag ar Franked a lezas ar Vretoned e peoc'h.
Pignet war tron er bloaz 615, Judikael a roas an dilez eus e garg er bloaz 640, evit mont da vanac'h.
Un den santel e oa ; eun dervez e treizas an aotrou Doue e-unan dindan stumm eun den lor, en devoa goulennet outan e lakat da dreuzi an dour ; al lorgnez a zo eur c'hlenved donjerus a laka an den da vreina war e dreid. An dud lor n'eo ket brao eta tostât outo en aoun da dapa o c'hlenved.
Judikael, hep donjer, a zougas ar paour a c'houlenne sikour digantan ; digouezet e penn an treiz e welas e oa ar paour-ze an Aotrou Doue e-unan hag e stouas dirazan betek an douar.
Brudeta roue Bro Gerne eo Morvan, leshanvet Lez-Breiz ; d'ar manac'h Witcar, kannad ar Franked a glaske e c'hounit dre gaer hag e lakat da baea gwiriou bras d'e vestr e lavare :
" Distro da gaout da impalaer pa giri ha lavar d'ezan n'emaoun ket war e zouar ha ne blegin ket d'e lezenn ; ma c'hoanta brezel e kavo : divrec'h hon eus ha gouzout ha raimp o lakat da dalvezout ".
Lazet e voe, dam-goude, war Menez-Morvan, harp e abati Langonnet, er bloaz 818 a greiz m'edo o stourm, en e wir wella, ouz Loeiz, mab Charlez, impalaer bras ar Franked.
Marvet e oa evel m'en devoa c'hoant da vervel : evid Breiz, haera maro !
Feiz ha Breiz - Genver 1934.
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Les premiers défenseurs de la Petite Bretagne
Le premier Breton qui dut combattre les Francs, ce fut Gwerog, roi du pays Gwerog ; entre 577 et 594 il dut guerroyer, pour ainsi dire chaque année, pour les empêcher de mettre le pied sur la terre de Bretagne.
Judikael, roi de Domnonée, lutta contre eux avec autant de vigueur ; en 636, il arriva à s'entendre avec Dagobert et les Francs laissèrent les Bretons en paix.
Monté sur le trône en 615, Judikael abandonna sa charge en 640, pour se faire moine.
C'était un saint homme ; un jour il rencontra le Bon Dieu lui-même sous l'apparence d'un lépreux, qui lui demanda de l'aider à traverser la rivière ; la lèpre est une maladie contagieuse qui fait que l'homme qui en est atteint pourrit sur pied. Il n'est donc pas prudent de s'approcher des lépreux au risque d'attraper leur maladie.
Judikael, sans crainte ni répugnance, transporta le pauvre homme qui lui demandait de l'aide ; arrivé au bout de sa traversée, il vit que ce pauvre homme était Dieu en personne et il s'inclina devant lui jusqu'à terre.
Le plus célèbre roi de Cornouaille, c'est Morvan, surnommé Lez-Breiz ; quand le moine Witchar, légat des Francs, chercha à attirer ses faveurs tout en l'obligeant à payer, à son maître, un tribut immense, il répondit :
" Retourne voir ton empereur quand tu voudras et dis-lui que je ne suis pas sur ses terres et que je ne me plierai pas à sa loi ; s'il veut la guerre il l'aura : nous avons tous deux bras et nous saurons nous en servir ".
Il fut tué, peu après, sur la montagne appelée Menez-Morvan, près de l'abbaye de Langonnet, en 818, quand il combattait, pour son bon droit, contre Louis, fils de Charles, grand empereur des Francs.
Il mourut, comme il voulait mourir : pour la Bretagne, quelle belle mort !
Feiz ha Breiz - Janvier 1934.
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Sources des informations
Histoire de la Bretagne par Yann Brekilien - Ed. Hachette - 1977
Histoire de la Bretagne et des Bretons par Joël Cornette - Ed. Seuil - 2005
Presse ancienne : La Dépêche de Brest des 16/12/1890, 21/12/1890 et 22/12/1890 : La Roche-Maurice - Le penntiern Morvan et son château par H. Urscheller
Barzaz Breiz par Hersart de la Villemarqué - Ed. Librairie Académique Perrin - 1963