Renée de BREZAL |
Soeur Louise-Marie-Pacifique
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ABRÉGÉ DE LA VIE & DES VERTUS DE NOTRE CHÈRE SOEUR MARIE-PACIFIQUE DE BRÉZAL,
décédée en notre second Monastère de Rennes, le 2 avril 1680, âgée de 37 ans, dont 8 de profession.
La religion, dit notre Bienheureux Père, ne fait pas grand état de façonner un esprit tout fait, une âme douce et tranquille en elle-même, mais elle estime grandement de réduire à la vertu les âmes fortes en leurs inclinations ; car ces âmes-là, si elles sont fidèles, elles passeront les autres, acquérant par la pointe de l'esprit ce que les autres ont sans peine. (XXe Ent. de saint François de Sales, de la Prétention religieuse.) Ce fut précisément une victoire de cette nature que notre Soeur Marie-Pacifique offrit à notre saint Institut ; l'histoire de sa vie et de ses combats va nous le prouver.
Elle appartenait à une maison (1) considérable de la basse Bretagne. Tout enfant, ses parents la mirent entre les mains de son
(1) Un autre texte nous apprend qu'elle était la fille aînée du seigneur de Brezal. Quel seigneur de Brezal ?
Guy de Brezal, bien sûr.aïeule paternelle (2),
(2) Il s'agissait bien sûr de Marie du Coskaer, dont l'auteur nous dresse ici un portrait remarquable.
Un autre texte, consacré toujours à Soeur Marie-Pacifique, le complète : "Cette charitable dame (Marie du Coskaer) consacroit presque tout son tems à procurer l'union entre les familles, & à terminer tous les differends, qui s'élevoient entre ses sujets. Elle passoit des jours entiers dans ce saint exercice, & s'y appliquoit avec tant d'affection, qu'elle oublioit même de prendre quelquefois le repos, & la nourriture qui lui auroient été nécessaires."
femme d'un mérite et d'une vertu extraordinaires, qui persévérait, depuis sa jeunesse, dans l'état de viduité. Animée d'une dévotion solide et courageuse, cette noble dame s'élevait constamment à Dieu par l'oraison, et descendait ensuite au secours du prochain par la charité. Durant une année de famine, après avoir distribué tout le blé de ses greniers, elle en fit venir, à grands frais, pour nourrir les pauvres du pays ; quant aux malades, elle ordonnait qu'on les apportât dans sa maison, où elle les soignait de ses propres mains. Ce fut a cette sainte école que Mlle de Brézal reçut les premières impressions de la piété, impressions qui se gravèrent profondément dans son esprit, doux, a la vérité, mais ferme et capable de grandes choses.
Cependant, lorsqu'elle eut respiré, dans le monde, l'air contagieux qui empoisonne si facilement les jeunes coeurs, elle se laissa gagner par la vaine gloire et la recherche d'elle-même. Peu à peu ses succès, ses avantages, l'éclat que jetait sa famille, l'éblouirent si fort que, dans ses derniers jours, elle ne cessait de remercier Dieu d'avoir tiré le bien du mal en sa personne, et d'avoir fait servir son orgueil naturel et la hauteur de ses prétentions à la conservation de sa liberté. Quoique la maison de ses parents fût le rendez-vous de toute la noblesse du pays, et que la proximité de Brest, où l'armée navale a coutume de mouiller, y attirât tous les officiers de marine, elle n'était pas encore satisfaite des divertissements dans lesquels se passait sa vie. Tous les jours elle imaginait de nouveaux plaisirs, et, munie de la permission de sa mère, elle ne manquait jamais d'accompagner les dames, ses parentes, dans les meilleures villes de la province. Là, elle était de toutes les fêtes et ne pensait qu'à se parer, à se donner de la joie et à s'engager de plus en plus dans le monde. Son horreur pour les grilles était si profonde, qu'elle n'estimait pas qu'il pût y avoir un état plus malheureux que la vie cloîtrée ; c'était même le sujet ordinaire de ses plaisanteries. Souvent, elle disait ne pas comprendre comment une personne de bon sens peut se retirer dans un couvent. Ainsi se passèrent huit où dix années.
Messieurs ses parents lui faisaient de temps en temps diverses propositions d'établissement ; mais elle rejetait les unes, éloignait les autres, et balançait toujours entre le oui et le non, afin d'éloigner la conclusion. Rien de ce qu'on lui offrait ne plaisait à son coeur et ne comblait ses désirs. Enfin ses parents, lassés de ses irrésolutions, la surprirent un jour et la pressèrent si fort d'agréer une alliance qui se présentait, qu'elle consentit à voir le gentilhomme dont il était question. Mais, aussitôt, une tristesse mortelle s'empara de son âme et la fit retirer précipitamment dans sa chambre. C'était l'heure et le lieu où le Seigneur l'attendait. Le Saint-Esprit, l'éclairant d'un rayon de sa grâce, elle commença à voir le monde sous un jour tout différent et s'aperçut que sa grande opposition à la vie religieuse était dissipée. Non seulement elle ne sentait plus son premier dégoût pour le cloître, mais il lui semblait, au contraire, beau, agréable, saint et tout propre à apaiser son tourment intérieur. Alors, un violent combat entre l'esprit de Dieu et l'esprit du siècle se livra dans son coeur : « Romps tes liens, se disait-elle, secoue la poussière qui t'aveugle, oublie généreusement ce que tu dois bientôt quitter. Que crains-tu ? Jésus-Christ a tracé la voie ; il a vaincu le monde ; il t'a assuré la victoire, marche seulement à sa suite! » Mais elle ne se sentait pas encore la force d'obéir à la grâce. L'idée du plaisir revenait la flatter, et l'amour d'une fausse liberté lui faisait apparaître la religion comme un esclavage. Elle fut deux jours dans cette angoisse, souffrant tellement qu'elle ne pensait pas que le purgatoire pût être plus rigoureux. Tandis qu'elle était au fort de cette tempête, ses yeux s'arrêtèrent sur un tableau de la très-sainte Vierge. Aussitôt elle tomba aux pieds de cette Mère de miséricorde, la conjurant d'avoir pitié de sa douleur, de ses inquiétudes, et de lui obtenir la force d'exécuter la volonté de Dieu. Après cette prière, elle fut contrainte de s'étendre sur son lit, où la tristesse et la défaillance l'assoupirent un peu. Mais, pendant ce sommeil, Celui qui garde Israël ne dormait pas ; il lui fit voir des choses merveilleuses sur l'état religieux et ses avantages. Elle entendit et comprit ce Cantique toujours nouveau que les Vierges chantent à la suite de l'Agneau sans tache ; elle vit des couronnes immortelles, plus brillantes que le soleil, préparées pour ces heureuses créatures, chastes de corps et humbles d'esprit, et s'éveilla dans une disposition bien différente de celle où elle s'était endormie. Entièrement désabusée du monde, elle ne sentait plus de trouble, tout était paix et joie dans son âme ; sa résolution était irrévocablement prise, ses répugnances à la vie religieuse s'étaient pour jamais évanouies.
Pendant que Mlle de Brézal goûtait les douceurs d'un calme qu'elle n'avait jamais connu, sa famille était dans l'attente de sa réponse. On la lui demandait instamment, et toute la maison se réjouissait déjà d'une si noble alliance. Mais, ses soeur étant venues la féliciter de son choix, et lui parler d'ajustements et de parures, elle les surprit étrangement en leur annonçant qu'elle se préparait à d'autres noces, où le monde n'aurait point de part, où les ornements seraient invisibles et dont la fête se ferait au ciel. D'abord, on crut que c'était une plaisanterie, car chacun connaissait son aversion pour le cloître. Quand elle se fut déclarée ouvertement, ses parents furent consternés d'un changement si subit. Ils mirent tout en oeuvre pour ébranler sa résolution ; la vertueuse demoiselle qui avait été sa gouvernante fut congédiée, parce qu'on la soupçonna d'avoir contribué a une telle vocation ; on lui retrancha toutes les liaisons qui auraient été de nature a l'entretenir dans son dessein ; ses lettres furent interceptées, et, tous les jours, elle vit surgir de nouveaux obstacles. Rien n'ébranla sa fermeté ; elle avait la confiance que Celui qui avait commencé l'oeuvre l'achèverait par sa grâce. Cependant, avant toutes choses, elle fit supplier le gentilhomme qui la recherchait de se retirer, et l'assura que son refus était sans retour. Cette démarche redoubla la douleur de ses parents et de toute la maison ; elle seule était en paix au milieu de cette guerre. Levant les yeux au ciel, d'où elle attendait le secours, elle s'abandonna toute à la divine Providence, la conjurant de conduire sa barque au port assuré de la sainte Religion, et se retira dans son âme, où Notre-Seigneur, lui servant de maître, daigna lui enseigner a faire l'oraison, mais une oraison si profonde que son extérieur paraissait comme ravi. Elle semblait n'avoir plus le libre usage de ses sens ; ses oreilles n'entendaient rien de ce qui se disait autour d'elle ; sa langue demeurait muette et ses yeux ne regardaient rien qu'avec effort. Son esprit, abîmé et perdu dans l'immense grandeur de Dieu, y goûtait des douceurs si grandes, qu'elle éprouvait une véritable peine quand il fallait prendre part aux choses d'ici-bas.
Cette vie intérieure produisit aussitôt des fruits d'amendement et de vertus. Auparavant fière et ambitieuse, elle devint humble et douce ; sa physionomie, ses manières, tout en elle revêtit le cachet de la simplicité chrétienne. Les yeux de son âme s'ouvrirent pour juger les vanités mondaines et les bagatelles qui, jusque-là, avaient fait son bonheur. Elle mourait de confusion de s'être laissée surprendre au faux brillant du siècle et d'avoir tant abusé de son intelligence et de son temps. Enfin, son aversion pour le monde était si extrême qu'elle ne pouvait plus le souffrir.
Huit ou dix mois se passèrent ainsi. Son dessein d'être religieuse devenait de plus en plus ferme, mais elle ignorait absolument quel était l'Ordre où Dieu voulait qu'elle accomplit son sacrifice. Cependant, elle se souvint d'avoir entendu parler, quelques années auparavant, d'une sainte femme qui remplissait toute la Bretagne de l'odeur de ses vertus, et à qui Dieu accordait, disait-on, de grandes lumières surnaturelles. Aussitôt, elle s'informa secrètement de son nom, et, apprenant qu'on l'appelait Mme du Houx, et qu'elle demeurait au second Monastère de Rennes, elle trouva moyen de lui rendre compte, par écrit, de tout ce que Dieu opérait dans son âme, et la supplia de l'aider de ses conseils, en la déterminant sur le choix de l'Ordre et du lieu où elle devait désormais servir Notre-Seigneur. Mme du Houx attendit de nouvelles lettres pour répondre aux premières. Six mois après seulement, elle lui manda de beaucoup prier, pour connaître la volonté de Dieu. En même temps, elle engagea la Communauté a s'unir à Mlle de Brézal, dont elle ne fit pas connaître l'intention.
La postulante souffrait tous ces délais avec beaucoup de peine ; elle écrivait lettre sur lettre pour bâter une solution qu'elle désirait avec ardeur. Alors Mme du Houx lui conseilla de se modérer, « Si l'Esprit-Saint est ennemi des remises, lui dit-elle, il est également opposé a la précipitation ; vous devez bien vous examiner vous-même et ensuite m'écrire vos penchants, vos inclinations naturelles, la force de votre complexion et surtout écouter ce que Dieu dicte à votre coeur, puisqu'il n'appartient qu'à lui de donner le vouloir et de bénir l'exécution. » C'était jeter l'huile sur le feu que de penser à modérer l'ardeur de cette chère prétendante. Dès le premier courrier, elle fit à sa Directrice une peinture exacte de son état intérieur et extérieur, et ne lui cacha pas qu'elle était d'une faible santé. Mme du Houx, voulant l'éprouver, tarda longuement à lui répondre ; enfin elle lui écrivit : « Je ne puis vous donner d'autre lumière que celle que j'ai suivie moi-même en semblable occasion : j'ai choisi l'Ordre de la Visitation, et en particulier le second Monastère de Rennes, parce qu'on y vit fort solitaire et retiré du monde, dans une grande innocence et simplicité.» Ensuite, elle lui lit le tableau des exercices journaliers, et lui recommanda d'examiner, après beaucoup de prières et de mortifications, si cette sorte de vie lui convenait. " Je vous donne, lui disait-elle, le conseil de ne point embrasser une religion dont la Règle soit au-dessus de vos forces corporelles. Quant au choix du Monastère de Rennes, je sais bien que l'éloignement de votre famille vous portera un coup mortel ; mais, si vous avez assez de courage pour entendre et suivre la voix de Dieu, qui vous dit comme à Abraham : Sors de ta terre et de ta parenté, et va à la montagne que je te montrerai, assurément vous participerez aussi aux bénédictions de ce saint Patriarche. "
Dès qu'elle eut reçu cette lettre, notre chère postulante demanda et obtint sa place au second Monastère. Lorsque Messieurs ses parents apprirent son projet, ils furent accablés de douleur. Chacun s'empressa de la détourner de son dessein, et lui remontra qu'elle pouvait et devait entrer dans un Monastère plus proche, afin de laisser du moins à sa famille la consolation de la visiter quelquefois. Tout fut inutile ; sa constance demeura inébranlable. Alors on lui refusa la permission de partir, et elle dut l'attendre sept ou huit mois. Pendant ce long espace de temps, elle continua de s'occuper intérieurement avec Notre-Seigneur, et vit se réaliser en sa faveur cette parole du Prophète : Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairé. Enfin, après avoir répandu des larmes bien amères sur cette chère victime, ses parents, vaincus par sa persévérance, lui permirent de partir pour le lieu de son immolation. Sa famille et ses amis s'étant réunis pour lui dire le dernier adieu, on n'entendit que soupirs et sanglots. Elle seule avait le regard serein et les yeux sans larmes. Son esprit élevé en Dieu et son coeur embrasé d'amour lui servirent de bouclier pour parer les coups de la nature dans ce grand combat, et elle ne témoigna qu'un saint empressement à sortir de la servitude d'Egypte pour aller adorer au désert. Une dame de ses parentes, effrayée à la vue de la modeste maison qu'habitaient nos Soeurs du second Monastère, fit de nouveaux efforts pour la détourner de choisir un si pauvre asile ; mais notre prétendante, qui n'envisageait plus les choses à la lumière du monde, se souvint que Notre-Seigneur a préféré une étable aux palais des rois, et, regardant ce Monastère comme un second Bethléem, elle se hâta d'y entrer pour n'y vivre plus qu'à Dieu. Elle avait alors vingt-sept ans.
Tout en commençant son essai, elle résolut de se quitter elle-même après avoir quitté le monde, et, se rappelant ces paroles de Job : La vie de l'homme est un combat continuel, elle prévit sagement que l'esprit malin l'attaquerait par l'endroit le plus faible, et qu'il chercherait à surprendre l'esprit par la chair ; elle s'appliqua donc à la mortification du corps pour sauvegarder son âme. Jusqu'alors elle avait été nourrie avec une délicatesse extraordinaire, et les mets grossiers qu'on servait à la Communauté, lui étaient tout à fait inconnus ; néanmoins, elle ne voulut point accepter de particularités. On chercha pourtant à lui adoucir l'ordinaire commun par quelque assaisonnement, mais elle demanda instamment qu'on n'eût point cette cruelle pitié, qui fortifiait les exigences de sa nature. Ce fut avec le même coeur qu'elle accepta la dureté de son lit: « Quand j'aurai veillé longtemps, dit-elle avec grâce, je trouverai le sommeil plus agréable. » Toutes les pratiques extérieures du noviciat devinrent l'objet de son affection, surtout celles qui l'abaissaient davantage. On a déjà vu qu'en se donnant à Dieu, elle s'était défaite des manières du siècle et de sa hauteur naturelle ; en religion, elle ne se contenta pas de s'affranchir du faste et de l'appareil des contenances mondaines et affectées, elle prit des dehors doux, rabaissés, très-simples, et s'appliqua beaucoup à vivre sans éclat, sans rien qui pût la distinguer a l'extérieur. Quant à son intérieur, quoiqu'il parût déjà tout formé, Notre-Seigneur ayant pris soin de l'instruire lui-même, elle se remit comme un enfant entre les mains de sa maîtresse, pour apprendre d'elle les routes de la vie spirituelle. Dès lors, elle comprit que le chemin de la véritable sagesse est la sainte folie de la croix. Se dépouillant donc de son propre esprit, de sa propre volonté, de toutes ses habitudes, même de celles qu'on pouvait dire bonnes, elle sembla n'avoir jamais rien vu ni rien su ; ses propres sentiments lui parurent illusoires, et toute son étude fut de se mortifier et de se crucifier elle-même.
Cette chère prétendante demeura six mois à l'essai, ses parents n'ayant pu consentir plus tôt a ce qu'elle revêtit les livrées de Jésus-Christ. Tendant tout ce temps, elle eut à coeur d'expier son luxe passé en portant le costume le plus simple, les étoffes les plus viles, et en réservant soigneusement ses riches vêtements pour servir aux autels du Seigneur. Enfin, le 25 janvier 1673, elle prit le voile (3)
(3) L'inventaire après décès de Joseph de Brezal signale une quittance du 6 janvier 1673 "consantye par la dame du Colombier au seigneur de Brezal pour la dot de demoiselle Renée de Brezal portant 6.000 livres passée par devant Gaultier & collègue notaires royaux à Rennes".
On sait que la dot des religieuses est le capital que celle-ci apporte à sa congrégation au moment de son entrée en religion, et destiné à assurer son entretien.
On sait aussi que le 2è couvent des Visantandines de Rennes se trouvait au lieu-dit "Le colombier".
Le fait que la Dlle de Brezal soit prénommée Renée, dans l'inventaire, nous indique que tel était son prénom de baptême et que Marie-Pacifique est son prénom "en religion".
avec un recueillement, une attention merveilleuse, les cérémonies extérieures lui étant un signe de ce que Dieu opérait en son âme. L'année de son noviciat s'écoula dans une ferveur toujours soutenue ; elle ne laissa échapper aucune occasion de retrancher quelque chose à ses sens par la mortification, ou de détruire son orgueil par l'humilité. Il lui était resté quelque commerce de lettres avec le monde, elle prit si bien ses mesures que, sans mécontenter ni sa famille ni les personnes de sa connaissance, elle renonça entièrement à cette satisfaction. Elle avait aussi une amie qui désirait passionnément la suivre dans le cloître ; elle-même souhaitait beaucoup de l'avoir pour compagne ; mais, ses Supérieures ne l'ayant pas jugé à propos, elle accepta leur refus avec autant d'agrément que s'il eût été une grâce, et même elle entra dans les intérêts de la religion contre les séculiers qui s'en fâchaient. Sa plus grande joie était d'apprendre quelque nouveau moyen de se renoncer ou de s'employer a des choses basses. S'avilir aux yeux des créatures, c'était pour elle le moyen de mieux imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Après sa profession, notre Soeur Marie-Pacifique parut ne plus tenir à la terre ; on dut lui apprendre à modérer ses ardeurs et à les tenir renfermées dans son coeur, alin de se faire un trésor qui ne s'épuisât pas en quelques jours de transports. Par un esprit de profonde adoration intérieure, attrait dominant de son âme à l'oraison, elle se tenait humblement devant la suprême Majesté, et, si elle parlait, c'était en se servant des paroles d'Abraham : Je parlerai à mon Seigneur, encore que je ne sois que poudre et cendre. Ainsi vivait-elle solitaire et retirée, n'ayant au coeur que Dieu et trouvant tout en Lui. La Communauté, ravie de ses vertus, fondait sur elle des espérances d'autant plus grandes que sa santé paraissait bien fortifiée ; mais le Seigneur avait d'autres desseins sur cette âme de choix. Bientôt il lui envoya les cruelles infirmités qui devaient être son Calvaire et sa couronne.
D'abord une violente attaque de rhumatisme lui déboîta la hanche ; ensuite la paralysie, s'étant jetée sur un côté, le lui dessécha entièrement avec de très-grandes douleurs. Réduite à ne plus pouvoir marcher qu'à grand'peine, elle demeura quelque temps à l'infirmerie, puis, prévoyant que son état la tiendrait longtemps arrêtée, elle craignit que les soulagements et les licences, accordées légitimement en ce lieu, n'apportassent quelque diminution à sa ferveur. Elle pria donc qu'on lui mit un petit lit de jour à la chambre des assemblées, afin qu'elle put suivre la Communauté. Le matin, elle se levait à l'heure accoutumée, quoiqu'elle n'eût pas dormi la nuit, allait au choeur faire la sainte Communion ou entendre la Messe et réciter son Office, puis venait s'étendre en silence sur son pauvre grabat, où elle travaillait des mains avec assiduité pendant tout les moments qu'elle ne donnait pas à la prière. Longtemps avant les heures des repas, elle partait pour se trouver au réfectoire très exactement ; à la récréation, elle se montrait aussi gaie, aussi affable que si elle eût été sans souffrances. Jamais elle ne parlait d'elle ni de ses maux ; enfin, elle agissait en tout comme une personne qui ne cherche point a attirer les regards et la compassion d'autrui.
Les six derniers mois de la vie, sa poitrine étant fortement attaquée, elle fut tourmentée par une toux violente qui ne lui laissait aucun sommeil. L'étisie, se joignant a tous ses maux, l'exténua tellement que son pauvre corps n'était plus qu'un squelette. Cependant, elle ne parut pas plus tendre sur elle-même, et, lorsqu'on lui demandait comment elle se portait, elle répondait agréablement : Toujours mieux. En quelque état qu'elle fût, elle se faisait violence pour aller communier au choeur, disant que le Pain céleste nourrissait son âme pour la vie éternelle, et la fortifiait pour souffrir en ce monde. Elle était fort dévote aux âmes du purgatoire ; cette dévotion lui avait été inspirée, peu après sa profession, par l'événement que nous allons raconter. Une de ses soeurs, âgée seulement de douze ans, étant morte, (4) (4) Il s'agit très vraisemblablement de sa soeur Jeanne, décédée le 8 septembre 1672, donc effectivement juste avant la profession de soeur Marie-Pacifique ; mais à l'âge de 15 ans et 4 mois, comme l'indique son acte de sépulture au cimetière de Pont-Christ (et non pas 12 ans). elle craignit qu'on ne négligeât de soulager cette âme, sous prétexte de sa jeunesse et de l'innocence de sa vie, et demanda, avec permission, de l'argent à Messieurs ses parents, pour faire dire des Messes à l'intention de cette chère petite. Quelques jours après, elle fut très surprise de voir l'enfant au choeur proche d'elle, et priant avec un air extrêmement doux et dévot. Elle avertit sa Supérieure de cette apparition ; mais on lui répondit de détourner sa pensée et de prier pour la défunte. Elle obéit, mais l'âme ne s'éloigna pas ; longtemps elle suivit notre bonne Soeur dans tous ses exercices ; enfin, celle-ci, dans une reddition de compte, en parla de nouveau, et demanda la permission d'envoyer chercher la personne à qui elle avait confié l'argent pour faire dire les Messes. Cette personne avoua franchemeut qu'elle avait oublié la commission. Dès qu'elle l'eut faite, et que le saint Sacrifice eut été offert, notre chère Soeur ne vit plus rien.
Enfin, les douleurs devenant extrêmes, cette vierge sage comprit que l'Époux ne tarderait pas à arriver. « Je n'eusse jamais pensé, disait-elle, qu'il fallût endurer tant de douleurs pour mourir ; j'avais cru, jusqu'ici, qu'une faiblesse de coeur, un évanouissement, était capable de séparer l'âme du corps ; mais je vois bien que Dieu ne veut pas donner son éternité a si bon compte, et qu'il est bien vrai que ce n'est que par beaucoup de tribulations qu'on peut entrer au royaume des cieux. »
Une des dernières nuits de sa vie, entretenant notre chère Soeur Marie-Eugénie Beschais, qui avait été sa maîtresse au noviciat, elle lui dit des choses admirables de l'éternité ; puis, lui parlant comme une personne inspirée, elle lui prédit plusieurs événements, entre autres, la mort de quelques Soeurs qui devaient suivre la sienne, l'avertit qu'elle serait la seconde que Dieu appellerait à lui, et lui recommanda de se préparer, quand elle verrait la première décéder, parce qu'après ce serait infailliblement son tour.
Le lendemain, cette prédiction s'étant répandue dans la Communauté, la Supérieure reprit la chère malade d'avoir donné ces pressentiments et ces inquiétudes aux Soeurs. « Ma Mère, lui répondit-elle, je ne me souviens pas d'avoir dit ces choses ; il faut que j'aie été en délire ou qu'un esprit étranger ait parlé en moi sans ma participation, car je n'ai dans le coeur que mon Dieu, a qui j'espère me réunir bientôt. » Quoi qu'il en soit, l'événement ne vérifia que trop cette prédiction ; les deux Soeurs désignées moururent, la première un mois après le décès de notre Soeur Marie-Pacitique, et la seconde six mois plus tard.
Cependant, les douleurs de la mort environnant de toutes parts notre chère Soeur, elle redoubla de patience et d'amour, sachant bien que ses vertus étaient le dernier lien qui devait l'unir à son divin Époux. Comme elle se réjouissait de l'avoir pour juge et s'abandonnait de bon coeur entre ses mains, elle expira doucement dans la confiance et dans la paix.
I - LA RÉVÉRENDE MÈRE MAURICETTE DE BRÉZAL, DITE DE LA VIERGE. (décédée le 23 décembre 1617)
Une famille Religieuse, née sur le Calvaire, et dont la fin principale est d'honorer et d'imiter les souffrances du Sauveur des hommes en union à Marie, Mère de douleurs, devait, dès son principe, être nourrie du pain de la tribulation, et abreuvée comme notre divin Maître du calice d'amertume. Mais parmi les croix de toutes sortes dont nos premières Mères furent honorées au commencement de notre Institut, la plus sensible et la plus pesante fut sans doute la mort prématurée de plusieurs d'entre elles et ensuite celle de notre digne Mère Fondatrice qui, à l'exemple du bon Pasteur, donna sa vie pour son troupeau.
La construction de notre premier monastère de Poitiers avait été commencée dès l'an 1614 ; mais le malheur des guerres et la négligence des personnes qui en avaient la conduite firent traîner l'ouvrage en longueur, en sorte que, à la fin d'octobre 1617, lorsqu'elles furent obligées par le Bref du Pape d'en prendre immédiatement possession, l'église n'était qu'à demi-achevée et les bâtiments étaient sans portes et sans fenêtres. D'un côté, leur vie pénitente et les rigueurs de leur pauvreté ; de l'autre, l'humidité de la maçonnerie encore toute fraîche, et les malignes influences de la chaux éteinte avec des eaux croupies, causèrent en peu de temps les plus funestes effets. Quelques semaines s'étaient à peine écoulées lorsque plusieurs de nos soeurs furent atteintes d'une dangereuse maladie, appelée "colique de Poitou", et accompagnée de symptômes si extraordinaires que les plus experts médecins avouaient n'y rien connaître. Elles devinrent percluses de tous leurs membres avec des douleurs universelles si étranges, qu'elles disaient que, si on les eût tranchées par morceaux, elles n'eussent pas souffert davantage. Les remèdes, au lieu d'adoucir le mal, ne faisaient que l'augmenter : car tout ce qu'elles prenaient soit de nourriture, soit de médicaments, leur occasionnait des vomissements qui allaient jusqu'au sang. Mais au milieu de douleurs si aiguës, on n'en vit aucune se lasser de souffrir ; l'allégresse intérieure dont elles étaient remplies surpassait l'excès de leurs maux ; elles avaient même le courage de consoler notre vénérée Mère et nos chères soeurs plongées dans une extrême affliction, mais plus édifiées encore de leur ferveur et de leur désir d'aller à Dieu.
La première victime qui s'offrit au Seigneur en sacrifice d'holocauste dans les douleurs d'un si cruel martyre, fut la Révérende Mère Mauricette de la Vierge, de la maison de Brézal, en Basse-Bretagne. Pour suivre Jésus-Christ pauvre et souffrant, cette âme courageuse s'arracha, jeune encore, à toutes les séductions du monde et aux tendresses de sa famille. Elle fut la première de son pays qui vint se former à la vie religieuse sous la conduite et par les exemples de notre vertueuse fondatrice, qui la revêtit des livrées de la pénitence et lui fit faire profession. Elle répondit si parfaitement aux soins de cette sainte Princesse, qu'elle fut jugée digne d'être une de ses plus fidèles compagnes à l'époque de la fondation de notre premier monastère. Comme elle avait tracé à plusieurs autres le chemin du cloître, il fallut aussi qu'elle leur ouvrît la voie du céleste séjour.
Elle supporta les excessives douleurs de sa maladie, pendant plusieurs semaines, avec une merveilleuse joie d'esprit et un courage invincible. Sans cesse elle invoquait la très-sainte Vierge, sa Mère et sa Patronne, répétant continuellement en son bas-breton : "Sainte Vierge, secourez-moi !" (*) Elle prononçait encore une dernière fois ces paroles, lorsque son âme se dégagea doucement des liens de son corps, le 23 décembre 1617.
(*) Gwerc'hez Vari, va skoazellit !. Ceci est un bel exemple de l'usage de la langue bretonne de la part de la noblesse de chez nous (voir d'autres exemples sur la page consacrée à la langue bretonne parlée dans notre village : Ar brezhoneg e Pont-Krist).André J. Croguennec - Page créée le 7/4/2013. | |