Les vieux métiers |
Je n'ai pas trouvé beaucoup de sabotiers à Pont-Christ. Mais, comme il y avait un grand nombre de "charbonniers", il est très possible que ceux-ci faisaient aussi des sabots, sans se dénommer pour autant "sabotiers". Par contre, à la Roche-Maurice, il y a eu autrefois de nombreux sabotiers.
Le sabotier par Yvette Gueguen
Il y a une soixantaine d'années, La Roche-Maurice avait encore un sabotier. C'était Yves Person appelé Cheun ar Boutaouer (Yves le sabotier), c'était mon grand-père. Après avoir travaillé quelques années dans le bois d'Huelgoat, il s'installa, la guerre 1914-1918 terminée, à La Roche.
A ce moment mon père, Yves Le Bot, commença à le seconder. L'atelier attenant à sa maison se trouvait rue de la Gare. Le travail de sabotier consistait dans un premier temps à abattre les arbres, principalement des hêtres. Ils en achetaient là où les propriétaires étaient d'accord pour leur en vendre : le Pontois, Brézal à Pont-Christ et aussi chez la marquise de Lavillasse. Ayant trouvé mon père adroit, elle avait consenti à vendre l'allée de gros hêtres, en bas de sa propriété surplombant la route nationale 12. Lorsqu'ils avaient abattu un nombre suffisant d'arbres, ils demandaient à un paysan de ramener, avec sa charrette, les troncs qu'ils avaient débités. Ensuite, devant la saboterie, dans la rue, ils sciaient, au harpon, en morceaux de différentes longueurs, selon la pointure désirée.
A partir de là, débutait le véritable travail du sabotier. Sur un gros billot, ils ébauchaient avec une grosse hâche. Un autre outil, assez long, le paroir, leur permettait de donner une forme. Il fallait ensuite creuser l'intérieur à l'aide de vrilles, de grosseurs différentes.
Puis, avec une raffinette pour terminer le bout du sabot, un travail plus lisse et plus soigné. Ils disposaient alors les sabots dans la cheminée où la fumée, dégagée par le bois vert, permettait de les sécher.
A l'époque il existait différentes sortes de sabots :
- les sabots de bois appelés boutou coat ;
- les sabots bourrés, avec une bride, ceux-ci étaient teintés avec de l'encre ;
- les claques plus légers pour les femmes, teintés aussi en noir ou marron.
Les sabots bourrés et les claques étaient ornés de dessins sur le dessus.
Tout le travail était manuel. Les morceaux de bois impropres à faire des sabots étaient coupés et vendus comme bois à feu, ainsi que les copeaux qu'ils vendaient par sacs.
Mon grand-père étant devenu presque aveugle, mon père a repris la saboterie en suivant les méthodes que lui avait enseignées son beau-père.
La maison et l'atelier, s'étant délabrés, ont été démolis entièrement. Il ne demeure aujourd'hui à La Roche-Maurice que le souvenir d'un vieux métier a peu près disparu.
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Ed. Cheminements, gens d'ici 2005.
Cet homme à gauche de
la photo utilise un paroir
Paroir de sabotier.
Sur cette 2è photo, le sabotier au centre de
la hutte se sert d'une vrille ou d'une tarière
Bien sûr, les deux scènes ne sont pas prises sur le vif. Le photographe a fait poser les personnages, bien en face de l'objectif. Il a demandé, aussi certainement, aux femmes de revêtir leur costume de fête. Si la coiffe est, bel et bien, une tintaman, la coiffe du pays "chelgenn" dont La Roche fait partie, il n'est pas vraisemblable qu'elle soit portée dans les bois en plein travail, ni le reste de ce costume d'ailleurs.
Yves Person, et ensuite son gendre Yves Le Bot, ne fabriquaient pas les sabots dans les bois mais au bas-bourg de La Roche. Cependant, il faut se rendre à l'évidence que la fabrication dans les bois a été courante. Cheun ar Boutaouer avait commencé sa carrière dans les bois de Huelgoat, nous a dit sa petite-fille.
Dans les bois, on ne trouvait pas que des sabotiers, il y avait aussi des charbonniers. Ils étaient nombreux à Gorrequer sur les hauteurs de Pont-Christ, et à Ploudiry.
Année et lieu d'activité | Nom du sabotier | Date et lieu de naissance | Remarque | Sources 1 | |
1946 Bas-Bourg | Le Bot Yves Joseph | 1889 Loc-Eguiner | gendre de Yves Marie Person | R | |
1946 Ker-Heol | Bourhis Jean | 1892 Plouguin | cf un autre chapitre | R | |
1946 Ker-Heol | Thomas Marie-Anne | 1897 Le Cloître-Pleyben | femme de Jean Bourhis | R | |
1936 Bas-bourg | Person Yves Marie | 1863 Plouneventer | . . . . | R | 1 Sources : R = Recensements, E = Etat-civil et B.M.S. 2 Yves Marie Person sera déclaré "journalier"dans les recensements de 1901, 1906 et 1911 à La Roche Voir plus bas une video montrant le travail du sabotier autrefois. |
1936 Morbic | Bourhis Jean | 1893 Plouguin | . . . . | R | |
1936 Morbic | Thomas Marie Anne, | 1898 Le Cloître-Pleyben | femme de Jean Bourhis | R | |
1936 Morbic | Bourhis François | 1920 Landerneau | fils de Jean Bourhis | R | |
1931 Bas-Bourg | Le Bot Yves Joseph | 1889 Loc-Eguiner | gendre de Yves Marie Person | R | |
1931 Bas-Bourg | Person Yves Marie | 1863 Plouneventer | . . . . | R | |
1926 Bas-Bourg | Person Yves Marie | 1863 Plouneventer | . . . . | R | |
1921 Bas-Bourg | Person Yves Marie | 1863 Plouneventer | . . . . | R | |
1921 Bas-Bourg | Le Bot Yves Joseph | 1889 Loc-Eguiner | gendre de Yves Marie Person | R | |
1910 Keraoul | Le Gall Mathurin | 1862 St-Divy . . . . | . . . . | E | |
1910 Keraoul | Martin Catherine | 1868 Loguivy-Plougras (22) | épouse de Le Gall Mathurin | E | |
1910 Kernevez | Pallier Charles Marie | . . . . | . . . . | E | |
1910 Kernevez | Merdy François | . . . . | . . . . | E | |
1901 Bourg | Quilen Yves | 1851 | . . . . | R | |
1896 Bas-Bourg | Person Yves Marie | 1863 Plouneventer | 2 | R | |
1894 Bourg | Cras Louis | . . . . | . . . . | E | |
1891 Bourg | Person Yves Marie | 1863 Plouneventer | . . . . | R | |
1891 Bourg | Couchouron Martin | 1866 | . . . . | R | |
1887 Bourg | Le Bihan Jacques | . . . . | . . . . | E | |
1851 Bas-Bourg | Roher Hervé | 1829 | . . . . | R | |
1836 Stangolc'h | Jestin Mathurin | . . . . | . . . . | E | |
1836 Stangolc'h | Dave Toussaint | . . . . | . . . . | E | |
1832 Bourg | Daniel Guillaume | . . . . | . . . . | E |
A propos du travail des sabotiers en forêt
Trois sabotiers David, Yvon et Joseph. " ... Le premier labeur en arrivant [dans la forêt] fut d'abattre une demi-douzaine de fûts, les plus branchus et feuillus, pour construire la hutte qui leur servira de demeure pendant au moins une année. De forme losange à la base, sur environ huit mètres sur six, les parois extérieures presque à la verticale, tout en branchages tressés et entrelacés par des liens de saule, coupés dans les haies avoisinantes. Un trou béant, d'environ un mètre, dans la partie centrale la plus haute du toit, servait de cheminée à l'âtre, à même le sol, en plein centre de la hutte.
Quant aux trois lits, construits sur pilotis, à environ un mètre du sol, ils étaient adossés aux parois de la partie la plus éloignée du foyer, à cause du risque. Lits de branchages également, avec une couche de genêts plus fins, qui servait de matelas. Rien que trois ou quatre jours furent nécessaires pour bâtir la demeure et bien vite commencer leur labeur. Mais auparavant, un auvent, toujours en branchages, fut édifié, à contre vent, derrière la hutte, pour servir d'atelier. C'était plutôt une baie ouverte, à cause de a clarté du jour.
Le premier travail consistait à abattre une douzaine d'arbres, comme matière première nécessaire, pour un mois ou deux. Ensuite, venait le tronçonnage au harpon, en longueurs différentes, pour grands ou petits sabots. Venait après l'éclatement de ces rondins en bûches carrées, grossièrement façonnées par la suite, à la hache à manche court, en ébauche de sabots. Ceci était la part de travail de David.
Yvon prenait ensuite le relais pour parfaire la forme extérieure du sabot. Pour ce faire, ils avaient un genre de métier, de leur fabrication, qui tenait bien coincé la paire de sabots, à hauteur adéquate pour la manoeuvre de ses grands couteaux à poignée et point levier. Joseph, lui, avait pour mission l'évidement des sabots, à grand renfort de tarières à cuillère, appropriées selon la grandeur du sabot. ...
Comme je vous le disais, l'âtre était à même le sol, avec comme fond de foyer un genre de muret, d'environ un mètre et demi de haut, en mottes d'argile. Dans le foyer brûlaient continuellement tous les copeaux issus de la fabrication des sabots. Une petite fûmée d'un gris-bleu s'échappait nuit et jour de la cheminée.
Au-dessus de l'âtre, à hauteur d'homme, il y avait une sorte de tonnelle, sur laquelle étaient disposées les paires de sabots, nouvellement élaborées, pour sécher ; en même temps, ils prenaient une belle teinte, légèrement fumés ; côtoyait aussi ces derniers un grand quartier de lard, dans lequel ils tranchaient, à la demande pour les repas. ... "
Par François-Marie Kermarrec de Dirinon
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Ed. Cheminements, gens d'ici 2005.
Extrait d'un film de Julien Tanguy (1952). Une bonne description des techniques utilisées par les sabotiers (Vitré). Source Cinémathèque de Bretagne.
On y voit, en introduction, une hâche à bûcher posée sur un billot et la hutte du sabotier en forêt, puis le travail du sabotier, qui
Le travail se poursuit avec un deuxième sabot.
L'extrait du film se termine par des exemples d'outils mécaniques modernes.
La saison commençait début mars ou avril pour se terminer en octobre ou novembre.
Le premier travail consistait à disposer le bois en forme de meule d’une hauteur de 1.50 m à 2.00 m à la manière d’une grosse meule de foin. Au centre se trouvait une cheminée. Ensuite, il fallait recouvrir cette meule de terre, d’herbe et de feuilles pour l’étancher et permettre une combustion lente et sans flamme.
Ensuite, très tôt le matin, il fallait procéder à son allumage en versant des braises dans la cheminée puis introduire du bois pour la maintenir pleine afin que le feu atteigne le haut.
Commençait ensuite la phase de carbonisation qui se faisait du haut vers le bas. Cette phase qui pouvait durer de 36 à 48 heures, voire 60 heures selon l’importance de la meule, était soumise à une surveillance rigoureuse pour éviter que la combustion soit trop rapide. Le charbonnier se repérait en observant la couleur des volutes de fumée.
Arrivait ensuite la phase de refroidissement. Cette action consistait à étouffer le feu sous une nouvelle couche de terre.
Enfin arrivait la phase d’extraction. L'opération se pratiquait avec un râteau à longues dents en veillant à ce que le charbon ne se rallume pas.
Les tableaux qui suivent sont déduits des recensements de La Roche et montrent le nombre de charbonniers qui existaient au 19è siècle et au début du 20è siècle. On s'aperçoit que cette profession était surtout représentée dans le secteur de Pont-Christ (lignes en blanc) et beaucoup moins dans le secteur du bourg de La Roche (lignes en jaune). Concernant Pont-Christ, on trouvait plusieurs charbonniers domiciliés à Gorrequer.
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| Nombre total de charbonniers par recensement :
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En 1846, par exemple, il y avait deux rhabilleurs au moulin de l'Elorn à La Roche. Il s'agissait de Jean-Marie Brelivet, 22 ans, et Félix Josselin, 26 ans. En quoi consistait ce métier ? Voici une magnifique description réalisée par Colette Vlérick dans son roman Le blé noir, page 24 et suivantes.
1 - Conduit d'eau | 9 - Meule dormante |
2 - Roue motrice | 10 - Meule tournante |
3 - Trempure (Support du moulin) | 11 - Anille |
4 - Tirant (Règlage en hauteur) | 12 - Archure-Coffre |
5 - Crapaudine | 13 - Trémie |
6 - Armurier - Pivot en acier doux | 14 - Petite trémie, babillard |
7 - Grand fer | 15 - Règleur |
8 - Rouet à taquets | 16 - Cordelette |
1 - KAN | 9 - MAEN DIAZEZ |
2 - KRUFEL | 10 - MAEN REDER |
3 - MARC'H DOUR | 11 - KROAZ |
4 - RANJENN | 12 - TOG |
5 - KROGENN | 13 - KERN |
6 - ARMURIER | 14 - KERN VIAN |
7 - HOUARN BRAS | 15 - ESKOB |
8 - STRAKEREZ | 16 - KORDENNIG |
Jean Salaün avait prévu un rhabillage complet des meules pour le jeudi. Cela ferait plus de trois semaines depuis le dernier requipage mais, à l'approche de l'été, le moulin tournait de moins en moins. Le débit du Kanol se ralentissait et le grain finissait par manquer, en attendant les nouvelles moissons.
... Jean se dirigea vers le plus proche des trois coffrages en bois, les archures, qui abritaient les meules - un jeu pour le froment, un autre pour le blé, l'orge et l'avoine. Le troisième ne servait que pour le blé noir, le sarrazin dont on faisait les bouillies, fars et galettes.
- On commence par les meubles à blé, dit Jean.
La paire de meules réservée au blé noir, qui avait été repiquée plus tôt dans la saison, était en silex et les deux autres en meulière de La Ferté-sous-Jouarre. Le silex s'usait moins vite mais aurait été trop dur pour les autres graines.
Jean s'arrêta devant l'archure, le grand coffrage circulaire qu'ils allaient devoir démonter et qui reposait sur un assemblage de solides poutres, à une cinquantaine de centimètres du plancher. L'archure elle-même faisait environ 90 centimètres de hauteur sur presque deux mètres de circonférence. Avant de pouvoir ôter la partie supérieure pour découvrir la meule du dessus, la meule courante, il fallait d'abord démonter un grand entonnoir en bois, la trémie. On y versait le grain depuis le grenier où l'on montait les sacs au moment de la mouture. De la trémie, le grain tombait dans un auget régulé par la cordelette d'un règleur fixé sur le "château", le cadre en bois sur lequel s'appuyait la trémie. L'extrémité de l'auget surplombait une ouverture circulaire correspondant au milieu de la meule, l'oeillard, où le grain coulait dans un manchon de fer pour être broyé entre les deux meules.
Toutes ces pièces tenaient par un jeu de chevilles et de coins que Jean et Gabriel rangeaient soigneusement sur le coffre des meules les plus proches au fur et à mesure de leur démontage. ... ils finissaient de dégager le dessus de l'archure pour accéder au fer de meule.
Pour pouvoir débarraser le dessus de l'archure de tout son appareillage, il leur restait à dégager le petit fer, la partie supérieure de l'axe du moulin. Cette solide tige de fer se terminait à son extrémité inférieure par un pied de fer. Forgé en forme de fourche à deux dents, il reposait à cheval sur l'anille et était équipé au tiers de sa hauteur d'une roue à dents en bois très dur. Quand le moulin tounait, les dents de la roue tapaient sur l'auget où se déversait le grain et donnaient au meunier des indications essentiellles sur la vitesse de rotation des meules. La partie supérieure de l'axe était maintenue contre la poutre du plafond qui se trouvait juste au-dessus de la meule. Tout en lui permettant de jouer librement dans son logement, ce montage la maintenait à la verticale.
... Jean souleva la fourche du fer de meule. Il dégagea la lourde tige de fer et l'appuya contre le mur, à coté de la potence. Gabriel avait pris position de l'autre côté du coffrage et, au signal de Jean, empoigna le bord du grand couvercle rond en planches étroitement ajustées.
- Prêt ? demanda Jean. On y va.
Du même geste, ils soulevèrent le couvercle et le posèrent sur la tranche contre le mur, face interne vers eux. Ils lui donneraient un coup de balayette plus tard, avant de le remettre en place.
Ils démontèrent ensuite les éléments latéraux et les meules apparurent, deux énormes roues de pierre à double cerclage de fer. Elles mesuraient environ un mètre cinquante de diamètre pour quarante centimètres d'épaisseur. Des pièces de tôle plates étaient fixées par des languettes recourbées dans le cerclage inférieur de la meule supérieure. Elles "balayaient" la farine pendant la mouture, la poussant vers l'auget de récupération. Gabriel les ôta prestement pendant que Jean prenait le temps de s'étirer pour soulager son dos.
[Puis il] se dirigea vers la potence dressée entre les deux meules. Sous la traverse de la potence, étaient suspendus deux grands arcs de cercle de fer, comme deux branches d'un compas qui, ouvertes, formaient un demi-cercle.
Les deux branches du cercle s'articulaient sur une vis sans fin qui traversait la poutre de la potence. Une clé à deux grandes ailettes permettait de faire monter ou descendre la vis. Jean et Gabriel amenèrent ainsi le cercle jusqu'à la hauteur de la meule courante. De part et d'autre de la roue de pierre, une cavité avait été ménagée dans l'épaisseur. Ils y engagèrent le tenon qui terminait chacune des branches du cercle. La meule était prête à être soulevée.
Tandis que Gabriel tournait la clé de la vis pour amener doucement les deux cents kilos de pierre à une hauteur suffisante pour les faire basculer sur le côté, Jean surveillait les opérations. Mais ils en avaient tellement l'habitude, l'un et l'autre, que peu de paroles leur étaient nécessaires. Tandis que la meule se soulevait peu à peu, l'appareillage central apparaissait. Bientôt, le manchon qui couronnait la partie inférieure de l'axe du moulin devint visible.
- C'est bon, commenta Jean, l'anille est libre.
Ils firent alors glisser la meule avec précaution sur le côté de façon à la basculer sur la tranche puis à la retourner à plat. Quand ce fut fini, ils s'essuyèrent tous les deux le front du même geste.
... La meule dormante, [dit le grand-père à sa petite-fille,] ce n'est pas parce qu'elle reste immobile qu'elle ne travaille pas. La meule courante peut travailler parce que l'autre ne bouge pas. Si elles tournaient toutes les deux en même temps, le grain resterait entier. Vois-tu ces rainures dans la pierre ?
La dormante, également composée de blocs de meulière liés au ciment, offrait une face régulièrement creusée de sillons en groupes de trois, à partir du bord externe de la meule. Le premier, le plus long, allait jusqu'au bord de l'évidement central, tandis que le troisième faisait à peu près la moitié de cette longueur. Entre eux, le deuxième sillon s'arrêtait sur la ligne qui reliait leurs extrémités.
Des rainures moins profondes et plus serrées remplissaient l'espace entre les sillons sur les deux tiers de la meule. Le dernier tiers, autour du trou central, était seulement "piqueté".
Jean désigna l'autre meule à sa petite fille.
- Elle est taillée de la même façon. ... mets ton oeil au ras de cette rainure. Vois-tu comment elle est dessinée ?
- Comme un petit creux ?
- Et le grand sillon à côté ?
- Un plus grand creux ? avança Marie, consciente de l'insuffisance de ses réponses.
- Regarde de nouveau, dit le grand-père. Les rainures sont régulières. ... Ne trouves-tu pas que cette rainure a la forme d'un " v " ?
Les rainures se succédaient en effet, tous les cinq millimètres, comme autant de petites vallées en " v " d'un millimètre de profondeur. Les sillons, en revanche, larges de cinq centimètres pour une profondeur d'un centimètre, offraient un profil asymétrique. La face de gauche taillée en à-pic puis le sillon remontait en pente douce jusqu'à la surface de la meule.
- La face abrupte est à gauche parce que le moulin tourne de gauche à droite, expliqua Jean. Dans d'autres moulins, c'est l'inverse. Cela dépend de la façon dont ils sont montés.
- Les deux meules doivent toujours être taillées de la même façon, comprends-tu ? On ne peut pas mettre une meule "droite" avec une meule "gauche".
- Grand-père ? Comment font-elles la farine ?
Le grain arrive par le centre de la meule et glisse dans les sillons à cause du mouvement de la meule. Dis-moi, qu'arrive-t-il à ta jupe si tu te mets à tourner sur toi-même ?
- Elle s'envole ?
- Elle s'écarte de toi. La même chose arrive au grain. A cause de la vitesse, il s'écarte du centre de la meule pour aller vers l'extérieur et, là, il est pris dans les sillons.
Tout en parlant, il montrait à Marie le chemin du grain, suivant du doigt une rainure puis un sillon, jusqu'au bord de la meule. Voyant qu'elle avait compris, il poursuivit son explication.
- Quand une des parties en relief de la meule tournante passe dans un creux de la dormante, le grain est entrainé entre les meules et se fait écraser. L'enveloppe du grain éclate et la farine est libérée.
Toujours sceptique tant qu'elle n'avait pas fait elle-même l'expérience de ce qu'on lui affirmait, Marie n'avait pas l'air très convaincu.
- Pour mieux comprendre, dit Jean, joins tes mains, comme pour dire ta prière. Bien ! Maintenant fais glisser les doigts de ta main droite sur ceux de ta main gauche sans les desserrer.
Marie fit glisser ses mains comme son grand-père le lui avait indiqué, réféchit, se pencha pour ramasser un grain de blé coincé dans une rainure du plancher, et recommença l'expérience. Elle sentit le grain rouler entre ses doigts et imagina qu'ils étaient devenus aussi durs que de la pierre. Elle leva la tête vers son grand-père avec un grand sourire.
- Bon ! dit celui-ci. Je vois que tu as compris.
- Et l'anille, grand-père ?
Le meunier étouffa un petit soupir d'impatience mais, en réalité, il se sentait ravi de l'intérêt de Marie pour le métier qui était sa vie. ... Il l'amena devant la meule démontée et posée au sol, la fit s'agenouiller sur la pierre à côté de lui.
- Le " trou " au milieu de la meule s'appelle l'oeillard. Tu retiendras ?
- Oui. L'oeillard, répéta Marie.
- L'anille est cette pièce de métal fixée en travers de l'oeillard.
... Jean s'était remis au travail. Assis sur la meule renversée et muni de son marteau pointu, il avait commencé à en piqueter le coeur. Dessinant une couronne d'un tiers de rayon autour du centre de la meule, ce coeur était composé de pierres plus dures que le reste.
Une fois de plus, Jean fut alerté par l'ombre qui s'interposait entre lui et la lumière.
- Marie ! s'exclama-t-il d'une voix fâchée.
Elle se rendit compte qu'elle avait franchi une limite.
- Je t'interdis de rester à côté de moi quand je rabhille les meules ! Ne vois-tu pas que j'ai mes lunettes ? dit-il en désignant les grandes lunettes en mica qui lui mangeaient le haut du visage.
Marie hocha la tête et recula d'un pas.
- Tu pourrais recevoir un éclat de pierre, reprit son grand-père. Que me dira ta mère si tu rentres défigurée ? Elle me dira : qu'avez-vous fait à mon enfant ?
Voyant que la petite allait pleurer, il soupira, posa son marteau et ôta ses lunettes.
- Allez, viens là ! Je suppose que tu veux voir ce que je fais, pour changer ?
Elle hocha de nouveau la tête et s'approcha.
- Assieds-toi à côté de moi, lui dit-il.
Elle grimpa sur la meule et obtempéra, ses larmes étaient déjà oubliées. C'était plus fort qu'elle : elle posa sa toute petite main sur le manche du ciseau pointu et voulu le soulever.
- Doucement, dit son grand-père. Il vaut mieux que tu le prennes à deux mains.
- C'est lourd ! dit-elle.
- Oui, mais ne le laisse pas tomber, je suis allé le faire retremper chez le forgeron pas plus tard que la semaine dernière.
- Vous le prenez, grand-père ? demanda-t-elle, très embarassée par le poids du ciseau au bout du manche de bois.
Jean le lui ôta des mains et posa le bout du doigt sur la pointe de l'outil. Emmanché par le milieu, il avait quatre faces égales et se terminait en pointe à chaque extémité, formant une double pyramide à base étroite. Le vieux meunier esquissa le geste de piqueter la pierre.
- Si la pierre était lisse, dit-il le grain serait trop écrasé et, surtout, les meules s'échaufferaient à cause du frottement. Et sais-tu ce qui arriverait ?
Marie leva vers son grand-père un regard perplexe.
- Non ? poursuivit-il. Le moulin prendrait feu.
Elle ouvrit la bouche d'étonnement et de crainte.
- C'est très important de bien entretenir ses meules, vois-tu.
Il poursuivit sa leçon de la même façon, lui montrant l'usage de ses autres outils, le ciseau à coupe large pour tailler les sillons et les rainures, et le marteau plat à battre.
- Celui-ci n'est pas taillé pour faire des creux comme les deux autres, dit Jean. Il est plat pour écraser les petits pics qui peuvent rester à la surface de la pierre à la fin du rhabillage. Si tu ne les supprimes pas, le frottement des meubles va les arracher et tu les retrouveras dans la farine et dans le son. Tu aimerais manger de la pierre ?
- Oh, non !
- Tu as raison, cela suffit que j'en aie plein les mains.
Comme tous les meuniers, Jean avait les mains piquetées de points noirs, minuscules éclats de pierre qui s'étaient incrustés sous sa peau au fil des ans. Nul besoin de se présenter, où qu'il aille : à voir ses mains, on savait son métier.
Autrefois, point de machine à laver. Il fallait se rendre au lavoir après avoir fait bouillir le linge dans la lessiveuse. Les lavoirs se trouvaient souvent au bord des rivières ou des ruisseaux, ou bien près des sources. Sans vouloir être exhaustif, on peut se rappeler de certains d'entre eux.
A Pont-Christ, il y en avait un en contre-bas d'un champ de la ferme du bourg, appelé Park ar feunteun. Il était alimenté par une source issue du plateau de Valy-Cloître.
Un autre utilisait les eaux de fuite du moulin de Brezal. La ferme de Kerdanguy avait son propre lavoir.
Au passage à niveau, la garde-barrières bénéficiait d'un double bac en fibro-ciment, installé par la S.N.C.F près du puits, dans le jardin. Il comportait, au bord des deux bacs, un pan incliné pour frotter et battre le linge. Un bac servait au lavage et l'autre au rinçage.
Le lavoir du Frout était situé au bord de l'Elorn, tout près de l'ancienne pêcherie.
A La Roche, au bourg, le lavoir se trouvait au bout d'une cour de l'école, alimenté par la fontaine toute proche. D'ailleurs, avant la création de l'école, la rue qui y menait s'appelait "rue de la fontaine", aujourd'hui "rue des écoles". On aperçoit le lavoir sur la carte postale qui suit.
Au début du 20è siècle, Jeannie Faou , épouse d'Hervé Creff, était "blanchisseuse" professionnelle au bourg de La Roche. Elle a lavé le linge de beaucoup de familles du bourg avant l'arrivée des machines à laver. Vers 1920 notamment, elle travaillait pour Mme Tanguy, patronne du débit appelé aujourd'hui Kastell-Roc'h. On disait que "sur la pierre à laver il devait y avoir l'emplacement de ses genoux car elle lavait par tous les temps au lavoir à côté de l'école au bourg".
"Il y avait jadis dans les bourgs de campagne, des pêcheurs de sangsues qui approvisionnaient les pharmaciens. Voici comment ils opéraient : assis sur les bords d'un étang ou d'une rivière, ils laissaient pendre leurs jambes nues dans l'eau, tandis qu'avec de longues perches ils remuaient les cailloux et les herbes qui tapissaient le fond. Ils ne tardaient pas à sentir des démangeaisons aux jambes qu'ils retiraient de l'eau garnies de sangsues. Ce métier assez lucratif rapportait de 20 à 30 sous par jour. On m'a parlé d'un pêcheur de sangsues qui, étant ivre, s'endormit, les deux jambes dans l'eau. Le lendemain, on le retrouva mort, saigné à blanc par les "suceuses" qui s'étaient gorgées de son sang." (Louis Ogès dans "Le Télégramme du 8/8/1951).
Il y a un autre témoignage de cette activité, près de chez nous entre La Roche et Landerneau dans l'Elorn. On peut le lire dans un numéro du journal L'illustration de 1857 avec un dessin à l'appui.
André J. Croguennec - Page créée le 21/2/2020, mise à jour le 22/8/2021. | |