La vie politique en Basse-Bretagne sous la IIIè république |
I. Aux élections législatives de 1871, les Bretons votèrent pour les monarchistes qui leur promettaient la paix
II. La revanche des républicains. Cinq sièges étant devenus vacants à l'Assemblée nationale, cinq républicains furent élus
III. Les Finistériens répondirent au coup d'état de Mac-Mahon en élisant sept députés républicains
IV. En 1885 comme en 1871, le scrutin de liste assura l'élection massive des monarchistes
V. Echec des boulangistes aux élections de 1889
VI. Après les encycliques de Léon XIII, ralliement du clergé à la République. Election de Mgr d'Hulst et d'Albert de Mun.
VII. En 1897, les Léonards, qui passaient pour royalistes, élirent un prêtre républicain : l'abbé Gayraud, opposé au comte de Blois, monarchiste
VIII. L'élection de l'abbé Gayraud passionna la France et sonna le glas du parti monarchiste dans le Finistère
IX. En 1902, un duel électoral opposa un prêtre breton soutenu par son évêque et un prêtre étranger en rébellion contre le chef du diocèse
X. Deux militants de la cause républicaine : Louis Hémon et Georges Le Bail
XI. Sillonnistes et démocrates populaires
XII. La scène politique de 1910 à la seconde guerre mondiale
XIII. Le rôle politique des journaux : quelques réflexions sur l'évolution de l'opinion de 1871 à 1945
I. Aux élections législatives de 1871, les Bretons votèrent pour les monarchistes qui leur promettaient la paix.
Il y a deux ans paraissait dans Le Télégramme une série d'articles sur la répercussion, en Basse-Bretagne, des principaux événements de la IIIè république. Je me propose aujourd'hui de brosser un tableau objectif de la vie politique en Basse-Bretagne et plus spécialement dans le Finistère, de la fin du Second Empireà la fin de la IIIè république.
Cette étude, d'une certaine ampleur, aura un caractère purement historique. Elle vise à reconstituer sans parti-pris la physionomie mouvementée des grands courants de la politique à une époque où s'exacerbèrent les passions et où le sort du régime fut plusieurs fois en jeu.
Le Monarchistes ont aujourd'hui désarmé. La République est reconnue de tous comme la forme de gouvernement la plus apte à donner satisfaction à notre aspiration vers la liberté et l'égalité. Il est possible, sans éveiller de susceptibilités, d'évoquer les luttes électorales qui mirent aux prises républicains et royalistes, et qui se déroulèrent avec des alternatives de succès et de revers pour les deux partis jusqu'au triomphe final de l'idée républicaine. - Louis Ogès.
La rancoeur des Bretons
Après avoir signé un armistice avec l'Allemagne, le gouvernement de la Défense nationale convoqua le corps électoral à l'effet d'élire une assemblée chargée de conclure la paix avec l'Allemagne.
Le nombre total de députés avait été fixé à 750. Le Finistère devait élire 13 représentants, les Cotes-du-Nord 13 et le Morbihan 10. Les candidatures multiples étaient permises (la même personne pouvait se présenter dans plusieurs départements), mais il était spécifié que les membres des familles, qui avaient régné en France, n'étaient pas éligibles.
Le scrutin ne devait s'ouvrir que dans les chef-lieux de cantons où les électeurs devaient se rendre pour voter. Toutefois, les communes trop éloignées furent autorisées à ouvrir un bureau de vote.
En Bretagne, les élections se firent sur le choix entre une république conservatrice et la monarchie légitime, ce qui correspondait aux deux grands partis qui se partageaient l'opinion. L'un réclamait le retour à la république, l'autre le retour à la royauté.
Avant la guerre, les bonapartistes étaient nombreux dans le Finistère. Napoléon III, très populaire en Bretagne depuis le triomphal voyage qu'il avait fait à travers la péninsule en 1858, avait gardé la confiance des Bretons jusqu'à la guerre et les revers dus à l'impréparation française. Le plébiscite du 8 mai 1870 lui avait donné dans le Finistère 107.000 oui contre 13.000 non. Notons cependant que, tandis que Quimper avait 1.175 oui et 546 non, Brest, où couraient des bruits de guerre, ne lui donna que 2.436 oui contre 5.595 non.
Les revers subis par la France, la honteuse capitulation de Sedan où l'empereur fut fait prisonnier, lui aliénèrent la sympathie générale. Aucun candidat ne se présenta aux élections comme bonapartiste.
Le camp de Conlie
Quant au gouvernement provisoire, il n'avait pas non plus la sympathie des populations bretonnes depuis la malheureuse affaire du camp de Conlie, à 20 km du Mans. Keratry, député du Finistère, avait reçu de Gambetta l'ordre de mobiliser la Bretagne contre l'envahisseur qui approchait. Cette idée répondait au désir de nos compatriotes qui voulaient arrêter l'avance allemande et protéger leus foyers.
Cependant, Gambetta et Freycinet se méfiait de cette armée qu'ils croyaient royaliste et susceptible de se battre pour faire monter le prétendant, Henri V, sur le trône. Ils refusèrent d'armer ces volontaires qui, pour faire l'exercice, n'avaient que des bâtons au lieu de fusils. Au commandement de sous-officiers improvisés, les hommes manoeuvraient leur bâton et marchaient au pas cadencé : "Plouz ! Foenn ! Plouz ! Foenn !" (paille, foin...). Les malheureux étaient parqués pêle-mêle, vivant sous de mauvaises tentes, dans la boue et l'inactivité, en proie au mal du pays.
Au camp de Conlie, / Il n'y a pas de bon lit !, disait une chanson.
Le matin du 11 janvier 1871, on distribua de mauvais fusils à ces soldats non-aguerris et on les jeta dans la bataille du Mans. Ils firent de leur mieux, mais ils ne purent tenir.
L'affaire de Conlie avait fort mécontenté les Bretons. Déjà ils gardaient un mauvais souvenir de Paris où ils s'étaient battus vaillamment, mais où les Parisiens s'étaient moqués de leur "baragouin" et les avaient tournés en dérision.
Lorsque les élections auront lieu, dans un climat politique assez trouble, ces Bretons qui se souvenaient de Conlie, de la méfiance du gouvernement républicain et des vexations de Parisiens, n'eurent que trop tendance à se tourner vers les légitimistes.
Une campagne électorale bien orchestrée
Les élections eurent lieu dans chaque département au scrutin de liste. Les légitimistes, nobles et bourgeois enrichis, présentèrent la République comme un gouvernement qui voulait continuer à tout prix une guerre sans espoir et appuyait les appels enflammés de Gambetta. Ils savaient que les paysans bretons voulaient la paix : ils la leur promirent.
L'obligation de voter au chef-lieu de canton fut cause que le corps électoral s'abstint en masse. Les candidats royalistes et leurs partisans embrigadaient les paysans et les défrayaient du voyage. A Morlaix, on vit M. de Champagny, de Ploujean, conduire ses fermiers au scrutin, militairement, et les surveiller jusqu'à l'urne placée dans l'ancienne église des Jacobins. Les électeurs des communes du canton de Taulé arrivèrent en colonne, les curés et les maires en tête.
Ailleurs, le clergé et la noblesse agissaient de même et faisaient voter pour la liste qu'un électeur appelait la liste légitimo-orléano-cléricale.
Mme la sous-préfète de Morlaix inaugura un nouveau mode de votation. Elle était dame patronesse de l'hôpital. Munie d'une boîte et de bulletins de la liste royaliste, elle engageait gracieusement les malades à voter et leur remettait un bulletin que, galamment, ils déposaient dans l'urne improvisée. Ils étaient récompensés d'un sourire.
Les habitants de l'île de Sein devaient voter à Audierne. Une violente tempête les obligea à demeurer dans l'île. Le maire et le recteur improvisèrent un bureau de vote. Le scrutin se passa en famille : il fut déclaré valable.
Succès des monarchistes
Les candidats républicains qui manquaient d'organisation ne purent réagir. Les manoeuvres royalistes, l'idée de faire la guerre après les souffrances endurées à Conlie, amenèrent les Bretons à voter en masse contre les Républicains. Sur 60 sièges à pouvoir en Bretagne, 50 députés monarchistes furent élu. Dans le Finistère, la liste royaliste (listenn an noblañs) fut entièrement élue.
Cette liste comprenait :
Thiers et Trochu étaient candidats dans d'autres départements, où ils furent également élus. Thiers, qui s'efforçait de terminer honorablement la guerre, fut élu dans 26 départements ; il opta pour la Seine. Quant au général Trochu, originaire de Belle-Ile, il opta pour le Morbihan.
Sur la liste républicaine figuraient Jules Favre et Gambetta, membres du gouvernement provisoire ; Louis Hémon et Verchin, avocats à Quimper ; Rousseau de Tréflez ; Audran, notaire à Quimperlé, etc. "Le salut de notre pauvre France est en jeu, faites voter pour les républicains ou demandez à vos amis de s'abstenir", écrivait Louis Hémon à un électeur influent.
La présence de Jules Favre et de Gambetta sur la liste républicaine lui fit perdre des voix. Tandis que les "blancs" obtenaient de 50 à 60.000 voix, le plus favorisé des républicains n'en obtenait que 35.000. Ils ne se tinrent pas pour battus et préparèrent la revanche qu'un proche avenir allait leur offrir.
(Le Télégramme du 4/8/1959)
II. La revanche des républicains. Cinq sièges étant devenus vacants à l'Assemblée nationale, cinq républicains furent élus.
Des élections complémentaires eurent lieu le 2 juillet 1871. Thiers et le général Trochu, élus dans le Finistère sans avoir pris part à la campagne électorale, abandonnèrent leur mandat dans ce département. Leur siège devenait donc vacant. D'autre part, Victor de Kersauson mourut à Brest le 22 avril 1871 et Mgr du Marc'hallac'h, l'une des figures les plus sympathiques de l'époque, avait démissionné dans des circonstances dont on parlera plus loin.
La vie exemplaire de cet homme mérite d'être rappelée. C'était le dernier descendant d'une illustre famille cornouaillaise. Marié avec le vif désir de perpétuer son nom, il vivait au château du Pérennou, sur les bords de l'Odet. Le malheur s'abattit sur lui. Il perdit sa femme et ses enfants. Il avait alors 43 ans. Devant son foyer détruit, il prit la résolution d'entrer dans les Ordres. Devenu prêtre libre, il s'occupa de bonnes oeuvres et s'intéressa tout particulièrement à la classe ouvrière. En 1870, il accompagna à Paris, comme aumônier, les mobiles du Finistère qu'il encourageait au combat, se mettant toujours à leur côté, au premier rang. Le 29 novembre, une balle lui effleura le crâne, sa soutane fut criblée de trous.
Un homme de bien
Son courage et son abnégation le rendirent vite populaire. Le gouvernement lui remit la croix de la Légion d'honneur devant son régiment assemblé sur la place de l'Hôtel de Ville, à Paris. Le bruit de sa vaillante conduite l'avait fait connaître de tout le Finistère, si bien que, le 7 février 1871, il était élu député sans avoir quitté Paris.
Il siéga à Bordeaux, mais il n'eut guère l'occasion d'intervenir. Apprenant que de nombreux soldats bretons étaient soignés dans les hôpitaux de Paris, il rentra dans la capitale au plus fort de l'insurrection de la Commune. Prêtre et député, il risquait d'être fusillé s'il était reconnu.
Peu après, il apprit que la population des îles Glénans (une centaine d'habitants) était privée de secours religieux. Il abandonna son mandat de député pour se faire nommer recteur des Glénans.
Le nouveau recteur, marin consommé, propriétaire d'un bateau ponté, le Surcouf, s'en alla bâtir dans l'île du Loc'h, une église dont il fut l'architecte et qu'il dédia à N.-D. des Iles. Le dimanche, les habitants des autres îles y venaient à la messe. Lorsque le Loc'h était inabordable, des pavillons, hissés sur son grand mât, indiquaient suivant un code convenu, le point où l'on était rendu de la messe pour que tous les îliens puissent la suivre.
Dans la semaine, il apprenait à lire aux enfants et pourvoyait aux besoins de ses paroissiens. Un soir, par une violente tempête, un navire étranger se jeta sur les rochers de l'île et sombra. La mer rendit six cadavres. Le bois ne manquait pas, mais il n'y avait pas de menuisier. Le prêtre prit ses outils et passa la nuit à confectionner six cercueils.
Mgr Nouvel l'appela pour occuper la place de vicaire-général. Il faillit désobéir à son évêque et c'est le coeur bien gros qu'il quitta l'église de N.-D. des Iles, accompagné jusqu'au bateau par les insulaires en pleurs. Il occupa ses nouvelles fonctions pendant 15 ans, fut nommé évêque en 1887 et mourut le 15 août 1888.
Un académicien tête de liste des monarchistes
Les élections du 7 février 1871 avaient été faites au milieu du bouleversement général causé par la guerre. La représentation parlementaire, exclusivement royaliste, qui en était issue dans le Finistère, n'était pas le reflet politique du département.
Après leur succès, les monarchistes continuèrent leur propagande en vue des luttes futures. Dans une brochure écrite en breton, l'abbé Henry, de Quimperlé, essaya de réhabiliter les Bourbons et de populariser le duc de Bordeaux, Henri V, prétendant au trône.
L'abbé Linguinou, vicaire à Landivisiau, publia une plaquette intitulée "Harz ar bleiz !" (gare au loup), où le loup personnifiait les républicains, qualifiés d'ennemis de la religion et des prêtres.
Les élections complémentaires destinées à pourvoir aux quatre sièges vacants, eurent lieu le 2 juillet 1871.
Les royalistes présentèrent une liste à la tête de laquelle se trouvait Louis de Carné-Marcein, né à Quimper, membre de l'Académie et auteur de nombreux ouvrages d'histoire et de littérature ; il était président de la Société archéologique du Finistère.
Quand un académicien s'adresse à ses électeurs
Le Temps publia une curieuse circulaire de M. de Carné à ses électeurs, où il s'était efforcé de leur parler un langage bien à leur portée :
"Gens de mon pays, je vous demande vos voix pour être nommé député, c'est-à-dire pour être envoyé à Paris pour faire les lois. Trois choses sont indispensables à celui qui réclame cet honneur :
1° il faut être chrétien de coeur ;
2° il faut bien connaître le pays ;
3° il faut savoir ce que l'on doit faire.
Je suis chrétien par la grâce de Dieu, chrétien comme vous. Les commandements de notre Saint-Père le pape et ceux de notre Sainte-Mère l'Eglise, je les défendrai jusqu'à la mort. ... En l'an 1843, a été élevée à Quimper une école de jeunes paysans (le Likès) qui a fait du bien dans ce pays. C'est moi et M. Boullé, le préfet de ce temps, qui avons été les auteurs de ce bienfait. Je suis Breton par mon père et par ma mère. Je connais vos besoins, je sais ce qu'est la terre, ce qu'est la mer, ce que c'est que de semer, ce que c'est que de pêcher. Votez pour moi. Quand il s'agira de votre bien, je ne serai ni sourd, ni muet. J'ai été nommé député quatre fois ; je ne suis donc pas un enfant dans ce métier. Je suis connu à Paris, aussi bien qu'en Basse-Bretagne. Si je sais parler en breton, je sais aussi parler et dire la vérité en français."
Victoire des républicains
Les républicains opposèrent à la liste de Carné, une liste qui comprenait le Dr Morvan, de Lannilis, dont le nom a été donné au centre hospitalier de Brest, et dont le Dr Desse a décrit la vie pleine d'abnégation et de dévouement ; Rousseau, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, de Tréflez ; Théophile de Pompéry, agriculteur de Rosnoën, et le Dr Le Breton de Pleyben.
"La République, écrivaient-ils dans leur profession de foi, c'est l'ordre, c'est la paix, c'est la guérison des plaies de la France. La monarchie serait la guerre civile, la guerre étrangère et l'abaissement définitif de la France. Nous suivons la ligne politique de M. Thiers en qui nous plaçons toute notre confiance. Nous désirons qu'il conserve le pouvoir jusqu'à ce que le pays, rentré dans le calme, puisse se prononcer en toute sérénité sur la forme définitive de son gouvernement".
La liste républicaine fut élue à une forte majorité. Le Dr Morvan arrivait en tête avec 59.609 voix, tandis que de Carné, premier de la liste adverse, ne recueillait que 33.756 voix.
Une nouvelle élection partielle
Une nouvellle élection partielle, portant sur un siège, eut lieu le 14 décembre 1873. Elle opposa M. Swiney, maire de Plouégat-Guerrand, au légitimiste Le Guen, avocat à Brest.
Swiney publia une grande affiche portant à gauche le drapeau tricolore et à droite le drapeau blanc fleurdelysé. Il donnait aux électeurs à choisir entre le drapeau républicain qu'il représentait, et le drapeau du prétendant Henri V, patronné par Le Guen. Entre les deux drapeaux, on lisait : "Elektourien, gret o choaz" (électeurs, choississez). Swiney fut élu par 62.788 voix contre 43.337 à son concurrent. Désormais, la représentation du Finistère comptait 8 royalistes et 5 républicains.
La constitution de 1875
L'Assemblée nationale, élue pour signer la paix avec l'Allemagne, se transforma en Assemblée constituante pour donner à la France un régime définitif.
Les royalistes qui avaient la majorité voulaient rétablir la monarchie, mais ils ne s'entendirent pas sur le choix d'un roi. Leur désaccord permit aux républicains de préparer une constitution et de la présenter à la Chambre.
Elle transformait la République de fait proclamée par les Parisiens en 1870, en gouvernement définitif de la France. La constitution républicaine de 1875 ne fut votée qu'à une voix de majorité. Le comte de Chambord demeurait prétendant à la couronne de France.
Le Télégramme du 5/8/1959
III. Les Finistériens répondirent au coup d'état de Mac Mahon en élisant sept députés républicains.
Les élections générales qui eurent lieu en 1876, 1877 et 1881 marquèrent une stabilité remarquable dans la position des partis : 7 républicains, 3 monarchistes. En 1876, les candidats républicains eurent à lutter contre l'administration préfectorale qui, par ordre de Mac-Mahon, soutenait les royalistes, contre la noblesse et le clergé hostiles aux aspirations libérales.
Les élections se firent, non plus au scrutin de liste comme en 1871, mais au scrutin d'arrondissement plus favorable aux candidats de la gauche. La campagne électorale ne fut marquée par aucun incident sérieux.
Notons un fait divers assez amusant. Dans la première circonscription de Morlaix, les monarchistes voulurent s'emparer des bulletins de vote portant le nom de Swiney, maire de Plouégat-Guerrand. Leus agents passaient dans les communes et en prenaient livraison moyennant un sou les deux. Ayant appris ce qui se passait, M. Swiney fit faire un tirage supplémentaire de 20.000 bulletins qui furent tous écoulés. Le bénéfice réalisé lui permit de couvrir en partie les frais de sa campagne électorale.
Le nombre des députés à élire dans le Finistère avait été ramené de 13 à 10. Sept républicains et trois royalistes furent élus.
Parmi les républicains citons : Louis Hémon, avocat à Quimper, qui commençait une carrière politique particulièrement longue et féconde ; G. Arnoult, conseiller général de Pont-l'Abbé ; de Pompery, agriculteur à Rosnoën ; Swiney ; Corentin Guyho, avocat à la cour de cassation.
Les trois monarchistes réélus furent : Louis de Kerjégu (3è circoncription de Brest) ; Villiers (2è circoncription de Brest) ; de Kermenguy (2è circonscription de Morlaix).
Silhouettes parlementaires
Le Figaro publia des notices sur la plupart des élus finistériens. Les légitimistes, qui avaient ses faveurs, étaient présentés sous un jour favorable, tandis que les républicains étaient tournés en dérision. Voici le portrait de deux parlementaires monarchistes :
Soubigou (sénateur-maire de Plouneventer) : "Chapeau rond à larges bords, veste bordée et agrémentée d'une double série de boutons, haut-de-chausses moyen-âge, hautes guêtres, souliers plats. Par N.-D. d'Auray, comme ce gaillard porte bien le costume ! Ce serait à se faire Armoricain pour revêtir une défroque aussi prestigieuse".
Louis Monjaret de Kerjégu : "64 ans. Très riche (50 à 60.000 francs de rente). Monarchiste et catholique. Une figure à la Henri IV ; cheveux grisonnants, très crépus. Physionomie impassible mais caractère jovial. Son père fut député sous Louis XVIII et Charles X ; il a deux frères sénateurs. Il était né pour devenir homme politique. Il vit dans son domaine de Saint-Goazec en véritable gentleman farmer".
Quel contraste avec le portrait des républicains !
De Pompéry : "C'est un bossu, un être difforme que doivent éviter soigneusement les femmes enceintes. D'une laideur repoussante, il n'a même pas la bosse pointue de tous les bossus : il a la bosse ronde, ce qui lui met la tête au milieu de l'estomac".
Le coup d'Etat de Mac Mahon et les élection de 1887
Mac-Mahon, président de la République, voulut faire triompher sa politique personnelle. D'accord avec ses ministres et le Sénat à majorité conservatrice, il prononça la dissolution de la Chambre. Celle-ci avait, par 363 voix, voté un ordre de défiance.
De nouvelles élections eurent lieu. Gambetta donna comme mot d'ordre aux républicains de réélire les "363". Quant aux forces réactionnaires, elle se groupèrent autour de Mac-Mahon.
Dans le Finistère, les anciens candidats républicains qui avaient voté l'ordre du jour de défiance, se représentèrent. "Notre réélection, déclaraient-ils, sera l'affirmation solennelle que la France donnera de sa volonté de maintenir et de consolider les institutions républicaines."
Les professions de foi de la droite peuvent se résumer dans celle de M. Roussin, châtelain de Plomelin : "Je suis Breton. Après Dieu, c'est la France que j'aime par-dessus tout. Il n'y a que la monarchie qui puisse arrêter la ruine du pays, diminuer les impôts et faire règner la vraie liberté."
Les élections n'apportèrent aucun changement dans la représentation finistérienne. Les signataires du manifeste des "363" furent réélus, de même que les trois anciens députés légitimistes. Dans les Côtes-du-Nord, les républicains perdirent quatre sièges, tandis que le Morbihan n'élisait que des légitimistes.
Dans l'ensemble de la France; 321 républicains et 208 monarchistes furent élus. C'était la défaite de Mac-Mahon qui dut démissionner et laisser le pouvoir aux républicains.
L'élection de M. Freppel (1880)
Après la mort de Louis de Kerjégu, député de la 3è circoncription de Brest, Mgr Freppel, évêque d'Angers, lui succéda. Sa campagne électorale fut un voyage triomphal à travers la circonscription : les Léonards étaient fiers d'avoir pour député un évêque. Mentionnons seulement la réception qui lui fut faite à Lesneven.
Le clergé, le maire, le conseil municipal et les notables de la ville allèrent le prendre à la gare de Landerneau. d'autres l'attendaient à son passage à Ploudaniel.
L'évêque descendit de voiture à l'entrée de la ville où était massée une foule nombreuse. Le recteur, accompagné de prêtres de la région et des prêtres du collège, le conduisit à l'église où l'attendaient les fidèles.
Mgr Freppel monta en chaire et fit un discours aux assistants. Il se déclara heureux de la confiance que lui témoignait la bonne population du Léon et dit qu'il ferait son possible pour soutenir l'intérêt de ses mandataires. Après la bénédiction, le même cortège le conduisit au presbytère où il passa la nuit.
Une affiche vantant les mérites de Mgr Freppel se terminait ainsi : "Nous aurons à la Chambre un homme qui défendra avec énergie la foi de nos pères. Le nommer député c'est déployer devant la France chrétienne le drapeau de la religion de notre Sauveur Jésus-Christ."
Mgr Freppel fut élu à la presqu'unanimité des votants. A la Chambre il tint ses promesses. Notons cepenbdant qu'il soutint Jules Ferry dans sa politique coloniale. Le journal l'Autorité l'accuse d'agir ainsi pour avoir un archevêché.
Une déclaration monarchiste
Les élections de 1881 confirmèrent celles de 1877. Parmi les nombreuses affiches posées par les réactionnaires, en voici une qui ne manque pas de franchise... ni de fiel :
"En face de la république vilaine et malpropre, il ne reste plus que la monarchie légitime. On ne peut être pour Bonaparte puisqu'il est encore plus mauvais et plus impie que le pire des républicains.
"Seul Henri V, avec les princes d'Orléans derrière lui, peut nous tirer de là parce qu'il est religieux, parce qu'il est honnête, parce qu'il aime le paysan et l'ouvrier et qu'il n'a pas, comme les républicains, sa fortune à faire.
"Et si le Chouan est encore, comme en 93, l'ouvrier honnête, le brave paysan qui défendait son Dieu, son Roi et son bien contre les Bleus qui volaient ses bêtes et son blé, forçaient sa femme et ses filles, égorgeaient ses fils, nous sommes pour les Chouans contre les Bleus ! Vive le roi !"
Un fait de pression électorale parmi beaucoup d'autres : à Plabennec, M. Villiers fit remettre aux électeurs, avec le bulletin de vote, le fameux almanach An den honest (l'homme honête). Il était le parrain de la grande cloche de l'église qui portait son nom. Le recteur dit à ses paroissiens : "Si vous ne votez pas tous pour M. Villiers, cette cloche ne vous appellera plus aux offices..."
Nette victoire républicaine
Dans le Finistère, la victoire républicaine fut très nette. Les républicains de l'ancienne Chambre furent réélus ou rempacés par d'autres républicains. Le Finistère avait sept députés républicains et trois monarchistes seulement.
Ce beau résultat était dû à la bourgeoisie qui, après la chute de l'Empire, s'était ralliée à la République et avait endoctriné les populations bretonnes. Les nouveaux députés : Louis Hémon, Arnoult, Guyho, de Pompery, Saviney, etc., appartenaient à cette bourgeoisie dont le rôle fut prépondérant en Cornouaille et dans la partie trégorroise de l'arrondissement de Morlaix. Grâce à eux, le peuple, jadis encadré politiquement par les nobles et par les prêtres secondés par l'administration préfectorale, avait secoué les entraves qu'il subissait plutôt qu'il ne les acceptait.
Par contre, dans le Léon, la puissance politique du clergé était telle que les républicains y avaient renoncé à la lutte. Les "Julots", qui constituaient la bourgeoisie léonarde étaient inféodés au parti clérical ; ils étaient conservateurs et traditionnalistes.
(Le Télégramme du 6/8/1959)
IV. En 1885 comme en 1871, le scrutin de liste assura l'élection massive des monarchistes
Le scrutin de liste établi en 1871 avait amené l'élection de tous les candidats légitimistes dans le Finistère, le Morbihan et les Côtes-du-Nord. Il favorisa les conservateurs dont la plupart étaient de grands propriétaires qui pouvaient dépenser de fortes sommes pour se faire élire. Le scrutin s'étendant à tout le département, la masse des électeurs réactionnaires du Léon influa sur les résultats.
Les préoccupations religieuses qui avaient pesé sur le comportement des Bretons pendant la Révolution, gardaient encore, à chaque élection, leur valeur déterminante. Les monarchistes demeuraient fort dans les zones de grandes où les paysans étaient généralement pauvres et soumis à leur propriétaire. Ils se présentaient comme les champions de la religion et de l'Eglise.
"Le chant du cygne de la République"
A la Chambre, Louis Hémon, député de Quimper, avait mis ses collègues en garde contre les inconvénients de ce scrutin de liste que Waldeck-Rousseau présentait comme devant permettre d'obtenir une forte majorité républicaine. "Le premier résultat de ce scrutin, dit Hémon, sera de détacher du régime plusieurs départements faisant corps et s'étendant d'une mer à l'autre".
Sans les nommer, il désignait les départements bretons. Il terminait, en s'écriant : "J'ai bien peur que le scrutin de liste soit le chant du cygne de la République".
Le député de droite, P. de Cassagnac, écrivait dans son journal : "Le scrutin de liste va nettoyer mon département et le désinfecter de la République".
Une âpre bataille
La bataille électorale allait prendre en Basse-Bretagne un caractère plus passionné que jamais. Les mesures anti-cléricales prises par le gouvernement, favorisaient la propagande de la droite qui, secondée par le clergé, réussira à détourner à son profit les suffrages des campagnes.
Les candidats monarchistes étaient : Mgr Freppel, le comte Gaston de Saint-Luc, le comte Louis de Kermenguy, le comte Henri de Legge, le vicomte Paul de Saisy, Etienne Roussin, Chevillote, Boucher et Lorois.
La lutte fut menée sous la direction du comte de Saint-Luc. Breton de vieille date, né à Quimper en 1840, petit-fils d'Athanas de Saint-Luc, préfet du Finistère en 1811. Il habitait le château du Bot, près du Faou. Très expérimenté en agriculture, il prenait volontiers la pelle ou la pioche, exposant aux paysans les meilleures façons culturales.
Les monarchistes utilisèrent pour leur propagande la crise agricole qui sévissait alors ; ils parlaient du renvoi possible des prêtres et de la fermeture des églises. Il prirent prétexte de l'expédition du Tonkin pour se livrer à des attaques contre la politique coloniale du gouvernement qui, disaient-ils, menait nos soldats au massacre.
"Cassons la tête à la vieille Marianne"
Dans une proclamation sur feuilles volantes, le Courrier du Finistère présenta sous un jour crû et violent la doctrine des royalistes dont il prônait la candidature : "Leur but est d'abattre le gouvernement des francs-maçons et des mauvaises gens, de ce qu'on appelle la République ; de rétablir la royauté et, pour cela, faire une révolution et faire couler le sang s'il le faut ; d'avoir des députés, des maires et des conseillers qui chercheront en toute chose l'intérêt de la religion.
"Pour arriver à ces résultats, il faudra peut-être subir bien des malheurs. Cela ne fait rien ! Le peuple d'Israël a dû traverser la mer Rouge pour arriver à la terre promise. Et nous, s'il le faut, nous traverserons une mer de sang.
"Elevons nos coeurs vers Dieu et crions ensemble : "Cassons la tête à la vieille Marianne et votons pour nos candidats, gens de première noblesse et excellents chrétiens !"
"Voulez-vous rester maîtres de vos destinées ?"
Les candidats républicains désignés au congrès de Châteaulin furent : Rousseau, sous-secrétaire d'état au ministère de la Marine et des Colonies ; Camescasse, Louis Hémon, Arnoult, Caurant, Guyho, Guéguen, députés sortants ; Belhommet, maire de Landerneau ; docteur Clech, maire de Lanmeur ; Jules Glaizot, directeur d'usine à Landéda.
Ils répondirent aux proclamations des royalistes : "Electeurs, voulez-vous rester maîtres de vos destinées, conservez les libertés conquises en 1789 ; voulez-vous éviter les révolutions qui amèneraient les compétitions des divers prétendants à la couronne ? Alors votez pour nous.
"Voulez-vous que nous soyions gouvernés par un seul homme, voir augmenter vos impôts en payant à un despote une liste civile de 30 millions ; voulez-vous l'oppression des nobles, la domination du prêtre sur le paysan et l'ouvrier ; voulez-vous la suppression de droit de vote qui vous fait leurs égaux ? Si oui, votez pour les candidats royalistes ?
"Vous avez toujours élu jusqu'ici une majorité de députés républicains, vous avez contribué à fonder la République. Vous ne voudrez pas vous déjuger en nommant des députés monarchistes hostiles à la politique que, depuis 15 ans, vous soutenez de vos votes".
Eau-de-vie et tabac à discrétion
L'évêque de Quimper avait demandé au clergé de ne pas intervenir dans les élections. Il ne fut pas suivi.
A Ergué-Armel (à deux pas de l'évêché), un prêtre s'improvisa l'agent électoral du parti royaliste, faisant lui-même le tour de la commune pour patronner la liste monarchiste et recruter des distributeurs de bulletins.
Au Guilvinec, le recteur stationnait à la porte du local où se trouvait l'urne. Il avait à ses côtés le trésorier de la Fabrique qui arrêtait les électeurs et déchirait sans façon les bulletins de la liste républicaine.
A Crozon et Camaret, les bancs de l'église étaient transportés dans les auberges où se tenaient les réunions ; les enfants de choeur étaient employés à la distribution des bulletins.
Les candidats royalistes ne ménageaient ni les distributions d'eau-de-vie, ni les distributions de tabac.
A Argol, le jour de la réunion électorale, organisée par de Legge et Soubigou, la boisson coula à flot ; le bureau de tabac fut dévalisé ; il n'y restait plus ni un paquet de tabac ni de quoi faire une chique. Le jour du scrutin, quatre auberges avaient été louées par les monarchistes ; on y menait publiquement les électeurs, que l'on conduisait non publiquement à l'urne.
Louis Hémon... évêque d'Angers
Les républicains, de leur côté, n'étaient pas scrupuleux sur le choix des moyens à employer pour obtenir des voix ; ils eurent à se reprocher de petites vilénies qui étaient alors monnaie courante en période d'élection. Les procédés ne différaient guère, mais l'argent, le nerf des élections, leur faisait défaut.
A Landerneau, un agent de ville prenait le bulletin des paysans qui votaient pour les blancs et leur disait : "Ton bulletin est trop sale, en voici un autre", et il leur glissait dans la main la liste républicaine.
Les républicains avaient fait imprimer de petits bulletins gommés portant la liste de leurs candidats, qu'ils collaient sur les listes réactionaires pour permettre aux fermiers de voter sans crainte avec le bulletin des "blancs" qui n'avait pas exactement la même couleur que celui des "rouges" (on ne votait pas encore sous enveloppe).
Dans le but de diminuer les voix de Mgr Freppel, de petites bandes gommées portant le nom de Louis Hémon furent collées sur le nom de l'évêque. On glissait le bulletin dans la main de ces électeurs réactionnaires qui, sans le savoir, votaient pour Louis Hémon.
Au cours du dépouillement, on pouvait lire sur la liste des conservateurs : "Louis Hémon, évêque d'Angers, candidat monarchiste".
A Combrit, on trouva dans l'urne une soixantaine de bulletins de ce genre ; à Spézet, une centaine ; on en trouva aussi à Briec, à Landrevarzec, à Plomelin, etc... Ceci explique que Mgr Freppel, s'il fut réélu, n'arriva pas en tête de ses co-listiers comme on s'y attendait.
Tous les candidats monarchistes furent élus à une forte majorité. Il en fut de même dans les Côtes-du-Nord, le Morbihan et l'Ille-et-Vilaine. L. Hémon s'était montré bon prophète en affirmant que le scrutin de liste amènerait la défaite des républicains en Bretagne.
(Le Télégramme du 7/8/1959)
V. Echec des boulangistes aux élections de 1889, où les républicains reconquièrent leurs anciennes positions.
Apparition du parti socialiste et du parti radical.
La poussée conservatrice de 1885 fit long feu. Pendant les quatre années que dura la législature, l'opinion publique, travaillée par les républicains, avait évolué en leur faveur. La Chambre avait aboli le scrutin de liste qui avait été fatal au parti de gauche en Bretagne et avait rétabli le scrutin d'arrondissement qui allait permettre aux républicains de retrouver leurs anciens sièges.
Les dépenses nécessitées par les lois scolaires, les expéditions coloniales, la construction de chemins de fer et de canaux avait amené une crise économique qui causa dans le pays un vif mécontentement.
Le général Boulanger, né à Rennes en 1837, essaya d'utiliser ces mécontentements à son profit. Son but était de renverser le gouvernement et de prendre le pouvoir.
Il avait laissé croire au prétendant, le comte de Paris, qu'il travaillait pour une restauration monarchique. Trompé par lui, Albert de Mun, député de Pontivy, qui sera plus tard député de la 2è circonscription de Morlaix, entretenait l'héritier du trône dans ses illusions.
Les agents de Boulanger lui firent une propagande effrénée ; une certaine presse lui créa une grande popularité.
En Bretagne, des chanteurs ambulants, grassement payés, chantaient ses mérites ; des colporteurs distribuaient sa photographie et vendaient des chromos dont l'un, intitulé "Le coup de balai", représentait le général en uniforme, l'épée à la main, expulsant les députés de la Chambre.
Les candidats boulangistes
Malgré une intense propagande, le Finistère était demeuré calme et n'avait pas pris parti pour le général. Aux élections de 1889, trois candidats se réclamèrent de lui : le comte de Legge, député royaliste de la 1ère circonscription de Châteaulin, qui avait assisté au mariage de la fille de Boulanger et au fameux banquet où celui-ci avait affiché des sentiments monarchistes ; Derrien, usinier à Pont-l'Abbé, ancien fonctionnaire de l'empire, candidat dans la 2è circonscription de Quimper ; de Grilleau, envoyé spécialement par Boulanger pour abattre Louis Hémon, député de la 1ère circonscription de Quimper, qui avait vivement combattu le boulangisme.
La situation politique
Voici quelle était la situation politique du Finistère à la veille du scrutin. Ce qui, jusque là avait caractérisé les élections, c'était l'action ardente, souvent efficace du clergé. Le Léon formait une région jusque là inaccessible aux idées de la gauche. Par leur masse compacte, les électeurs du Léon avaient, au scrutin de liste de 1885, amené une victoire totale des royalistes, ce qui ne concordait pas avec les sentiments de l'ensemble du département. Cette région, comprenant la 2è circonscription de Morlaix, la 2è et la 3è circonscription de Brest, était demeurée le fief des monarchistes.
La 1ère circonscription de Quimper, comprenant les cantons de Quimper, Briec, Concarneau, Fouesnant et Rosporden, était acquise à Louis Hémon, créateur du parti républicain dans le Sud-Finistère, champion des idées démocratiques.
Dans la 2è circonscription de Quimper (canton de Pont-l'Abbé, Plogastel-St-Germain, Pont-Croix et Douarnenez), le républicain Arnoult s'était fait une clientèle fidèle dans la population côtière, élément flottant qui montre bien des fois la mobilité de ses suffrages. Sa mort récente permettait au boulangiste Derrien de briguer la place.
Brest (1ère), comprenant les trois cantons du Grand-Brest, était un sol essentiellement mouvant, traversé par des courants contraires et profondément agité. Il s'y était formé un parti socialiste qui recrutait surtout ses partisans parmi les ouvriers du port, et un parti radical encore à ses débuts.
La 1ère circonscription de Morlaix (cantons de Morlaix, Lanmeur, Plouigneau, St-Thégonnec et Sizun) était représentée par de Kersauson.
Le Dr Clech, maire de Lanmeur, d'une nuance républicaine assez accentuée, pouvait être l'homme de la situation.
La 1ère circoncription de Châteaulin (Châteaulin, Crozon, Le Faou, Pleyben), avait été longtemps aux mains des monarchistes ; un courant républicain s'y dessinait. Quant à la 2è circoncription de Châteaulin (Carhaix, Châteauneuf, Huelgoat), c'était la plus à gauche du Finistère.
A Quimperlé, qui ne formait qu'une seule circonscription, James de Kerjégu jouissait d'une grande notoriété. Il avait apporté à la république une adhésion pleine et entière.
Boulangistes contre républicains
La campagne électorale fut particulièrement violente dans la 1ère circonscription de Quimper où Louis Hémon avait pour concurrent B. de Grilleau.
De Grilleau n'était pas Breton. Né à Pau d'un père américain naturalisé français, il appartenait à une famille fort riche. Il avait dilapidé au jeu une bonne partie de la fortune paternelle. Ancien avocat au barreau d'Alger, il vint se fixer à Paris où il entra dans le parti boulangiste au moment de sa formation. Beau parleur, il présentait bien et s'était fait dans les salons parisiens, une solide réputation d'hypnotiseur.
Tel était l'homme que L. Hémon eut à combattre. De Grilleau, accompagné de personnalités quimpéroises acquises au boulangisme : de Chamaillard, ancien député ; de Chabre, avocat, etc., organisa de nombreuses réunions qui furent houleuses car Hémon y apportait la contradiction. Il faisait distribuer les jounaux boulangistes de Paris : L'Intransigeant, La Presse, La Cocarde, L'Autorité. Les murs se couvrirent d'affiches. L'une reproduisait une lettre du général Boulanger datée de Londres où il était réfugié : "Mon cher ami, vous avez l'honneur de porter notre drapeau dans la 1ère circonscription de Quimper. Je demande à tous les électeurs de réunir leurs suffrages sur votre nom. Tous les patriotes, écoeurés par l'odieux régime que nous subissons, se feront un devoir de donner leur voix au candidat de la république nationale et d'infliger ainsi à l'opportunime une décisive défaite. Je ne doute pas de votre succès."
La préfecture fit lacérer cette affiche qu'elle trouvait séditieuse. M. A. Ménardeau, brigadier de la gendarmerie à Fouesnant (il devint plus tard maire de Quimper), procédait à leur enlèvement à Gouesnac'h, lorsque le vicomte de Legge, frère du candidat boulangiste de Châteaulin, l'apostropha : "Gendarme, vous n'avez pas le droit d'enlever ces affiches. C'est moi qui les ai posées. Prenez garde, je peux briser votre carrière !"
Malgré la vive agitation créée par de Grilleau et l'argent répandu, les électeurs ne suivirent pas l'ami de Boulanger : il fut battu par 6.934 voix contre 4.782.
La lutte électorale avait été si ardente que les électeurs en gardèrent longtemps le souvenir. Aujourd'hui encore, dans la canton de Fouesnant, les réactionnaires sont appelés "Grilleau". On continue à employer ce qualificatif sans en connaître l'origine. Les deux autres candidats boulangistes, de Legge et Derrien, furent également battus par les républicains.
Apparition du parti socialiste et du parti radical
Jusqu'alors, deux partis seulement avait brigué les suffrages des électeurs : les monarchistes (les blancs) et les républicains (les rouges). Les élections de 1889 furent marquées à Brest par l'entrée dans l'arène politique des socialistes et des radicaux.
Le comité de propagande socialo-monarchiste avait désigné comme candidat, Gouzien, ouvrier du port sur les affiches duquel on pouvait lire : "Prends la terre, paysan ; ouvrier, prends l'usine". Il termina une conférence en s'écriant : "Plus de riches, plus d'armée, plus de budget !" - Qui nous paiera alors ! Et comment nous vivrons ?", dit un ouvrier du port.
Le parti radical comptait à Brest de 800 à 1.000 adhérents ou sympathisants. L'organe des radicaux était Le Petit Brestois, jounal combatif, mais assez peu lu. Le candidat, Gestin, ne put lutter efficacement contre le Dr Gasté, républicain, qui fut élu par 6.891 voix contre 3.965 au candidat radical.
Les résultats d'ensemble pour le Finistère furent les suivants : élus, 7 républicains et 3 monarchistes. Le scrutin d'arrondissement avait permis aux républicains de rétablir leur position. Les boulangistes n'avaient que 70 sièges pour toute la France. Ce n'était pas le succès escompté par "l'homme au cheval noir".
(Le Télégramme des 8 et 9/8/1959)
VI. Après les encycliques de Léon XIII, ralliement du clergé à la République. Election de Mgr d'Hulst et d'Albert de Mun
Au cours des élections législatives de 1893, les réactionnaires exploitèrent contre les républicains l'affaire de Panama, où de nombreux petits rentiers, des fonctionnaires, des cultivateurs avaient engagé leur argent. Des parlementaires républicains avaient été compromis dans cette malheureuse aventure. Malgré ce scandale qui servit de plate-forme électorale à la droite, les sept circonscriptions républicaines élirent les mêmes députés ou des députés de même nuance.
Après la mort de Mgr Freppel, député de la 3è circonscription des Brest, comprenant les cantons côtiers de Lesneven, Lannilis, Ploudalmézeau, St-Renan et Ouessant, une élection partielle eut lieu le 6 mars 1892. L'intérêt de la consultation était de savoir si le choix se porterait sur un laïc ou sur un membre du clergé. Le congrès de Lannilis, présidé par M. de Kermenguy, député royaliste, décida de faire appel à Mgr Maurice Le Sage d'Hauteroche d'Hulst, prélat de la maison du pape, recteur de l'Institut catholique de Paris, plus connu sous le nom de Mgr d'Hulst. Le congrès portait ainsi son choix sur l'un des dignitaires les plus marquants de l'Eglise. Mgr d'Hulst avait d'étroites relations personnelles avec le prétendant au trône de France. Lorsqu'il reçut l'appel des électeurs du Léon, il accourut.
Elu sans concurrent
L'encyclique de Léon XIII, du 16 février 1892, avait engagé le clergé français à accepter la République comme gouvernement définitif de la France. "L'état du pays, écrivait le pape, s'est tellement modifié que, dans les conditions où se trouve actuellement La France, il ne paraît pas possible de recourir à la forme monarchique du pouvoir".
Dans sa profession de foi, Mgr d'Hulst, jusque-là partisan de la monarchie, ne fit pas allusion à cette encyclique. Après une longue diatribe contre l'oeuvre républicaine, il déclare cependant que, pour résoudre la question religieuse, il se placera sur le terrain des institutions existantes. Il apparaît qu'il fut un résigné, obéissant au pape par principe, mais avec l'espoir d'un changement politique possible, plus conforme à ses vues.
La Gazette de France, jounal monarchique, l'accusa d'avoir donné le mauvais exemple en montrant figure républicaine à ses électeurs.
Présenté par le clergé et les gros propriétaires, auréolé du prestige que lui donnaient ses fonctions et son talent d'orateur prêchant à Notre-Dame, il fut élu sans concurrent, à la presque unanimité des votants. Il fut réélu en 1893 et mourut le 6 novembre 1896.
Le clergé devant la République
Les encycliques de Léon XIII au clergé et aux catholiques de France préconisaient la politique du ralliement à la République. Le pape voulait désolidariser les catholiques de la cause monarchique qu'il jugeait perdue.
Dans ses encycliques de 1890, 1892 et 1893, il entendait se placer au-dessus des partis : "Tout ce qui embrasse le droit politique et civil doit demeuré soumis à l'autorité séculière. L'Eglise ne condamne aucune forme de gouvernement pourvu que soient sauvées la religion et la loi morale".
La fameuse encyclique du 16 février 1892 conseille de respecter le fait légal et le principe d'autorité, mais elle considère que, par les voies légales, on est en droit de modifier toute législation qui n'assure pas la liberté de conscience et du culte. Elle donne aux catholiques la faculté d'en appeler à la consultation nationale pour exercer leurs droits.
En 1893, Léon XIII renouvela avec force à certains évêques français réfractaires, les instructions données aux catholiques en ce qui concerne l'acceptation loyale de la Constitution républicaine.
Les encycliques trouvèrent une large audience en Basse-Bretagne, plus particulièrement dans le Léon. Dans l'ensemble, les prêtres bretons suivront les instructions du Saint-Siège et ne soutiendront plus les candidats monarchistes. Un nouvel élément va faire son entrée dans la politique ; nous assisterons au divorce entre la noblesse et le clergé qui, jusqu'alors, étaient associés. Cette nouvelle orientation sera capitale et amènera des changements importants dans la carte politique.
Dès 1892, une notable partie du clergé léonard s'était affectionné de Mgr d'Hulst, qui ne s'occupait guère de sa circonscription et dont les vues n'étaient pas en harmonie avec les siennes. Sa ligne politique avait évolué son les directives du pape. La première manifestation de cet état d'esprit se manifestera à l'occasion de l'élection d'Albert de Mun.
"Je serai le défenseur fidèle des intérêts du Léon"
La 2è circonscription de Morlaix (cantons de St-Pol-de-Léon, Plouescat, Plouzévédé et Landivisiau) était représenté depuis 1869 par le comte de Kermenguy, monarchiste, appuyé par les prêtres, par la noblesse et par les grands propriétaires fonciers. C'est seulement en 1893 que les républicains voulurent se compter en posant la candidature de Claude Caill, maire de Plouzévédé. De Kermenguy l'emporta avec une avance de 4.200 voix sur 13.000 votants. Il mourut le 27 novembre 1893. Qui le remplacera ?
On parlait de M. de Mun, ancien député de la 2è circonscription de Pontivy, où il s'était présenté en 1876 comme monarchiste. Les Morbihannais lui demeurèrent fidèles et l'élirent à chaque renouvellement jusqu'en 1893. A cette époque, il avait évolué ; se soumettant aux ordres du Saint-Père, il avait adhéré à la République. Dès lors, ses électeurs, de farouches royalistes descendants des chouans, lui retirèrent leur confiance : il ne fut pas réélu.
Son évolution politique avait éveillé de vives sympathies dans le Léon. Sa candidature fut acclamée au congrès de Plouvorn, présidé par le sénateur Soubigou qui, lui aussi, s'était rallié.
Deux jours après, M. de Mun était à Saint-Pol-de-Léon, où un accueil enthousiaste lui était réservé. Il élabora un manifeste où il déclarait avoir obéi aux ordres de Léon XIII en acceptant la forme du gouvernement établi : "Mon programme social s'appuie sur les principes catholiques. L'encyclique du pape sur la condition de l'ouvrier a posé le principe et tracé le cadre des réformes que commande la justice. Les intérêts du Léon trouveront en moi un défenseur fidèle".
Le comte Albert de Mun
Né le 28 février 1841, au château de Lumigny (Seine-et-Marne), M. de Mun appartenait à une très ancienne famille du Bigorre. Sa mère, Mlle de Ferronays, était originaire de Dinan.
Lorsqu'il se présenta à la députation dans le Finistère, il jouissait dans toute la France d'une grande popularité. En 1870, il s'était battu bravement et avait reçu la croix de la Légion d'honneur. Puis ce furent la captivité, la guerre civile, les événements sanglants de la commune.
La vue de ces horreurs lui donne une âme d'apôtre. Il a la conviction que, pour en empêcher le retour, il faut aller au peuple et le réconcilier avec l'Eglise. En 1875, il donne sa démission de capitaine au 2è régiment de cuirassiers pour se dévouer à son oeuvre d'apostolat. Il crée l'oeuvre des Cercles catholiques et parcourt la France pour la faire connaître. Il se révèle orateur de talent et obtient partout un éclatant succès. Les Parisiens l'appellent "la sirène politique des assemblées catholiques".
Il se fait l'apôtre du socialisme agraire et des oeuvres ouvrières. A la Chambre, il prend la parole avec une éloquence à laquelle ses adversaires rendent hommage.
Sa campagne électorale dans le Léon fut une promenade triomphale. Partout on l'acclamait : "Pebez den ! Pebez kozeer !" (Quel homme ! Quel orateur !), s'écriaient ses auditeurs charmés.
L'anniversaire de la mort de Louis XVI
L'élection (une élection partielle) avait été fixée au 21 janvier, anniversaire du jour où fut décapité Louis XVI. La Gazette de France, journal légitimiste, publia cet article : "C'est par une perfidie voulue que les sectaires, qui nous gouvernent, ont fixé l'élection au 21 janvier. Ce jour sera celui où un monarchiste ardent rallié à la République se présentera devant des électeurs jusqu'ici catholiques et royalistes. Ces électeurs vont être appelés à exécuter de leurs propres mains et par leur vote, le principe même de la monarchie héréditaire. C'est de Mun qui, invoquant le nom de Léon XIII, soutenu par l'Univers, le Monde et la Croix, cette triplice de la presse religieuse, se prête à cette regrettable félonie. C'est le 21 janvier que M. de Mun demandera à ses électeurs, de voter pour le maintien de république qui a guillotiné le descendant de Saint-Louis ! A moins que le bonheur d'être député soit tout pour M. de Mun, il trouvera qu'il paie bien cher la joie d'écraser les royalistes bretons, fidèles à Dieu et au roi !"
Le comte Albert de Mun fut réélu par 8.154 voix contre 5.885 à M. Claude Caill, républicain, breton authentique et figure très sympathique. Jusqu'à sa mort, en 1914, M. de Mun représentera à la Chambre la 2è circonscription de Morlaix.
(Le Télégramme du 10/8/1959)
VII. En 1897, les Léonards, qui passaient pour royalistes, élirent un prêtre républicain : l'abbé Gayraud, opposé au comte de Blois, monarchiste
La 3è circonscription de Brest était essentiellement cléricale et soumise au clergé. Le clergé tenait, par son origine, au monde rural ; il possédait, aux yeux des léonards, un prestige dû à son savoir et à ses fonctions sacerdotales. Le peuple acceptait, même en matière d'élection, la stricte discipline que lui imposaient les prêtres. Jusque là, les électeurs avaient eu à choisir entre deux partis : une droite monarchiste et catholique et une gauche républicaine et laïque. Ils étaient catholiques avant tout. Si, jusqu'en 1897, ils avaient voté pour les royalistes, c'est que ceux-ci se proclamaient les défenseurs de la religion. On en a conclu que le Léon était royaliste, c'est faux : les Léonards étaient des démocrates, ils étaient républicains, mais leur religion passait avant la politique.
Lorsque se présenteront des candidats à la fois républicains et défenseurs de la religion, on votera pour eux. L'influence des prêtres, dont les sentiments répondaient à ceux des paysans, finira par supplanter celle des nobles qu'ils avaient soutenus jusque là.
Le signal partit du Léon, qui allait élire un prêtre rallié à la République, qui se présentait comme un monarchiste de vieille souche. Cette élection, qui eut un grand retentissement dans toute la France, mérite qu'on en parle assez longuement.
A la recherche d'un candidat
Depuis les encycliques du Pape sur le ralliement du clergé à la République, quelques prêtres du Léon s'étaient mis à l'avant-garde et propageaient les théories nouvelles. A leur tête se trouvait l'abbé Ollivier, curé de Lannilis, ancien supérieur du séminaire, ancien vicaire général et l'abbé Grall, recteur de Ploudalmézeau, qui avait été menacé d'interdit par Mgr Valleau, évêque légitimiste.
Ils avaient créé, pour soutenir la politique du ralliement, un journal tri-hebdomadaire, L'Etoile de la Mer et dirigeaient la Société de la Presse Catholique, propriétaire d'un hebdomadaire qui paraissait également trois fois par semaine.
Lorsque mourut Mgr d'Hulst, qui avait conservé une certaine tendresse pour la monarchie, les membres les plus dynamiques du clergé, dont le chanoine Ollivier et l'abbé Grall, entreprirent de mener la campagne électorale et cherchèrent un évêque "rallié" qui accepta de se présenter.
Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, sollicité par les conservateurs, avait répondu favorablement ; les journaux de droite, La Gazette de France, Le Soleil, Le Gaulois, La Croix annoncèrent sa candidature. Or, Mgr de Cabrières avait refusé ouvertement d'adhérer aux instructions politiques de Léon XIII. Les "ralliés" du Léon déclinèrent la candidature d'un prélat, dont les idées n'étaient pas assez avancées et qui n'entendait pas donner son adhésion à la politique papale.
La candidature fut alors offerte à Mgr Dubourg, évêque de Moulins. De nombreux prêtres insistèrent sur la satisfaction qu'ils auraient d'être représentés par ce prélat, le seul qui parlât le breton. Mgr Dubourg déclina l'offre. Il en fut de même de Mgr Touchet, évêque d'Orléans.
Désespérant de trouver la candidature d'un évêque rallié, l'abbé Grall se mit en quête d'un membre du bas-clergé. On lui signala l'abbé Gayraud, qui s'était voué aux questions sociales et qui était en conformité d'idée avec l'abbé Lemire, député républicain. L'abbé Gayraud accepta l'offre qui lui fut faite. Sa candidature fut acclamée au congrès de Lannilis, organisé par les soins du chanoine Ollivier et où n'assistaient que des prêtres. Le clergé léonard avait trouvé en l'abbé Gayraud l'incarnation de ses idées politiques. L'évêque de Quimper, Mgr Valleau, ne fut ni consulté ni même avisé : on le savait légitimiste impénitent.
Une candidature monarchiste
Les choses en étaient là lorsqu'un légitimiste, le comte de Blois, maire de Coat-Méal, ancien procureur de la République, qui avait démissionné lors de la promulgation des décrets contre les religieux, posa sa candidature comme catholique-monarchiste. Foncièrement religieux, ses qualités de juriste, ses connaissances agricoles mises à la disposition des cultivateurs, le recommandaient aux suffrages de ses concitoyens. L'évêque marqua sa satisfaction en lui écrivant une lettre où il exprimait son désir de le voir élu.
Il y aura donc en présence deux candidats, l'un monarchiste et catholique, le comte de Blois, l'autre catholique et républicain, l'abbé Gayraud.
Le passé de l'abbé Gayraud
Fils d'un boulanger, Hippolyte Gayraud naquit dans le Tarn-et-Garonne le 15 août 1856. En 1897, il avait 41 ans.
Trapu, brun, les trait accentués, des sourcils épais qui s'arquaient puissamment devant la contradiction, sa personne trahissait son origine populaire.
Professeur de philosophie, il abandonna la chaire qu'il avait occupée à l'Institut catholique de Toulouse pour entrer dans l'ordre des dominicains, pépinière de prédicateurs illustres, où il développa ses facultés oratoires.
Il se vit contraint de quitter cet ordre parce qu'il soutenait dans ses prédications et ses conférences des doctrines qui paraissaient trop hardies à ses supérieurs.
Il se rendit alors à Paris, où il habita rue Saint-Jacques, avec sa tante et sa cousine. Il demeura prêtre libre et ne put recevoir une place dans le clergé paroissial. Il prêchait dans les églises et les chapelles où sa parole éloquente attirait les foules. Pour reconnaître son zèle, le Pape, dont il suivait aveuglément les directives, lui décerna, en 1896, le titre de "missionnaire apostolique".
Doué d'une assurance imperturbable, d'une voix puissance, "écumant de force comme les rochers de Bretagne blanchissant sous l'écume des vagues", c'était un lutteur qui savait empoigner les foules. Son ardeur oratoire au service de ses idées était telle qu'il effraya les catholiques de Rennes, où le Conseil de fabrique démissionna plutôt que d'entendre à nouveau sa parole hardie.
L'abbé Gayraud habitait à Paris sous le même toit que sa cousine, âgée de 34 ans, mariée, et dont le mari travaillant à l'extérieur était absent toute la journée. Cettte cousine demanda bientôt le divorce. Un procès eut lieu.
L'abbé Gayraud expliqua plus tard qu'il avait été saisi du doute au milieu de la sérénité qu'il croyait avoir conquise. Dans cet état d'âme, il demanda un réconfort "à une amie fidèle, à une soeur". Il s'épancha auprès de sa cousine dans une correspondance mystique qui, progressivement dévia.
Ces lettres influencèrent-elles la confidente et l'incitèrent-elles à demander le divorce ? Les magistrats le crurent et la presse s'occupa d'une querelle où une situation fâcheuse avait créé un scandale.
Le vertige passé, l'abbé Gayraud, retrouva la foi ardente qui, jusque là, l'avait animé.
Tel était l'homme qui se présenta aux élections législatives dans la 3è circonscription de Brest, que les journaux de Paris appelaient "la circonscription de l'Eglise".
(Le Télégramme du 11/8/1959)
VIII. L'élection de l'abbé Gayraud passionna la France et sonna le glas du parti monarchiste dans le Finistère
L'élection de la 3è circonscription de Brest (24 janvier 1897) passionna la France entière. Il s'agissait, rappelons-le, d'une élection partielle, qui mettait aux prises, pour la première fois dans les annales parlementaires, un prêtre républicain, en la personne de l'abbé Gayraud, et un noble monarchiste-catholique, le comte de Blois.
Les journaux de Paris et de province s'intéressèrent à cette élection et informèrent leurs lecteurs des incidents qui marquèrent la campagne électorale. Le Temps eut un envoyé spécial qui en suivait les péripéties. On disait qu'il allait se passer d'étranges choses dans cette partie du Finistère qu'on nomme le Léon.
Deux professions de foi
Dans une proclamation à ses électeurs, l'abbé Gayraud déclarait : "C'est sur le terrain constitutionnel que je me placerai loyalement, sans arrière-pensée, pour maintenir les droits de l'Eglise. Je veux que les droits des parents concernant l'éducation de leurs enfants soient respectés. Je veux une liberté d'association plus complète, afin que les syndicats soient capables de défendre les intérêts des travailleurs de la terre et de la mer. Je suis partisan d'une réforme du suffrage universel en vue d'obtenir la véritable représentation des intérêts professionnels et la juste représentation des minorités".
Le candidat préconise ensuite l'impôt sur le revenu et déclare s'appuyer sur la démocratie pour obtenir les réformes sociales.
La profession de foi du comte de Blois n'était pas moins franche :
"Jusqu'ici vous avez choisi pour vous représenter, des hommes comme Mgr Freppel et Mgr d'Hulst, en raison de leur caractère et de leurs mérites. Sans me flatter d'être à la hauteur de tels prédécesseurs, je puis vous donner l'assurance que je continuerai leur tradition. Comme eux, je serai le défenseur de la foi, comme eux, mes préférences vont à la monarchie constitutionnelle. "Dieu et la France", ces mots résument ma pensée".
Presbytères contre châteaux
M. de Blois n'avait à sa disposition qu'un journal de Paris, La Vérité, que les paysans ne lisaient pas. La presse catholique locale reproduisait les discours de l'abbé Gayraud, les traduisait en breton, le suivait dans les 40 communes de sa circonscription.
Les gens du peuple n'avaient pas encore compris les causes de la nouvelle orientation politique du clergé ; l'abbé Gayraud les leur expliqua. Emmanuel Desgrées de Loû, jeune avocat du barreau de Brest, exposait, lui aussi, la thèse du ralliement et soutint le prêtre républicain contre le châtelain monarchiste.
Les prêtres firent en faveur de leur candidat une propagande effrénée. Le journal catholique augmentait son tirage et proclamait que l'abbé Gayraud était le candidat du Pape, le candidat de Dieu. Les vicaires parcouraient les campagnes, distribuant journaux et bulletins.
A Plouider, à Ploudalmézeau, les réunions électorales se tenaient dans l'église ; le candidat y déclara qu'il mettait sa candidature sous le patronage du Sacré-Coeur. Les pires épithètes étaient prodiguées en chaire contre le comte de Blois, et l'on disait que ce serait un péché grave que de voter pour lui.
Le ministre de la Justice et des Cultes adressa à l'évêque une lettre où il blâmait l'attitude du clergé et il rappelait que, si les prêtres peuvent exercer autour d'eux la même action personnelle que tous les citoyens, il leur était interdit d'utiliser leurs fonctions sacerdotales et d'abuser de leur ministère pour peser sur les électeurs. Il annonçait des sanctions (suppression de traitement) contre les prêtres, dont l'ingérence dans les élections dépasserait les limites permises.
Le comte de Blois, secondé par les châtelains et fort de l'appui de l'évêque, faisait tête comme il pouvait, multipliant les réunions, dénonçant l'ingérence abusive du clergé, rappelant aux paysans leurs votes en faveur de Mgr Freppel et de Mgr d'Hulst, royalistes comme lui.
M. de Poulpiquet écrivit deux brochures pour blâmer l'action du clergé et défendre le comte de Blois.
Pour amoindrir le succès prévu de l'abbé Gayraud, les républicains votèrent pour le candidat monarchiste ouvertement soutenu par l'évêque. Ils lui apportèrent un appoint d'environ 2.000 voix.
Au premier tour, l'abbé Hippolyte Gayraud fut élu par 7.333 voix contre 5.980 au comte de Blois. Dans "la lutte du veston contre la soutane" comme titra un grand journal de Paris, c'est la soutane qui l'emporta.
Une enquête parlementaire
Louis Hémon, député de Quimper, demanda à la Chambre qu'une enquête fut faite sur l'ingérence cléricale dans l'élection de l'abbé Gayraud. Dans un discours dont la Chambre vota l'affichage par 289 voix contre 118, Hémon constata que jusqu'alors on n'avait jamais vu l'initiative d'une candidature prise aussi ouvertement par le clergé.
"Elle a été arrêtée dans une réunion exclusivement ecclésiastique, sorte de concile électoral où le clergé s'enferma à huis clos pour mieux s'assurer un candidat qui fût à lui et rien qu'à lui.
"Ces prêtres de combat, l'élection actuelle donne la mesure de ce qu'ils ont osé faire contre leurs anciens alliés royalistes. Ils font de la religion un brutal instrument de combat. L'électeur breton a été mis en demeure d'opter entre ses idées politique et ses idées religieuses. Refus impitoyable d'absolution à quiconque ne promet pas de voter pour le candidat du presbytère. Refus d'absolution à quiconque lit un journal autre que les journaux patronnés par le clergé, à quiconque laisse son enfant dans une de ces écoles laïques flétries du nom d'écoles sans Dieu.
"Au seuil de chaque paroisse, l'abbé Gayraud trouvait le clergé accouru pour escorter dans ses tournées celui qu'ils appelaient le candidat du pape".
Dans sa réponse, l'abbé Gayraud s'étonna qu'on n'ait pas demandé d'enquête sur l'ingérence cléricale dans les élections de Mgr Freppel et de Mgr d'Hulst, élus avec l'appui des prêtres.
"Il est vrai qu'il s'agissait d'évêques. Mgr d'Hulst appartenait à la noblesse, je suis un fils d'ouvrier et je m'en fais gloire. Je ne nie pas que le clergé ait usé de son influence en ma faveur ; il a agi comme tout citoyen a le droit de le faire. Il est exact que ce sont des prêtres qui m'ont demandé de poser ma candidature dans une circonscription où je n'étais nullement connu. Je reconnais qu'ils ont conseillé de voter pour moi et qu'ils ont combattu la candidature opposée. Ils usaient de leurs droits de citoyens, mais ils n'ont pas usé du pouvoir sacerdotal pour exercer une pression en ma faveur. Comme Mgr Freppel et comme Mgr d'Hulst, j'ai tenu des réunions dans les églises. Les idées de M. de Blois sont opposées, non seulement au pape, mais au gouvernement lui-même puisqu'il voudrait abattre la République".
Par 353 voix contre 121, la demande d'enquête fut votée par la Chambre des députés. La commission chargée de l'enquête releva de nombreux cas de propagande en chaire, de refus d'absolution, et même plusieurs cas où il fut conseillé aux épouses de se soustraire au devoir conjugal.
Dans sa séance du 6 juillet 1897, la Chambre, sur le rapport de sa commission, prononça l'invalidation de l'abbé Gayraud.
De nouvelles élections eurent lieu le 29 août. Entre temps, le ministre de la Justice et des Cultes avait supprimé le traitement des ecclésiastiques les plus compromis. Cette mesure maladroite donna de nouvelles armes au clergé pour une nouvelle campagne électorale.
Le comte de Blois se représenta. Il fonda un journal, Le Léonard, pour soutenir sa candidature et contrecarrer l'action du Courrier et de L'Etoile de la Mer ouverts à son concurrent.
Les Léonards ne renièrent pas leur premier vote : l'abbé Gayraud fut réélu avec une majorité accrue ; il recueillit 7.997 voix contre 5.665 au comte de Blois.
Cette élection marqua la fin du parti monarchiste dans le département. Désormais, aucun candidat n'osera plus se présenter aux élections avec l'étiquette légitimiste.
L'élection de l'abbé Gayraud, porte-drapeau du pape et de l'Eglise, eut un retentissement considérable dans le clergé français ; elle hâta le ralliement définitif de l'Eglise à la République.
(Le Télégramme du 12/8/1959)
IX. En 1902, un duel électoral opposa un prêtre breton soutenu par son évêque et un prêtre étranger en rébellion contre le chef du diocèse
De 1889 à 1900, les républicains modérés, nuance Louis Hémon, avaient eu une forte majorité dans le Finistère (sept députés contre trois de la droite). Leur position avait été consolidée par leur victoire sur le boulangisme et se maintint malgré la malheureuse affaire de Panama.
L'élection de l'abbé Gayraud avait inauguré une nouvelle attitude du clergé et consacré la séparation définitive entre catholiques-républicains et monarchistes.
De bons esprits avaient cru, après le ralliement du clergé, que l'union des partis républicains pourrait se faire. Les élections de 1902 prouvèrent que la division continuait à règner : républicains et "ralliés" continuaient à se combattre. "Je crois au péril clérical, déclarait L. Hémon. Ce parti ne parle que de conciliation, mais il sème la guerre dans les communes ; lui tendre la main serait la capitulation. Je me refuse à recevoir des leçons de ces républicains de fraîche date qui, il n'y a pas encore longtemps, appelaient la République Marianna fri lous (Marianne au nez sale)".
La lutte dirigée par le clergé contre l'école laïque, les lois anticléricales votées par les Chambres, empêchèrent toute conciliation. De plus en plus la question de laïcité jouera un rôle déterminant dans les luttes électorales.
Un nouveau parti, le parti radical, qui s'était constitué depuis quelques années, avait une doctrine laïque, démocratique et anticléricale. Le radicalisme se développa surtout dans les villes.
Brest fut la première ville à adopter la nouvelle tendance. En 1898, le candidat radical Isnard fut élu. Il fut réélu en 1902. Dans le Sud-Finistère, les mêmes élections verront le succès de Georges Le Bail.
Soutane contre soutane
Les élections de 1902 se déroulèrent en avril, avant les violentes manifestations provoquées par la fermeture des écoles congréganistes. De ce fait, la loi sur les congrégations n'influera pas sur le résultat du scrutin.
Ce scrutin sera curieusement marqué dans le Léon par la lutte entre deux prêtres d'opinions à peu près identiques, mais soutenus par un corps électoral différent.
L'abbé Stéphan, curé-doyen de St-Renan, était ouvertement soutenu par l'évêque, par les vieux prêtres et par la noblesse qui voulait venger l'échec du comte de Blois. L'abbé Gayraud était patronné surtout par les vicaires et les jeunes recteurs. L'élection fut une nouvelle révolte du tiers-état clérical contre l'évêque et contre la noblesse.
Comme en 1897, un congrès réuni à Lannilis désigna l'abbé Gayraud, député sortant, comme candidat de la 3è circonscription de Brest.
La candidature de l'abbé Stéphan était présentée comme une candidature d'union et de paix. Sa désignation avait été faite en plein accord avec Mgr Dubillard, évêque de Quimper. Il publia la déclaration suivante :
"Prêtre catholique, je suis avec le chef de la religion N.S. Père le pape. Suivant ses instructions, j'admets la constitution de mon pays. Loyalement je combattrai les lois mauvaises sans attaquer la forme du gouvernement. J'ai offert mon désistement en faveur de l'honorable M. Piou qui a fondé le groupement de l'Action libérale avec M. de Mun. Je suis d'accord avec ses idées. J'agirai toujours en liaison avec mon évêque. Toute autre façon de faire me paraît suspecte et dangereuse".
Une situation singulière
La lutte ouverte entre les deux candidats ecclésiastiques eut des échos en dehors de la Bretagne. Les journaux de la capitale suivaient ce duel entre un prêtre breton, soutenu par son évêque et un prêtre étranger en rébellion contre le chef du diocèse, mais soutenu par des prêtres influents du Léon, en particulier par les abbés Ollivier et Grall, fondateurs de la presse catholique. Les deux candidats en soutane, tout en se réclamant de la même doctrine, allaient se livrer une rude bataille.
L'autorité de l'évêque avait été gravement compromise lors de la première élection de l'abbé Gayraud : Mgr Valleau s'était trouvé impuissant devant les prêtres de combat qui choisirent et firent élire leur candidat.
Son successeur, Mgr Dubillard, comptait sur son autorité de chef religieux, doublée d'une prestance physique exceptionnelle, pour convertir le clergé à ses vues. Il venait de Besançon. Le clergé du Léon, estimant qu'il était seul juge de la conduite à tenir au cours des élections, montra par son comportement qu'un évêque de Besançon ne parviendrait jamais à faire partager ses vues par des prêtres du Léon.
En rébellion contre l'autorité épiscopale
La campagne électorale fut menée de part et d'autre avec une grande énergie. L'abbé Gayraud déclara à ses électeurs :
"Je ne suis ni recteur ni curé dans ce diocèse, je n'ai donc pas besoin de l'autorisation de l'évêque et je ne l'ai pas demandée. Mgr Dubillard m'a invité à céder la place à un autre. Mes électeurs m'ont élu pour les représenter, ce n'est pas à moi de leur dire : "Je m'en vais", c'est à eux de me dire "Allez-vous en !" Ils ne m'ont pas demandé de partir : je reste !"
A plusieurs reprises, l'évêque avait manifesté sa sympathie pour le curé-doyen de Saint-Renan et exprimé nettement son désir de voir les prêtres voter pour lui. Il avait envoyé des rectificatifs et des démentis aux journaux qui feignaient d'ignorer les consignes de l'évêché.
Dans un but d'apaisement, l'abbé Gayraud songea un moment à retirer sa candidature ; la Dépêche de Brest annonça sa démission. Après avoir rédigé une lettre en ce sens, il la déchira sur les instances du groupe de prêtres qui le patronnait.
L'acuité de la lutte fut telle que l'on vit des choses encore jamais vues : des ecclésiastiques se livrèrent les uns sur les autres à des voies de fait pour défendre le candidat qui avait leurs préférences. La rébellion du clergé contre les ordres extra-canoniques de Mgr Dubillard amena la réélection de l'abbé Gayraud à une forte majorité. Il eut 3.000 voix de plus que son concurrent qui avait eu pour lui les vieux prêtres, les monarchistes et un certain nombre d'électeurs républicains.
Election de deux candidats radicaux
Dans la première circonscription de Brest, la lutte eut lieu entre un radical, Isnard ; un républicain modéré, le colonel Nény ; un socialiste, Vibert, ouvrier à l'arsenal, et un réactionnaire s'intitulant libéral, Henry Homo. La lutte électorale fut ardente. Isnard l'emporta au second tour contre Homo. Il soutenait la politique de Waldeck-Rousseau.
Lorsque les résultats furent connus, la foule des radicaux se dirigea vers la rue du Château, devant les bureaux d'un journal catholique, en brandissant des balais et en conspuant le candidat libéral soutenu par le journal. En tête marchait un jeune homme portant le drapeau des tsars (M. Loubet devait s'embarquer le lendemain à Brest pour un voyage en Russie).
Dans la deuxième circonscription de Quimper se présentait également un candidat radical, Georges Le Bail. Le Courrier qui le combattait le présentait ainsi à ses lecteurs : "Bon avocat de Quimper-Corentin. Occupé. Parole abondante : un torrent impétueux, un gave des Pyrénées. 45 Ans. D'une élégance déjà grisonnante. Croit fermement au péril clérical, mais ne sait pas exactement en quoi il consiste".
Il fut élu par 12.501 voix contre 8.624 à son concurrent, Delaporte, avocat à Quimper, réactionnaire.
Dans la première circonscription de Quimper, une campagne électorale particulièrement violente mit aux prises Louis Hémon, député sortant, qui sera réélu, et Beauchef de Servigny, ancien monarchiste, ancien boulangiste, qui s'intitulait républicain libéral. Ce dernier était soutenu par le clergé qui voulait faire payer à L. Hémon son intervention à la Chambre contre l'élection de l'abbé Gayraud.
Les réunions de L. Hémon se terminaient par les cris de : "Vive Hémon ! A bas les grilleaux !" (les réactionnaires). Le clergé donna à fond en faveur de Servigny. Une enquête officielle établit, de la part du clergé, de nombreux faits d'ingérence abusive, et de nombreux faits de pression électorale à l'actif de Servigny : distribution d'argent et de boisson, tabliers et bijoux offerts aux femmes d'électeurs influents. Un journal écrivait : "Quimper ressemble à un petit Naples, tant on y voit de lazzaroni étalant au soleil leur oisiveté. Tout le monde n'a qu'une occupation : entrer chez M. de Servigny, lui promettre leur vote, et sortir munis d'une pièce d'argent qui leur permettra de boire jusqu'à plus soif".
Les poursuites intentées contre de Servigny n'eurent pas de suite : le procureur général estima qu'étant donné les moeurs électorales de la Basse-Bretagne, les faits reprochés ne motivaient pas une condamnation.
A Morlaix, où Charles le Goffic fut sur le point de se présenter, Emile Cloarec, député sortant, eut pour concurrent le barde Charles Rolland, "socialiste-phalanstérien", facteur rural à Guerlesquin. Il s'intitulait "le défenseur des humbles" et réclamait la création d'une "caisse de retraite d'office" qui donnerait une pension à tous les Français. Cloarec fut élu par 9.086 voix contre 2.222 à Charles Rolland.
(Le Télégramme du 13/8/1959)
X. Deux militants de la cause républicaine : Louis Hémon et Georges Le Bail
Les élections de 1906 eurent lieu dans une atmosphère assez trouble, causée par la loi sur la séparation des Eglises et de l'Etat et la loi sur l'enseignement congréganiste. La politique anti-religieuse du ministère Combes avait ému la Bretagne. Quant à la circulaire interdisant l'usage du breton dans les églises, elle avait soulevé l'indignation des milieux bretonnants.
Cette circulaire visait à hâter la "républicanisation" de la Bretagne bretonnante en y faisant pénétrer le français. Les parlementaires, en particulier Louis Hémon, s'élevèrent contre ce projet malencontreux et firent remarquer l'inconséquence de cette mesure en apprenant à son auteur qu'il aurait dû reconnaître, à savoir que la Bretagne bretonnante était plus républicaine que la Haute-Bretagne où l'on ne parlait que le français.
Une vie de labeur et de dévouement au service de la République
A la Chambre et au Conseil général du Finistère, Louis Hémon s'était fait le défenseur ardent de notre vieille langue. Ce fut une belle figure qu'il convient d'évoquer ici.
Depuis 1870, Hémon militait pour une république tolérante, qu'il concevait comme la gardienne de l'ordre, de la paix sociale et des libertés publiques. Il a fait avancer pied à pied les idées républicaines par son talent d'orateur, la sincérité de ses convictions et son honorabilité incontestée.
Intelligent et actif, il fut le principal organisateur du parti républicain dans le Finistère. Jusqu'à sa mort, il s'occupa des intérêts du département et de ses concitoyens.
Né à Quimper le 25 février 1844, avocat au barreau de cette ville, Louis Hémon se présenta pour la première fois aux élections législatives de 1871, sur la liste républicaine, qui fut battue par les monarchistes. En 1872, il fonda le journal "Le Finistère" pour propager ses convictions républicaines. Elu député en 1876, il fut l'un des 363 qui s'opposèrent à Mac-Mahon. Il représentera la première circonscription de Quimper pendant 34 ans.
A la Chambre, les députés prêtaient toujours attention à ses discours, dont le style était châtié. Très cultivé, poète dont les vers étaient d'un rythme harmonieux et d'une correction parfaite, il eût brillé dans les Lettres si la politique ne l'avait pas accaparé.
Lutteur, loyal, il avait une grande facilité d'improvisation. Parlant la langue bretonne avec facilité, il exerçait une grande influence sur les électeurs des campagnes. Il donna sa mesure en 1889, à l'époque du boulangisme, défendant son siège contre le boulangiste Grilleau, courant au secours des candidats républicains en difficulté.
Très respectueux des sentiments religieux de ses compatriotes, il fut l'adversaire redouté du parti clérical et réactionnaire. Ce parti s'acharna contre lui avec passion.
Elu sénateur en 1912, Louis Hémon mourut le 4 mars 1914. Il avait consacré 40 ans de sa vie à la défense de son idéal, à la propagande d'un républicanisme tolérant et fraternel.
Le parti radical
Les élections de 1889 avaient été caractérisées par l'apparition à Brest du parti radical. Ce parti se distinguait des républicains, surtout par son anticléricalisme et son ardeur à défendre l'école laïque. Deux radicaux furent élus en 1902 : Isnard à Brest ; Georges Le Bail dans la 2è circonscription de Quimper. En 1910, ils étaient trois, G. Le Bail, Le Louédec et le Dr Plouzané.
Les élections de 1932 marquèrent en France le triomphe des radicaux. La nouvelle Chambre était à majorité radicale et radicale-socialiste. Les élections du Finistère furent à l'image de l'ensemble du pays : 4 députés radicaux furent élus : le Dr Mazé, Jean Perrot, Albert Le Bail et Pierre Ponchus. Ces élections marquèrent l'apogée du parti radical dans le département.
Aux élections de 1936, qui furent favorables à la droite, deux radicaux seulement furent élus. Les principaux propagateurs du radicalisme furent le Dr Le Gorgeu et G. Le Bail.
Le vétéran des luttes républicaines : Georges Le Bail
G. Le Bail milita toute sa vie pour le parti radical. Dans sa carrière de député, il eut à soutenir des luttes épiques. Le principal épisode de sa vie politique fut marqué par les élections de mai 1906.
Le Bail était le candidat le plus visé par la réaction : il était le seul parlementaire finistérien a avoir voté la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. Les conservateurs lui opposèrent Beauchef de Servigny qui, aux élections précédentes, avait failli battre Louis Hémon.
Les réactionnaires mirent tout en oeuvre pour faire triompher leur candidat. La campagne électorale fut passionnée. Le Bail l'a décrite dans un livre : "Une élection législative en 1906". Les notes qui suivent ne sont pas empruntées à cet ouvrage qui, malgré des efforts d'impartialité, est un plaidoyer "pro-domo" ; elles ont été prises dans les procès-verbaux d'enquêtes officielles.
Ces documents évaluent à 250.000 francs (des francs or de 1906), la somme qui fut consacrée à la campagne de M. de Servigny. 70.000 francs avaient été versés par le comité central de l'Action libérale de Paris ; 30.000 francs avaient été fournis par les quêtes ordonnées dans les paroisses pour soutenir le candidat catholique (7.000 francs avaient été recueillis au pardon de Sainte-Anne-La-Palue, où l'évêque était présent) ; 35.000 francs provenaient d'une souscription faite par les nobles. Le complément, 115.000 francs, fut fourni par M. de Servigny.
Les électeurs influents reçurent de l'argent pour diriger la propagande ; des crédits illimités furent ouverts au compte de Servigny dans les débits bien pensants. Certains membres du clergé déclaraient que ceux qui voteraient pour Le Bail seraient damnés. Des usiniers, des mareyeurs, de gros industriels menacèrent de chasser les ouvriers qui ne voteraient pas pour Servigny. Ce dernier parcourait les communes, offrant de multiples "tournées" et faisant de larges distributions de "secours".
Le jour du scrutin, les distributeurs de bulletins, dont le nombre variait de 40 à 120 par commune, entouraient les électeurs, leur payant à boire et les conduisant à l'urne.
Devant ces menées, Le Bail se débattait "comme un diable dans un bénitier" ; il multiplia les réunions électorales et tint tête à ses adversaires. Il fut élu par 12.115 voix contre 11.972 à son concurrent.
Donnons quelques notes sur cet homme, dont 40 années furent consacrées aux luttes politiques. Il naquit à Plozévet le 15 juin 1857 et fut avocat au barreau de Quimper de 1879 jusqu'à sa mort, en 1937. Maire de Plozévet, où il succéda à son père et à son grand-père, il fut élu conseiller général de Plogastel-Saint-Germain en 1895 et siègea pendant 24 ans à l'assemblée départementale.
Il voulait une arène politique plus large et se présenta à la députation en 1902. Il représentera son vieux pays bigouden au Palais Bourbon jusqu'en 1928 (pendant 27 ans). Cette même année, il succéda comme sénateur à M. Le Hars, maire de Quimper, tragiquement décédé.
Son éloquence à l'emporte-pièce, sa fougue, gagnaient les masses. Il excellait dans la langue bretonne, dont il aimait à se servir. Il fut l'infatigable militant de la cause radicale-socialiste, l'apôtre des idées laïques. Adversaire ardent et tenace, il était détesté de ses ennemis politiques. Déployant largement le drapeau tricolore, "le drapeau de mon père et de mon grand-père", disait-il, il fut le chef incontesté des républicains du Finistère. L'âge n'amoindrit pas sa combativité. Toujours fidèle à ses principes, appuyé sur une culture classique qui transparaissait dans ses discours imagés, il militait pour une politique républicaine résolument orientée vers les réformes sociales et dégagée de l'emprise de l'Eglise. Dans l'une de ces professions de foi, il écrivait : "La religion doit être au-dessus des controverses humaines. Le prêtre n'aurait pas d'ennemis s'il restait confiné dans son rôle de ministre du culte".
Georges Le Bail mourut à Quimper le 4 février 1937, à l'âge de 80 ans.
(Le Télégramme du 17/8/1959)
XI. Sillonnistes et démocrates populaires
Depuis les mémorables élections d'Albert de Mun et de l'abbé Gayraud, les conservateurs avaient abandonné l'étiquette monarchiste et se qualifiaient de libéraux ou d'indépendants. Le changement n'était qu'apparent ; une partie du clergé et les nobles demeuraient les adversaires du régime.
Une nouvelle doctrine politique : le sillonisme
Le sillonisme, prêché par Marc Sangnier, avait pour but de faire des catholiques de fervents républicains, dégagés des forces réactionnaires, abandonnant toute idée de conservatisme et s'intéressant tout particulièrement aux oeuvres sociales.
Ce mouvement dépassait le catholicisme social du comte de Mun, si bien que Jaurès avait pu dire quand il se répandit, qu'Albert de Mun était devenu un "isolé dans son parti".
L'organe du Sillon en Bretagne fut l'Ajonc qui précisait ses buts et sa position dans le milieu chrétien en repoussant la prétention des évêques de diriger les élections. Son activité se traduisait par de nombreuses conférences, généralement contradictoires, et par la création d'oeuvres sociales : coopératives agricoles, caisses de crédit rural, syndicats professionnels, "Fraternelle de Quimper", "Coopérative de Saint-Pol-de-Léon", etc...
Le Sillonisme se répandit rapidement dans le Finistère, surtout parmi les jeunes prêtres et les jeunes gens sortis des collèges ecclésiastiques. Ces derniers parcouraient les campagnes, organisaient des conférences et répandaient partout la doctrine de Marc Sangnier.
Mgr Dubillard, évêque de Quimper, déclencha les premières hostilités. Il prétendait que les hardiesses du Sillon mettaient l'Eglise en danger ; il interdit aux prêtres d'assister aux réunions sillonnistes.
Mgr Duparc, qui lui succéda, déclara, après une visite à Rome, que le Sillon n'acceptant pas les directives de l'épiscopat, ouvrait la voie à la lutte des classes et préparait le lit du socialisme révolutionnaire.
Finalement, le pape condamna solennellement la doctrine de Marc Sangnier, le 25 août 1910. Ce dernier se soumit. La Semaine Religieuse de Quimper enregistrait à son tour la soumission des sillonnistes finistériens. De son côté, l'Ouest-Eclair, organe officieux des sillonnistes de l'Ouest, faisait amende honorable. Cependant, l'esprit de la doctrine persista quelques années encore chez ses partisans.
Sillonnistes contre conservateurs
Une lutte particulièrement intéressante se déroula en 1913 entre deux candidats catholiques. Il s'agissait de remplacer M. Villiers, monarchiste, député de la 2è circonscription de Brest, élu sénateur. Les deux candidats en présence furent Paul Simon, avocat à Brest, ex-sillonniste, républicain démocrate, et de L'Hôpital, maire de Landerneau, catholique traditionnaliste, représentant le vieux parti conservateur.
La situation rappelait la lutte qui se déroula en 1897, entre le comte de Blois et l'abbé Gayraud, lutte après laquelle de profondes divisions s'étaient produites parmi les catholiques. Les uns, suivant une stricte discipline, étaient demeurés traditionalistes et acceptaient les décisions de l'évêque en matière politique ; les autres, démocrates chrétiens ou sillonnistes, avaient évolué vers les idées modernes malgré les anathèmes du Saint-Siège et malgré les ordres formels de l'évêque de Quimper.
La campagne que les jeunes prêtres menèrent en faveur de Paul Simon fut vive et pressante. M. de L'Hôpital était soutenu par M. de Villiers, par les vieux prêtres et par Mgr Duparc qui ne pardonnait pas aux sillonnistes leurs idées avancées. Sympathique et courtois, M. de L'Hôpital avait beaucoup d'amis.
Quant à P. Simon, fils d'un pâtissier de Landerneau, c'était un jeune avocat habile et énergique, à l'élocution facile. Il avait été désigné par la Fédération des républicains démocrates qui avait regroupé les sillonnistes après la condamnation de leur mouvement par Pie X. Il trouva dans les jeunes gardes démocrates, des agents électoraux ardents et dynamiques. Il avait en outre les faveurs des républicains à cause de son programme social. Il sut exploiter son origine populaire auprès des paysans du Léon qui étaient religieux mais non conservateurs.
L'évêque, avons-nous dit, avait pris parti pour M. de L'Hôpital. De passage à Plougastel-Daoulas au cours de la semaine qui sépare les deux tours de scrutin, il monta en chaire et reprocha aux paroissiens d'avoir voté pour le candidat démocrate : "Vous avez contristé le Sacré-Coeur de Jésus", ajouta-t-il. Au scrutin de ballotage les "Plougastellis" donnèrent à Paul Simon un nombre de suffrages accru. Il fut élu par 6.106 voix contre 5.823 à M. de L'Hôpital.
Au renouvellement de 1914, les mêmes candidats se retouvèrent en présence. P. Simon fut réélu avec 1.000 voix de plus que la première fois. Il avait ouvert une large brèche dans la vieille citadelle des conservateurs où M. de Villiers avait toujours été élu sans concurrent.
Ce qui caractérisa l'élection de Paul Simon, c'est que, une fois de plus, la vieille discipline catholique était brisée comme une entrave longtemps supportée par une jeunesse éprise de d'émancipation. Elle montra combien le parti du Sillon était ardent à la bataille et fut un encouragement à d'autres candidats pour remporter ailleurs les mêmes succès. On avait assisté à une scission très nette entre les vieux partis catholiques et la doctrine des catholiques épris de progrès.
Après la condamnation du sillon
Après la condamnation du sillonnisme, M. Pierre Trémentin, aujourd'hui conseiller général, maire de Plouescat et président de l'Association des maires de France, fonda la Fédération des républicains démocrates du Finistère. Le nouveau parti s'intitula parti des démocrates populaires. Il eut pour organe Le Petit Démocrate, hebdomadaire, puis Le Petit Breton.
Les démocrates visaient à ramener à eux la masse des catholiques dont les suffrages allaient au parti conservateur. Le mouvement prit de larges racines dans le Finistère qui devint, suivant l'expression d'un journaliste, "le jardin de la démocratie chrétienne".
La démocratie populaire se présentait comme un parti attaché à la solution des problèmes économiques et sociaux. Il sembla un moment que seule la question religieuse les distinguât du parti radical-socialiste. Paul Simon proposa même à Georges Le Bail la constitution d'une liste commune pour combattre les socialistes révolutionnaires. L'accord ne put se faire parce que les démocrates populaires réclamaient pour les écoles libres les avantages dont jouissaient les écoles laïques.
En 1924, les démocrates populaires firent campagne contre les candidats réactionnaires et même contre les modérés. Leur parti possédait des cadres bien entraînés et trouvait des dévouements nombreux. Paul Simon, Pierre Trémintin, Jean Jadé et Victor Balanant furent élus.
Les élections de 1928 valurent encore aux démocrates des succès électoraux. P. Simon (2è circonscription de Brest), Trémintin (2è circonscription de Morlaix) et Jadé (2è circonscription de Quimper) furent élus. Balanant, candidat à Quimperlé, contre Le Louédec fut battu.
Coup de barre à droite
En 1929, sous la pression des évêques et de l'archevêque de Rennes, les démocrates durent réviser leur position. L'Ouest-Eclair, lui aussi devait jeter du lest ; l'abbé Trochu fut obligé d'abandonner l'administration du journal qu'il avait fondé et développé et qu'il utilisait pour répandre des théories socialement avancées.
En outre, la droite, largement subventionnée par le parfumeur Coty et par de gros industriels, avait réagi ; les syndicats agricoles du Léon, dirigés par des conservateurs influents, menaçaient la position des démocrates qui durent édulcorer leur programme. Dès lors, ils furent accusés de renouer des liens avec la droite, dévalorisant ainsi la confiance et les espoirs que les électeurs avaient mis en eux.
(Le Télégramme du 18/8/1959)
XII. La scène politique de 1910 à la seconde guerre mondiale.
Apparition du parti socialiste et du parti communiste.
Le socialisme et le communisme ne s'implantèrent d'abord que dans les milieux ouvriers puis dans les grands ports de pêche. Jusqu'en 1890, les socialistes, décimés par la répression après la Commune qui ensanglanta Paris et divisés entre eux, n'eurent aucune influence politique. Lorsqu'il se regroupèrent, leur doctrine ne se répandit que très lentement en Basse-Bretagne. Elle prit pied, d'abord à Brest, puis dans la région d'Huelgoat ouverte depuis longtemps aux idées avancées.
Les premiers qui se présentèrent aux élections législatives avec quelque chance de succès furent Emile Goude, commis à l'arsenal de Brest, et Hippolyte Masson, employé des postes.
Les tendances politiques de la première circonscription de Brest furent longtemps incertaines. Cette situation était due aux ouvriers du port dont les opinions politiques n'étaient pas bien arrêtées. Ils formaient le contingent le plus important du corps électoral. En 1893, ils votèrent pour le réactionnaire de Coatpont ; en 1897, sur un mot d'ordre venu du Comité radical du port de Toulon, ils votèrent pour le candidat radical Auguste-Marius Isnard, avocat au barreau de cette ville, venu poser sa candidature à Brest.
Les tergiversations politiques d'Isnard, le peu de services qu'il rendit à sa circonscription, les bruits fâcheux qui couraient sur son compte, incitèrent Goude à se présenter en 1906.
A cette époque, les grêves sévissaient à Brest à l'état endémique : grêves des dockers, grêves des ouvriers du port, grêves des tramways, grêves des boulangers, etc. Ce n'étaient que réunions houleuses, manifestations tapageuses, magasins saccagés au chant de l'"Internationale" ou de la "Carmagnole".
Pierre Biétry, président de la Fédération nationale des jaunes, profita des troubles et, se présentant comme le candidat de l'ordre, fut élu par 8.887 voix contre 8.294 à Goude.
Ce dernier se représenta aux élections législatives du 8 mai 1910. Il fut élu. Il sera réélu à chaque élection, de 1910 à 1932. Aux élections de 1934, il sera remplacé par un autre socialiste, Jean-Louis Rolland.
Masson, qui fut maire de Brest, fut élu député de la 2è circonscription de Châteaulin en 1928, puis au renouvellement de 1932. Il fut battu en 1936 par Lohéac, U.R.D. Sincère dans ses opinions, énergique et travailleur, Masson possédait de réelles qualités et fut pour son parti un excellent propagandiste.
Bourgot, socialiste indépendant, fut élu à Morlaix en 1928. Dans la 1ère circonscription de Morlaix, Tanguy-Prigent battit le docteur Mazé au renouvellement de 1936. Fils de cultivateurs, cultivateur lui-même, après de courtes études à l'école primaire supérieure de Morlaix, il continua à se cultiver et se jeta, tout jeune encore, dans l'arène politique.
LE COMMUNISME
Les élections de 1924 marquèrent l'apparition des communistes dans les compétitions électorales. Ils présentèrent des candidats à la députation, non dans le but de les faire élire, mais pour accentuer leur propagande.
L'un des candidats, Daniel Flanchec, secrétaire fédéral, futur maire de Douarnenez, se fit remarquer par la violence de ses critiques contre les "bourgeois", parmi lesquels il englobait les socialistes.
Le communisme eut d'abord des adeptes dans les villes, dans les régions pauvres et les ports de pêche.
LA PREMIERE GUERRE MONDIALE
Lorsqu'éclata la guerre de 1914, l'idée républicaine s'était imposée partout ; les luttes électorales avaient abouti à l'abandon total de l'opposition au régime républicain. Le Léon lui-même avait glissé vers un républicanisme auquel cependant la religion était étroitement mêlée. Quant aux parlementaires, leur républicanisme s'affirmait et les idées avancées pénétraient dans les masses à mesure que le régime cessait d'être discuté.
La première guerre mondiale a marqué un tournant dans l'évolution matérielle et politique de la Bretagne. La Basse-Bretagne, figée dans sa routine séculaire, se met au niveau des autres régions et même les dépasse. Le progrès pénètre partout ; le niveau de vie s'élève ; les campagnes s'enrichissent ; les ports de pêche évoluent rapidement. Le complexe d'infériorité dont souffraient les Bretons, fait place à une mentalité nouvelle, marquée par la recherche du progrès, d'une vie plus facile. Ces transformations amènent une orientation politique qui entraînera les électeurs vers des idées plus avancées.
Les élections qui suivront la guerre marqueront un progrès des socialistes et surtout des radicaux. Elles seront dominées par le slogan de "l'homme au couteau entre les dents" qui personnifiait le bolchevisme dont les doctrines n'avaient pas encore pénétré en Bretagne.
Au cours de la nouvelle législature (1919-1924) on verra ce qu'on n'avait pas revu depuis 1871 : des ministre choisis parmi les députés bretons. Le Trocquer, député des Côtes-du-Nord, l'homme de confiance des grandes sociétés métallurgiques, fut ministre des Travaux Publics dans six ministères. Citons encore A. Briand qui fut l'apôtre de la paix mais ne s'intéressa guère à la Bretagne ; Rio, député du Morbihan ; Guisthau, député de la Loire-Inférieure.
ENTRE LES DEUX GUERRES
Dans la période d'entre les deux guerres, les idées avancées progressent, qu'il s'agisse de la politique sociale des démocrates, du programme socialiste, ou même des chimères communistes qui se répandent parmi les ouvriers et les marins.
La droite conservatrice continue à perdre du terrain. Jadis la lutte se circonscrivait entre deux partis seulement : les républicains et les conservateurs, les "rouges" et les "blancs" ; de plus en plus, l'électeur de perd dans la multiplicité des partis et des sigles qui les désignent.
Un obstacle continue à diviser les catholiques républicains et le partis de gauche, c'est la question scolaire.
APRES LA SECONDE GUERRE MONDIALE
La seconde guerre mondiale, avec son triste cortège de hontes et de misères, suivie de la reconstruction des villes dévastées, amena une aspiration générale vers plus de libertés, plus de bien-être.
Les élections de 1945 à l'Assemblée Constituante furent caractérisées par une avance des partis d'extrême-gauche et la disparition des députés radicaux.
Furent élus : deux communistes, Pierre Hervé et Gaby Paul ; deux socialistes, Tanguy-Prigent et Jean-Louis Rolland ; trois M.R.P., André Colin, André Monteil et le docteur Vourc'h ; un U.N.R., Jean Crouan.
Le référendum, qui eut lieu en même temps que ces élections, proposait au pays une Constitution provisoire qui fut adoptée par 67 % des votants. Le Finistère donna pour l'adoption, 255.884 "oui" contre 97.494 "non". Le vote de cette Constitution annulait celle de 1875 et marquait la fin de la IIIè République.
LA REPRESENTATION SENATORIALE
Au cours de cette étude où il s'agissait de présenter un tableau politique du Finistère, il n'a pas été question du Sénat. L'élection des sénateurs ne pouvait donner une vue exacte de l'opinion générale : ils sont nommés au suffrage restreint et au scrutin départemental ; les questions de personnes y jouent souvent un rôle prépondérant.
Notons que, jusqu'en 1890, les sénateurs finistériens furent tous des monarchistes, alors que les députés comptaient sept républicains et trois monarchistes seulement.
En 1890, un nouveau siège ayant été attribué au département, M. Astor, maire de Quimper, républicain, fut élu. Au renouvellement de 1894, nous assistons à un renversement des tendances : les cinq sénateurs étaient républicains. Désormais, jusqu'en 1938, la tendance républicaine l'emportera.
Parmi les sénateurs de la IIIè République, un seul vit encore : le Dr Le Gorgeu, ancien ministre, conseiller d'état honoraire, ancien maire de Brest et commissaire de la République à la Libération. Il fut élu la première fois en 1930, en remplacement de M. Fenoux, décédé.
Celui qui conserva le plus longtemps son siège de sénateur fut François-Louis Soubigou, monarchiste, puis conservateur, né à Plounéventer le 11 février 1819. Il siégea de 1874 à 1898. C'était une des figures les plus originales du monde parlementaire. Toujours vêtu du costume breton, il était au palais du Luxembourg l'image vivante de la Bretagne paysanne.
Il avait été élu député à l'Assemblée Constituante le 23 avril 1848. Pendant le second empire, il se retira de la politique. Très populaire dans le Léon, très écouté des cultivateurs, sa serviabilité était proverbiale : "Un Soubigou, disait-il, n'a jamais refusé un service à un Breton". Au cimetière de Plounéventer où il repose, sa tombe est ornée de son buste dû au ciseau de Yan Larc'hantec.
(Le Télégramme du 19/8/1959)
XIII. Le rôle politique des journaux : quelques réflexions sur l'évolution de l'opinion de 1871 à 1945
Chemin faisant , nous n'avons pu qu'imparfaitement mettre en relief le rôle important joué par les journaux dans les élections législatives et dans la diffusion des idées. Chaque candidat avait son hebdomadaire dont l'existence était souvent éphémère. Parmi ces journaux les plus influents furent : le Courrier du Finistère, imprimé à Brest, qui portait une croix en exergue et était presque entièrement rédigé par des prêtres ; l'Etoile de la Mer, qui comme le Courrier, appartenait à la Société de la presse catholique ; le Progrès du Finistère, fondé à Quimper en 1907 par Beauchef de Servigny ; le Finistère, journal républicain, créé à Quimper en 1872, propriété de Louis Hémon ; le Citoyen, organe radical à la dévotion de la famille Le Bail ; l'Union agricole qui fut le journal personnel de Kerjégu ; la Résistance de Morlaix, l'Echo de Châteaulin, le Breton socialiste, fondé à Morlaix en 1899 ; le Cri du peuple, organe socialiste sous le contrôle de la fédération du Finistère, fondé en 1808, etc...
"La Dépêche de Brest" et "L'Ouest-Eclair"
Les quotidiens qui touchaient le plus de lecteurs eurent une plus large part dans l'évolution politique de la Bretagne. Les plus influents furent La Dépêche de Brest et les organes rennais L'Ouest-Eclair et le Nouvelliste de Bretagne.
La place nous manque pour montrer le rôle joué dans les élections par les chansons bretonnes ou françaises, imprimées sur feuilles volantes. Chaque région, chaque commune parfois, avait son barde local qui composait des couplets plus ou moins heureux, inspirés dans l'enthousiasme de la lutte électorale et destinés à soutenir tel ou tel candidat. Ces chansons se chantaient sur des airs connus : "La Marseillaise", "La Carmagnole", "Viens Poupoule", etc.
Finistère-Nord et Finistère-Sud
Le scrutin d'arrondissement a toujours été favorable aux républicains, tandis que le scrutin de liste, étendu à tout le département, leur a été fatal.
Cet état de choses s'explique par le fait que le département du Finistère ne constitue pas un bloc homogène, ayant les mêmes intérêts. Il se compose de deux régions tout à fait différentes : le nord, comprenant les arrondissements de Brest et de Morlaix ; le sud, constitué par les arrondissement de Châteaulin et de Quimper. Quimper n'est, en réalité, que le chef-lieu de cette dernière région. Au cours de la durée de la IIIè République, les usages, les intérêts économiques et les courants commerciaux sont différents. Le nord se livre à la culture des primeurs et à l'élevage du cheval ; le sud cultive les céréales, les pommes de terre et se livre à l'élevage des bovins. Sur la côte nord, la pêche est à peu près nulle ; dans le sud, la pêche littorale ou lointaine, les usines de conserves, n'ont cessé de se développer.
Les rapports commerciaux entre le nord et le sud ont toujours été très restreints. Le nord à sa ligne Paris-Brest ; le sud est desservi par la ligne Paris-Quimper. Dans le Léon, la question religieuse a toujours joué un rôle primordial ; cette question revêtait moins d'importance en Cornouaille.
En somme, jusqu'à la guerre de 1914, la pénétration entre les deux populations était peu importante. Chacune gardait ses moeurs, ses façons d'envisager les problèmes d'ordre économique et d'ordre politique. Il résulta de cette situation de fait de sérieuses difficultés qui, périodiquement, se faisaient jour au cours des sessions du Conseil général.
Au point de vue politique, le Léon a toujours formé une masse homogène, tandis qu'en Cornouaille les opinions étaient plus variées, plus nuancées. Il en résulta qu'à chaque élection au scrutin départemental, le Léon a lourdement pesé dans la balance et faussé le scrutin qui ne correspondait plus à la volonté populaire dans chaque région.
Notons, dans un autre ordre d'idées, que les Léonards ont souvent choisi pour les représenter des députés étrangers à la région : Isnard et Bietry à Brest, Mgr Freppel, Mgr d'Hulst, l'abbé Gayraud, Albert de Mun.
L'éventail politique
Si l'on excepte Brest, où l'opinion était instable, on constate que la place occupée par la religion dans les élections a toujours été considérable dans le Léon. Les prêtres y étaient à la fois les directeurs spirituels et politiques de la population. Les circonscriptions du Léon étaient en quelques sortes des circonscriptions ecclésiastiques où les prêtres, dirigés par les plus influents d'entre eux, déterminèrent l'orientation du peuple en matière d'élection. Ils furent souvent en désaccord avec leur évêque dont ils n'acceptaient pas les directives politiques.
Il faut noter aussi l'influence des collèges ecclésiastiques de Saint-Pol-de-Léon et de Lesneven dont l'emprise était forte sur les populations rurales du Léon.
La Cornouaille, moins soumise à l'influence des prêtres et des nobles, fut, selon l'expression d'A. Siegfried, "Le berceau de la Bretagne républicaine". La République s'y installa solidement dès l'origine et triompha aisément de la droite. Il en fut de même dans le Trégorrois et dans les pays de la Montagne d'Arrée ouverts aux idées d'indépendance et où l'on ne suivait pas les mots d'ordre ni du clergé ni des nobles.
La Bretagne bretonnante
On a souvent mal jugé la Bretagne bretonnante représentée comme le dernier bastion de l'ancien régime, comme un pays rétrograde inaccessible aux idées républicaines. C'est là une opinion erronée. Son accession à la démocratie n'est pas nouvelle, elle date de la charte du Second Empire. Elle s'est ralliée, dans son ensemble, à la République qui, depuis 1871, l'a emporté sur le conservatisme.
La Bretagne de langue bretonne fut républicaine avant la Bretagne de langue française. Le mouvement qui l'a conduite à la démocratie répond au vieux penchant qui a toujours porté l'âme des Bas-Bretons vers les idées égalitaires. Dans son "Tableau de la France", Michelet a écrit : "La population bretonne n'est pas royaliste, elle est républicaine, d'un républicanisme social, sinon toujours politique". De son côté, A. Siegfried, dans son "Tableau politique de l'ouest de la France", a déclaré : "Contrairement à l'immobile Bretagne française, la Bretagne bretonnante a nettement évolué. Elle apparaît comme un pays passionné, impressionnable et mouvant, travaillé par des ferments démocratiques".
(Le Télégramme du 20/8/1959)
André J. Croguennec - Page créée le 14/9/2022. | |