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Alexandre Kerautret | |
... et la société hydro-électrique des Monts d'Arrée
A - Présentation générale
L'usine hydroélectrique de Saint-Herbot se situe sur le territoire de Loqueffret. Dès 1910, la création d'une « station électrique » est évoquée dans le cadre de l'électrification des campagnes de la Bretagne intérieure. Aux débuts des années 1920, la décision est prise. Alexandre Kerautret, Désiré Livinec et Jean et Armand Tréanton créent alors la Société hydro-électrique des monts d´Arrée afin de procéder à deux aménagements d'importance : la régularisation du cours de l'Elez, qui a eu pour conséquence la création du Barrage de Nestavel et du réservoir de Saint-Michel, lac artificiel de 500 ha (1) ; la création d'un petit lac artificiel en amont du conduit d'alimentation via un barrage de 9 mètres de hauteur, dont la construction a conduit à l'assèchement de la cascade de Saint-Herbot, « la plus belle de Bretagne », « magnifique » curiosité touristique locale qui, jusqu'à sa disparition, dévalait sur 200 mètres de longueur et 70 de hauteur un chaos granitique imposant, lequel est aujourd'hui toujours visible. Installée au pied du chaos, à l'orée du Bois du Rusquec, la centrale ouvre en 1928 (2).
La conduite, de 336 mètres de longueur de 2,2 de diamètre, crée une chute de 118 mètres qui alimente trois turbines Francis de 3, 2 et 1 mégawatts. La plus ancienne des sept usines hydroélectriques bretonnes fournit chaque année environ 13 millions de kilowattheures, soit de quoi alimenter environ 3.500 habitants. Cette mini-centrale est surnommée localement par dérision la « pissotière ».
(1) Voir chapitre C.
(source wikipédia sur Loqueffret)
(2) Voir chapitre B.
B - L'usine et le barrage réservoir de Saint-Herbot
- (source http://patrimoine.region-bretagne.fr/sdx/sribzh/main.xsp?execute=show_document&id=MERIMEEIA29003790) :
Cette usine hydroélectrique se situe en contre-bas de la cascade de Saint-Herbot et à environ 700 mètres au nord-est du village du même nom. En 1922, Armand Tréanton, négociant à Berven, Désiré Livinec, industriel à Morlaix et Alexandre Kerautret, ingénieur à Huelgoat, créent la "Société anonyme des forces motrices des monts d´Arrée" dans le but d'utiliser l'énergie hydraulique afin de produire et de fournir de l'électricité. Le site choisi se situe sur la commune de Loqueffret, au niveau des chutes du moulin du Rusquec, plus connues sous le nom de "Cascade de Saint-Herbot" et les terrains limitant la rivière de l´Ellez. Les sociétaires assurent qu´aucune modification sera apportée à la qualité du site, que "les charmes de Saint-Herbot ne disparaîtront pas et que la cascade, en hiver, nous offrira comme par le passé, le fracas de ses eaux et l'éblouissement de sa blanche écume". Le projet comporte également l´aménagement d´un barrage-réservoir près de l´ancien moulin du Rusquec.
Le programme pour 1922 prévoit l'achèvement de la ligne à haute tension reliant Quimper à Huelgoat ainsi que la mise en état du canal d´amenée de la première chute et l'installation de la seconde chute. L'architecte Charles Chaussepied réalise un dessin de la façade de l'usine.
Le programme d´action pour 1923 prévoit la construction du barrage réservoir de Saint-Herbot, de la conduite d´amenée du canal de fuite et de l'usine, l'installation des machines et la fourniture du courant.
Le projet fut réalisé mais la cascade de Saint-Herbot quasiment asséchée, sauf en hiver après une longue période de pluie.
Toujours en fonctionnement, l'usine fournit chaque année environ 13 millions de kilowattheures, pouvant alimenter environ 3500 habitants. Elle est exploitée par la SHEMA (Société Hydraulique d'Etudes et de Missions d'Assistance), filiale à 100 % d'EDF via l'EDEV, dont elle est l'aménagement le plus important. La concession a été renouvelée pour 45 ans en août 2006.
- (source Ouest-Eclair du 16/12/1921) : Les grandes centrales électriques - L'Etat les oblige à combiner à coordonner leurs réseaux. ...
...
Comme on le voit, cette question de la conjugaison des divers secteurs répartis sur le territoire français est du plus haut intérêt, et il convient de se féliciter de ce que les pouvoirs publics aient, songé à introduire dans les décrets de concession l'obligation d'entente entre concessionnaires...
La captation de toutes ces chutes d'eau, l'installation de toutes ces usines dans des sites parfois très pittoresques, aura bien pour certains d'entre eux quelques inconvénients, et notamment celui d'enlever .de la beauté au paysage ; aussi déjà s'est-on ému et élevé contre certains projets de captation tel celui de la cascade de Saint-Herbot, au Huelgoat.
Que ceux que ce point de vue particulier de la question intéresse se rassurent : ces chutes sont trop peu importantes en face du chiffre de 4 ou 500.000 HP que représentent les diverses centrales de la région pour que les pouvoirs publics hésitent un seul instant à refuser d'en accorder la concession si vraiment elles offrent un caractère esthétique et si leur disparition pouvait porter préjudices au pays.
F. PERRET, Ingénieur. E. C. P.
- (source Ouest-Eclair du 18/03/1922) : Huelgoat - CHUTE GRAVE. - Depuis plusieurs jours, on travaille activement à la pose de la ligne électrique destinée à l'éclairage de la ville de Quimper. La force motrice est prise à la cascade de Saint-Herbot et à la mine d'Huelgoat. Le jeune Joseph Jézéquel, de Huelgoat, âgé de 19 ans, était grimpé au haut d'un poteau qu'on venait de planter, et était occupé à fixer les cables, lorsque, le poteau s'abattit subitement. Jézéquel était attaché pour la commodité de son travail, ce qui rendit, la chûte plus terrible. Il est resté plusieurs heures dans le coma. Bien qu'il soit encore difficile, à l'heure actuelle de se prononcer, on espère pouvoir le sauver. Il y aurait, paraît-il, un bras fracturé. On ne sait s'il a des lésions internes.
Conduite forcée et usine hydroélectrique, cliché vers 1923 - 1925
Dessin de la façade de l´usine hydro-électrique de Saint-Herbot
réalisé par l´architecte Charles Chaussepied en 1922
La cascade de St-Herbot - Photo prise au pied du moulin vers 1900.
Moulin du Rusquec et départ de la cascade, carte postale ancienne vers 1900 (A.D. Finistère, 2 Fi 141)
C - Le barrage et le réservoir de Saint-Michel, plus en amont sur l'Elez
- A partir de 1929, la "Société Hydro-électrique des Monts d´Arrée" créée par Alexandre Kerautret, Désiré Livinec et Jean et Armand Tréanton, procède à l´aménagement d´un barrage et d´un réservoir hydraulique. Le projet s´inscrit dans le cadre de l´électrification des campagnes de la Bretagne intérieure.
Situé au sud de Nestavel Bihan, près de la butte de Forhan, alimenté par la rivière de l´Ellez, l´ouvrage est destiné à réguler le débit d´une usine hydro-électrique, aménagée et exploitée par la même société à Saint-Herbot en Loqueffret, à quelques kilomètres au sud-est du site de Brennilis.
La retenue forme un lac artificiel et couvre une superficie de 350 hectares dont 40 hectares d´anciennes tourbières, 270 hectares de landes et de marécages et 50 hectares de terres cultivables. Contesté par une partie de la population locale concernée par les expropriations, le projet sera approuvé par les Chambres de commerce de Brest et de Morlaix et la Commission départementale des sites et des Monuments. Le barrage-réservoir, du type « barrage-poids », repose sur un socle granitique. Construit en béton, il mesure 450 m de long et 14 m de haut. Il est associé à un déversoir de superficie avec vannes et glissières destinées à l´évacuation des crues, au réglage des débits et à la vidange.
- Une rivière dans un tube. L'utilité de la houille blanche. - La protection des sites - La centrale électrique de St-Herbot.
Un lac sur la montagne. (source La Dépêche de Brest et de l'Ouest du 28/04/1929)
Saint-Herbot, avril.
Issue du mont Saint-Michel de Brasparts, l'Ellez semble se complaire dans l'immense cuvette des marais. Elle y musarde en sinuant. Quel charme peut la retenir en ce pays de désolation ? Brusquement, comme au souvenir de tous ceux qui s'enlisèrent dans les tourbières, elle se hâte vers un sol plus consistant. Dans une gorge pavée de monstrueux galets, elle se précipite pour choir enfin dans une luxuriante vallée.
Ainsi, depuis des millénaires, l'Ellez cascadait sur le chaos de Saint-Herbot. Depuis un mois, elle a abandonné les rudesses d'un pareil lit. Détournée de son cours avant qu'elle n'atteigne les rocs, elle est absorbée d'un coup par un gosier qu'eût jalousé Pantagruel. Jetée sur un organisme d'acier, elle l'actionne de toute sa puissance. L'Ellez produit aujourd'hui l'électricité.
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Ce n'est pas sans inquiétude que l'on suivait en ces derniers temps la courbe ascendante de nos importations de charbon. En effet, si en 1870 elles n'étaient que de six millions de tonnes, en 1880 elles passaient à neuf millions ; à 11 millions en 1890, à 15 millions en 1900, à 18 millions en 1910, à 23 millions en 1913. En 1924, notre déficit charbonnier atteignait une trentaine de millions de tonnes. Puis, l'année suivante, nos houillères étant à peu près reconstituées, le déficit s'élevait encore à 23 millions de tonnes.
Ce qui faisait dire au gouvernement d'alors :
« Un pareil déficit constitue déjà une lourde sujétion vis-à-vis de l'étranger, tant au point de vue économique qu'au point de vue financier, et il serait grandement désirable d'éviter qu'il ne continue à s'accroître comme il le faisait avant-guerre. Comme, d'autre part, il est certain que nos besoins globaux d'énergie iront toujours en augmentant, ce but ne peut être atteint qu'à la condition que l'énergie hydraulique soit, pour la desserte des besoins futurs, utilisée dans tous les cas oû son emploi peut être raisonnablement envisagé.
« Les pouvoirs publics ont d'autant plus le devoir de ne rien négliger pour y parvenir que le recours à l'énergie hydraulique n'a pas pour seul avantage d'éviter les importations de charbon, mais encore de contribuer à l'enrichissement progressif du pays
et cela de deux manières : d'abord par les taxes et redevances qui frappent l'énergie produite par les usines hydrauliques concédées ; en second lieu, par le fait que, précisément parce que ces usines sont concédées et doivent au bout d'un certain temps faire retour à l'Etat, leur construction équivaut à un enrichissement du patrimoine national. »
En conséquence, pour faciliter la création d'usines hydrauliques, la législation relative à l'aménagement des chutes
d'eau fut modifiée.
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Un groupe d'industriels finistériens ayant formé le projet d'utiliser la chute dë Saint-Herbot, introduisit, en 1921, une demande de concession. Des protestations s'élevèrent, car on allait, disait-on, porter gravement atteinte au pittoresque de la région. La demande fut retenue, mais non point encore agréée. Il fallait prendre toutes dispositions pour sauvegarder la beauté du lieu, M. Chaussepied, architecte, membre de la Commission des sites et monuments pittoresques, s'en chargea.
« Le barrage, proposa-t-il, serait établi au delà du moulin, à environ 200 mètres en amont, dans un endroit dépourvu de gros rochers et qui n'offre plus déjà l'intérêt pittoresque des premiers plans vers les cascades... Il constituera une réserve d'eau, véritable lac s'étendant sur une longueur de un kilomètre environ, qui complétera de façon heureuse l'arrière-plan de la cascade...
« Nous n'avons pas cru qu'il était nécessaire de dissimuler le caractère utilitaire de l'usine, mais plutôt de l'accuser franchement dans une recherche simple, s'harmonisant le mieux possible avec l'endroit où elle doit être édifiée. Nous n'avions donc pas a lui donner l'apparence d'une École ou d'un bâtiment de service dépendant d'un château, mais à nous rapprocher, au contraire, des anciens et grands moulins à eau construits en Bretagne aux XVIè et XVIIè siècles.
« Afin d'éviter la monotonie d'une longue toiture et de baies uniformes et sans saillies, nous avons cherché une combinaison simple dans les toitures et une variété dans une unité du genre aux ouvertures des deux étages. Afin d'accentuer davantage le caractère breton que doit avoir cette construction et pour l'harmoniser mieux encore avec le paysage, les murs ne seront pas enduits, mais en moellons bruts jointoyés avec pierres de taille aux angles et autour des ouvertures. »
Le projet ainsi présenté fut agréé en 1926 et, dès la fin de la même année, les travaux étaient entrepris.
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Pareils travaux ne se font pas sans à-coups. A diverses reprises, les chantiers installés en bordure de la rivière furent submergés. Les crues se produisent en ces lieux avec une soudaineté qu'aucune mesure ne permet de défier.
Au cours de l'été 1927, le batardeau dressé pour permettre la construction du bassin de prise en charge céda. Et l'eau se précipita sur la pente que suit la conduite de tôle. Il en résulta, à la crête, une érosion que la verdure n'a pas encore dissimulée.
>M. Livinec, président du conseil d'administration de la Société hydro-électrique des Monts d'Arrée, et M. Kerautret, ingénieur, qui, très aimablement nous font visiter les lieux, nous disent quelles difficultés ils rencontrèrent lors de la création de l'usine. Aussi quelle peut être leur satisfaction en présence de l'oeuvre accomplie !
Tout au haut de la colline, en arrière des crêtes, voici le barrage long de 120 mètres, haut de 11 mètres, il retient 300.000 mètres cubes d'eau couvrant dix hectares environ. Ce petit lac que bordent des pentes boisées, baigne les abords des remarquables ruines du château du Rusquec.
- Du barrage, nous expose M. Kerautret, l'eau gagne le bassin de prise en charge par une conduite souterraine en béton armé de 2 m. 20 de diamètre qui peut débiter 10.000 litres à la seconde. Cette conduite aboutit à une cheminée d'équilibre qui forme bassin de prise en charge.
Partant de ce bassin, voici la canalisation métallique qui, brusquement, descend d'une hauteur de 117 mètres vers l'usine.
- Cette conduite, dont le diamètre varie de 1 m. 30 au départ à 1 m. 10 à l'arrivée, est munie d'une vanne papillon qui doit se fermer automatiquement s'il se produit une déchirure. L'amorce d'une deuxième conduite du même genre est prévue dans la cheminée d'équilibre.
A nos pieds, dans le val où l'Ellez reprend son cours lent et sinueux, l'usine nous apparaît, dans l'immensité du panorama, comme un jouet artistement façonné.
- Elle comprend cependant un premier bâtiment de 30 mètres de long sur 13 mètres de large, pouvant abriter un matériel de production d'une puissance de 12.000 H.P. Actuellement, un seul groupe turbine-alternateur, de 1.600 H.P. y est installé. Un deuxième groupe de 3.400 H.P. est en cours d'installation. La tension de production des alternateurs est de 5.500 volts. Un 2è bâtiment annexe, de 30 mètrès de long sur 11 mètres de large, contient les transformateurs élevant la tension de 5.500 soit à 15.000, soit à 45.000 volts. Ce bâtiment contient en outre les services auxiliaires de la centrale avec les différents appareils de sécurité, de contrôle et de mesure. L'eau sortant des turbines tombe dans un bassin aménagé dans le sous-sol de l'usine, puis est ramenée à la rivière par un canal de fuite de 10 mètre de large. "
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Les pluies sont denses en ce lieu ; plus peut-être que partout ailleurs en Bretagne, puisque leur hauteur annuelle atteint 1.200 millimètres. Aussi a-t-on songé à tirer parti de cette abondance en régularisant le débit de la rivière par la création d'un nouveau bassin de retenue. Ce débit varie, en effet, de 250 litres à l'étiage à 3 mètres cubes seconde en hautes eaux.
L'entreprise est d'importance puisque l'en se propose d'immerger quatre cents hectares sous un mètre d'eau de moyenne. Quatre cents hectares ! Pour croire à la possibilité d'un pareil fait, il faut remonter l'Ellez presque jusqu'à sa source. Ici sont les marais du Saint-Michel. Vaste cirque entouré de crêtes où rien ne croît, où tout dépérit.
En cas lieux impraticables le plus souvent on s'efforce, à la belle saison, d'arracher de la tourbe. Mais à quel prix ! Déjà pendant la guerre, comme il fallait faire feu de tous bois, on avait tenté d'exploiter les tourbières pour alimenter les chaudières de la poudrerie du Pont-de-Buis. Et l'on avait même établi, à grand'peine, une ligne à voie étroite se raccordant à celle de Plouescat à Rosporden. Mais on renonça à cette exploitation et les rails furent enlevés.
En construisant un barrage haut de 10 mètres aux abords de Nestavel bian, en Brennilis, la Société hydro-électrique des Monts d'Arrée se propose, en augmentant sa production de donner vie à cette désertique contrée.
Le lac ainsi créé aurait ses rives sur le territoire de six communes : Loqueffret, Brennilis, La Feuillée, Botmeur, Saint-Rivoal et Brasparts. Et cependant, sur cette immense étendue où seules quelques éminences sont cultivées, pas une maison, pas un champ ne seraient atteints.
Seul le Yeun-Ellez, avec ses souvenirs maudits et son désolant aspect, disparaîtrait sous les eaux.
Ch. LEGER
- (source Ouest-Eclair du 16/11/1930) : Brennilis - AMENAGEMENT DES MARAIS DU MONT SAINT-MICHEL. - La Commission des Sites et Monuments du Finistère, réunie à la préfecture de Quimper, samedi 8 octobre, a eu à examiner le projet d'aménagement d'une partie du « Yeun-Elez » ou marais du mont Saint-Michel, présenté par la société qui exploite la chute de Saint-Herbot, en vue de la constitution d'une importante réserve d'eau à 4 kilomètres en amont de cette chute, aux abords des villages de Nestavel et de Forhan.
Après examen du projet présenté par M. Kerautret, ingénieur, membre de la Commission, il n'apparaît pas à l'assemblée que le beau paysage du Yeun doive se trouver dégradé par le lac artificiel ainsi formé, et qui sera à peine visible de la route de Quimper à la hauteur du mont Saint-Michel. En conséquence, avis favorable a été donné pour l'aménagement.
- (source Ouest-Eclair du 01/02/1931) : A PROPOS D'UN PROJET DE BARRAGE, A LOQUEFFRET, DANS LES MONTS D'ARRHÉE Les cultivateurs de la région protestent
L'électrification des campagnes, amorcée depuis quelques années, poursuit son petit bonhomme de chemin, et c'est ainsi que, de ci de là, on entend parler de mise en valeur de certaines chutes d'eau, de construction de barrage, etc... tous travaux destinés à accaparer la force nécessaire à la captation de la fée bienfaisante qui fera bientôt "du moins on le dit" tourner tous nos instruments agricoles en même temps qu'elle versera dans nos fermes et nos villages l'éblouissante lumière qu'elle prodigue aux habitants des villes.
Tout ne va pas cependant sans quelques difficultés. D'ailleurs, qui peut se vanter de mettre sur pied une entreprise quelconque sans rencontrer sur sa route le caillou qui manquera de le faire trébucher ou qui le fera même trébucher tout à fait ? D'ailleurs, ce caillou, là où il se trouve, a parfois son utilité et peut même avoir sa raison - impérieuse - d'exister. Nous n'en voulons pour preuve que la Stangala, ce site unique, oublié comme un morceau de la Suisse dans notre vieille terre bretonne, sur l'Odet, en amont de Quimper. Sur ce site une société d'électricité avait jeté son dévolu, pensant y établir un formidable barrage qui aurait inondé les terres environnantes, et causé à l'agriculture ainsi qu'à l'art touristique, à l'art tout court, un tort considérable. Le projet, devant l'hostilité générale, dut être enterré.
Pour en arriver à ce qui nous occupe, une société, la Société Hydro-Electrique des Monts d'Arrhée, dont le siège social est à Landivisiau, a songé à établir un barrage sur la rivière « L'Ellez » auprès des anciens marais du Mont Saint-Michel. La demande de concession date de 1926. Cette affaire qui cause beaucoup d'émotion dans la région de Loqueffret et de la Montagne et à laquelle, au nom des cultivateurs intéressés M. Berthélémé, l'actif conseiller général de Pleyben, s'est beaucoup intéressé, a été évoquée mercredi dernier devant la Commision départementale, qui a donné un avis favorable au projet.
Les cultivateurs intéressés sont, par ailleurs, hostiles au projet de barrage. Nous allons donner à nos lecteurs un exposé de la question. Ils seront ainsi, à même de la juger convenablement.
Le projet de barrage
La Société Hydro-Electrique des Monts d'Arrhée est déjà concessionnaire des chutes de Saint-Herbot où elle possède une usine. C'est une affaire montée par des particuliers du Nord-Finistère, présidée par M. Livinec.
Au début de 1926, la société voulut établir, comme complément à Saint-Herbot, un nouveau barrage qui serait fait, comme le premier, sur l'Ellez, un peu en avant de Brennilis, entre les villages de Forhan et Nestavel-Vian, le plus près possible de la cuvette dite : anciens marais du Mont Saint-Michel. Malgré qu'à ce point, la vallée se resserre un peu, le barrage devait avoir plus de 300 mètres de longueur. Au-dessus de Forhan, où la vallée s'élargit, aucune construction de barrage ne peut être envisagée.
- Nous allons, déclarent les auteurs du projet, barrer une rivière. Malgré que notre travail n'aura que 7 m. 50 au-dessus du sol en élévation, nous allons néanmoins submerger quelques mauvaises prairies et aussi quelques hectares de tourbières. Mais ces prairies et ces tourbières ne représentent pas la dixième partie des terres vaines et vagues, presque sans aucune valeur, que recouvrira l'étang déterminé par le barrage.
« Il n'est pas possible de trouver ailleurs en Bretagne, un emplacement d'étang devant occasionner moins de préjudice aux propriétaires des terrains qui seront expropriés.
« D'autre part, malgré le peu d'élévation du barrage projeté, un canal de décharge est prévu pour les besoins de l'agriculture et permettra d'irriguer les prairies qui se trouvent en aval, chose impossible aujourd'hui, la rivière l'Ellez n'ayant pour ainsi dire, aucune pente sur quatre kilomètres de son cours.
« De plus, la société a projeté la pose d'une turbine à la sortie même de l'étang, laquelle permettra de fournir la lumière, et la force motrice au besoin, sans grands frais, au bourg de Brennilis et à un grand nombre de villages assez importants qui se trouvent entre le barrage projeté et Brennilis.
« Il en sera de même pour le gros village de Forhan, en Loqueffret. qui se trouve à proximité.
« Voilà donc toute l'affaire. La société prendra des terrains à quelques-uns, et au bord de la rivière seulement, mais ils seront largement indemnisés. II faut considérer, au surplus que derrière l'intérêt particulier il y a aussi l'intérêt général. La Bretagne est tributaire des charbons anglais dont les prix vont toujours en augmentant, ce qui est et sera toujours une charge pour le Finistère. Tout ce qui sera fait en force hydraulique, dans la région pour l'atténuer, sera rendre service à la masse et. aussi à la France."
Le point de vue des cultivateurs
Nous venons de voir le point de vue des promoteurs de l'affaire. Tel n'est pas l'avis des cultivateurs propriétaires intéressés et manacés d'expropriation.
Le cahier des charges mentionne 360 hectares, comme superficie à exproprier. D'après le plan, la classification des terres serait la suivante : terres labourables et prés : 52 hectares ; tourbière, 38 hectares ; landes et marécages : 270 hectares.
« Or, soutiennent les cultivateurs, en réalité la société engloberait une superficie beaucoup plus grande en ce qui concerne les deux premières catégories : terres labourables et prés ainsi que tourbières. Cette superficie atteindrait approximativement, en terres labourables et prés, 85 hectares (au lieu de 52). Quant à la catégorie classée comme tourbière, elle a une valeur beaucoup plus grande que la société ne le croit. Les tourbières ont même une valeur inestimable en raison du combustible inépuisable qu'elles fournissent. Il est, en effet, à noter qu'après extraction la tourbe se reconstitue d'elle-même dans un laps de temps de 30 à 40 ans, c'est-à-dire, à chaque génération.
« Passons maintenant aux landes et marécages. La société Hydro-Electrique les considère comme terres vagues et vaines, presque sans valeur. Sur ce terrain, les fermiers entretiennent cependant leurs bestiaux, et uniquement avec le pâturage qu'ils y trouvent, pendant sept mois de l'année.
« La végétation spontanée de ce terrain offre donc un avantage incontestable, car, malgré sa dénomination de marais, le terrain comprend de grandes parties relativement saines. La valeur en est encore augmentée par la tourbe qui s'y trouve à l'état latent dans les endroits marécageux. »
La Chambre d'agriculture est également contre le projet
Les cultivateurs intéressés formèrent une association syndicale pour la défense de leurs intérêts. Réunis le 18 octobre à Châteaulin, les membres de la commission des intérêts départementaux et de la Chambre d'Agriculture résidant dans l'arrondissement de Châteaulin, les présidents des syndicats agricoles de Loqueffret et de Brasparts, adoptèrent un ordre du jour qui a reçu l'adhésion de la Chambre d'agriculture.
Etaient présents à cette réunion : MM. Bréart de Boisanger, Goas, Lharidon, Larvol, membre de la Chambre d'agriculture, Berthélémé, président du syndicat de Loqueffret, M. Lancien, sénateur, excusé. Le président donna connaissance des pièces du dossier, puis M. Berthélémé, interprète des cultivateurs, déclare ce qui suit :
« 1° L'aménagement projeté détruira l'exploitation des tourbières et par là le combustible nécessaire aux populations dans une région où le bois fait défaut ;
« 2° Il paraît certain que les sommes allouées pour expropriation qui devront être élevées puisque le prix d'un journal de tourbières va de 5.000 à 12.000 francs, ne compensera qu'insuffisamment la perte subie par les propriétaires ;
« 3° Les 55 hectares de terre cultivable ou prairies enlevées à la culture sont la propriété de nombreux petits exploitants. Ceux-ci devront abandonner leurs exploitations parce que les bâtiments auront une importance disproportionnée avec ce qui leur restera de terres à cultiver ;
« 4° II est à craindre que la création de ce grand étang ne change le régime du climat et en particulier que les brumes engendrées ne soient gravement préjudiciables aux cultures de printemps qui, seules, sont pratiquées sur les coteaux avoisinants. »
La Commission observe en outre que l'indemnité prévue pour droits non exercés est notoirement insuffisante.
Elle reconnut cependant que l'aménagement projeté aura le bon effet de donner une régularité souhaitable au régime des eaux et paraît nécessaire pour augmenter la puissance hydro-électrique exploitée par la Société des Monts d'Arrhée, mais que l'électrification des campagnes n'y gagnera rien en raison des prix prohibitifs de vente de l'énergie électrique à la culture.
Pour ces causes, la Commission, à l'unanimité des membres présents, donna un avis défavorable au projet qui lui était soumis.
M. Lancien, dans sa lettre d'excuses, déclara, au contraire, être entièrement favorable à ce projet.
Ceux qui sont pour
La Commission départementale, avons-nous dit, vient donc de se prononcer en faveur du projet en cours. Auparavant, la Commission d'enquête instituée par décision du ministère des Travaux publics, a reconnu, en novembre dernier, l'utilité du travail au point de vue de l'intérêt général. Par ailleurs, la Commission des Sites et Monuments pittoresques, consultée, n'a pas vu d'inconvénient à l'exécution du projet, les conditions de beauté naturelle du pays semblant devoir ne pas entrer en jeu.
Il nous reste à dire que les Chambres de Commerce de Brest et Morlaix ont émis, elles aussi, un avis favorable.
La question en est là. Le conflit est tout entier entre les promoteurs de l'ouvrage et les cultivateurs intéressés soutenus par la Chambre d'agriculture. Les Pouvoirs publics vont-ils donner gain de cause à ceux-ci ou a ceux-là ? C'est ce que nous saurons sans doute bientôt.
A moins, évidemment, qu'un arrangement amiable intervienne encore plus rapidement, ce qui parait préférable à une solution tranchée entre parties qui laisserait toujours quelque peu de rancoeur.
J C.
- (source Ouest-Eclair du 28/02/1931) : Dans les monts d'Arrhée - Le projet de barrage de l'Ellez provoque une émotion considérable dans la région
QUIMPER, 27 février. - (De notre rédaction). - Nous avons exposé, dans notre numéro du 1er février dernier, l'économie du projet de barrage de l'Ellez, que la Société Hydro-Electrique des Monts d'Arrhée s'est donnée pour mission de mener à bien, afin de renforcer la puissance d'énergie de son usine de Saint-Herbot, située à proximité.
Nous avons dit que ce projet avait reçu l'approbation quasi-générale : Commission d'enquête, Commission des sites et monuments, Chambres de commerce, et enfin Commission départementale. Seuls, les cultivateurs intéressés, soutenus par la Chambre d'agriculture, avaient élevé une protestation dont nous avons également exposé les motifs.
Depuis lors, les choses en sont restées là. Mais l'émotion est loin de s'être calmée dans le rude pays du « Yun » aux vastes étendues dominées par la silhouette altière du mont Saint-Michel. Le paysan est lent ; il se remue difficilement; mais quand il se remue, on l'entend. De sorte que l'on peut ajouter que sa voix sera bientôt entendue.
Une délégation à Quimper
Le 14 février dernier, une délégation débarqua à Quimper. Elle était conduite par le jeune et actif conseiller général de Pleyben, M. Laurent Berthélémé, et comprenait cinq ou six cultivateurs de la région menacée. Elle battit les pavés de Quimper au bruit de sabots cloutés. Bravement, elle alla voir M. le Préfet qui, avec sa bienveillance habituelle, lui accorda tout de suite audience et s'intéressa à ses explications. Elle vit Jean Jade, le dévoué députe du Finistère, qui lui promit tout le concours de son expérience et de son talent.
Elle vint aussi taper a notre porte :
« Nous sommes menacés dans nos biens, dans nos personnes... Bientôt, si l'on n'y met garde, nous devrons quitter, nous et nos enfants, la maison qui nous a vu naître, notre petite ferme, la terre à laquelle nous tenons tant, puisque ce sont nos vieux qui l'ont faite. Nous sommes seuls devant la coalition... et voilà que nous nous y sommes pris un peu tardivement.
« Nous ne savions pas ».
Et ces rudes paysans de la montagne et du marais parlaient avec un accent de sincérité qui sortait, on le sentait bien, du fond du coeur. Ils nous étalèrent leurs raisons de protester, les griefs accumulés, en termes souvent naïfs, mais réfléchis, pesés, marqués au coin de la réflexion et du bon sens.
Mon Dieu, connaissant les faits comme nous les connaissions, qu'auriez-vous fait à notre place ?
M. Berthélémé nous dit : « A la fin de février, nous organisons, à Brennilis, une grande réunion de protestation. Nous comptons sur vous ».
Nous promîmes, et voilà pourquoi nous avons pu faire connaissance - de près - avec le pays de la montagne, et étudier sur place les faits de la cause, comme disent les avocats.
Nous ne nous plaignons pas de notre voyage. Brennilis n'est certes pas l'Eden souhaité par les sybarites désireux de se créer une sorte de paradis sur terre. Son bon recteur, M. l'abbé Gargadennec, qui, depuis huit ans, avec un dévouement admirable, évangélise la paroisse, ne nous démentira pas, ni ses paroissiens non plus - du moins ceux qui ont pris contact avec les autres régions. Mais, qu'à cela ne tienne. Si, sur les hauts sommets, la température, comme le paysage, sont, en ces jours d'hiver, quelque peu réfrigérants, ils n'en gardent pas moins un charme, un attrait particuliers.
Nous comprenons que l'on puisse s'attacher à ce coin de notre sol, à cette solitude, à cette nudité, à ces champs, à ces prés, à cette tourbe, à cet immense marais, à cette montagne que domine la chapelle de Notre-Dame. Et puis... N'est-ce pas ! Tout cela, c'est le sol natal. Où les pères ont créé, les fils se doivent de continuer leurs entreprises.
Un meeting de protestation
Ils sont donc venus, au bourg de Brennilis, mardi dernier, par groupes de quatre, cinq, homme et femmes, des villages du marais menacé. Du haut de la petite agglomération on les voyait grimper la côte et, dans l'air calme, on entendait, à de grandes distances, monter le son de leurs voix.
La paix était dans la campagne. Les centaines d'hectares qui s'étendent comme une mer immense au pied des monts, s'étaient baignés dans une brume vaporeuse, diaphane... Le regard embrassait de vastes étendues.
Et puis, le petit bourg fut bientôt rempli d'une symphonie bruyante où la langue bretonne s'exprimait en termes énergiques. MM. Jean Jade et Laurent Berthélémé étaient là, venus apporter le secours de leur expérience et de leur dévouement.
La salle de Mme veuve Menez fut bientôt envahie par une foule de 250 personnes, au moins.
L'émotion, sur tous les visages, était visible. Nul doute que du problème, les intéressés n'aient retiré toute la quintessence.
Laurent Berthélémé, très écouté, exposa la situation et dit la nécessité de l'union de tous pour la poursuite du but commun : « Vous vous y êtes pris un peu tard, dit-il, raison de plus pour vous grouper. D'ailleurs le péril mortel auquel vous êtes exposé, vous en fait un devoir. »
M. Jean Jade opina dans le même sens. Il estima que tous les efforts, de quelque côté ou de quelque opinion qu'ils viennent, doivent concourir au même but. Il faut saisir l'opinion publique qui ne comprend pas encore bien le problème. Il faut l'éclairer et lui faire comprendre que, dans cette affaire, il s'agit, pour les protestataires, d'une question de vie ou de mort.
- « Je comprends et j'excuse, dit-il, ceux qui, ne connaissant pas les ressources de votre contrée, se disent en passant au pied du Mont Saint-Michel : « Quel désert ! » et s'en vont avec l'impression que vos terres sont arides, vos prés sans valeur, et en bénissant Dieu de les avoir fait naître ailleurs. Ils ne savent pas. »
Et l'orateur, avec éloquence, de montrer toutes les richesses du pays, parmi lesquelles les tourbières, ces mines inépuisables...
Cinquante-cinq familles à l'aventure
Et le voici au coeur de la question. Le barrage, dans l'esprit de ses promoteurs, est destiné à donner plus de bien-être à la ville, sinon à la campagne. Louable pensée. Le progrès marche, et rien, sans doute, ne l'arrêtera. Personne n'est contre le progrès. Bien au contraire. Mais doit-il, dans sa marche, écraser l'individu, la famille, tel un rouleau sans frein et sans âme ?... Car le problème, tout entier, en l'espèce qui nous occupe, est là. Il est simple, et tragique, à la fois :
« Si le barrage se fait, inondant 360 hectares de champs, de prés, de tourbières, de tout ce qu'on voudra, 55 familles ayant pour la plupart de nombreux enfants, seront dans l'obligation de quitter le pays, celui de leurs ancêtres, parce que, avec le peu de terre qui leur restera, s'il leur en reste, elles ne pourront plus vivre. »
Et alors, où iront-elles ?... A la ville, grossir la masse des travailleurs, alors que le chômage menace ?... A-t-on, dans notre pays, trop de paysans ?
Et pourquoi cette mesure ? Est-elle destinée à faire bénéficier la patrie d'un surcroît de sécurité vitale, auquel cas, tout, même l'existence, l'intérêt, doit lui être impérieusement subordonné ?... Non, il s'agit ici de procurer plus de bien-être, donc du superflu.
Et l'orateur de démontrer avec force que le superflu, fruit du progrès que nul ne songe à critiquer, ne doit pas être conquis au prix des larmes, des douloureux abandons, de l'exil... Fût-ce au poids de l'or, encore que ce ne soit pas ici le cas, tant s'en faut.
C'est là un bien pâle exposé de la harangue de M. Jean Jade. Mais nous nous proposons de revenir sur tout cela un jour prochain. Car, nous aussi nous avons vu, et examiné, et entendu. Et nous parlerons en conséquence.
Un ordre du jour
Les 250 auditeurs firent un beau succès à celui qui avait su si bien traduire leurs sentiments. Puis l'on passa à la constitution du syndicat de défense, intitulé : Association des propriétaires des marais du Mont Saint-Michel, de Brasparts.
Le bureau fut constitué comme suit :
Président, M François Morvan, de Forhan, en Loqueffret ; vice-présidents, MM. Henri Kéruzoré, de Nestavel-Vian, en Brennilis ; Le Baud, de la Feuillée ; Jean-Marie Pichon, de Botmeur ; secrétaire. M. Jean Seven, de Forhan ; trésorier, M. Jean Salaun, de Forhan ; membres, MM François Bronnec, de Forhan ; Yves Martin, de Forhan ; Louis Plassart, de Nestavel ; Paul Boulouard, de Forhan ; Yves Conan, de Nestavel-Vras ; Salaun, de La Feuillée ; François Le Roy, de Botmeur
L'assemblée se sépara après le vote à l'unanimité d'un ordre du jour aux termes duquel les protestataires déclarent vouloir :
1° S'interposer par tous les moyens de droit à la vente ou expropriation des parcelles leur appartenant dans le marais du Mont Saint-Michel ;
2° Faire intervenir dans ce sens les pouvoirs publics ;
3° User de leur influence pour faire avorter le projet de barrage qui, s'il aboutissait, créerait la ruine de certaines familles et la perturbation chez les exploitants des propriétés riveraines par suite de l'inondation des pâturages ;
4° Faire intervenir le Comité national d'hygiène.
Ajoutons, pour terminer, que d'autres meetings de protestation auront lieu dimanche 1er mars, à La Feuillée et à Botmeur
J C.
- (source Ouest-Eclair du 09/03/1931) : L'AMENAGEMENT DU YEUN-ELEZ DANS LES MARAIS DE L'ARRE - Le point de vue de la Société Hydro-Electrique
HUELGOAT, 8 mars (De notre envoyé spécial). - Par des chemins défoncés, auxquels on ne pense pas sans effroi à la perspective d'avoir à y rouler de nouveau pour le retour, j'ai rejoint dans la charmante station estivale de l'Argoat, M. Kerautret, ingénieur, administrateur de la Société Hydro-Electrique des Monts d'Arré, qui désirait exposer aux lecteurs de l'Ouest-Eclair, le point de vue de sa société dans le différend dont ce journal s'est fait l'écho. (Voir les articles de J. Corcuff, 1er février et 28 février).
M. G. Kerautret, à qui l'on doit l'aménagement de la célèbre cascade de Saint-Herbot et la création de la centrale hydro-électrique au pied du prodigieux chaos granitique que chacun connaît - tout au moins de réputation - est également animateur du projet de lac artificiel en amont de la réserve actuelle, jugée insuffisante. Ce projet, il l'a conçu, en a mûrement étudié la réalisation, obtenu pour lui l'avis favorable du Conseil général du Finistère et celui de la Commission des sites et monuments.
Membre de cette Commission, je me souviens de m'être, il y a quelques mois, prononcé pour le nihil obstat à l'égard du projet, malgré l'appréhension que me causait au premier abord la modification d'un paysage unique en Bretagne, et qui, entre tous ceux de l'intérieur, m'est particulièrement cher.
Ce que dit M. Kerautret
L'ingénieur me reçoit en son cabinet tapissé d'épurés, ouvert sur le vallon à l'opposé duquel la forêt tend un rideau vert sombre, et, dans le tapotement ininterrompu des machines à écrire, me fait d'abord voir sur le papier, carte, plan, coupe, élévation, les particularités du projet de barrage et de « réserve » artificielle dans les funèbres marais de l'Arré, ce projet qui semble soulever tant de contestations parmi les riverains du haut Elez.
- « Pour que vous puissiez juger par vos yeux, il vaut mieux que nous nous rendions sur place, dit ensuite M. Kerautret. Vous verrez d'abord les ouvrages de Saint-Herbot et de là je vous conduirai au marais. Chemin faisant vous me poserez toutes les questions susceptibles d'intéresser vos lecteurs... »
Changement de voiture. Par l'abrupte rue des Cieux, nous gagnons rapidement le plateau de Belle-Vue ; mais le temps « bouché » me prive d'un splendide panorama qu'à l'ordinaire, je contemple toujours avec un plaisir nouveau. Puis, comme la voiture s'engage dans une longue descente en lacets au flanc d'une courbe éternellement verte, je demande à mon guide :
- « A quelles fins désirez-vous constituer la réserve complémentaire des marais ? »
- « Il s'agit pour la « Société Hydro-Electrique » d'assurer le fonctionnement ininterrompu de notre usine de Saint-Herbot achevée en 1928, dont la puissance installée est de 5.000 chevaux et la production annuelle de 10 millions de kilowatts heure. Cette usine poursuit présentement les réseaux de transport de la région, en réservant une part de son énergie pour les besoins ruraux éventuels. Sa réserve actuelle, surélevée de 110 mètres par rapport à l'usine, est seulement de 300.000 mètres cubes, insuffisante pour contenir en période pluvieuse les eaux de l'Elez, dont les 8/10è restent ainsi inutilisées ; en période de sécheresse elle nous permet d'alimenter nos turbines pendant seulement quelques semaines.
Ce que serait le nouveau barrage
« Le nouveau barrage serait situé à 3 kilomètres en amont de cette réserve, et jeté entre les villages de Nestavel-bihan en Brennilis, et de Forhan en Loqueffret. Il retiendrait une masse liquide s'étendant sur 350 hectares de superficie d'une profondeur maxima de 7 mètres, et forte de neuf millions six cent cinquante mille mètres cubes. C'est de quoi braver les étés les plus secs qu'il soit possible d'enregistrer en Bretagne, tout en renforçant à loisir la production de notre usine... »
A l'usine
L'auto s'arrête déjà devant celle-ci, dont la large façade percée de vastes baies et les pignons effilés comme ceux des vieux moulins seigneuriaux, empruntent leur unique matériau au granit gris du pays. A l'intérieur ronflent de monstrueux alternateurs qui, sous leur carapace noire, élaborent sans trêve le fluide magique aussitôt adressé, en vue de la distribution, aux transformateurs de toute taille étagés à proximité.
Après visite en détail de la centrale aux proportions de caserne, et dont deux hommes suffisent cependant pour contrôler, canaliser et distribuer 1a production, nous entreprenons à grand ahan, le long d'un énorme tuyau rigide - déparant passablement le paysage, il faut le reconnaître, mais que de judicieuses plantations d'arbustes masqueront bientôt de loin à la vue - l'ascension de la colline boisée au sommet de laquelle se trouve le barrage fournisseur d'énergie. A notre droite rugit la cascade aux éboulis apocalyptiques, qu'anime le trop-plein de la réserve. L'escalade terminée, il nous est loisible de reprendre notre conversation.
L'intérêt général du barrage
- « Dans quelle mesure, dis-je, la réalisation de votre projet sert-elle l'intérêt général ?
- « Très largement, répond l'ingénieur en m'aidant à prendre pied sur la robuste chaussée de pierre qui endigue partiellement les eaux jadis si vagabondes de l'Elez, et transforme, jouxte la vieille demeure féodale du Rusquec, le lit de cette rivière un lac riant bordé de bosquets.
« Vous n'ignorez pas que l'électrification du pays par les forces naturelles doit amener nécessairement une réduction des achats à l'étranger de combustibles courants comme le charbon et le pétrole. Notre usine apporte déjà une contribution appréciable à l'électrification du Finistère; la nouvelle réserve en projet faciliterait l'equipement complémentaire de la chute que vous avez sous les yeux, et permettrait la valorisation immédiate de l'énergie réservée aux groupements agricoles d'utilité générale et à d'autres organismes collectifs, auxquels nous pouvons fournir le courant à très bas prix.
« Les crues de l'Elez s'en trouveraient complètement amorties, d'où amélioration sensible des terres cultivables et des pâturages en bordure du cours d'eau dans la région en aval. (Pendant six à sept mois, ceux-ci sont submergés par l'excès des eaux tombées dans le haut pays et drainées par la rivière). Par contre, les nombreux moulins échelonnés sur ses bords seraient assurés d'avoir en toute saison le courant nécessaire à leur activité.
« La régularisation du débit de l'Elez débit qui atteint en périodes de grandes eaux 15 mètres cubes seconde, par suite de la grande pluviosité enregistrée dans la cuvette du Mont Saint-Michel de l'Arré (1.200 mm. par an, contre 600 sur la côte), aurait une répercussion très appréciable sur celui de l'Aulne, dont ce ruisseau est l'un des plus importants tributaires. Elle le soulagerait considérablement en hiver et lèverait ainsi une partie des appréhensions que les habitants de Châteaulin nourrissent au moment des crues. En été, elle lui fournirait au contraire un appoint régulier pour la circulation sur le canal de Nantes à Brest.
« Des travaux comme celui-ci, et comme celui que nous projetons, constituent un équipement des richesses naturelles au profit de la collectivité. En effet, tous deviennent automatiquement, au bout de 75 ans, propriétés de l'Etat, lequel, sans bourse délier, prendra dans quelques décades possession des grands ouvrages que les pionniers de la houille blanche, de la houille bleue et de la houille verte auront entrepris de nos jours à grands frais.
« Ce n'est pas tout. Notre lac artificiel devant couvrir une partie du territoire des quatre communes de La Feuillée, de Botmeur, de Brennilis et de Loqueffret, ces collectivités, les deux dernières surtout, sont fortement intéressées à la réalisation du projet.
« Du seul fait que notre usine et son barrage se trouvent sur son territoire, la commune de Loqueffret bénéficiera bientôt, au titre de l'impôt foncier et de la patente, d'une manne de 10.000 fr. par an, équivalant au dixième de ses ressources totales.
« Le point de vue de la défense nationale lui-même vaut qu'on s'y arrête, l'équipement hydro-électrique de la région auquel concourt notre installation, devant assurer, en cas de blocus, le fonctionnement des poudreries du Pont-de-Buis, du Moulin-Blanc et celui de l'arsenal de Brest. L'aviation nationale a même envisagé l'utilisation de notre nouvelle réserve comme base d'hydravions. »
A Brennilis
Tout en causant nous avons regagné notre voiture qui nous emmenait maintenant vers Brennilis, au seuil du Yeun où les Bretons plaçaient jadis l'entrée du Purgatoire. Paysage sinistre, limité vers l'Ouest par le dôme du Saint-Michel, la longue croupe du Cador et dominé par ce « ciel bas et lourd, pesant comme un couvercle » dont parle quelque part le poète des Fleurs du Mal, et dont, mieux que quiconque, M. Le Braz a rendu l'atmosphère tragique.
L'auto s'engageait bientôt dans un chemin tortueux qui, aux approches de Forhan, semblait devoir se muer en bourbier impraticable. Mettant pied à terre, nous nous dirigeons vers le point où doit s'amorcer le barrage de 300 mètres de long et haut de 8 mètres qui retiendra prisonnières les eaux du Yeun-Elez, pour les transformer intégralement en source d'énergie.
Les obstacles
« Nous voici donc, dis-je, en plein foyer de désordre. On ne s'en douterait guère devant le calme triste de la nature sous ce crachin hivernal... Mais votre projet se heurte à de nombreux intérêts particuliers. Le lac artificiel va submerger des terrains, des propriétés... »
« Cela va de soi ; mais vous voyez de quels terrains il s'agit en général ». Et l'ingénieur désignait la morne étendue des landes et des tourbières fauves, qu'aucun talus ne divisait, qu'aucun arbre n'agrémentait à perte de vue. En raison de la pauvreté de ces terrains, les hommes préfèrent la vie nomade du chiffonnier ou du marchand de toile ambulant à celle du cultivateur. Ceux que la vie des champs ne rebute point cherchent volontiers une glèbe moins ingrate et émigrent même en Dordogne. Sur les 350 hectares immergés, on comptera au plus 50 à 55 hectares de terre cultivable.
« Il y aura aussi des tourbières, qui fournissent aux populations voisines un combustible à bon marché.
« A bon marché, c'est à voir... : mais ceci est une autre histoire. De toute façon, ceux qui tiennent à ce moyen de chauffage terriblement primitif pourront à loisir s'approvisionner en tourbe, puisque sans préjudice des 300 autres hectares de tourbières que renferme le marais, nous avons fait l'acquisition de 35 hectares sous Kergueven, en compensation de ceux qui seront devenus inexploitables par suite de notre installation. Restent 250 hectares de landes et de marécages... »
Les familles expropriées
« On a parlé de nombreuses familles qui seraient mises dans l'obligation de s'expatrier.
« N'exagérons pas. A supposer que 50 familles se partagent les terres cultivables vouées à là submersion, cela fait à peine plus d'un hectare de perdu par famille, ce qui vous en conviendrez est insignifiant par rapport à la superficie labourable nécessaire à l'entretien de chacune. D'ailleurs, de ce côté aussi, nous avons envisagé des compensations non seulement pécuniaires, mais matérielles, par l'attribution aux riverains lésés de terrains au moins égaux en valeur. Un syndicat constitué à cet effet serait subventionné par l'Etat et par la Société Hydro-Electrique.
- Ne serez-vous pas dans l'obligation de submerger quelques maisons ?
- Deux fermes seulement, abritant en tout une demi-douzaine de personnes. Mais nous avons prévu la reconstruction des immeubles, de sorte que leurs habitants seront plus confortablement logés qu'avant leur éviction. De plus, nous installerons à nos seuls frais les lignes pour l'éclairage des riverains, et assurerons également l'aménagement d'un chemin vicinal qui, sans cela grèverait lourdement le budget de la commune de Brennilis.
Toute expropriation sera naturellement précédée d'une expertise régulière et, aussi naturellement, impliquera une indemnisation. Le conflit n'est donc qu'apparent, entre l'intérêt général et les intérêts particuliers, si l'on veut bien envisager la question sans passion, et sous son angle normal... »
* * *
Le soir tombait lentement, accentuant encore la désolation du paysage ; les mélancoliques stridulations d'un courlis des marais animaient seules le silence angoissant du Yeun. Des fondrières traîtresses luisaient devant nous, sous de maigres herbages et des joncs résignés. Paysage sinistre, ai-je écrit plus haut, mais prenant et magnifique à sa manière.
Et comme nous regagnions Huelgoat à la nuit close, sous un clair de lune terne et hésitant, traversant par endroits des réseaux de brouillard, je pensais à ce progrès lent ou rapide, brutal ou souple dans sa marche, mais qu'aucune jérémiade ne saurait arrêter et qui va peut-être d'ici peu transformer les fondrières improductives du Yeun-Elez en un lac générateur de force et de lumière, que dominera précisément la chapelle de l'Archange au glaive de feu...
Et je me suis dit qu'entre toutes les transformations que le Yeun pouvait être appelé à subir dans les temps à venir, celle-ci reste la plus digne de son histoire, de sa légende et de sa beauté.
P. GOURVIL.
- (source Ouest-Eclair du 15/04/1931) : BRENNILIS - Contre le projet d'aménagement des marais
A plusieurs reprises l'Ouest-Eclair a entretenu ses lecteurs du conflit qui met aux prises les riverains du Yeun-Elez, vaste marais tourbeux situé au coeur de l'Arré, et la société Hydro-Electrique qui a mis à l'étude un projet de barrage pour la retenue des eaux de ce marais en vue de leur utilisation comme source d'énergie.
Une nouvelle réunion de protestation contre ce projet s'est tenue à Brennilis dimanche à 15 heures. Un grand nombre de riverains y assistaient au titre de propriétaires intéressés. Les protestataires,
en tête desquels se trouvaient MM. Berthélémé, maire de Loqueffret, conseiller général du canton de Pleyben et Toullec, maire de Brennilis, conduisirent M. Daniélou, député de la circonscription, aux villages de Nestavel-Bihan, en Brennilis, et de Forhan, en Loqueffret où ils exposèrent sur place leurs griefs contre le principe même et les répercussions du projet incriminé.
Les intéressés font valoir entre autres choses qu'un grand nombre de familles seraient contraintes de s'expatrier par suite de la submersion des terrains labourables indispensables au fonctionnement normal de leurs fermes ; que la superficie de ces terrains excédera largement, surtout en période de crue, le chiffre de 250 hectares mis en avant par la société ; que toute pièce de terre exploitable entamée par
le lac artificiel devait être intégralement acquise par cette société, pour éviter les contestations ultérieures ; que les tourbières représentent une valeur inestimable insuffisamment compensée par celle des tourbières de Kerguéven, proposées pour remplacer les terrains inexploitables.
Un meeting en plein air se tint ensuite au bourg, M. Daniélou y prit d'abord la parole pour calmer les appréhensions que le conflit a pu faire naître, et assurer qu'aucune décision ne serait prise dans les ministères intéressés par le projet, Agriculture d'une part, Travaux publics de l'autre, avant qu'une enquête approfondie ait été faite sur l'utilité générale et les répercussions du dit projet. Cette enquête
tiendra compte de tous les griefs formulés par les riverains, dont toutes réserves légitimes seront prises en considération.
M. le sous-préfet de Châteaulin, parlant au nom de l'administration, dit que le préfet du Finistère suit attentivement la question et apportera toute sa sollicitude à une solution conforme aux intérêts des populations de la région.
M. Berthélémé, dans un langage d'une rude franchise, s'élève contre le principe même du barrage, qui, dit-il, causera dans le pays des perturbations douloureuses, sans compensations possibles.
M. Toullec, maire de Brennilis, clôt la série des discours en soulignant particulièrement la menace d'émigration qui pèsera sur sa commune si toute la population d'un village important est mise dans l'impossibilité d'exploiter ses terres. C'est pourquoi il ne voit de solution satisfaisante que dans le rejet pur et simple de la demande de concession.
L'accueil fait aux paroles des deux derniers orateurs, en particulier, et la surexcitation des esprits parmi les riverains du marais rendent assez problématique l'espoir d'une concilliation entre le point de vue de la société Hydro-Electrique exposé dans nos colonnes il y a quelques semaines et les aspirations des villageois de Nestavel-Bihan et de Forhan.
- (source Ouest-Eclair du 22/01/1937) : LES GRANDS TRAVAUX - On construit en ce moment un gigantesque barrage auprès de Brennilis
dans les monts d'Arrée
Une digue de 347 mètres en béton armé. - Captation et retenue de 10 millions de mètres cubes d'eau. - Un lac de 380 hectares de superficie à 212 mètres d'altitude.
Vue des hauteurs de Brennilis, l'immense étendue des anciens marais de Saint-Michel apparaît comme une gigantesque cuvette morne et désertique. Sur plusieurs centaines d'hectares, l'oeil ne rencontre aucun obstacle, sinon les maigres talus formés par l'extraction de la tourbe. A l'Ouest, s'arrondit la cime altière du Mont Saint-Michel que domine le clocher de la chapelle. C'est le point le plus élevé de Bretagne. Au Nord, les collines de Botmeur... On distingue à peine dans ce grandiose panorama les méandres de la petite rivière l'Ellez, roulant des eaux apparemment calmes et limpides... Qui supposerait qu'elle pût, de temps à autre, sortir de son lit, s'étendre en vaste nappe dans la plaine et s'en aller grossir le canal de Nantes à Brest, au point de provoquer des inondations très préjudiciables aux riverains de cette voie d'eau ?
Il en est ainsi cependant, trop souvent, au cours d'hivers particulièrement pluvieux, cette région étant l'une de celles, en France, où la densité des pluies est la plus considérable, puisqu'elle atteint une hauteur approximative de 1.200 millimètres par an. Cette abondance d'eau dans un cadre aussi favorable devait tenter les techniciens désireux d'y créer une station puissante de force motrice. L'électricité est la reine du jour. Villes et campagnes demandent instamment le bénéfice de ses bienfaits, et il n'est pas douteux, par ailleurs, que la houille blanche constitue le moyen de production le plus économique pour nos régions.
* * *
Voici déjà plusieurs années que la Société Hydro-Electrique des Monts d'Arrée, dont l'administrateur délégué est M. Kerautret, ingénieur, a jeté son dévolu sur cette vaste étendue de terrain. On sait que cette société utilise déjà l'Ellez à la chute de Saint-Herbot, où un barrage de 120 mètres de long retient quelque 300.000 mètres cubes d'eau. Une canalisation de près de 120 mètres de haut permet d'alimenter les turbines de l'usine électrique située dans le ravin.
Construire un autre barrage plus en amont, de manière à créer un vaste bassin de retenue qui permettrait d'augmenter dans des proportions considérables la production de l'usine de Saint-Herbot et, au besoin, celle de toutes les nouvelles usines qui se construiraient sur le cours de l'Ellez, tel fut le projet envisagé.
Nous nous rappelons avoir, à l'époque, suivi la question de près et enregistré les protestations des cultivateurs soumis à l'expropriation, ainsi que celles de la population des communes intéressées : Brennilis, Loqueffret, Botmeur, etc.. que la construction d'un barrage et la formation d'un lac de près de 400 hectares allaient priver de l'exploitation de la tourbe, seul combustible, ou à peu près, de cette région déshéritée. Puis la procédure suivit la voie habituelle pour aboutir finalement à la concession à la Société Hydro-Electrique, des anciens marais de St-Michel.
On nous a assuré que les intérêts des habitants n'avaient point subi de trop graves atteintes en raison des compensations accordées. En tout état de cause, il serait vain d'y revenir puisque le projet est en voie de réalisation et que les travaux sont commencés depuis le mois d'août dernier.
Extension de la force motrice, régularisation du cours de l'Ellez et du canal de Nantes à Brest : ce sont également des avantages certains pour la région.
C'est, en vérité, à un travail gigantesque que se sont attelés les promoteurs de cette entreprise. Il s'agit, en effet, de construire auprès de Brennilis, entre le village de Nestavel-Bihan et la colline de Forhan, un barrage de 347 mètres de long destiné à contenir une masse d'eau de près de dix millions de mètres cubes, couvrant une superficie de 380 hectares. Un lac artificiel à une altitude de 212 mètres. Voilà qui va changer l'aspect de cette région, jusqu'ici si monotone dans sa sauvage grandeur.
Ce barrage, dont la construction a été confiée à une entreprise parisienne, sera en voûtes accolées de 26 mètres d'envergure et 0 m. 75 d'épaisseur, appuyées par de puissants contreforts. Un déversoir de 10 mètres de largeur sera édifié sur le lit de la rivière, du côté de Forhan. Il sera d'ailleurs commandé par une benne automatique dont le but est d'ouvrir le passage à l'eau, lorsque celle-ci atteindra un certain niveau. L'ouvrage aura également une partie rectiligne de 112 mètres de longueur, située à la partie gauche, et destinée à protéger le village de Nestavel. Treize voûtes et quatorze contreforts en béton armé, telle sera l'armature de cette digue puissante de 15 mètres de haut, capable de contenir victorieusement la poussée formidable et permanente de millions et de millions de mètres cubes d'eau.
* * *
Les travaux, nous l'avons dit, sont déjà fortement avancés. Nous avons pu les visiter en compagnie de M. l'ingénieur Kerautret, qui, très obligeamment, s'est mis à notre disposition. Par ailleurs nous avons trouvé l'accueil le plus empressé auprès de MM. Dhomeur, ingénieur, représentant la Société hydro-électrique des Monts d'Arrée, et Corvé, ingénieur, délégué de l'entreprise chargée de la construction.
Sur le vaste chantier, où les crissements des « Decauville » vous frappent dès l'abord, une centaine d'ouvriers s'affairent les uns autour du gravillon que l'on extrait du marais même, à un kilomètre de là ; les autres sur le trommel, déboucher et classeur, ou sur la bétonnière aux puissants moyens de production. D'autres, enfin, sont occupés à la construction du déversoir ou au creusement des profondes assises destinées à recevoir le béton, lequel, bientôt coulé, formera un appui inébranlable à la digue gigantesque.
Le visiteur a, ici, un peu l'impression d'assister à l'édification de travaux de défense guerrière, de fortifications, avec ces tranchées courant, zigzaguant dans la plaine, et ces espèces de boyaux perpendiculaires qui vont servir de contreforts. Il ne s'agit, fort heureusement, n'est-ce pas, que de travaux pacifiques, destinés au mieux-être du genre humain, et à sa protection. Et l'on capte pour cela, les forces de la nature, on les dompte. L'ennemi - disons l'ami - ici, c'est l'eau, tout simplement.
Les ingénieurs ont détourné, sur une petite longueur, le cours de l'Ellez au bas de la butte de Forhan, pour permettre la construction du déversoir qui se poursuit activement. Nous assistons pendant quelques instants aux diverses phases de ce travail intéressant aux yeux d'un profane. Le béton est introduit dans les intentées où il est ensuite égalisé et rendu compact au moyen d'aiguilles vibrantes, à air comprimé, enfoncées à sec. L'opération, effectuée de la sorte, est rapide et sûre.
Plus tard, lorsque tout sera terminé, on remettra la rivière dans son lit et on la fera passer dans le déversoir, d'où ses eaux s'échapperont pour aller vivifier l'usine de Saint-Herbot... et les autres.
- Si tout va bien, nous inaugureront le barrage au mois d'août prochain, nous déclare M. Kerautret. Un an aura suffi... »
Un an aura suffi pour faire de ce lieu désertique une formidable source de force et d'énergie électrique, et pour créer une petite mer intérieure, sur la montagne, où les canots pourront se donner libre cours, et où - qui sait ? - les hydravions viendront peut-être un jour, reposer leurs ailes de la fatigue des grandes randonnées.
J. CORCUFF.
De gauche à droite : MM. les ingénieurs Dhomeur, Kerautret et Corvé.
D - La centrale nucléaire
- En 1962, le Comité à l´Energie Atomique (C.E.A.) et l´E.D.F., en conservant le barrage, font bâtir une centrale nucléaire électrique de type nouveau et expérimental à proximité du réservoir existant qui servira à refroidir l´eau des réacteurs nucléaires. La construction des différents bâtiments à usage industriel se poursuit jusqu´en 1974. Arrêtée en 1985 à cause de sa puissance modeste et de nouveaux choix énergétiques, la centrale atomique rentre alors dans une phase de démantèlement dont l´achèvement est prévu pour l'horizon 2020.
E - Cartes
Carte de Cassini - 1815.
Aujourd'hui : à gauche, le grand réservoir de St-Michel ; au nord-est de St-Herbot, le petit réservoir de St-Michel (Rusquec - Saint-Herbot) et, plus bas vers la droite, l'usine.
Aujourd'hui : à gauche, le grand réservoir de St-Michel ; au nord-est de St-Herbot, le petit réservoir de St-Michel (Rusquec - Saint-Herbot) et, plus bas vers la droite, l'usine.
F - Sources des informations
ADB = Archives Départementales du Finistère à Brest
ADQ = Archives Départementales du Finistère à Quimper
AML = Archives Municipales de Landerneau
- La chambre de commerce de Morlaix par Alexandre Kerautret http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_225/le__finistere.pdf page 126
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- ... et autres lectures
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André J. Croguennec - Page créée le 14/12/2013. |
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