Les Christs en robe |
La représentation du Christ en robe ou "en majesté" sur la croix n'est pas la plus courante loin de là. On la trouvait cependant dans l'église de Pont-Christ. Partons donc à la recherche d'autres exemples à travers le Finistère et ailleurs.
Dans le christianisme, les représentations des croix, avec ou sans Christ, sont tardives. Il a fallu attendre le IIIè siècle pour que les chrétiens représentent la croix comme signe de leur appartenance à l'évangile. Il fallut attendre encore longtemps pour voir placer sur cette croix, si glorieuse fût-elle, un Christ crucifié. Magnifier le Seigneur de cette manière allait demander aux chrétiens un long siècle.
Le thème iconographique de la crucifixion, tel qu'il nous est devenu familier, un Christ étroitement associé à une croix, ne paraître guère avant le début du Vè siècle.
Ce Christ primitif était quasiment nu, tel que les acteurs du Golgotha avaient pu le contempler sur le gibet. Tout juste une étroite ceinture retombant par devant, le subligaculum.
Au VIè siècle, le christ se revêt d'une longue tunique sans manches le colobium. De là découlent les Christs en robe avec de larges manches qui, vers le XIIè siècle, auront un succès assuré.
Le Christ est représenté sur sa croix, en robe rouge, sur sa tête une couronne, et il porte la barbe. C'est une tradition syrienne importée en Occident au VIIIè siècle et répandue dans la mouvance du "Santo Volto de Lucca", la "sainte Face de Lucques" en Toscane. On disait ce trésor sculpté par Nicodème lui-même ; on pense aujourd'hui qu'il daterait de la fin du XIIè siècle. Caché au public il n'a été exposé qu'à partir du XVè siècle.
Très vite, ce type de représentation du Christ s'est répandue dans tout l'Occident. Dans le diocèse de Quimper, on peut trouver quelques exemplaires tant en pierre qu'en bois. Il semblerait que ce soit le calvaire de Tronoen qui ait innové ; rappelons qu'il date du XVè siècle.
Certains ont vu un Christ en robe sur le calvaire de Tronoën. Il est plutôt vêtu d'une jupe que d'une robe, si l'on juge par sa représentation sur le dessin.
En tout cas, il est plus couvert que le Christ primitif évoqué plus haut, et plus que celui de Brezal.
On notera que le Christ de Tronoën n'a pas de barbe mais porte la moustache.
L'église Saint-Pierre :
A Guimaëc, église Saint-Pierre ; clous dans les mains et les pieds ; cols, bouts de manches et bas de robe à parements dorés. Pas de globe sous les pieds. XVIème siècle.
Provient de la chapelle du Christ (ci-dessous).
Jolie chapelle du XVIè siècle, elle a vu célébrer son dernier office en 1948, puis elle s'est dégradée progressivement. Heureusement, son retable aux personnages en bois polychrome, sa magnifique poutre de gloire et sa statue du Christ en robe rouge, à laquelle la chapelle doit son nom ont été sauvés et mis dans l'église paroissiale.
Le calvaire près de la chapelle :
Près de la chapelle du Christ en ruines depuis le milieu du XXè siècle, au revers du calvaire, le Christ en robe et couronné.
655. Christ + g. k. 7 m. XVè s., 1600. Trois degrés. Socle cubique à griffes prismatiques, longue inscription gothique: LE- - - Fût à pans. Croisillon composé de deux anges, statues géminées: Marie Madeleine-Vierge, personnage non identifié-Jean, au centre Christ lié, au revers Jean-Baptiste. Croix à fleurons, crucifix, au revers Christ en robe. La sculpture est du type de Plougastel-Daoulas. (source www.croix-finistere.com)
Derrière la chapelle coule la fontaine de dévotion sous son édicule à fronton aigu. Tout près, à l'entrée d'un chemin creux qui n'est autre chose que la voie gallo-romaine reliant autrefois les postes de Toul-an-Héry et de Primel, se dresse une grande croix, sur un socle formé de quatre marches. Parmi ses statuettes, on voit un Christ en robe couronné et un saint Paul Aurélien, vénéré à Kerbaul, debout sur son dragon. On raconte qu'à l'époque de la Terreur, quand l'ordre vint d'abattre les croix, les patriotes de Guimaëc s'attaquèrent d'abord à celle-ci et, pour la jeter bas, nouèrent au fût un gros cable qu'ils firent tirer par douze chevaux. Mais tous les efforts de cet attelage ne réussirent pas à ébranler la croix, que maintenait en place une puissance surnaturelle, et la corde finit par se rompre, blessant plusieurs iconoclastes, lesquels jugèrent plus prudent d'arrêter là leur entreprise sacrilège.
(Louis Le Guennec, Consortium breton, mai 1928, page 450 - AD29)
Primée en 2001 lors du concours « Sauvez un trésor près de chez vous », elle a fait naître au sein de la population et de l'association créée pour sa sauvegarde, un grand désir de restauration.
Celui-ci s'est concrétisé, début 2005, par deux importantes tranches de travaux : l'une concernant la maçonnerie, l'autre la charpente et la couverture.
Si la photo récente nous montre une chapelle qui a retrouvé l'aspect qu'elle avait quand Louis Le Guennec l'a dessinée, on remarquera que les deux vues n'ont pas la même orientation.
A Plouégat-Moysan, église Saint-Pierre ; clous dans les mains et les pieds, robe à parements dorés. Au noeud de la croix, cercle de type croix celtique, avec inscription. Bras de croix terminés en angon. XVIIè, une copie ?
CHRIST DE GLOIRE : XVIIè siècle - Bois polychrome - Chapelle Sainte-Anne.
Cette composition insolite présente le Christ en croix, mais portant une longue robe et une couronne royale. Les mains et les pieds ne sont pas cloués à la croix, et le visage est dénué de toute expression de souffrance. Tous les éléments renvoient plus à l'iconographie du Christ en gloire, ou Christ en majesté, qu'à celle du supplicié. Ses pieds devaient reposer sur le globe du monde, disparu depuis. Ce type de représentation, d'origine orientale, plus précisément syrienne, a été popularisé en Occident par le saint Voult (Voto Santo) de Lucques, en Italie.
Des représentations similaires étaient vénérées dans les "chapelles Christ", comme à Pont-Christ, chapelle tréviale de La Roche-Maurice, proche du château de Brézal, qui sont peut-être à l'origine de cette influence dans le sanctuaire. (Source : Patrimoine des communes du Finistère).
Le Christ de Lampaul est fort probablement une commande des seigneurs de Brezal, bâtisseurs de Ste-Anne, qui étaient aussi les bâtisseurs de l'église de Pont-Christ.
A Lampaul-Guimiliau, chapelle Ste-Anne, pas de clous dans les mains. Le globe sous les pieds a disparu. XVIIè siècle.
On le voit mieux plus bas, nulle souffrance chez le visage du crucifié à Ste-Anne ; mais paix, sérénité, gloire et majesté.
A Quimperlé, abbaye Sainte-Croix, statue épargnée lors de l'effondrement de la tour en 1682, mais décapée sur ordre de l'archipêtre Mazé (à cause de la couleur rouge de la robe !). Restaurée par Le Brun, sculpteur, et cirée ! Les pieds reposent sur un globe.
Eglise de Saint-Mathieu
Dans l'église Saint-Matthieu, à droite dans la nef, statue datant des environs de 1910 (écusson de Pie X).
CRUCIFIXITION : Début du XXè siècle - Architecte : Charles Chaussepied - Ganit et calcaire - Eglise Saint-Mathieu.
L'arcature, entre deux piliers de la nef, porte le christ en croix, aux pieds duquel se tient un ange avec une banderole qui proclame "Que votre règne arrive". Un paysan en bragou bras, costume traditionnel, et Jeanne d'Arc entourent le Christ. Le paysan tient un chapeau et un chapelet et une ruche semble être posée à ses côtés. A proximité, se trouvent un canon avec des boulets. Sous le Christ figurent deux blasons, l'un semé d'hermines et l'autre présentant des fleurs de lis, une épée et une couronne. Sur l'arc qui soutient le groupe, se trouvent deux autres écus similaires et deux inscriptions dont l'une déclare : "Le roi des cieux est le vrai roi de France". Au revers, figurent d'autres blasons et des inscriptions en breton et en latin. (Source : Patrimoine des communes du Finistère)
Musée départemental breton
Christ roi. Le Christ est représenté debout, les pieds nus sur la boule du monde (de couleurs bleue et dorée), les bras en croix, les mains fermées, où seuls les index sont tendus. Le visage est encadré d'une longue chevelure brune bouclée qui retombe sur ses épaules. Il porte une barbe à deux pointes. Beau visage aux traits réguliers : yeux baissés, bouche entr'ouverte, deux rides se dessinent entre les arcades sourcilières. Le Christ est vêtu d'une longue robe rouge qui tombe droit de l'encolure jusqu'aux pieds qu'elle découvre, aux manches larges jusqu'aux poignets, plissées verticalement par le poids de l'étoffe (galons dorés à l'encolure, bas des manches et de la robe). Voir sur le site du musée.
La croix de procession de Saint-Sauveur, exposée à l'ossuaire de Commana, fait partie de ce que l'on appelle les croix finistériennes dans l'histoire de l'art breton à cause de certaines particularités.
Ces particularités consistent essentiellement dans un noeud architecturé et dans les grosses boules qui font office de fleurons au bout des branches. La présence de Saint Jean et de la vierge Marie sur les consoles latérales donnent à ces croix de procession l'allure de petits calvaires mais ceci n'est pas spécifiquement breton.
La croix de Saint-Sauveur porte une inscription difficile à lire sur la douille : GILLES PENNER E YVES FABRICQUES DE S SAUVEUR 1672. Le poinçon constitué des initiales M et H avec une hermine désigne vraisemblablement Martin Hamon, un orfèvre de Brest, qui était encore tout jeune lorsqu'il a fait cette croix.
Sur le noeud hexagonal, l'orfèvre s'est contenté de placer six des douze apôtres : Pierre, Paul, Jacques, André, Simon et Thomas. L'originalité majeure de la croix est la présence du Christ en robe sur le revers. Et la fantaisie de quelque remontage a tourné les personnages de la Vierge et de Saint Jean le dos au Christ en croix, ce qui est vraiment peu traditionnel.
Le Christ en robe pourrait aussi bien s'appeler le Saint Sauveur. C'est ce qu'ont compris les paroissiens de l'église Saint-Sauveur en Léon. Selon la coutume qui plaçait au revers des grandes croix de procession l'image du patron de la paroisse, on voit ici un Christ en robe. C'était dans la logique des choses étant donné qu'on ne pouvait doubler le Christ crucifié les bras étendus et cloués sur la face de la croix entre la Vierge et saint Jean.
D'après Yves-Pascal Castel
Dessin de Louis Le Guennec.
Dans l'église St-Georges de Botsorhel, il y a un Christ en robe rouge, d'assez petite dimension, 0,60 m. ou 0,70 m., fixé sur une croix moderne avec cette inscription : Regnavit a ligno Deus.
A Riec-sur-Belon, dans l'église Saint-Pierre, au-dessus du maître-autel, il provient de la chapelle Notre-Dame de Trémor.
A Plouarzel, à Kergougnan, Kroaz-Menez-ar-C'hras, croix du haut Moyen-âge, avec au revers un crucifix dont le Christ semble porter une tunique.
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Il compte parmi les plus vieux Christ en robe de Bretagne, et fut découvert vers 1994. Certes, la croix de Menez-ar-C'hras n'était pas inconnue, mais enfoncée dans un talus, son Christ, tourné contre la terre n'était qu'en partie discernable. Les travaux de mise en état du monument l'ont fait apparaître, les pieds joints, et vêtu d'une tunique tombant à mi-jambes. La découverte est d'importance, car ce type de croix, pattée et nimbée d'un cercle, discret mais évident, est fort ancien. Sans plus de précision on parlera du Haut Moyen-Age, c'est-à-dire d'avant l'an mil.
Menez-ar-C'hraz n'est pas unique. Croaz-Ourc'hant de Kerlouan, pattée elle aussi avec un cercle gravé sur le revers de la pierre, porte un Christ en robe.
Ces croix étant très anciennes, la gravure de leurs Christs est usée. C'est le hasard d'un soleil rasant qui l'a fait découvrir. Il est fort vraisemblable que de observateurs attentifs en repèreront de nouveaux à l'avenir.
D'après Yves-Pascal Castel, 1996
La croix de Roc'h Jolis :
Haute de deux mètres, elle présente des écots et un crucifix en relief... et le Christ est vêtu d'une robe, me semble-t-il.
Voir le site BretagneErin, merci à Olivier Gueganton.
A Brest, dans la chapelle annexe de Saint-Louis, un Christ en Majesté, caché aux visiteurs.
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Ce Christ, mutilé, pourrait dater du XVIè siècle. Il provient de la chapelle Locmaria-Lan en Plabennec et se trouve dans la chapelle annexe de Saint-Louis à Brest. Avant la guerre, on le trouvait dans l'ancien musée de la chapelle Saint-Joseph, détruite en 1944.
Il mériterait d'être considéré autrement que comme pièce de musée intouchable. Il ne serait pas difficile à un artiste contemporain, habile, sensible et bien informé, de lui refaire des bras.
En approchant du Christ de Saint-Louis, on remarquera les losanges du cercle de la couronne. Ils rappellent les macles héraldiques de la famille de Rohan, qui blasonnait "de geules à neuf macles d'or". Au XVIè siècle, les Rohan aimaient imposer, partout sur leurs domaines, le motif losangé tiré de leus armoiries. Des macles ornent l'une des trois couronnes superposées de la tiare de Dieu le Père à Kerlouan. Au calvaire de Locmaria-Lan, l'écu aux neuf macles se dresse en supériorité au-dessus du titulus du crucifié.
D'après Yves-Pascal Castel, 1996
L'idée de majesté et de souveraineté est bien présente avec la couronne. Son visage aurait-il été sculpté aussi par les anges ? Comme le suggère Michel de Mauny.
Le Christ de Pont-Christ est aujourd'hui hébergé à Kergrist chez M. Huon de Penanster, dans la grande longère qui se trouve tout de suite à droite du château. Il y a quelques années, "il était déposé à la chapelle familiale de Runfao qui se trouve dans les bois de Kergrist, et a été ramené à Kergrist pour des raisons de sécurité". Comme le château est ouvert au public, le Christ fait partie de la visite.
Le château de Kergrist est situé sur la commune de Ploubezre, dans le département des Côtes-d'Armor.
Joseph Bigot (1807-1894), le célèbre architecte finistérien, en avait fait le croquis suivant :
(archives diocésaines de Quimper)
Pour retrouver le Christ de Pont-Christ dans son cadre d'origine, voir :André J. Croguennec - Page créée le 14/12/2013, mise à jour le 18/3/2020. | |